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Eduquer au vivant

Qu’est-ce que le vivant ? A quoi le reconnaît-on ? Venant de Mars, comment identifier ce qui est vivant entre un caillou et un crabe, un robot, un cristal et un homme…

Le vivant ?

Si Jacques Monod et Gregory Bateson convoquent tout deux cette « parabole du martien » pour tenter de répondre à l’interrogation, leurs conclusions divergent sensiblement. Pour le premier nommé le vivant se caractérise par un mécanisme de conservation, sourd et quantitatif, opérant sur les taux différentiels de reproduction des mutations génétiques hasardeuses.

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« Selon la théorie moderne, la notion de révélation s’applique au développement épigénétique, mais non, bien entendu, à l’émergence évolutive qui, grâce précisément au fait qu’elle prend sa source dans l’imprévisible essentiel est créatrice de nouveautés absolues … Mais là où Bergson voyait la preuve la plus manifeste que le principe de la vie est l’évolution elle même, la biologie moderne reconnaît, au contraire, que toutes les propriétés des être vivants reposent sur un mécanisme fondamental de conservation moléculaire. Pour la théorie moderne l’évolution n’est nullement une propriété des êtres vivants puisqu’elle a sa racine dans les imperfections mêmes du mécanisme conservateur qui, lui, constitue bien leur unique privilège. Il faut donc dire que la même source de perturbations, de bruit qui, dans un système non vivant, c’est à dire non réplicatif, abolirait peu à peu toute structure est à l’origine de l’évolution dans la biosphère, et rend compte de sa totale liberté créatrice, grâce à ce conservatoire du hasard, sourd au bruit autant qu’à la musique, la structure réplicative de l’ADN »

Jacques Monod, le hasard et la nécessité,
essai sur la philosophie naturelle de la biologie moderne, page 130, Ed. Seuil.

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Pour Gregory Bateson, il s’agit de pouvoir reconnaître la vie par identification avec le vivant. Il s’agit là d’une approche qualitative et esthétique, par la reconnaissance de son organisation rythmique.

http://www.dailymotion.com/video/xa4y4m Gregory Bateson, qu’est-ce que le vivant ?

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Du qu’est-ce que le vivant pour un martien au qu’est-ce que le vivant pour un enfant… 

C’est à cette dernière question que tente de répondre Sandrine Guillaumin, professeur des écoles et lauréate du prix La main à la pâte 2008 (prix visant à valoriser l’apprentissage des sciences à l’école primaire) pour ses travaux consacrés à la question du vivant en maternelle.
Comment aborder le monde du vivant en maternelle ? Les concepts du vivant et de l’inerte faisant appel à l’abstraction, le professeur a donc choisi de travailler à partir du monde végétal. Les notes et graphiques suivants sont extraits du mémoire de Sandrine Guillaumin, ainsi que de l’émission que lui consacrait Canal Académie en 2008 (fichier son lié) .

« […] j’ai mis en place un protocole permettant d’aider les enfants à entrer dans le monde du vivant. Pour ce faire, j’ai tenu à suivre les grandes étapes d’une réelle démarche scientifique, même si je m’adressais à  des élèves de maternelle. Ces derniers ont été placés au cœur de leurs  apprentissages en leur permettant d’être actifs par la manipulation, l’observation, et la verbalisation. Quant à l’enseignant, il doit rebondir sur les conceptions initiales des élèves et jouer un véritable rôle de tuteur en conduisant les enfants  à s’éveiller à la curiosité et en leur  permettant de réaliser un premier pas vers l’abstraction. »

Sandrine Guillaumin.

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L’objectif des séquences en classe est de repérer et nommer ce qu’on observe, de prendre conscience de la diversité du monde vivant, d’identifier quelques unes des caractéristiques communes aux végétaux, animaux et à l’enfant lui-même, comme d’observer les caractéristiques du vivant (naître, grandir se reproduire, mourir).

programme

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Francis Hallé, sur les conséquences de la mobilité :

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Pour passer du concret à l’abstrait avec ses deux classes de petite et de moyennes sections, Sandrine Guillaumin a procédé en trois phases :

1. La phase d’observation et d’exploration qui consiste à éveiller la curiosité des élèves et à attiser leur désir de chercher une réponse au problème posé.
Sandrine Guillaumin a ainsi demandé à ses jeunes élèves de classer les photos d’objets, d’animaux, et de végétaux (peluche, fleur, chat, soleil, etc.) dans deux boîtes : vivant / pas vivant.
Résultats : seuls quatre élèves dépassent la barre des 60 % de bonnes réponses et seulement deux approchent les 70 %. Par ailleurs, les objets comme l’aspirateur et la voiture, inertes mais mobiles, sont considérés comme vivants par au moins la moitié des élèves. Enfin, aucun élève n’a conscience qu’une fleur, un arbre, une carotte ou une graine sont vivants.

education au vivant

2. Une fois la phase d’observation terminée, la deuxième étape consiste en la représentation mentale. L’enseignant encourage ses élèves à argumenter leurs réponses, à écouter les idées d’autrui. Un élève capable d’exprimer, de décrire sa pensée et qui en a conscience, a en effet déjà fait un premier pas vers l’abstraction.
Sandrine Guillaumin a donc pris l’expérience des semis et a posé la question suivante a ses élèves : « Comment faire pour savoir si une graine est vivante ? ».
Les réponses ont été les suivantes : « Il faut la mettre dans le jardin », « Il faut la mettre dans la terre ». Après avoir laissé germer les graines de haricots et de lentilles, petite et moyenne sections ont décrit avec leurs propres mots, ce qu’ils avaient observés : « J’ai vu les petites graines se transformer en plante », « J’ai vu du vert sortir de la terre », « Les feuilles sont devenues de plus en plus grosses », « Ma plante elle grandit et elle penche », « Ma graine elle a poussé comme les plantes de ma maman », « J’ai vu des fils verts et des fils blancs ».

