Résultat pour la recherche 'abeilles'

Biens et services des écosystèmes: une tentative d’approche économique de l’environnement.

     Un écosystème est un complexe dynamique composé de communautés de plantes, d’animaux et de microorganismes (biocénose), de la nature inerte (biotope). Les êtres humains, en tant que partie intégrante des écosystèmes, tirent bénéfices des « biens et services » produit par leur fonctionnement. Si l’on devait tenter de cataloguer ceux-ci on obtiendrait quelque chose d’assez proche de la typologie suivante :

·         les services de prélèvement tels que celui de la nourriture et de l’eau;

·         les services de régulation vis à vis des inondations, de la sécheresse, de la dégradation des sols, des maladies ;

·         les services d’auto-entretien tels que la formation des sols, le développement du cycle nutritionnel;

·         les services culturels tels que les bénéfices d’agrément, les bénéfices d’ordre esthétiques et les autres avantages non matériels.

Biens et services des écosystèmes: une tentative d'approche économique de l'environnement. dans -> NOTIONS D'ECOLOGIE image001

Source : Millenium Ecosystem Assessment

image0021 dans -> PERSPECTIVES TRANSVERSES

Station « d’essence » en libre service

     On serait tenté de dire que ces biens et services nous sont fournis gratuitement. Ceci est peut-être vrai jusqu’à un certain point. Car pour maintenir des écosystèmes « productifs », il est nécessaire de leur abandonner certaines des ressources dont nous aurions pu faire un autre usage. Par exemple limiter nos prélèvements en eau pour maintenir les zones humides, par exemple au détriment de l’agriculture irriguée . En ce sens, on peut parler de coût d’opportunité. Pour maintenir le service de pollinisation des abeilles, nous devons renoncer à utiliser certains pesticides et ce renoncement à un coût économique (stock de produit, adaptation à de nouvelles pratiques culturales…). Mais si ce service a un coût, comme tous croissants avec la pression démographiquee et l’urbanisation, il n’en demeure pas moins que 80% des plantes à fleur sont pollinisée par les abeilles et que pour les cultures, le travail de l’abeille assure en plus d’une qualité supérieure de la production, une meilleure aptitude germinative. Ainsi, d’après les travaux de Costanza et al. 1997, la valeur économique de la pollinisation par les abeilles est estimée au global à 117 milliards de $ (1994). Pour nous donner un ordre de grandeur,  le PIB de la France était de 1 700 milliards de $ en 2004.

Dans son article « la maladie de la disparition« , Jean Zin nous prècise :  »Yann Moulier-Boutang donne en exemple l’activité de pollinisation des abeilles comme illustration de la nouvelle richesse sociale qui se constitue dans une société de la connaissance où ce n’est pas la production directe de miel qui est la plus importante mais la contribution des abeilles à la dissémination de l’information génétique, activité « gratuite » dont le coût (plus de 50 milliards) s’avère bien plus considérable, lorsque la pollinisation vient à manquer, que le montant assez ridicule comparativement (quelques centaines de millions) des ventes de miel. »

Bien que l’homme ce soit considérablement détaché de ses écosystèmes « naturels », bon nombre de ses activités demeurent donc très fortement « subventionnées » par ceux-ci. Vraisemblablement à un point tel que de nombreuses activités ne seraient pas rentables sans cet apport.  L’exemple de la ville de New-York est souvent cité en exemple. Confrontée à la gestion de ses effluents urbains, la ville avait le choix entre la construction d’une couteuse centrale d’épuration et le fait de maintenir en l’état la forêt environnante afin de bénéficier de sa capacité de filtration naturel des eaux usées. Il a été choisi de valoriser l’écosystème forestier et de répondre au besoin en service de traitement des eaux par la voie « naturelle ». Economie d’argent, valorisation du service environnemental de la forêt, préservation des autres biens et service de l’écosystème (séquestration de carbone, biodiversité, apports récréatifs et culturels…)

Car tous ces différents biens et services résultent de la « bonne santé » des écosystèmes, santé qui permet la continuité des échanges de matière, d’énergie et d’information le long des différents cycles (eau, carbone, azote…), chaines alimentaires et de relations (coévolutions, symbiose…). Les interactions existantes entre les différents êtres vivants vont de pair avec un mixage et recyclage permanent avec des substances organiques et minérales. Celles-ci, absorbées par les organismes vivants pour leur croissance, reproduction, sont ensuite rejetées sous forme de déchet pour les uns, nouvelle matière première pour les autres. Le schéma ci-dessous reprend l’ensemble des biens et services fournis par chaque type d’écosystème.

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Les différents services fournis selon le type d’écosystème, source : Millenium Ecosystem Assessment

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Circuit touristique et échelle vers le grand air

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Literie parfumé

Fragments d’éthologie

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Source audio d’après conférence d’Élisabeth de Fontenay ENS :   »De l’animal à l’humain »

1854 Isidore Geoffroy Saint-Hilaire utilise pour la première fois le terme « éthologie » dans son sens actuel (étude comparative du comportement animal) pour désigner les descriptions des mœurs des animaux telles qu’elles ont été faites par Aristote, Buffon, Réaumur, G. Leroy ou Lamarck.
 
1859 Dans L’Origine des espèces au moyen de la sélection naturelle, ou la Préservation des races favorisées dans la lutte pour la vie (The Origin of Species by Means of Natural Selection, or the Preservation of Favoured Races in the Struggle for Life), Charles Robert Darwin introduit deux concepts clés de l’éthologie, la survie du plus apte et la sélection sexuelle, mécanismes sur lesquels reposent l’origine des comportements et leur rôle dans l’évolution. 
 
1884 Dans L’Évolution mentale chez les animaux (Mental Evolution in Animals), George John Romanes développe une psychologie comparative qui ouvrira sur le behaviorisme - c’est-à-dire la définition des lois associant stimulus et réponses (de John B. Watson, 1913, à Burrhus Frederic Skinner, 1938) - et sur l’étude des comportements intentionnels (Wolfgang Koehler, 1927 ; Edward C. Tolman, 1932).
 
Vers 1900 Construction du concept biologique d’instinct, rigide et héréditaire, à travers l’œuvre du Français Jean-Henri Fabre (1879-1914), et celle des Américains William Morton Wheeler (1902-1905), Wallace Craig (1918) et William McDougall (1923) qui font suite aux travaux de Douglas Spalding (1873) et de Charles Otis Whitman (1880).
 
1909 Jakob von Uexküll fonde le concept d’univers subjectif, propre à chaque espèce : l’Umwelt, qui est partagé en mondes d’actions et de perceptions reliés par un monde intérieur. Ce concept sera largement exploré par l’éthologie classique.
 
1910 Oskar Heinroth, à la suite de Charles Otis Whitman, utilise les similitudes et les différences dans les comportements instinctifs spécifiques homologues de diverses espèces pour reconstruire leur taxinomie (étho-taxinomie).
 
1911 Edward Lee Thorndike, dans la deuxième édition de L’Intelligence animale (Animal Intelligence), établit les lois provisoires du comportement acquis et de l’apprentissage (loi de l’effet). Ivan Petrovitch Pavlov (conditionnement classique) est traduit en anglais en 1925, et les travaux de Karl Spencer Lashley (généralisation) et de Burrhus Frederic Skinner (conditionnement opérant) datent des années 1930.
 
1927 Dans La Vie des abeilles (Aus dem Leben der Bienen), Karl von Frisch expose ses découvertes sur la capacité de ces insectes à communiquer par les danses, à apprendre des odeurs et des couleurs (dont l’ultraviolet), à s’orienter à distance et à percevoir la lumière polarisée.
 
1930-1940 Naissance de l’éthologie, dite classique ou objectiviste, qui est définie comme l’étude comparative du comportement animal. Elle est fondée sur les travaux de Konrad Lorenz et de Nikolaas Tinbergen effectués sur les oiseaux. 
 
