Arbres, le voyage immobile
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Dans la série - quels sont les « endroits » où les humains viennent pour devenir plus humain, quels sont les « matériaux » avec lesquels ils se combinent pour ? – après l’eau, petit tour du côté des arbres et de leurs « droits ».
Cas pratique. Visitant la Commune X dans le cadre de l’étude Y, on pourrait découvrir de magnifiques micocouliers de Provence centenaires, tous situés à proximité immédiate d’un centre-ville.
Manque de chance pour ces arbres offrant de nombreux axes de covisibilité, autant de joyeuses perspectives du fait de la taille des tiges comme du volume des canopées, le projet immobilier Z ne prévoit en rien la conservation des arbres sur ce site à lotir.
Sauf cas exceptionnels – racines dans les eaux thermales chaudes de Rouen par exemple - le sud de la Loire constitue la limite de l’aire de répartition géographique du Micocoulier dit de Provence.
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Un grand arbre est un véritable livre ouvert sur l’histoire, pas seulement naturelle, d’un territoire. Grande surface d’inscription, il est fait de l’air du temps, il exprime les nombreux temps qu’il incorpore, attendant qu’on viennent les lire. Nous autres lecteurs, nous nous retrouvons pour jouer, participer à coécrire, avec et à la suite. Alors le couper, c’est aussi refermer un livre, c’est accepter de laisser se perdre beaucoup de traces.
Alors que faire pour préserver ces illustres témoins des tracto-pelles locales ?
Allons donc ouvrir « LES DROITS DE L’ARBRE AIDE-MÉMOIRE DES TEXTES JURIDIQUES », publication en date de juin 2003 éditée par la Direction de la nature et des paysages du Ministère de l’Écologie et du Développement Durable (MEDD).
Phrase introductive de l’ouvrage : « L’arbre est un être vivant particulièrement longtemps et marquant dans les paysages. »
Nous voilà déjà tous rassurés sur nos propres qualités d’expression ! Il sera donc question de [en + an]
Suite des festivités … « En droit, l’arbre est un immeuble (Art. 518 du code civil), ce qui lui confère un statut particulier. L’arbre est un élément de paysage, à ce titre les dispositions juridiques qui peuvent participer à sa protection sont nombreuses. »
Un immeuble offrant de nombreuses possibilité de protection, très très bien ! Mais il est aussi vite précisé que : « La protection de l’arbre est un travail de fond qui se prépare, se vit et se défend. » Une bien jolie formule.
Micocoulier de Provence, ce livre bientôt refermé …
Toujours en introduction, une méthodologie attaque-défense nous est proposée :
« 1. Organiser la protection de l’arbre
Protéger l’arbre c’est avant tout bien le connaître et organiser des mesures de protection adaptées à sa vie, à sa gestion et à son inscription dans les aménagements. Savoir pourquoi on protège et comment le faire. Cette phase est importante, elle conditionne les deux autres.
2. Intégrer la protection de l’arbre dans les décisions de gestion et d’aménagement de l’espace
Protéger l’arbre c’est savoir prendre des dispositions adaptées en matière de gestion ou d’aménagement de l’espace. Protéger l’arbre c’est aussi prendre des mesures de conservation.
3. Défendre l’arbre quand il est menacé
Protéger l’arbre c’est aussi réagir. Négliger les deux phases précédentes c’est réduire l’efficacité des réactions possibles en cas de péril. »
Traduction rapide : commencez dès hier, car les projets de travaux, aménagements et ouvrages vont plus vite que vous ! Prendre des mesures de conservation appartient à la machine administrative, réagir, c’est donc déjà l’avoir activée. Nous voilà beaucoup mieux …
Micocoulier de Provence, ce livre bientôt refermé …
On ne l’aura sans doute pas bien compris, et malgré l’abondance de la littérature encore à venir, il est jugé nécessaire de nous avertir à nouveau de la difficulté de la tâche …
« AVERTISSEMENT
- La protection de l’arbre est un chemin semé d’embûches. Les réglementations sont nombreuses et souvent complexes.
- Il est nécessaire de procéder à une lecture croisée des différentes fiches.
- Le document ne procède pas à une analyse-bilan des différentes législations.
- La prévention limite toujours les conflits juridiques qui se révèlent souvent très longs et aléatoires. Dans le cas des arbres, les conséquences peuvent être irréparables.
- Si les questions de procédures sont fondamentales, le document n’entre pas dans le détail et se contente le plus souvent d’indiquer la juridiction compétente. Cependant, à tous les stades de la protection de l’arbre, la vigilance s’impose sur les questions de forme et de procédure : délais à respecter, autorisations à demander, avis conforme ou simple, obligation de notification, d’affichage… »
Bonne chance ! De toute façon, si vous n’étiez pas juriste, urbaniste, voire environnementaliste ou paysagiste, une simple lecture des différentes fiches qui constituent la suite de l’ouvrage est proprement impossible. Alors ne parlons surtout pas de lecture croisée !
De la lecture de l’ensemble, ressort assez clairement que vous n’avez plus qu’à prier pour qu’une éventuelle protection affecte déjà le patrimoine végétal en question. Malheureusement, et si c’était le cas, vous n’en seriez sans doute pas rendu devant ce genre de littérature … les protections quand elles existent sont le plus souvent respectées. Ceci expliquant aussi le peu de protections existantes.
Alors oui, les protections possibles sont nombreuses. Néanmoins si celles-ci n’existent pas à ce jour, alors vous n’avez à peu près aucune chance de préserver vos arbres au présent.