3. Nous arrivons de ce fait à la troisième phase, l’abstraction : l’enfant a atteint ce niveau s’il est capable de transférer les informations nouvellement acquises dans un autre contexte. Ces informations constituent alors de véritables connaissances.
À l’issu de ses séances, l’exercice de classement des photos est réalisé de nouveau. Cette fois-ci, plus de la moitié des élèves, aussi bien en petite section qu’en moyenne section, considère que les graines et les carottes sont vivantes ; un résultat satisfaisant puisqu’en quelques séances, l’enseignant a réussi à faire évoluer les représentations de ses jeunes élèves, et cela, par le biais de l’expérience.
Cet exercice qui peut sembler anodin au premier abord est en réalité très constructif. Lors d’un stage précédent en classe de CM1, Sandrine Guillaumin avait réalisé la même expérience des photos à classer : les espèces végétales étaient alors supposées non vivantes par environ la moitié des élèves. De nombreuses confusions étaient présentes dans l’esprit de certains.

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Moyenne section

Eduquer au vivant  dans Bateson image003

Education au vivant

Petite section

Education au vivant

Education au vivant

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Configuration singulière

 Configuration singulière dans Education transmission

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Imaginons une configuration singulière qui puisse nous donner l’occasion de gratouiller quelques unes des notions floues qui nous servent pourtant de base de travail. Les hypothèses du jeu seraient à peu près les suivantes.
a) Vous travaillez depuis quelques années dans le secteur de l’environnement, du développement durable ou de l’écologie au sens large.
b) L’une de vos connaissance X vous contacte pour animer une séance d’introduction aux métiers de l’environnement (pour le dire vite) dans le cadre d’un troisième cycle Y étranger à ce domaine.
c) Vous avez deux heures.

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Mmm … brouillon d’intervention possible. Quelques options liminaires.

a) Eviter les chiffres et les diagrammes. Non que le rétro soit systématiquement en panne, mais dans l’idée de se passer de ces outils du prêt-à-convaincre et à-penser dont les modalités de calcul demeurent le plus souvent occultés (question de temps, de compréhension ou d’honnêteté, au choix).
b) Tisser son discours autour de la proposition/représentation suivante : il faut nous imaginer l’écologie comme une montagne aux multiples versants habités de différentes espèces de promeneurs.
c) Débuter par, et s’attarder sur, le sens des mots … pour le dire. De quoi parlez-vous ? De quoi parlons-nous. Qui parle de quoi ?

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Etape n°1, regard sur les principales « espèces » œuvrant sur les versants

-> Qui dans l’environnement mesure des impacts et comptabilise des matières …

Comment définir le terme d’environnement ?
L’environnement … mmm … le grand tout moins nous ? Le grand tout moins celui qui le regarde plus nous ? Tout ce qui n’est pas nous mais dont il reste quoi quand nous ne sommes plus là pour le définir ?
Donc en gros ce qui nous entoure, ce à quoi nous sommes extérieurs mais qui influence néanmoins, d’une manière ou d’une autre, notre état et nos comportements (choix). Dans la langue commune des praticiens, la gestion de l’environnement désigne à peu près le bon traitement à accorder au 4 éléments des anciens, à savoir l’eau, l’air, le feu et la terre.

Dans la pratique, les principales questions qui se posent à l’environnementaliste dans le cadre de ses études de terrain sont (à gros traits) : – de savoir déterminer un périmètre d’étude sur lequel analyser des sensibilités ; – d’évaluer les incidences potentielles de tel ou tel programme et/ou projet d’aménagement sur ce périmètre; – de proposer des mesures de correction, d’atténuation ou de compensation de celles-ci.

Il s’agirait donc de savoir dresser des inventaires et des bilans, pour in fine rechercher à préserver des équilibres. Voilà qui ressemble beaucoup à ce que pourrait être une certaine comptabilité des actifs environnementaux d’un territoire, au sens large (territoire d’action d’une entreprise dans le cas d’un bilan carbone par exemple).

-> Qui dans le développement durable conçoit des programmes concertés dont  l’efficacité se doit d’être mesurée « multicritère » …

Comment définir le terme de développement durable ?
Durer … mmm … ça veut dire quoi quand on y pense ?
- Conserver quelque chose ? Alors quelle économie de la conservation des choses ? Arche de Noé, qui rentre dedans et qui reste dehors ?
Se conserver soi ? Alors quelle économie de sa conservation ? Se conserver sans croître, se conserver sur une île sans en épuiser les nourritures, se conserver sur ses peaux mortes, se conserver dans le monde, en totalité ou partiellement ?
- Pouvoir transmettre ? Du matériel et, ou, et/ou de l’immatériel ? Des mots et des images pour le dire ou se dire ? Des potentiels combinatoires ? Je vous laisse cette herbe là, et donc l’option d’en inventer de nouveaux usages ou de ne rien en faire, pour vous ou pour elle-même, dans ce temps ci ou ce temps là, dans cet espace ci et cet espace là.