1951 Nikolaas Tinbergen publie L’Étude de l’instinct (The Study of Instinct) qui rassemble toutes les connaissances établies par l’éthologie objectiviste, généralisant le concept d’instinct aux comportements instinctifs complexes et proposant des hypothèses sur leur organisation neurophysiologique.
 
1966 Robert A. Hinde publie un ouvrage encyclopédique, Comportement animal : une synthèse de l’éthologie et de la psychologie comparative (Animal Behaviour. A Synthesis of Ethology and Comparative Psychology), qui donne l’état des avancées dans ce domaine, en réconciliant les apports de la psychologie expérimentale et ceux de l’éthologie objectiviste.
 
1973 Le prix Nobel de physiologie ou médecine est décerné conjointement à Konrad Lorenz, Nikolaas Tinbergen et Karl von Frisch pour leurs travaux en éthologie.
 
1975 Dans Sociobiologie (Sociobiology), Edward O. Wilson propose une théorie des sociétés, structures construites par l’évolution pour optimiser le succès reproducteur des génotypes des individus qui les composent. Il prédit l’éclatement de l’éthologie en sociobiologie et neurosciences.
 
1976 Sur les racines posées par Graham Hoyle en 1970 et selon la prédiction d’Edward O. Wilson, Jörg-Peter Ewert publie Neuroéthologie. À la suite des travaux d’Edward C. Tolman (1948), Donald R. Griffin (1976), David S. Olton (1978) et Charles R. Gallistel (1992) développent les bases d’une éthologie cognitive très vivante aujourd’hui.
 
1978 Sur les principes de la sociobiologie et de l’intelligence artificielle, John R. Krebs et Nicholas B. Davies publient Écologie comportementale (Comportemental Ecology). Le comportement consiste en des stratégies (ensemble de règles de décision) optimisées par l’évolution selon leur incidence sur le succès reproducteur.
 
1987 Colloque sur L’Auto-organisation : de la physique au politique, étape fondatrice vers une généralisation, dans L’Arbre de la connaissance, 1994 (The Tree of Knowledge, 1992), de règles de construction autonome du vivant (autopoïèse) à tous les processus de comportement, en particulier les activités collectives (par exemple Scott Camazine et al., Self-Organization in Biological Systems, 2001).

Des ponts pour des chaussées : une lecture de Spinoza pour l’écologie ? (partie 1)

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« [...] les hommes venant à rencontrer hors d’eux et en eux-mêmes un grand nombre de moyens qui leur sont d’un grand secours pour se procurer les choses utiles, par exemple les yeux pour voir, les dents pour mâcher, les végétaux et les animaux pour se nourrir, le soleil pour s’éclairer, la mer pour nourrir les poissons, etc., ils ne considèrent plus tous les êtres de la nature que comme des moyens à leur usage ; et sachant bien d’ailleurs qu’ils ont rencontré, mais non préparé ces moyens, c’est pour eux une raison de croire qu’il existe un autre être qui les a disposés en leur faveur. »
Spinoza, l’Ethique, appendice livre I, traduction Roland Caillois.

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Retour en arrière pour quelques temps et développements. Premier stop. Est-il bien raisonnable de convoquer Spinoza sur des questions dites écologiques ? Tant est riche la pensée du philosophe qu’il est bien possible de lui faire dire tout et son contraire dans la confusion toute medio ambiante. Tant également les époques divergent, les vitesses de circulations et d’inscriptions, le pouvoir des machines comme leurs techniques de reproduction, etc.

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« Je suis très étonné, ravi ! J’ai un précurseur et quel précurseur ! Je ne connaissais presque pas Spinoza. Que je me sois senti attiré en ce moment par lui relève d’un acte « instinctif ». Ce n’est pas seulement que sa tendance globale soit la même que la mienne : faire de la connaissance l’affect le plus puissant - en cinq points capitaux je me retrouve dans sa doctrine ; sur ces choses ce penseur, le plus anormal et le plus solitaire qui soit, m’est vraiment très proche : il nie l’existence de la liberté de la volonté ; des fins ; de l’ordre moral du monde ; du non-égoïsme ; du Mal. Si, bien sûr, nos divergences sont également immenses, du moins reposent-elles plus sur les conditions différentes de l’époque, de la culture, des savoirs. In summa : ma solitude qui, comme du haut des montagnes, souvent, souvent, me laisse sans souffle et fait jaillir mon sang, est au moins une dualitude. – Magnifique ! »
Friedrich Nietzsche, Lettre à Franz Overbeck, Sils-Maria, le 30 juillet 1881, traduction de David Rabouin.

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Que peut bien nous dire un Spinoza ? Prudence et conscience limitée ? Travail sur les affects tristes pour rendre le désir à soi ? Gagner son autonomie en tant que partie spécifique de ce seul et même tout qu’est la Nature ? D’accord. Mais quels éclairages sur l’écologie au sens où nous l’entendons aujourd’hui et tentons très péniblement de travailler dessus ?

De nos affinités sélectives, dressons donc certains des petits cailloux qui nous mènent par delà les frontières déformantes du temps à oser une telle référence. Car s’il est bien vrai que nous travaillons avant tout sur le matériel humain, et que celui-ci évolue, Spinoza n’aurait-il pas posé ici et là quelques-uns des principes guidant ce devenir ?

Il faudrait un certain temps et beaucoup de talent pour résumer la puissance de pensée d’un tel auteur, et nous n’en avons certes pas les moyens, ni l’intention d’ailleurs. Quelques notes en passant comme une invitation à la lecture. A chacun sa lecture.


Qui parle de quoi ?

Parler d’écologie, c’est avant tout parler de celui qui en parle, en forme les idées comme les images, à savoir l’homme. L’homme, mais quel homme ? Nous n’en savons plus rien ! Et tout se passe comme si nous nous en moquions bien. A vrai dire peu importe, nous devons faire ceci plutôt que cela, libres décrets édictés au nom du bien de « tous », quand bien même ce « tous » nous serait parfaitement inconnu dans sa nature.

Faute de pouvoir imaginer des futurs possibles, faute sans doute de connaître les passés, l’écologie moyenne opte pour le modèle de l’urgence des pratiques humanitaires. Cordon, séparation, mise en quarantaine, etc. Une attitude sans doute justifiable en phase un, mais quid de la suite ? Parallèlement, quoi après le discours conquête media par l’angoisse ? Rien de tout cela n’est durable, une angoisse chassera bien vite l’autre, et il en ira de même de tous les cordons sécuritaires.

D’un point de vue historique, sans doute ne faut-il pas perdre de vue que la pensée écologique s’est bâtie sur le terreau de nombreuses idéologies en décomposition. Et on pourrait avancer très rapidement que toutes ces idéologies avaient peut-être ceci de commun qu’elles plaçaient un homme isolé et isolable au cœur de l’équation de leurs systèmes.

C’est-à-dire qu’on avait d’un côté l’étude de la nature humaine, la prise en compte en tant que variable de ses facultés propres, et de l’autre une Nature qui n’était qu’une donnée abstraite. Celle-ci était tantôt crée par un Dieu transcendant pour l’usage de l’homme sous la contrainte du respect de certaines lois morales, tantôt cette Nature était historique telle une pâte à modeler à transformer et dominer par l’homme, ou encore une Nature infinie dans laquelle l’homo-économicus pouvait puiser sans fin, guidé qu’il était dans ses allocations par le gouvernail baroque d’un marché.