Notons au passage que les protections existantes concernent principalement des zones de peuplement remarquables, des sites d’intérêt communautaire (Natura 2000), des zones d’intérêts (ZNIEFF) et ainsi de suite (arrêté de biotope, etc.) … et qu’ainsi dans une très grande majorité des cas, les individus isolés sont condamnés (miter pour urbaniser).
L’arbre isolé est quant à lui le plus souvent protégé en vertu de ses qualités paysagères – le volume de l’immeuble occupant et délimitant l’espace – plus rarement pour ses qualités patrimoniales, et très rarement en fonction de ses fonctions écologiques (habitat pour la faune, phytosociologie, microclimat et cycle-de l’eau, micro formation des sols et cycle des matières organiques, etc.)
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» Les articles L. 341-1 à L. 341-22 du code de l’environnement règlementent le classement ou l’inscription des « monuments naturels et des sites dont la conservation présente, d’un point de vue artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque, un intérêt général ». Cette législation a permis de protéger des arbres par classement ou inscription. Cette pratique n’a plus cours mais environ 500 arbres restent soumis à ce régime. Cette législation présente aujourd’hui un intérêt pour la protection des arbres dans la mesure où un régime spécifique s’applique sur les espaces classés ou inscrits (qui peuvent être assez vastes). «
» La loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques protège des immeubles qui présentent un intérêt du point de vue historique ou artistique. Cette loi a permis de protéger par une inscription ou un classement quelques arbres remarquables. Aujourd’hui cette pratique n’a plus cours. Cependant, la législation sur les monuments historiques continue de présenter un intérêt pour la protection de l’arbre, grâce aux dispositions qu’elle prévoit pour la protection des abords des monuments inscrits ou classés. «
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Micocoulier de Provence, ce livre bientôt refermé …
Les protections dont il est question dans l’aide-mémoire du MEDD, celles-ci sont essentiellement mises en place dans le cadre de l’élaboration, la révision ou la modification des plans d’occupation des sols aujourd’hui dénommés PLU.
Pour le présenter très rapidement, un tel document d’urbanisme découpe le territoire communal en quatre types de zones : urbaines (U), à urbaniser (AU), agricoles (A) et naturelles (N). Chacune de ces zones est accompagnées d’un règlement écrit qui fixe les dispositions d’urbanisation applicables (constructions autorisées, implantation, hauteur, accessibilité aux réseaux, coefficient d’occupation des sols, and so on …)
Sur les 14 articles d’un règlement de zone, le numéro 13 concerne spécifiquement les espaces libres, les plantations et les espaces boisés classés (EBC).
Le classement d’un secteur en EBC a pour but d’interdir les changements d’affectation ou les modes d’occupation du sol de nature à compromettre la conservation, la protection ou la création des boisements.
Un tel classement entraîne également le rejet de plein droit des demandes d’autorisation de défrichement, comme il entraîne la création d’un régime d’autorisation administrative avant toutes coupes et abattages d’arbres.
N’ayant pas de critère de surface minimum à respecter, voilà en théorie une belle protection pour ce qui nous concerne. Seulement, le régime des EBC ne s’applique uniquement que lorsque celui-ci a été délimité dans le document graphique du PLU.
Or élaborer un PLU est une activité de longue durée. Elle dépend bien évidemment de la taille et des enjeux urbains de la commune, ainsi n’attendez pas moins de cinq ans avant de voir un tel document passer de la phase étude à l’approbation.
Mais, et c’est heureux, le plan existant peut-être révisé ou modifié selon les diverses procédures définies par le code de l’urbanisme. Comptez ici de 6 mois à 1 ans selon les cas. Cependant, et dans la pratique, si vos arbres ne sont pas déjà identifiés:
- dans le rapport de présentation du PLU au niveau de l’analyse de l’état initial de l’environnement (certains alignements peuvent être identifiés comme des éléments marquants du paysage à préserver);
- et/ou dans le rapport de présentation du PLU au niveau du diagnostic (synthèse et orientations paysagères);
- et/ou dans le document graphique du PLU s’ils ne sont pas inscrits dans une zone naturelle (N) ou un espace boisé classé (le règlement de la zone N est par nature très restrictif concernant l’abattage des arbres);
- et/ou que le règlement écrit du PLU, pour les zones concerné, n’est pas assez restrictif en la matière (l’article 13 peut demander expressément la préservation des hautes tiges même en zone U ou AU);
… alors vous n’aurez que très peu de chance de voir aboutir votre demande de révision ou modification du plan au seul titre de la préservation de ces quelques arbres.
Conclusion, il n’existe à ce jour aucune possibilité juridique de préserver le patrimoine des grands arbres isolés à court terme.
- Sachant que: nombre des documents d’urbanismes actuellement en vigueur ont été élaborés à une époque où se négligeait la protection du capital environnemental et paysager des communes.
- Sachant que: les projets d’aménagements, eux se réalisent aujourd’hui à court et moyen terme. Soit juste le temps d’arriver à la fiche 3 que nous propose le mémo juridique du MEDD.
Retenons donc que si personne ne s’est battu il y a dix ans pour préserver cet arbre, alors aujourd’hui, vous ne le pourrez très vraisemblablement pas, sauf à vous y attacher par d’autres moyens.
Micocoulier de Provence, ce livre bientôt refermé …
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Quelques arbres sur le web :
+ Blog Krapoarboricole, à la recherche des arbres vénérables (de France) …
+ Francis Hallé, botaniste auteur du livre « plaidoyer pour l’arbre«
Extraits vidéos 1 – Extraits vidéos 2 - Entretien avec l’auteur - Site du projet du radeau des cimes
+ Fil de news du departement forestier de la FAO.