Pour développer durable, concept label ou label concept, on s’appuiera donc sur le respect d’un ensemble de principes et de normes dérivées plus ou moins homogènes et construits. Mais au final, l’idée la plus importante de ce sac à idées est sans doute la suivante : il convient de préserver les lieux de vie biologiques comme sociaux, matériels comme immatériels.

Dans la pratique, les principales questions se posant à un « développementaliste » durable dans le cadre de son montage de projet sont (à gros traits) : – de pouvoir définir des objectifs à atteindre sur au moins trois critères : économique, social et environnemental; – d’identifier les parties prenantes de tel ou tel projet, à savoir l’ensemble des groupe concernées ou impactées par celui-ci; – de savoir comment répartir équitablement entre celles-ci les divers bénéfices du projet.

A partir des ingrédients de l’environnementaliste, du sociologue et de l’économiste, il s’agirait donc de savoir cuisiner de manière responsable nos besoins, pour mieux assurer ceux de demain. On peut souligner ici le terme assurer, comme on le pouvait plus haut avec celui de bilan. Les pratiques de l’environnement et du DD répondent respectivement à des logiques comptable et assurantielle plus ou moins réactualisées.  

-> Qui dans l’écologie sur son versant scientifique …

Comment définir le terme écologie (en tant que science).
A la recherche d’une définition précise de la chose, nous fouinerons un peu de l’article Wikipédia dédié.
- Définition 1 : l’écologie est la science qui se donne pour objet les relations des êtres vivants avec leur habitat et l’environnement, ainsi qu’avec les autres êtres vivants.
Les relations dedans / dehors … Avec l’habitat et l’environnement. Quelles relations entre l’habitat, terme qui reste encore à définir, et l’environnement ? Les relations aux autres êtres vivants ? Un bien vaste sujet à la grande porosité des contours. Pour un objet d’étude, voilà qui nous apparaît bien flou.
- Définition 2 : l’étude scientifique des interactions qui déterminent la distribution et l’abondance des organismes vivants.
Donc des interactions, pour préciser la nature des relations qui nous intéressent, mais entre quoi et quoi exactement ? Quoi qu’il en soit, nous voilà donc avec une sélection de certaines interactions qui mises ensemble nous aideraient donc à mieux comprendre pourquoi il y a ça ici et en quel nombre maintenant … soit une approche géographique et quantitative.
- Définition 3 : la science qui étudie les flux d’énergie et de matières circulant dans un écosystème.
Après les relations, les interactions, place aux flux. Leur circulation et (re)distribution, leur coupure (captation), hybridation (biodiversité) et relâchement (recyclage). Reste néanmoins à savoir ce qu’est un écosystème et que faire des flux d’informations.

D’une définition qui renvoie à une autre, poursuivons en mode hypertexte. Écosystème, terme forgé par Arthur George Tansley en 1935 pour désigner l’unité de base de la nature, un ensemble formé par une association ou communauté d’êtres vivants et son environnement.
Voilà donc qui nous ramène tout droit aux notions floues d’environnement, pire, de nature.
La nature en deux questions …
- On est dedans ? Oui/Non
- On peut jouer avec ? Oui/Non
C’est déjà 4 prises de position …
- Oui – Oui / Non –Oui / Non – Non / Oui – Non

Finalement on préférera peut-être se référer à la définition de l’écosystème telle que proposée par l’évaluation des écosystèmes pour le millénaire :
« un complexe dynamique composé de plantes, d’animaux, de micro-organismes et de la nature morte environnante agissant en interaction en tant qu’unité fonctionnelle. »
Se faisant on passe de l’unité de base comptable, additive, au complexe dynamique de flux agissant en tant qu’unité fonctionnelle. Autrement dit un écosystème remplit des fonctions. Il produit des biens et des services qui nous sont perceptibles. Où sont les frontières de cet écosystème ? A vous l’analyste d’en décider.

Conclusion. Au jeu de ses affinités et méthodes, on en viendra bien vite à composer sa propre définition sur le dos des précédentes : l’écologie, la science qui étudie les flux d’énergie, de matières et d’informations qui circulent (in/transformations/out) dans un complexe dynamique vivant non vivant agissant en interaction en tant qu’unité fonctionnelle, c’est à dire productrice de certaines fonctions (aujourd’hui) perceptibles.
Un complexe de mots et de propositions qui pourrait se traduire plus facilement par une image :
- l’arbre est une configuration d’interactions, dynamiques et singulières, appropriée aux conditions de vie de la forêt;
- la forêt est une association d’arbres dont les interactions produisent leurs propres niches écologiques, à savoir la forêt.

Dans la pratique, les principales questions qui se posent à l’écologue lors de l’étude d’un écosystème sont (à gros traits) de savoir : – comment s’est opérée la colonisation par le système x de l’espace y; – comment s’est poursuivie l’évolution de cette colonisation; – quelles sont aujourd’hui les relations existantes entre les différents éléments du système ? - l’état actuel est-il stable ?

Nous sommes ici dans une approche de type à la fois. A la fois géographique et historique, à la fois qualitative (stratégies de différenciation des éléments du système) et quantitative (accumulation d’information et de matières dans le système). L’horizon immédiat de l’étude ne consiste donc pas dans la préservation à priori d’un lieu de vie, mais bien à faire émerger une connaissance du tissu des relations qui fait ce lieu de vie, pour in fine savoir comment et où le préserver.