Il faut bien le constater, toutes ces anthropologies et systèmes liés qui séparaient d’une manière ou d’une autre l’homme de la Nature n’ont pas été couronnés des plus grands succès. Seulement, est-ce une raison suffisante pour abandonner toute étude de l’homme par crainte de l’enfermer dans une nouvelle idéologie dure ? Nous croyons que c’est même exactement l’inverse, et que le meilleur moyen de faire du totalitaire est d’ignorer la nature de l’homme dans la Nature. Soit d’ignorer des questions simples en apparence : pourquoi et comment tel ou tel homme est-il capable de dire ou de désirer ceci plutôt que cela, et ainsi de suite.

Faute de repenser la place de cet homme dans le monde aujourd’hui, un pied dans la nature, un pied dans la technique, nous ne faisons que réactualiser les croyances anciennes. Déluge, apocalypse, intentionnalité des éléments, le ciel nous tombera sur la tête, soit tout un ensemble d’expressions dont les mots ne peuvent suffire à décrire les phénomènes actuels, ne permettent en rien d’en rendre véritablement compte et donc d’inscrire durablement dans la sphère sociale l’idée de leur stricte nouveauté, de leur émergence. Et pourtant, nous n’entendons que ces mots là, tous déguisés, tous creusés ici et là dans les discours. Nous manquons des mots pour le dire, comme nous manquons d’une nouvelle grille de lecture du monde complexe et de l’humain dedans. Et c’est précisément à cet endroit que la méthode spinoziste devrait pouvoir aujourd’hui nous intéresser.

Que tente Spinoza ? Spinoza part de l’étude de la Nature pour nous montrer que l’homme est fait de cette Nature. Plus encore, que de son étude de la Nature il ne pourra apprendre que de sa propre nature. L’homme n’est pas un empire dans un empire, il est partie de ce tout infini qu’est la Nature, et que de sa prise de conscience de l’insertion (non de la fusion!) de cette partie dans le tout, il comprendra que ce qui lui est réellement utile consiste à développer cette partie, et que cela ne peut pas contredire le tout.

Ontologie, anthropologie, épistémologie sont intimement liées chez Spinoza. De la nature de l’être (une seul et même Nature composée d’une infinité d’attributs) découle la nature de l’homme (une modification de cette Nature qui se perçoit elle-même en tant que corps et pensée et s’efforce de persévérer dans son être). C’est parce que la Nature est ainsi pensée par Spinoza que l’on doit traiter des passions de l’homme, de sa capacité à connaître et à agir comme ceci plutôt que comme cela. La critique des passions tristes est ainsi profondément enracinée dans la théorie des affections, théorie elle-même ancrée dans la définition de la Nature. On partira donc de la Nature en ce quelle détermine l’homme dans son existence, mais pour mieux revenir à l’homme. C’est-à-dire à celui qui parle et agit, et qui devenu raisonnable, va construire l’autonomie de cette partie de la Nature qu’il est de toute éternité.

«  C’est seulement par la prise de conscience de soi et du monde que la définition initiale de la Nature se remplit (…) le long détour par l’homme peul seul donner un contenu à une idée vraie mais encore vide. » Rolland Caillois, introduction et traduction de l’Ethique, Ed. Gallimard, 1954.

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http://www.dailymotion.com/video/k7lfkZBT3K4zWAlqV5

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Optons un instant pour ce qui pourrait être un regard spinoziste très simplifiée sur l’homme moderne. Histoire de voir ce qu’on y trouverait comme intérêt pour nos pratiques, écologie, environnement, urbanisme, et ainsi de suite dans toute la chaîne de la durabilité.

L’écologie est aujourd’hui le symptôme, en formation, de la découverte par l’homme de relations nouvelles dans la Nature. Une découverte qu’il ne fait qu’en agissant dedans, ne prenant conscience que des effets retour de ses propres actions. L’impact de l’éléphant sur la déforestation de la savane, non merci. Mais celui des vers de terre dans l’oxygénation des sols agricoles ou des abeilles sur la pollinisation, une fois les avoir pesticidisés, oui s’il vous plait.

Or ce que l’homme fait dans la Nature, sa capacité à agir, celle-ci varie à mesure qu’il se combine dans des machineries complexes, avec de nouvelles forces (du génome, de l’atome,…), avec de nouveaux corps ou matières (silicium, uranium, NKP, …). Soit des combinaisons expérimentales et incertaines à la vitesse de sélection croissante, et dont on ne sait pas bien qui sélectionne qui et comment.

Ignorant des causes qui déterminent telles ou telles combinaisons, cet homme imagine tantôt Dieu, le marché, la science, la volonté, … comme étant à l’origine de ses actes. De ceux-ci, il est comme condamné à n’en récolter que les effets sur la Nature, et donc sur sa propre nature, qui plus est, à posteriori, comme en écho.

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« Puisqu’elle ne recueille que des effets, la conscience va combler son ignorance en renversant l’ordre des choses, en prenant les effets pour les causes (illusion des causes finales) : l’effet d’un corps sur le nôtre, elle va en faire la cause finale de l’action du corps extérieur ; et l’idée de cet effet, elle va en faire la cause finale de ses propres actions. Dès lors, elle se prendra elle-même pour cause première, et invoquera son pouvoir sur le corps (illusion des décrets libres). Et là où la conscience ne peut plus s’imaginer cause première, ni organisatrice des fins, elle invoque un Dieu doué d’entendement et de volonté, opérant par causes finales ou décrets libres, pour préparer à l’homme un monde à la mesure de sa gloire et de ses châtiments (illusion théologique[1]). Il ne suffit même pas de dire que la conscience se fait des illusions : elle est inséparable de la triple illusion qui la constitue, illusion de la finalité, illusion de la liberté, illusion théologique. »
Spinoza, Philosophie pratique, Gilles Deleuze.

***  http://www.dailymotion.com/video/k6NTBPs8wtH498bAuw


Puissance, conscience, prudence et complexité

L’homme connecté à un ordinateur n’a pas la même puissance (capacité à affecter le monde et en être affecté) qu’un homme connecté à un bœuf. Pourtant, ces deux hommes n’en demeure pas moins tout deux ignorants des causes ayant déterminées de telles combinaisons. Tout juste en mesurent-ils certains effets selon un critère d’efficacité évalué à posteriori. Mais comme il n’y a pas connaissance des causes ayant déterminé ces rapports combinatoires, des parties mises en communs dans la combinaison, il n’y a pas d’autonomie de la partie homme dans l’assemblage, il y a donc passions et excès possibles.

Ce dont nous avons néanmoins conscience, c’est que l’insertion ou l’incorporation de cet homme dans des agencements de machines (homme-ordinateur-électricité, homme-bœuf-charrue, etc.) lui a permis au fil du temps de considérables gains de puissance.

Arrivé à certains seuils, et bien que la nature de son équation du monde ne change pas en conscience, de nouvelles variables font néanmoins leur entrée dans la danse comptable. Il en est ainsi de la surface terrestre, celle-ci tout à coup devenue trop petite en rapport à la puissance déployée par ces machines combinatoires, et que d’une donnée indéfinie car infinie pensait-on, celle-ci devient alors à son tour une variable d’ajustement.

La terre vécue comme trop petite, voilà ce que certains appellent processus d’échoïsation du monde. Comme il n’est plus de lieux où cet homme n’habite pas au moins techniquement la Nature, on trouve ses traces partout à la surface d’un globe devenu clos. Le territoire Terre est ainsi devenu une cloche sous laquelle les actions de cet homme lui reviennent à la figure comme un boomerang, toujours plus vite à mesure que sa puissance s’accroît.

L’image de l’écho a ceci de parlant qu’elle donne à voir que cet homme ne recueille que les effets déformés de ces actions, non les causes. Qu’un son lui revienne en écho ne signifie en rien qu’il ait été conscient de la signification de ce même son, voire qu’il en ait été l’auteur unique. Bien plus c’est toute une chaîne de combinaisons de l’humain dans le non humain et inversement qui abouti au final à ce son qui lui revient comme en écho à la conscience. Il est alors comme averti de l’effet de ses actions par la lecture de traces dans les pierres, les glaces, les vents, etc.

