Le jeudi 19 octobre 2006, Corine Lepage était l’invité du rendez-vous des politiques sur France Culture. Réactions.
Peut-être que si nous arrêtions d’opposer économie et écologie un instant, nous verrions peut-être apparaitre l’opposition plus fondamentale de l’écologie d’avec la sphère sociale, une fois celle-ci entendue comme l’ensemble de nos modes de vie. Si l’économie est bien, comme son origine le laisse à penser, la gestion des ressources rares, on ne voit pas ce qui pourrait empêcher l’eau et l’air d’intégrer son champ. Si bien qu’il n’existe aucune opposition « ontologique » entre une pensée économique et une pensée économique, comme le rappel bien l’étymologie des termes. La seule question devient alors : est il acceptable de « marchandiser » la nature ?
Mais là Mme Lepage vous balayez le problème de la relation de l’homme à la nature d’un trait de plume, réactualisant le désormais célèbre « on ne va pas couper les cheveux en cent » de madame de Panafieu, la question étant selon vous aussi « vieille que le monde ». Mais le monde bouge et le problème se pose sans doute autrement quand ce n’est plus l’homme qui va au monde mais le monde (ou son image) qui vient à un homme de plus en plus spectateur, de plus en plus consommateur (indépendamment du niveau de ressource)…Par ailleurs, de par l’importance prise par le peuplement de l’homme sur la planète, et plus précisément par couple démographie/puissance énergétique, la croissance de notre sphère humaine englobe à présent la sphère naturelle, à une vitesse encore inconnue à nos capacité de réflexion et de méthode.
Alors la nouveauté, c’est peut-être que l’homme n’est plus aujourd’hui le seul acteur social structurant au moment ou nous commençons à situer les problèmes au niveau d’une socio-biosphère, à rencontrer globalement mais peut-être aussi de nouveau (cf. Dieux Grecques et Romains, animistes) ces personnages puissances impersonnelles que sont le climat, l’air, l’eau, le besoin en diversité…L’apparition d’acteurs sociaux d’un type nouveau implique donc de nouvelles revendications et un partage des ressources entre humain et non humain à repenser, forcement aux désavantages des seuls premiers.
« Vieux comme le monde »
Mais s’il y a bien quelque chose de vieux comme le monde, c’est bien encore votre discours du développement durable, où au final, vous nous proposez une cohorte désarticulée d’interrogations autour de quelques questions très anciennes. A savoir :
· Le livre 5 de l’éthique à Nicomaque d’Aristote – Nature de la justice et de l’injustice – qui nous présentait déja en son temps un calcul de l’équivalent des travaux. Autrement dit comment rémunérer ce que chacun apporte réellement à la société (création-destruction), ce qui débouche toujours sur la même question du partage des richesses entre les différents acteurs sociaux. Aujourd’hui on appellera ça externalité en croyant dire quelque chose de nouveau.
· Concernant le célèbre principe pollueur-payeur : « voilà la loi que je propose: quiconque aura corrompu l’eau d’autrui, eau de source ou eau de pluie ramassée, en y jetant certaines drogues, ou l’aura détournée en creusant, ou enfin dérobée, le propriétaire portera sa plainte devant les astronomes et fera lui-même l’estimation du dommage. Et celui qui sera convaincu d’avoir corrompu l’eau, outre la réparation du dommage, sera tenu de nettoyer la source ou le réservoir conformément aux règles prescrites par les interprètes, suivant l’exigence des cas ou des personnes (Platon, Les lois, livre VII 400 a. JC). »
· Au regard de nos comportements généraux : « or, les hommes venant à rencontrer hors d’eux et en eux-mêmes un grand nombre de moyens qui leur sont d’un grand secours pour se procurer les choses utiles, par exemple les yeux pour voir, les dents pour mâcher, les végétaux et les animaux pour se nourrir, le soleil pour s’éclairer, la mer pour nourrir les poissons, etc., ils ne considèrent plus tous les êtres de la nature que comme des moyens à leur usage ; et sachant bien d’ailleurs qu’ils ont rencontré, mais non préparé ces moyens, c’est pour eux une raison de croire qu’il existe un autre être qui les a disposés en leur faveur. » Spinoza, l’Ethique, appendice du livre I.
· Enfin, seul appui réel de votre discours, toujours et encore cela : « Le quatrième répandit sa coupe sur le soleil, et il lui fut donné de surchauffer les hommes par ses ardeurs ; ainsi les hommes furent surchauffés d’une chaleur torride, ils maudirent le nom de Dieu qui peut déclencher ces fléaux, et ne voulurent pas se repentir et le glorifier. » Apocalypse de Saint Jean. Technique vieille comme le monde mais qui ne réussit pas à masquer les carences, pas plus que le manque d’actualisation autour de ces réflexions.
« Symptôme inquiétant »
Il est donc globalement très inquiétant de constater qu’une personnalité aussi éclairée, devant laquelle on ne pourra que saluer la maternité de loi sur l’eau du 3 janvier 1992 [1], ne soit pas en mesure d’actualiser son discours à la hauteur des enjeux. Mais comment agir à dessein quand on reste enfermée dans une fausse dialectique entre l’économique et l’écologique, quand on participe à la diffusions de termes floues et confus (parlons-nous d’environnement, de milieu humain, d’écologie politique ou scientifique ? de morale ou d’éducation ?). Ne nous étonnons plus que Monsieur Hulot, avec ses images simples et esthétisantes, rafle la mise. Car à mélanger encore les choux et les carottes, comment être encore surpris :
· de ne pouvoir poser les questions clairement et établir ainsi un même constat commun ?
· de ne pas pouvoir produire de nouveaux énoncés politique, notamment à partir de matériaux neufs tels que l’éthologie, le quantique, etc.…
Ce qui est nouveau c’est l’irruption du soleil dans notre sphère de décision politique et sociale, ce qui ne l’est pas ce sont les mots pour le dire. Et c’est peut-être bien là le seul point qui mérite de nous affliger de tristesse, nous coévoluons avec les choses, de sorte que peut-être nous ne les connaissons jamais plus que nous-mêmes…
[1] La loi sur l’eau de janvier 1992 marque vraisemblablement un tournant dans la législation environnementale de notre pays, en tant qu’elle met au centre du dispositif la reconnaissance de la notion d’écosystème et par la même, la nécessité impérieuse d’une gestion globale et concertée de la ressource (prise en compte de l’eau sous toutes ses formes : ressource vitale, écosystème, support d’activités, etc.)
Evaluation subjective :
· Restitution de la complexité : 4/10, manque d’actualisation au niveau de l’état des lieux;
· Incitation à la réflexion individuelle : 2,5/10, des pistes…majoritairement coercitives sur fond de catastrophisme généralisé;
· Incitation à l’expérimentation individuelle: 0,5/10, en tant que l’on s’interdit toute mise en perspective nouvelle;
Remède possible :
Entretien avec Félix Guattari : Qu’est-ce que l’écosophie ? Sur le site de la revue Chimère.
http://www.revue-chimeres.org/pdf/termin56.pdf