-> Qui dans l’écologie sur son versant politique

Ici pas de définition à attendre (enfin on l’espère), mais un joyeux (souligner ce mot) mélange de pratiques à expérimenter et inventer, ainsi qu’une grande vigilance à entretenir.
Vers de nouvelles modalités d’organisation collective associées aux nouveaux savoirs et/ou méthodes d’analyse ? Les rapports, les interférences entre l’écologie scientifique et politique, les rapports entre la science et la politique, la connaissance et la pratique, un vaste sujet à l’intermédiation aujourd’hui suspecte (c.f. rapport aux relais medias).

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L’environnement, le DD, l’écologie offrent un complexe de métiers aujourd’hui très largement professionnalisés : compétences techniques exigées pour des résultats concrets et quantifiés, qualités personnelles requises et précisées.
Seulement tout cela contraste grandement vis-à-vis du flou qui entoure les notions, les objets et objectifs d’étude de ces métiers. Peut-être faut-il alors simplement constater qu’il n’ait pas besoin d’avoir un objet de travail clairement défini pour faire, et que faire n’est pas suffisant pour comprendre ce que l’on fait.
En conséquence, et à un certain niveau, travailler dans ces domaines ne requière aucune spécificité particulière autre que celle que l’on veut bien mettre (avec ou sans émotions) derrière les notions faiblement questionnées de nature, d’environnement, etc. En cela, l’écologie au sens large est symptôme. Le symptôme d’une interprétation du monde changeante qui manque encore des mots pour le dire, le symptôme à découvrir derrière  nombre de ces vieux masques (religieux, désir de souffrance, etc.) et outils anciens (comptabilité analytique).

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« Le désir de souffrance.
Quand je songe au désir de faire quelque chose, tel qu’il chatouille et stimule sans cesse des milliers de jeunes Européens dont aucun ne supporte l’ennui, pas plus qu’il ne se supporte soi-même, – je me rends compte qu’il doit y avoir en eux un désir de souffrir d’une façon quelconque afin de tirer de leur souffrance une raison probante pour agir. La détresse est nécessaire! De là les criailleries des politiciens, de là les prétendues « crises sociales » de toutes les classes imaginables, aussi nombreuses que fausses, imaginaires, exagérées, et l’aveugle empressement à y croire. Ce que réclame cette jeune génération, c’est que ce soit du dehors que lui vienne et se manifeste – non pas le bonheur – mais le malheur; et leur imagination s’occupe déjà d’avance à en faire un monstre, afin d’avoir ensuite un monstre à combattre. Si ces êtres avides de détresse sentaient en eux la force de faire du bien, en eux-mêmes, pour eux-mêmes, ils s’entendraient aussi à se créer, en eux-mêmes, une détresse propre et personnelle. Leurs sensations pourraient alors être plus subtiles, et leur satisfactions résonner comme une musique de qualité; tandis que maintenant ils remplissent le monde de leurs cris de détresse et, par conséquent, trop souvent, en premier lieu, de leur sentiment de détresse! Ils ne savent rien l’aire d’eux-mêmes – c’est pourquoi ils crayonnent au mur le malheur des autres : ils ont toujours besoin des autres! Et toujours d’autres autres! – Pardonnez-moi, mes amis, j’ai osé crayonner au mur mon bonheur.
»

Friedrich Nietzsche - livre premier, la “Gaya scienza“, traduction de l’édition de 1887 par Henri Albert.

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Etape n°2, regard sur la montagne écologie

« A distance.
Cette montagne rend la contrée qu’elle domine charmante et digne d’admiration à tout point de vue : après nous être dit cela pour la centième fois, nous nous trouvons, à son égard, dans un état d’esprit si déraisonnable et si plein de reconnaissance que nous nous imaginons qu’elle, la donatrice de tous ces charmes, doit être, elle-même, ce qu’il y a de plus charmant dans la contrée – et c’est pourquoi nous montons sur la montagne et nous voilà désillusionnés! Soudain la montagne elle-même, et tout le paysage qui l’entoure, se trouvent comme désensorcelés; nous avons oublié qu’il y a certaines grandeurs tout comme certaines bontés qui ne veulent être vues qu’à une certaine distance, et surtout d’en bas, à aucun prix d’en haut, – ce n’est qu’ainsi qu’elles font de l’effet (…) »

Friedrich Nietzsche – livre premier, la “Gaya scienza“, traduction de l’édition de 1887 par Henri Albert.