Ce que l’homme mesure aujourd’hui, dans l’eau comme dans l’atmosphère, tout cela ne concerne que des effets d’effets plus anciens. L’écologie n’échappe donc pas plus qu’une autre activité de cet homme à la caractéristique première de sa conscience : celle-ci ne recueille que des effets séparés de leurs causes, l’appareil mental tentant d’en induire ici et là quelques liens de causalité, le plus souvent imaginaires.

Ignorant des causes qui nous déterminent à ? Sans doute aujourd’hui parlerions-nous plutôt des relations, de la nature des liens qui nous unissent dans tel ou tel environnement. Nous ne prenons conscience de l’étendue réelle d’un rapport qu’à travers les effets de sa rupture. Chacun aura pu faire cette expérience, que ce soit dans un environnement de couple, familial ou de travail.

Quittons maintenant cet homme très grossièrement spinoziste mais derrière lequel nous voyons déjà poindre quelques éléments intéressants pour l’écologie de notre temps.

Les gaz à effet de serre et de leurs effets sur le climat, voilà sans doute la relation causale la plus affirmée à ce jour, quand bien même manque sans doute bien des variables et bien des relations. Mais de la déforestation et de ses effets sur le cycle de l’eau, voilà déjà l’exemple d’une relation très incertaine dans le temps et l’espace. L’induction des effets vers les causes est une tâche bien difficile, et c’est pourquoi nous préférons généralement poser des lois abstraites sur le papier pour en déduire des effets.

Sans affirmer comme Spinoza que notre conscience ne recueillerait uniquement que des effets, constatons tout de même que l’écologie nous démontre chaque jour son caractère tout à fait partiel et mutilé. Paradoxe, si les discours écologistes nous invitent à user toujours plus de cette même conscience, le savoir écologique ne cesse de nous en démontrer les limites. Cette conscience ne perçoit ainsi que des effets des gaz à effet de serre, connaît très mal le cycle de l’eau, cette forêt est-elle un puits ou une source de carbone, etc …

caute

Biologie et cybernétique combinées dedans, le véritable apport de l’écologie est avant tout éthique. Il ne porte pas sur des causes autre que partielles, ne prétend donc pas à rapporter l’exactitude des phénomènes, mais porte bien sur les effets possibles de nos actions. Ce que nous savons aujourd’hui par son biais, c’est qu’il faut être très prudent avec les termes de la plus simple des équations. Non seulement que nous ne connaissons pas tous les termes en jeu, mais qu’il existe entre eux des relations ou boucles rétroactives dont nous ignorons même les effets. Conséquence, toute pensée extractive ou atomiste se doit d’être très sérieusement questionnée quant à ses effets possibles sur tel ou tel ensemble concerné. L’ensemble des ensembles étant arrêté à ce jour à la Terre.

Ainsi en est-il des gènes et de leurs interactions avec l’environnement cellulaire. Peut-on penser le génome indépendamment de ce dernier ? C’est là toute la question des OGM. Et en généralisant à peine, celle d’une large part de l’écologie pensée en tant que somme des flux irriguant le tissu vivant de la planète.

Spinoza disait qu’on ne sait jamais à l’avance ce que peut un corps dans telle ou telle rencontre. Aujourd’hui nous disons que tout composant appartient à un système complexe relié à un environnement (à un autre système plus ouvert), à une écologie (à des relations entre systèmes), et que malgré une connaissance parfaite des composants élémentaires d’un tel système, il est impossible de prévoir son comportement.

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« (…) chaque corps dans l’étendue, chaque idée ou chaque esprit dans la pensée sont constitués par des rapports caractéristiques qui subsument les parties de ce corps, les parties de cette idée. Quand un corps « rencontre » un autre corps, une idée, une autre idée, il arrive tantôt que les deux rapports se composent pour former un tout plus puissant, tantôt que l’un décompose l’autre et détruise la cohésion de ses parties. Et voilà ce qui est prodigieux dans le corps comme dans l’esprit : ces ensembles de parties vivantes qui se composent et se décomposent suivant des lois complexes. »
Spinoza, Philosophie pratique, Gilles Deleuze.

Suite de la note.

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http://www.dailymotion.com/video/k6cUIoVpgNDzbcOwk0 


 



[1] Ethique, I, appendice.

µ(:)dauphins

µ(:)dauphins dans Art et ecologie dolphin

Citations d’après article « problèmes de communication chez les cétacés et autres mammifères » Grégory Bateson, Vers une écologie de l’esprit, tome II, Editions du seuil, Paris, 1980, p.137 et suivantes. Source des fichiers sons et images: http://neptune.atlantis-intl.com/dolphins/

Le langage des dauphins

Suite aux travaux du naturalite Jacob Von Uexküll, nous savons maintenant que les animaux ont un monde. Bulle de réalité et biographie propre dont nous ne rencontrons peu ou presque, trop occupés que nous sommes à reconnaître dans la nature des similitudes, des formes plutôt que des affects.

La note suivante présente une petite histoire de dauphin. Petite histoire dont la morale pourrait-être celle d’une plus juste distance de regard entre les mondes.

En 1962, « l’anthropologue » Gregory Bateson quitte l’école de Palo Alto pour Virginia Islands afin d’étudier la communication chez les dauphins.

« Ce mammifère [i.e. le dauphin] m’intéresse plutôt par son système de communication et par ce que nous appelons son comportement, considéré comme un ensemble de données perceptibles et signifiantes pour les autres membres de son espèce. Ce comportement est signifiant, d’abord, dans la mesure où il affecte le comportement d’un animal récepteur et, ensuite, dans celle où un échec manifeste dans la transmission de cette « signification » affectera le comportement des deux animaux. (…) Si nous voulons comprendre le langage des dauphins, une des première chose que nous devons éclaircir, c’est l’interprétation que donne un cétacé de l’utilisation du sonar par un autre membre de son espèceGrégory Bateson

Spottet Dolphins 

Pour aborder d’un point de vue méthodologique l’étude du comportement des dauphins, Bateson mobilise sa théorie de l’analyse transactionnelle du comportement, une théorie composite dégagée au fil de ses différents champs d’études (anthropologie, éthologie animale et psychiatrie).

Une théorie dont il résume les prémisses de la sorte :

1. Une relation à deux (ou plusieurs) organismes est, en fait, une séquence des séquences S-R (stimulus-réponse), à savoir un contexte où se réalise l’apprentissage primaire (proto-learning).

2. L’apprentissage du deuxième degré (deutero-learning), ou «apprendre à apprendre», consiste à acquérir des informations sur les modèles possibles de contextes où se réalise l’apprentissage primaire.

3. Le «caractère» de l’organismeest le résulta de l’ensemble de son apprentissage de deuxième degré et reflète par conséquent, les modèles contextuels de l’apprentissage primaire antérieur.

Bateson précise : « Ces prémisses ne sont qu’une structuration hiérarchisée de la théorie de l’apprentissage, selon les critères fournis par la théorie des types logiques de Russel et Whitehead, qui n’avaient prévu de n’appliquer ces prémisses qu’à l’étude de la communication digitale. »

Risso’s Dolphin (whistle and sonar) 

Bateson se demande alors jusqu’à quel point de tels prémisses sont applicables à la communication analogique, ou aux systèmes qui combineraient analogique et digitale. C’est dans ce sens que Bateson orientera ses recherches sur la communication des dauphins.