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Du pied, comme peut-être au sommet de la montagne écologie, on ne sait finalement qu’assez rarement qui parle de quoi et à qui.
Environnementaliste, développementaliste durable, écologue, etc., quels temps et quelles échelles dans les discours ? Qu’on glisse vite dans la pente ou qu’on y grimpe doucement, le flou et l’incertain dominent. Tant est si bien qu’on en revient toujours à la question centrale de sa gestion, un objet qui ne constitue pas le monopole de l’écologie et de ses activités dérivées, mais bien de toute activité humaine : le rapport au grand tout, les relations dehors/dedans et leurs finalité.
En ce sens, l’écologie montagne, ou l’écologie (re)montage, peut s’imager comme un empilement de strates successives. Strates de questions, d’images et de représentations du dehors qui, selon l’angle de notre regard du jour, s’actualisent et se réactualisent à tour de rôle, par effets domino, par effets de fissure ou d’érosion, etc.
Notre regard du jour ? Celui que l’on porte sur un nouveau contexte, un terreau ou cadre de vie de plus en plus serré. De plus en plus urbain, c’est-à-dire marqué de nos traces, de plus en plus uniformisé dans les modes ou styles de vie qu’il propose. Conséquence, un déficit vécu. Celui de l’espace vital, des lieux de vie physiques et mentaux, et in fine, un manque d’air. Alors manque-t-on d’air parce qu’il est pollué ou polluons nous l’air parce que nous en manquons ?
Si nous définissons l’écologie de sorte à cette montagne là, alors la principale qualité de l’actant écologique devient la possibilité d’un regard attentif au monde et à ses changements. Ceux qu’ils rendent possibles, les devenirs en germe et ceux à ne pas étouffer.
Ce principe premier de l’attention, celui-ci nécessite certainement une approche à la fois géographique et historique des choses, mais peut-être plus encore, de trouver chemin faisant sa bonne distance dans l’escalade de la montagne. Autrement dit, de savoir construire ses propres nourritures, de savoir monter ses propres questions. Etre curieux.

« (…) L’homme animé par l’esprit scientifique désire sans doute savoir, mais c’est aussitôt pour mieux interroger. » Gaston Bachelard, in La formation de l’esprit scientifique.

Ses nourritures, ses questions, elles sont à rechercher hors cadre. Elle ne sont pas données à l’avance par le nous des manuels. Aller chercher ses briques de savoir dans un petit jeu de frontières mobiles, c’est avant tout ne pas permettre à la morale commune de se glisser dans le trou des définitions, c’est laisser au flou et ses interstices leur pouvoir d’aération des idées.
Alors celui-ci convoquera Spinoza, Nietzsche et autres fragments dans une posologie qui lui convient de sorte à constituer son blog armoire à pharmacie, qui, x ou y, et ainsi de suite dans une écologie singulière des idées, son style d’escalade, son versant, sa distance vis à vis du rocher.
A partir de là, il est possible de s’entendre.

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« Le mal.
Examinez la vie des hommes et des peuples, les meilleurs et les plus féconds, et demandez-vous si un arbre qui doit s’élever fièrement dans les airs peut se passer du mauvais temps et des tempêtes : si la défaveur et la résistance du dehors, si toutes espèces de haine, d’envie, d’entêtement, de méfiance, de dureté, d’avidité, de violence ne font pas partie des circonstances favorisantes, sans lesquelles une grande croissance, même dans lit vertu, serait à peine possible? Le poison qui fait périr la nature plus faible est un fortifiant pour le fort – aussi ne l’appelle-t-il pas poison. »

Friedrich Nietzsche - livre premier, la “Gaya scienza“, traduction de l’édition de 1887 par Henri Albert.

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http://www.dailymotion.com/video/x5d8wl

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« Gardons-nous.
Gardons-nous de penser que le monde est un être vivant. Comment devrait-il se développer ? De quoi devrait-il se nourrir ? Comment ferait-il pour croître et s’augmenter ? Nous savons à peu près ce qu’est la matière organisée : et ce que nous percevons d’indiciblement dérivé, de tardif, de rare, de hasardé, sur la croûte de la terre, nous irions jusqu’à en faire quelque chose d’essentiel, de général et d’éternel, comme font ceux qui appellent l’univers un organisme ? Voilà qui m’inspire le dégoût. Gardons-nous déjà de croire que l’univers est une machine ; il n’a certainement pas été construit en vue d’un but, en employant le mot « machine » nous lui faisons un bien trop grand honneur. Gardons-nous d’admettre pour certain, partout et d’une façon générale, quelque chose de défini comme le mouvement cyclique de nos constellations voisines  : un regard jeté sur la voie lactée évoque déjà des doutes, fait croire qu’il y a peut-être là des mouvements beaucoup plus grossiers et plus contradictoires, et aussi des étoiles précipitées comme dans une chute en ligne droite, etc. L’ordre astral où nous vivons est une exception ; cet ordre, de même que la durée passable qui en est la condition, a de son côté rendu possible l’exception des exceptions : la formation de ce qui est organique. La condition générale du monde est, par contre, de toute éternité, le chaos, non par l’absence d’une nécessité, mais au sens d’un manque d’ordre, de structure, de forme, de beauté, de sagesse et quelles que soient nos humaines catégories esthétiques. Au jugement de notre raison les coups malheureux sont la règle générale, les exceptions ne sont pas le but secret et tout le mécanisme répète éternellement sa ritournelle qui jamais ne saurait mériter le nom de mélodie, — et finalement le mot « coup malheureux » lui-même comporte déjà une humanisation qui contient un blâme. Mais comment oserions-nous nous permettre de blâmer ou de louer l’univers ! Gardons-nous de lui reprocher de la dureté et de la déraison, ou bien le contraire. il n’est ni parfait, ni beau, ni noble et ne veut devenir rien de tout cela, il ne tend absolument pas à imiter l’homme ! Il n’est touché par aucun de nos jugements esthétiques et moraux ! Il ne possède pas non plus d’instinct de conservation, et, d’une façon générale, pas d’instinct du tout ; il ignore aussi toutes les lois. Gardons-nous de dire qu’il y a des lois dans la nature. Il n’y a que des nécessités : il n’y a là personne qui commande, personne qui obéit, personne qui enfreint. Lorsque vous saurez qu’il n’y a point de fins, vous saurez aussi qu’il n’y a point de hasard : car ce n’est qu’à côté d’un monde de fins que le mot « hasard » a un sens. Gardons-nous de dire que la mort est opposée à la vie. La vie n’est qu’une variété de la mort et une variété très rare. — Gardons-nous de penser que le monde crée éternellement du nouveau. Il n’y a pas de substances éternellement durables ; la matière est une erreur pareille à celle du dieu des Eléates. Mais quand serons-nous au bout de nos soins et de nos précautions ? Quand toutes ces ombres de Dieu ne nous troubleront-elles plus ? Quand aurons-nous entièrement dépouillé la nature de ses attributs divins ? Quand aurons-nous le droit, nous autres hommes, de nous rendre naturels, avec la nature pure, nouvellement trouvée, nouvellement délivrée ? »

Friedrich Nietzsche - livre troisième, la “Gaya scienza“, traduction de l’édition de 1887 par Henri Albert.

Docu-écrits-mont(r)és

Nénette

Suite à la sortie du documentaire « Nénette », entretien avec le réalisateur Nicolas Philibert sur France Culture.

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Légende science

Série documentaire la légende des sciences.
Un film de Robert Pansard-Besson
et Michel Serres.
Episode
« Brûler». 1997 – France – 52 minutes.
Voir l’ensemble de la série.

http://www.dailymotion.com/video/xbsvbq Partie 1

http://www.dailymotion.com/video/xbsvi7 Partie2

http://www.dailymotion.com/video/xbsvp5 Partie3

http://www.dailymotion.com/video/xbsvuh Partie4

http://www.dailymotion.com/video/xbsw0v  Partie5

http://www.dailymotion.com/video/xbsw6p  Partie6

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« La seule raison d’être d’un être, c’est d’être. C’est-à-dire, de maintenir sa structure. C’est de se maintenir en vie. Sans cela, il n’y aurait pas d’être (…) Un cerveau ça ne sert pas à penser, mais ça sert à agir. »
Henri Laborit in « Mon Oncle d’Amérique », un film d’Alain Resnais (1980)

Mon oncle

Image de prévisualisation YouTube Séquences d’Henri Laborit, « Mon Oncle d’Amérique », Alain Resnais (1980)

Image de prévisualisation YouTube Séquences d’Henri Laborit, « Mon Oncle d’Amérique », Alain Resnais (1980)

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Colloque.
Institut de Recherches Philosophiques de Lyon.
Nature, technologies, éthique. Regards croisés : Asie, Europe, Amérique.

Nature, technologies, éthique. Regards croisés : Asie, Europe, Amériques (1/5)
-> L’homme dans la nature et la nature dans l’homme
- Pour une anthropologie de la finitude avec Dominique Bourg, Université de Lausanne.
- Fûdo (le milieu humain) : des intuitions watsujiennes à une mésologie avec Augustin Berque, EHESS.
- Nature humaine et technologie médicale dans l’oeuvre de Nishi Amane avec Shin Abiko, Université de Hosei.
- La nature humaine: une aporie occidentale ? Avec Etienne Bimbenet, Université Lyon 3.
- La baleine, le cèdre et le singe, harmonie et irrespect de la nature au Japon avec Philippe Pelletier, Université Lyon 2.
- Sciences, valeurs et modèles de rapports à la nature avec Nicolas Lechopier, Université Lyon 1.

Nature, technologies, éthique. Regards croisés : Asie, Europe, Amériques (2/5)
-> La nature à la limite

- Technologies de l’hybridation entre éthique, pouvoir et contrôle avec Paolo Bellini, Université de L’Insubria.
- Quelle cosmopolitique aujourd’hui ? Avec Frédéric Worms, Université Lille 3.
- De la nature de nos confins: dualisme, holisme et autres perspectives avec Régis Defurnaux, Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix – Namur.
- À la recherche du Paradis Perdu avec Maria Inacia D´Avila, Chaire UNESCO, Universidade de Rio de Janeiro.
- A la frontière de l’humanité: le dilemme (éthique) des chimères génétiques avec Nicolae Morar, Université de Purdue, West Lafayette.

 

Une écologie des formes d’expression ?

Une écologie des formes d'expression ? dans Bateson utime

« J’affirme que si vous voulez parler de choses vivantes, non seulement en tant que biologiste académique mais à titre personnel, pour vous-même, créature vivante parmi les créatures vivantes, il est indiqué d’utiliser un langage isomorphe au langage grâce auquel les créatures vivantes elles-mêmes sont organisées – un langage qui est en phase avec le langage du monde biologique ». Gregory Bateson

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Une écologie ?
Une montagne aux multiples versants.
Un environnement ?
Un montage.
Une configuration dynamique.
Un organe sensoriel décentralisé.
Un modèle de danse qui capture d’autres modèles de danse.

En communiquer ? Savoir capter l’attention autrement.
Par delà urgence, heuristique de la peur et autres vitesses médiatiques, faire circuler du désir de dans des espaces d’intercession encore largement à créer. Ouvrir à un principe d’attention au monde, voie d’accès douce à l’écologie, chemin nécessairement complémentaire des principes de précaution (monde interconnecté) et de responsabilité (pollueur/payeur).

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Petits points afin de se frotter au caractère éminemment substituable des discours de crise qu’entretiennent et qui entretiennent le prêt (vite à taux zéro) à penser, des visuels sur des mots en boucle.