Dès lors ses hypothèses sont les suivantes:

« On peut donc logiquement envisager l’hypothèse que la vocalisation des dauphins est une expression digitale des fonctions µ. »

C’est-à-dire une communication d’un type tout à fait inhabituel et de laquelle il précise immédiatement:  

« (…) J’ignore quels peuvent être les aspects d’un système digital primaire, dont l’objet serait la communication sur des modèles de relation ; il y a cependant, de fortes chances qu’il offre des aspects différents de ceux d’un langage sur les choses, et sans doute se rapprocherait-il davantage de la musique. »

Risso’s Dolphin (just the « whistle) 

Digital et analogique

Dans une communication digitale, il ne s’agit pas de grandeurs mais seulement de noms (codes) désignant des positions dans une matrice.
Dans une communication analogique, on utilise à contrario des grandeurs réelles qui correspondent à des grandeurs réelles au niveau de l’objet du discours.

« Nous savons pourquoi les gestes et les intonations nous sont partiellement compréhensibles, et pas les langues étrangères : c’est parce que le langage est digital, tandis que la kinésie ou les signaux paralinguistiques [i.e. l'expression faciale, le remuement de la queue, le serrement du poing, la supination de la main, le gonflement des narines...] sont analogiques »

Exemple. Imaginons un texte scientifique pubié en japonais. Les idéogrammes, aujourd’hui devenus digitaux, nous seront donc par là même intuitivement incompréhenssibles sans la maîtrise de la langue japonaise (code).
A l’inverse, nous pourront comprendre partiellement les courbes cartésiennes qui illustrent ce texte, dans la mesure où celles-ci sont analogiques.

« Le langage verbal, lui, est purement digital dans presque tous ses éléments. Le mot grand n’est pas plus grand que le mot petit, en général, on ne trouve rien, dans le schéma du mot table, (c’est-à-dire dans le système de grandeurs qui lui sont corrélatives), qui pourrait correspondre au système de grandeurs corrélatives qu’il désigne. Au contraire, dans la communication kinésique et paralinguistique, l’ampleur du geste, la profondeur de la voix, la longueur de pause où ou la tension du muscle correspondent (directement ou inversement) aux grandeurs de relation qui font l’objet du discours. »

http://www.dailymotion.com/video/x2l935 « Le langage digital baigne dans une véritable glu analogique »

Dans sa traduction du digital et de l’analogique de Bateson, Deleuze présentera le langage digital comme un langage articulé codé (conventions) portant sur les états de chose, le langage analogique, par un langage non articulé portant sur les relations – essentiellement de dépendances – entre un émetteur et un récepteur. Ainsi, d’un langage analogique je déduis les états de chose, d’un langage digital, j’induis des relations.

dolphin2 dans Bateson

Common Dolphin (lots of sonar) 

Fonction µ

Le langage analogique, où le comment s’expriment les relations de dépendances. Chez les mammifères à communication préverbale, l’hypothèse de Bateson est la suivante: le discours porte d’abord sur les règles et les aléas des relations. Le discours a pour tout premier objet la relation. 
Les mammifères à communication préverbale s’exprimant en termes de modèle et de possibilités de relations, l’homme ne peut avoir qu’un rapport à ce type de communication nécessairement déductif.
Ainsi le chat ne miaule pas du « lait », il miaule, ou plutôt exprime, sa relation de « dépendance » alimentaire vis-à-vis de son maître. 
Ce dernier en déduit alors que le chat « demande » son lait.
Ce miaou-miaou du chat, Bateson le « code » avec humour en formulant la fonction miaou, mu, … qui en finit par devenir µ.

« C’est la nécessité d’une étape déductive qui distingue tout à la fois la communication préverbale des mammifères, de celle, tout à la fois des abeilles comme de l’homme. Le fait exceptionnel, la grande nouveauté qui a caractérisée et la formation et l’évolution du langage humain, n’a pas été l’abstraction ou la généralisation, mais la découverte du moyen de parler de manière spécifique d’autre chose que des relations. »

« Ce que je crois (…) c’est qu’ils [i.e. les dauphins] se préoccupent des modèles de leurs relations réciproques. Appelons cette communication sur les modèles des relations, fonction µ du message. Lorsqu’ils en ont besoin, les animaux à communication non verbale communiquent sur les choses, en utilisant les signaux qui relèvent d’abord de la fonction µ. Au contraire, les humains se servent du langage, lequel porte d’abord sur les choses, pour parler de relations. »

Conclusion de Bateson, n’attendez surtout rien d’une possible compréhension du langage des dauphins !

« Mon impression, (…) est qu’il n’y a pas vraiment eu de passage [i.e. chez les dauphins] de la kinésie à des formes de paralinguistiques, comme on le suppose d’habitude. Nous autres mammifères terrestres, nous sommes familiarisés avec la communication paralinguistique ; nous l’utilisons nous-mêmes par des gémissements, grognements, rires, pleurs, modulations de la respiration (…) Pour cette raison, les signaux paralinguistiques des autres mammifères ne nous paraissent pas complètement obscurs. (…) Mais des sons émis par les dauphins, nous ne pouvons rien deviner

Common Dolphin 

« Chez tous les mammifères les organes sensoriels (les yeux, les oreilles, le nez) deviennent aussi des organes de transmission de messages à propos des relations. L’adaptation à la vie dans les océans a dépouillé les cétacés de toute expression faciale. Il est donc vraisemblable que chez ces animaux [i.e. les dauphins], la vocalisation ait remplacé la fonction de communication [i.e. analogique], qui est assumée, chez les autres animaux, par l’expression faciale, le remuement de la queue, le serrement du poing, la supination de la main, le gonflement des narines (…) Ce qui a du se passer avec eux [i.e. les dauphins], c’est que les informations que nous nous-mêmes, humains, ainsi que les autres mammifères terrestres, pouvons recueillir visuellement, ont été déplacées dans la voix. »

Il est donc possible pour Bateson que les dauphins aient réussi à intégrer dans leur « langage » toutes les nuances de nos gémissements, grognements, rires, pleurs, modulations de la respiration. 

« Personnellement, je ne crois pas que les dauphins possèdent ce qu’en linguistique humaine on pourrait appeler un langage. Je ne pense pas qu’aucun animal dépourvu de main serait assez stupide pour en arriver à un mode de communication aussi inadapté : pourquoi utiliserait-on une syntaxe et un système de catégorie ne visant que les choses qu’on peut manipuler, au lieu de communiquer sur des modèles et des possibilités de relations ?  »

Bottlenose Dolphins 

« L’homme dispose lui aussi de quelques mots pour exprimer ces fonctions µ, par exemple : amour, respect, dépendance … Mais ces mots n’ont qu’une fonction très pauvre dans la communication sur les relations entre personnes. Si vous dites à une fille : je vous aime, elle attachera certainement beaucoup plus d’importance aux signes kinesthésiques et paralinguistiques qui accompagnent votre déclaration, qu’aux mots eux-mêmes (…) nous préférons nettement que nos signes affectifs restent analogiques, inconscient et involontaires. Nous avons tendance à nous méfier de ceux qui sont capables de simuler les messages concernant les relations. Pour toutes ces raisons, nous n’avons aucune idée de ce que pourrait être une espèce pourvue d’un système de communication digital, fut-il si simple et rudimentaire, et dont l’objet principal serait les fonctions µ. »

http://www.dailymotion.com/video/x2frh6 « Coder des fonction µ, mettre de l’analogique dans le code. »

Coder l’analogique, la possibilité d’une rencontre

Les dauphins n’ayant plus les moyens de pratiquer le langage analogique sous l’eau, ceux-ci inventent donc le codage (la digitalisation) des fonctions µ analogiques des mammifères terrestres. Et le résultat n’a rien à voir avec un langage conventionnel tel que le notre.
Il ne s’agit pas d’un langage digital de codes, mais bien d’un codage de l’analogique en tant que tel. Dès lors le contenu analogique de ce language n’exprime rien des états de chose, mais seulement des relations de dépendance.

picassa dans Deleuze 
crédits

C’est cette possibilité de greffer un code binaire sur du pur langage analogique qui fera dire à Deleuze qu’un peintre abstrait compose à la manière du dauphin. C’est à dire qu’il invente un code, pictural en l’occurrence, afin d’exprimer toute une matière ou un contenu analogique.