Restituer et s’inspirer la complexité

L’écologie est à la fois cet art de la composition, du tissage des modes d’existence dans un environnement singulier. De la diversité des récits individuels et collectifs, des modes de vie qui inspirent des façons de penser, des modes de pensée qui créent des façons de vivre.
Notre inspiration, notre écriture est à nourrir des hommes, de leurs techniques et usages du monde, des végétaux, de leurs stratégies de développement et de colonisation des territoires, de l’étude des comportements animaux, de leur capacité à construire des mondes, du non-vivant, de son socle et ses terreaux de je(ux).

Dans le climat (lui aussi) changeant de nos pensées, là où complexité et incertitudes vont croissantes, il convient de souligner en réponse quelques uns des axes forts sur lesquels appuyer une communication sur le(s) écologie(s) : aider à s’élever pour mieux voir, à relier pour mieux comprendre, à situer pour mieux agir.
Soit donner à voir et à manipuler bien plus qu’imposer ou seulement relayer un déjà un prêt à penser/agir/répéter. Eclairer des briques de savoir et proposer quelques colles dans un pouvoir communiquer/transférer qui stimulerait avant tout les conditions de l’appropriation et de l’action, que celle-ci soit individuelle ou en réseau.

montagne dans Ecosysteme TV.fr
Les multiples versants d’un même fait

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L’homme cohabite et coévolue

L’homme moderne dans la nature, bien que de plus en plus détaché des contraintes de son milieu naturel, celui-ci n’en devient pas pour autant un empire dans un (em)pire. L’intermédiation qu’opèrent les combinaisons d’artefacts constitue un milieu singulier (un lieu de sélections, captations et montages pour productions, consommations et déjections) qui participe à produire l’homme à mesure que l’homme le produit.
Partie d’un système coévolutif plus vaste qui l’englobe lui, ses artefacts et ses actions, l’homme habite naturellement la technique et techniquement la nature.
Cette coévolution entre les hommes, les artefacts et les écosystèmes appelle en retour à un principe d’attention au monde, devenir écologiste médecin évaluant les symptômes de cette coévolution, autant que de précaution, écologiste législateur proposant des règles de bonne conduite dans cette coévolution.

Gérer l’abondance des usages

L’écologie est à la fois cet art de la gestion de l’abondance des usages du monde. Percevoir à la fois l’arbre et la forêt sans que l’un ne masque l’autre. Si c’est bien la dose qui fait le poison, il ne s’agit pas d’appeler ici et là à réduire définitivement l’ensemble de nos usages du monde, mais bien plus de pouvoir dégager les espaces, la souplesse apte à les faire cohabiter et coévoluer ensemble.

Ouvrir à des espaces de dialogues pluridisciplinaires

L’un des dangers qui guette cet ensemble de discours composites qu’on regroupera aujourd’hui sous la notion floue d’écologie, de son versant scientifique au politique, serait de rabattre toutes ses voix (voies) dans le but de constituer une discipline fermée, autonome à vocation transcendante.
La terre vue du ciel, voilà peut-être la définition du principe d’attention tel qu’appliqué à l’écologie elle-même.
Résister à la tentation isolationniste. A mesure que l’écologie s’auto-constitue et englobe des savoirs de plus en plus précis et multiples, celle-ci tend à refuser de se frotter à l’altérité, aux potentiels des autres disciplines, sciences humaines en premier lieu.
Que se passerait-il si vous n’aviez qu’un œil ? Votre champ de vision serait irrémédiablement rétréci. L’intercesseur n’oublie pas de faire appel aux multiples visions, sciences, arts, humanités, etc., qui toutes interférent pour nous permettre de rendre de son épaisseur au réel.
Toute communication/éducation à l’écologie ne devrait ainsi pouvoir faire l’économie d’un métissage entre les savoirs, tout comme elle ne saurait rester aveugle aux composantes artistiques, ses fonctions de contrôle et de correction des visions excessivement projectives, pas assez systémique.

Le fond et la forme, une exigence de cohérence

Un minimum de cohérence. Comment dénoncer la rupture entre l’homme maitre et possesseur et la nature, si c’est pour transformer cette frontière en une nouvelle boîte noire pleine de certitudes (les mêmes dans un miroir le plus souvent). Nouvelle boîte noire qui aspirerait toute les autres et se proclamerait religion, ou nouvelle boîte parmi les boîtes qui ne ferait que multiplier les gardes frontières.
L’écologie est à la fois une boîte à outils, à la fois une colle. Nos connaissances des sciences dures, de la chimie et des mesures, celles-ci se doivent d’être complétées et accompagnées de nouvelles pratiques sociales à même de les soutenir.
Savoir communiquer et échanger en pariant sur la lucidité de chacun, en respectant sa nature (cad lui permettre de déployer ses affects propres dans son parcours de connaissance), est l’une de ces pratiques.
Une pratique centrale une fois dit que le projet est bien de renforcer la capacité d’expérimentation de chacun sur ses différents branchements possibles (aménager, protéger, construire, réguler…) avec son environnement. Que ce dernier soit naturel ou artificiel. Individuellement et collectivement, devenir capable d’extraire et de formaliser des expériences qui donnent sens, qui activent nos connaissances.  