C’est peut-être donc sur cette ligne de l’homme pris dans les codes de la peinture, du dauphin pris dans ceux de l’océans, que ceux-ci partagent un affect ou devenir commun. Croisement hasardeux et/ou nécessaire pour la résonnance d’un discours qui tente de s’épurer des forces de l’anthropocentrisme et anthropomorphisme associées.

« J’espère que le dauphin nous enseignera une nouvelle méthode d’analyse de tous les modes d’information dont nous avons besoin pour défendre notre santé mentale. » Grégory Bateson

***

Image de prévisualisation YouTube

Sans aller dans le détail, les dauphins génèrent ces anneaux sous l’eau, pour s’amuser. En faisant un mouvement brusque de leur tête ils font apparaître cet anneau argenté devant leur bec. Cet anneau ne remonte pas à la surface ! Il reste dans une position verticale dans l’eau. Le dauphin peut créer un nouvel et plus petit anneau à partir du grand. En mordant dans l’anneau il le désintègre en milliers de petites bulles qui remontent à la surface. Cet anneau est en fait un vortex généré par l’extrémité de l’aileron dorsal et dans lequel est soufflé de l’air à travers l’évent. L’énergie générée par le vortex est suffisante pour empêcher les bulles d’air de remonter à la surface pendant un certain temps… le temps pour le dauphin de jouer avec l’anneau…

De l’abeille à la ressource en eau

Deux émissions de France Culture s’accordant aux différents thèmes traités ici: l’état de la ressource en eau, l’état des peuplements d’abeilles.

Les limites des ressources en eau

L’eau est synonyme de vie. Sans eau, pas ou peu de vie. Les ressources en eau douce sont finies et elles sont très inégalement réparties à la surface du globe. Dès lors préservons-nous suffisamment cette ressource rare et précieuse, et les écosystèmes naturels qui y sont associés ? Ne sommes-nous pas en train de la gaspiller? De détruire la biodiversité des milieux aquatiques ? Combien de temps faut-il pour qu’une nappe phréatique polluée soit purifiée? Y a-t-il assez d’eau pour satisfaire les besoins d’une population mondiale en croissance et ceux de la nature? Une conférence donnée par Ghislain de Marsily, professeur émérite d’hydrologie à l’Université Paris VI, membre de l’Académie des sciences, évoque les limites de la gestion des ressources en eau.

Voir le site - Ecouter 

Fin de lune de miel ?

Les abeilles seraient-elles en train de disparaître ? Les témoignages d’apiculteurs du monde entier s’accumulent, qui voient leurs colonies disparaître en quelques jours, sans qu’aucune abeille ne soit retrouvée morte au pied de la ruche pour autant. Elles ne seraient donc pas victimes de pesticides, alors d’où provient ce mystère ? Le phénomène, connu sous le nom de « colony collapse disorder », maladie de la disparition, inquiète les scientifiques notamment par le manque de pollinisateurs et sa répercussion sur l’agriculture. En effet 80% des espèces végétales ont besoin des abeilles pour être fécondées. Mais les chercheurs peinent à trouver les causes de ce qui semble correspondre à une perte de mémoire, qui les empêcherait de retrouver leur ruche. Effets inconnus des OGM ? Emissions d’ondes électromagnétiques émises par les téléphones portables, les GPS, la WiFi? Il faut savoir que cette intelligence qui nous semble collective est armée d’un psychisme extraordinaire, proche des animaux dits supérieurs, s’orientant par rapport au soleil, utilisant des modes de communication visuels, chimiques et tactiles qui laissent encore la part belle à l’inconnu. Les entomologistes mènent leur enquête, et parfois, par cet étrange phénomène de mimétisme qui finit par nous rapprocher de nos ennemis, certains deviennent spécialistes des insectes après les avoir longtemps combattu pour les grandes firmes de pesticides.Entre fantastique cité de petits forçats et entité collective, le petit bourdonnement rayé et sa cohorte de cousines a convoqué dans toutes les mythologies le souvenir mêlé du goût de miel et celui, cuisant, du dard, témoignant de notre longue histoire commune. Mais si aujourd’hui les abeilles sont malades de l’homme, certains tentent de renouer le lien comme le créateur du Parti poétique devenu producteur du miel Béton en collaboration avec elles : elles nous livrent le goût de notre territoire pris dans la gangue des alvéoles. Emerge alors à chaque fois un dialogue, une communication non verbale établie entre le monde humain et la nature.

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Une économie de l’environnement

Une économie de l'environnement dans -> NOTIONS D'ECOLOGIE pi

       Ouvrons ici un nouveau chantier afin de sortir un peu de la tentative artistico-politico-bidouillage étendue, et revenons sur du plus méthodique et du quotidien pratique ! L’économie est-elle un sous-système de la biosphère, la biosphère est est-elle un sous-système de l’économie, ici nulle question du genre. Pas d’œuf, pas de poule et encore moins de poupées russes. Place au concret et retour à l’équation! Au sens où l’économie et son langage interrogent les pratiques humaines, tout autant qu’elle peut les figer par ailleurs, elle est aussi et sûrement un moyen d’approcher certains des probèmes de la biosphère… une fois dit que l’homme qui baigne dedans n’est heureusement pas un être idéal!

Environmental management

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Comme le montre le schéma ci-dessus, dans sa pratique, la gestion de l’environnement comprend trois axes bien distincts. Tout d’abord la régulation, principalement publique, c’est-à-dire l’élaboration de règles et de normes qui s’imposent, ou que s’imposent les différents acteurs de la vie de la cité.

Secundo, les instruments économiques qui viennent grever le calcul de rentabilité des différents agents afin que ceux-ci intègrent les coûts réels, ou tout du moins, soit inciter au changement de pratique (taxes, permis échangeable…).

Enfin dernier point, tout ce qui du domaine de la recherche, de l’information et de la communication, est susceptible de venir appuyer sensibilisation aux bonnes pratiques, modification des perceptions et croyances, amélioration des prises de décision…

Sur les axes deux et trois, et si ce blog se veut réellement étendu, il est donc grand temps pour lui de présenter à nouveau quelque uns des outils d’analyse des interactions entre l’économique et l’environnement.

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Définitions 

Quelques petites définitions introductives pour commencer. L’économie ? Vaste chantier! En voici donc une définition parmi bien d’autres: l’économie est un certain type de prise de décision qui concerne l’allocation des ressources rares ou limitées, dans l’intention de maximiser le bien être social.

Soit une décision qui se construit à partir d’une analyse économique, analyse elle-même indissociable de la notion de coût d’opportunité. Car imaginons que je choisisse d’utiliser telle ressource ici et que ce choix me rapporte tant. Si je suis un économiste, pour obtenir mon véritable bénéfice il m’est alors nécessaire de soustraire de ce gain, en plus des divers coûts de production et d’investissement, le coût du choix de cette allocation, c’est à dire de l’abandon d’une autre. Autrement dit le gain potentiel autre que j’aurai pu avoir en plaçant cette ressource ailleurs.

Ainsi nous ne pouvons utiliser ou consommer un bien, ou recevoir un bénéfice quelconque, sans abandonner une opportunité et générer par la même des coûts de sacrifice. Et c’est précisement en ce sens que l’analyse économique diffère de l’analyse commerciale des profits et pertes monétaires immédiats, tout comme de l’analyse financière qui concerne pour sa part les transferts monétaires entre les différents agents sociaux (taxes, inflation, taux d’intérêt, crédit…).

http://www.dailymotion.com/video/x363wm

Tous les agents qui font des choix économiques, qui ont des décisions à prendre, sont regroupés sous le terme pluriel et pourtant singulier de marché. C’est ce dernier qui sous certaines conditions de la libre concurrence non faussée (transparence des informations, atomicité de l’offre, échange de biens appropriables…) réalise avec succès la rencontre de l’offre et de la demande. C’est à dire qu’il fixe le juste prix de la ressource qui maximise l’utilité de chacun des agents, et par une voie de conséquence détournée d’un revers de main invisible, de l’ensemble qui maximise ainsi son bien être social.

De ce que nous disons, le but de l’économie est donc de tendre vers une allocation optimale des ressources rares. Pour ce faire je dois donc pouvoir valoriser les différentes ressources, c’est-à-dire être capable de les comparer grâce à une même unité de mesure monétaire, tout comme je dois par suite envisager les coûts/avantages des différents scénarios d’allocation possibles. Question: le marché peut-il nous révéler le juste prix des services rendus gratuitement, du fait de sa simple existence, par une forêt ?

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Défaillance de marché et liens éco-environnementaux

L’économie dite environnementale reconnait des fonctions à l’environnement, soit la capacité des divers composants et processus naturels à fournir des biens et services nécessaires à satisfaire directement ou indirectement les besoins humains. Les fonctions de l’environnement (services rendu par l’environnement à l’économie) peuvent être classés selon différentes catégories:

- Fonction de régulation et de transport: réserve, évacuation, recyclage, traitement, absorption, maintien,  prévention, protection, écoulement…
- Fonction de production: biomasse, engrais…
- Fonction d’information: scientifique, éducative, historique, religieuse, culturelle, artistique…

Le schéma ci-dessous reprend la classification des services du Millennium Ecosystem Assessment :

http://www.millenniumassessment.org

Celui-ci présente les services fournis selon les différents types d’écosystème :

http://www.millenniumassessment.org

Enfin ce dernier présente les liens éco-environnementaux:

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Un échec de marché, la force de l’économie libérale dont nous parlons réside aussi dans sa capacité à penser contre elle-même, une défaillance de marché consiste donc à ne pas pouvoir valoriser justement les services écologiques collectifs de supports (épuration naturelle des eaux, rôle de la forêt dans la régulation climatique, apport de la biodiversité à la pharmacopée and so on …) sur et grâce à un marché. 

En effet, et dans la mesure où ne se réalisent jamais les conditions de la concurrence parfaite du fait de la nature même de ces biens et services qui ne sont pas des biens échangeables, divisibles, appropriables…, alors l’allocation rationnelle de ces ressources par le marché est impossible. Ce dernier ne cessant pas de renvoyer par l’intermédiaire de prix sous-évalués des signaux erronés sur la rareté relative des différents biens et services.

Externalités et  problème de la valeur d’un bien naturel

Un échec de marché reconnu est déjà la piste d’une solution. Il faudra donc tenir compte des externalités pour corriger la défaillance. Les externalités ? Voilà le terme économique curieux qui se cache derrière le principe du pollueur/payeur.

Quand celles-ci sont dites négatives, elles permettent de tenir compte de la  pollution née d’une décision économique affectant des personnes non impliquées par les produits de cette décision. Autrement dit, et pour reprendre l’exemple tarte à la crème, le cas de l’agriculteur maximisant sa production à grand renfort d’engrais d’un côté, le pauvre pêcheur de l’autre.  On voit bien que ce dernier est non impliqué dans les résultats de la production agricole, alors même qu’il voit ses eaux se remplir de nitrate et par là se dépeupler.

Finalement l’externalité négative représente bien le coût de transfert des pollutions du pollueur vers les autres utilisateurs d’une même ressource affectées. Si l’agriculture, l’industrie, la publicité et bien d’autres activités de type Jean-Pierre Pernaud-Ricard produisent des externalités négatives, d’autres produisent à l’inverse des externalités positives. A ce sujet, l’un des enjeux de la conception d’un environnement « éco-industriel » serait justement de permettre la transformation  d’externalités négatives (i.e. les déchets résiduels que je produis et que je jette ou que j’élimine coûteusement) vers des externalités positives (i.e. les déchets résiduels que je produis, et qui deviennent maintenant des matières premières pour d’autres activités).

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Mais quand bien même les externalités nous fourniraient un concept fonctionnel propre à corriger les insuffisances du marché quant à la juste valorisation des services collectifs de l’environnement, reste encore à évaluer le coût d’une pollution ! Autrement dit, comment estimer la valeur affectée des bénéfices tirés des biens et services produits par l’environnement ?

Pour ce faire, nous disposons d’un ensemble de technique d’évaluation/estimation de la valeur économique totale d’un bien naturel. Imparfaites, celles-ci peuvent néanmoins devenir, entre de bonnes mains, une aide précieuse à la prise de décision. Citons ici très rapidement trois méthodes avant de revenir dessus dans un prochain article.

- La transaction directe dans le marché. Celle-ci est observable par rapport aux choix des agents sur un marché reflétant leur volonté de payer pour le bien naturel (WTP). Le prix du marché est alors une valeur minorée qui nécessite l’adjonction du surplus du consommateur. A l’inverse, le prix du marché est majoré si le marché reflète leur volonté de donner l’accès au bien naturel qu’ils détiennent (WTA).
Le marché de substituts pour des services indirectement consommés. La valeur est ici à estimer à partir du lien entre consommation d’un bien marchand et celle d’un service environnemental non marchand correspondant (pollinisation manuelle ou mécanique versus pollinisation des abeilles). 
- Le marché artificiel, soit un sondage auprès d’une population cible en vue de déterminer sa WTP.

***

En guise de conclusion sommaire à cette première étape, le schéma suivant résume les différents composants de la valeur économique totale d’un bien (TEC). Celle-ci se décompose en deux axes principaux :
- la valeur active ou d’usage, et qui correspond aux avantages tirés des ressources et services de l’environnement. Elle correspond au prix de marché.
- la valeur passive ou de non usage, ou encore la valeur intrinsèque qui correspond à la willingness to pay (WTP) qui lui est liée. C’est donc cette partie de la valeur économique totale qui n’est révélée que très partiellement par le marché.

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La danse des abeilles est-elle un langage ?

http://www.dailymotion.com/video/k5sBsDE6t7TPGdqsuz

Cette petite note est une combinaison et synthèse des articles suivants :
http://ecrits-vains.com/doxa/doucet1.htm
http://www.philocours.com/cours/cours-langageanimal.htm
http://philonnet.free.fr/reference.htm

 ***

     Les recherches de Karl von Frisch (éthologue autrichien et professeur de zoologie à l’Université de Munich) nous ont fait connaître les processus de communication existant chez les abeilles. Son mode opératoire fut le suivant : observer à travers une ruche transparente le comportement de l’abeille qui rentre après une découverte de nourriture. Ses conclusions : les abeilles possèdent bien un système de communication visuel permettant des actions concertées.

Les abeilles d’une ruche exécutent deux types de danse pour communiquer les informations relatives à la présence, la distance et la direction d’une aire de butinage :

  • La danse circulaire: l’abeille décrit des cercles horizontaux successivement de droite à gauche puis de gauche à droite. Cette danse signale la présence de nourriture à une faible distance, moins de 100 m de la ruche. Cette danse en cercle indique simplement la présence de nourriture à faible distance, elle est fondée sur le principe mécanique du « tout ou rien».

  • La wagging dance: dans un frétillement continu de l’abdomen, l’abeille court droit, puis décrit un tour complet vers la gauche, de nouveau court droit, recommence un tour complet sur la droite, et ainsi de suite de sorte à décrire une sorte de « 8 », comme sur l’image ci-dessous. Cette deuxième danse indique la présence de nourriture, sa direction et sa distance à la ruche. Distance cette fois comprise entre 100 m et 6 km de la ruche. Plus précisément, l’inclinaison de l’axe de la danse par rapport au soleil indique la direction, et la rapidité du nombre de figures de la danse précise la distance. Celle-ci varie toujours en raison inverse de la fréquence du le nombre de figures dessinées par la danse. Ainsi, l’abeille décrira neuf à dix « 8 » complets en quinze secondes quand la distance est de cent mètres, sept pour deux cent mètres, quatre et demi pour un kilomètre, et deux seulement pour six kilomètres. Plus la distance est grande, plus la danse est lente. Cette danse formule vraiment une communication. Contrairement à la première, ici, c’est l’existence de la nourriture qui est implicite dans les deux données (distance, direction) énoncées.

wagging danse

Danse en cercles et danse en « 8 » apparaissent donc comme de véritables messages par lesquels la découverte de nourriture par une abeille est signalée aux autres abeilles. Le message transmis contient trois données extraites de l’environnement : l’existence d’une source de nourriture, sa distance, sa direction.

Les abeilles apparaissent donc capables de produire/formuler et de comprendre/interpréter un véritable message. Elles peuvent donc enregistrer des relations de position et de distance, les conserver en mémoire pour les communiquer/décomposer à travers l’expression de symboles comportementaux. Sur ce dernier point, on peut dire qu’il y a donc un rapport « conventionnel » entre le comportement de l’abeille et la donnée qu’il traduit. Ce rapport est ensuite perçu par les autres abeilles et devient moteur d’action.

guerre abeille

     Question : retrouverait-on chez les abeilles les caractéristiques d’un langage ? Résumons-nous. La communication des abeilles telle que décrite par Karl von Frisch pourrait donner à voir plusieurs points de « ressemblance » : appartenance à une même espèce, usage d’un même code et existence :

  • d’un symbolisme rudimentaire : la forme et la fréquence de la danse formalisent gestuellement une réalité objective constante et d’une autre nature: la nourriture;

  • d’un système : dans le cas de la wagging-danse, 3 données variables de signification constante sont combinées;

  • de l’exercice d’une relation : le message organisé est destiné aux individus de la collectivité qui tous possèdent ce qui est nécessaire pour le comprendre dans les mêmes termes et le transformer en acte.

Nous avons donc un système de communication efficace, toutes les butineuses étant capables, en dansant, à la fois d’émettre un signal et d’en recevoir de semblables compréhensibles par les autres abeilles de la communauté. Ce système établit donc une convention signifiante stable entre un signal et une  réalité.

Mais cette convention liée à une situation donnée est indépendante des abeilles elles-mêmes. C’est-à-dire que celles-ci agissent sur la réalité  selon des schémas dont les buts sont fixés d’avance, et ces dernières ne peuvent dialoguer comme le feraient des êtres humains pour s’accorder sur un mode de désignation de la réalité réalité. Autrement dit, il n’y a pas ici de communication sur la communication, pas de métalangage.

A contrario, les êtres humains peuvent passer entre eux des conventions nouvelles, indépendantes des situations dans lesquelles elles ont été conçues, et les transmettre pour une utilisation dans d’autres situations. C’est-à-dire qu’ils sont capables de concevoir des signaux différents pour transmettre une même information. Ou autrement dit, pour une même action envisagée, ils peuvent passer un grand nombre de conventions pour émettre, recevoir, mémoriser et comprendre des actions à entreprendre. La relation est variable entre la réalité et les organisations signifiantes qui la représentent. A une même réalité correspond autant d’organisations signifiantes qu’il y a de langues naturelles ou artificielles, et réciproquement, une organisation signifiante ne désigne pas une réalité et une seule.

***

Emile Benveniste, linguiste français, va plus loin dans l’expression de ces « différences » lorsqu’il aborde le thème de la communication des abeilles dans son ouvrage « Problèmes de linguistique générale », pp. 57, 59-62, Éd. GALLIMARD.

« [...] les différences sont considérables et aident à prendre conscience de ce qui caractérise en propre le langage humain.

Celle-ci, d’abord, essentielle, que le message des abeilles consiste entièrement dans la danse, sans intervention d’un appareil « vocal », alors qu’il n’y a pas de langage sans voix. D’où une autre différence, qui est d’ordre physique. N’étant pas vocale mais gestuelle, la communication chez les abeilles s’effectue nécessairement dans des conditions qui permettent une perception visuelle, sous l’éclairage du jour; elle ne peut avoir lieu dans l’obscurité.

Une différence capitale apparaît aussi dans la situation où la communication a lieu. Le message des abeilles n’appelle aucune réponse de l’entourage, sinon une certaine conduite, qui n’est pas une réponse. Cela signifie que les abeilles ne connaissent pas le dialogue, qui est la condition du langage humain. Nous parlons à d’autres qui parlent, telle est la réalité humaine.

Parce qu’il n’y a pas dialogue pour les abeilles, la communication se réfère seulement à une certaine donnée objective. Il ne peut y avoir de communication relative à une donnée « linguistique ». Déjà parce qu’il n’y a pas de réponse, la réponse étant une réaction linguistique à une manifestation linguistique, mais aussi en ce sens que le message d’une abeille ne peut être reproduit par une autre qui n’aurait pas vu elle-même les choses que la première annonce. On n’a pas constaté qu’une abeille aille par exemple porter dans une autre ruche le message qu’elle a reçu dans la sienne, ce qui serait une manière de transmission ou de relais.

On voit la différence avec le langage humain, où, dans le dialogue, la référence à l’expérience objective et la réaction à la manifestation linguistique s’entremêlent librement et à l’infini. L’abeille ne construit pas de message à partir d’un autre message. Chacune de celles qui, alertées par la danse de la butineuse, sortent et vont se nourrir à l’endroit indiqué, reproduit quand elle rentre la même information, non d’après le message premier, mais d’après la réalité qu’elle vient de constater. Or, le caractère du langage est de procurer un substitut de l’expérience apte à être transmis sans fin dans le temps et l’espace, ce qui est le propre de notre symbolisme et le fondement de la tradition linguistique.

Si nous considérons maintenant le contenu du message, il sera facile d’observer qu’il se rapporte toujours et seulement à une donnée, la nourriture, et que les seules variantes qu’il comporte sont relatives à des données spatiales. Le contraste est évident avec l’illimité des contenus du langage humain.

De plus, la conduite qui signifie le message des abeilles dénote un symbolisme particulier qui consiste en un décalque de la situation objective, de la seule situation qui donne lieu à un message, sans variation ni transposition possible. Or, dans le langage humain, le symbole en général ne configure pas les données de l’expérience, en ce sens qu’il n’y a pas de rapport nécessaire entre la référence objective et la forme linguistique.

Un dernier caractère de la communication chez les abeilles l’oppose fortement aux langues humaines. Le message des abeilles ne se laisse pas analyser. Nous n’y pouvons voir qu’un contenu global, la seule différence étant liée à la position spatiale de l’objet relaté. Mais il est impossible de décomposer ce contenu en ses éléments formateurs, en ses «morphèmes », de manière à faire correspondre chacun de ces morphèmes à un élément de l’énoncé. Le langage humain se caractérise justement par là. Chaque énoncé se ramène à des éléments qui, se laissent combiner librement selon des règles définies, de sorte qu’un nombre assez réduit de morphèmes permet un nombre considérable de combinaisons, d’où naît la variété du langage humain, qui est capacité de tout dire. Une analyse plus approfondie du langage montre que ces morphèmes, éléments de signification se résolvent à leur tour en phonèmes, éléments d’articulation dénués de signification, moins nombreux encore, dont l’assemblage sélectif et distinctif fournit les unités signifiantes. Ces phonèmes « vides », organisés en systèmes, forment la base de toute langue. Il est manifeste que le langage des abeilles ne laisse pas isoler de pareils constituants; il ne se ramène pas à des éléments identifiables et distinctifs. »

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