Repenser la chaîne de l’information

Rien se perd, rien ne se crée, tout se transforme dans la circulation des informations. Ecologie ou recyclage des idées, la qualité de l’information des uns est à évaluer en tant que matière première d’idée pour les autres. Réutiliser et recombiner c’est créer, par (dé)mon-tage, photo-synthèse, etc.

 chaine dans Education

Aux crises constatées dans le monde biophysique, se surajoutent grandement les pollutions nées de l’écologie défaillante de nos idées. Illettré dans la lecture comme l’écriture de son travail vivant, l’individu ne peut être conduit qu’à brutaliser sa nature, celle des autres, et l’ensemble plus vaste de la Nature qui l’englobe lui et les relations dont il est capable.
La crise de l’écologie de nos pensées précède ou accompagne à bien des égards celle que nous constatons dans le monde biophysique. Nous pourrons alors trier toujours plus de nos poubelle et prendre un bus à graminées, si nos stratégies de tête continuent à cloisonner et exclure comme avant, alors nous ne ferons que déplacer le problème dans des ailleurs, demain et autrement. 

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« [...] toute appréhension d’un problème environnemental postule le développement d’univers de valeurs et donc d’un engagement éthico-politique. Elle appelle aussi l’incarnation d’un système de modélisation, pour soutenir ces univers de valeurs, c’est-à-dire les pratiques sociales, de terrain, des pratiques analytiques quand il s’agit de production de subjectivité. » Félix Guattari

«  [...] L’erreur ne vient pas de l’autre, le savoir n’est pas donné, le monde n’est pas transparent. Il faut reconnaître ses erreurs, notre ignorance, la fragilité de notre identité, notre inhabileté fatale. Le principe de précaution est le principe d’une liberté sans certitude, principe d’insuffisance de l’individu et du savoir comme produit de son temps et sans que cela empêche le sujet de se rebeller contre le monde qui l’a créé. Cette liberté n’est possible qu’avec le support des institutions (des discours), une sécurité sociale et la puissance du pouvoir politique sans lequel nous courrons à la catastrophe. Il nous faut un pouvoir collectif qui ne soit pas autonome mais réfléchi et produise de l’autonomie. Telle est la question qu’il nous faut résoudre, devant la précarité du mode de subjectivation moderne : produire les conditions de la liberté. » Jean Zin

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> Des figures instauratrices et le rôle de la fiction dans la transmission douce des savoirs
La suite dans les idées,
émission du samedi 13 février 2010
Storytelling avec Yves Citton

> Une ontologie des images
Chaire d’anthropologie de la nature, c
ours au Collège de Frances,
2009
Philippe Descola

> Rencontre autour de la 4e année polaire internationale
L’homme est-il le maître de la nature ?
(1/5)
Avec les interventions de Jean-Claude Etienne, Philippe Descola et Bruno Goffé

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http://www.dailymotion.com/video/x461om A qui appartient la Nature ? Conférence de Philippe Descola. Il existe une pluralité de natures et de façons de les protéger (suite).

Des images [remontages] « écologiques » ?

 Des images [remontages]

« [...] nous reconnaissons dans tous les objets dont nous avons appris à nous servir l’action que nous accomplissons à leur aide, avec la même sureté que leur forme et leur couleur [...] toute nouvelle expérience active entraine de nouvelles attitudes vis-à-vis de nouvelles impressions. De nouvelles connotations d’activité servent alors à créer de nouvelles images actives. » Jacob von Uexküll.

« Ils [les arbres] ne sont qu’une volonté d’expression. Ils n’ont rien de caché pour eux-mêmes, ils ne peuvent garder aucune idée secrète, ils se déploient entièrement, honnêtement, sans restriction [...], ils ne s’occupent qu’à accomplir leur expression : ils se préparent, ils s’ornent, ils attendent qu’on vienne les lire. » Francis Ponge.

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Proposition : la question écologique appelle à un certain type de vision, d’images. « Photo-synthèse » d’une co-perception des choses qui figure, entre, des interactions.

Ces paysages inconnus, pour reprendre la formule de Proust, c’est pouvoir percevoir à la fois l’arbre et la forêt sans que l’un ne masque l’autre. L’arbre est donné à voir comme une configuration d’interactions, dynamiques et singulières appropriée aux conditions de vie de la forêt, celle-ci étant elle-même l’association d’arbres produite par leurs interactions.

L’arbre est producteur de la forêt qui le produit en retour. Comme le souligne Whitehead, pour qu’une interaction soit réelle, il faut en effet à la fois que la nature des choses en relation soit un produit de ces relations, et que les relations de leur côté soient des produits de la nature des choses.

La vision et l’image « écologique » , c’est donc à la fois l’arbre et la forêt, l’individu et la collectivité, le je et le nous qui cohabitent dans une même expression. Sa différence qualitative dans la façon dont nous apparaît le monde, c’est ce [à la fois] dedans-dehors, quand le récit de l’environnementalisme ne nous donnait à voir qu’un jeu de lego mais sans histoire.

D’où la nécessité de faire appel à cette compréhension intuitive qui passe par l’image, lieu de la cohabitation des contraires ou des oppositions apparentes, l’outil au service d’une correction systémique nous dirait Bateson.

« [...] L’art, à une fonction positive, consistant à maintenir ce que j’ai appelé « sagesse », modifier, par exemple, une conception trop projective de la vie, pour la rendre plus systémique [...] La question à poser à propos d’une œuvre d’art devient : quelles sortes de corrections, dans le sens de la sagesse, sont accomplies par celui qui crée ou qui « parcourt» cette œuvre d’art ? » Grégory Bateson, Vers une écologie de l’Esprit.

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image004 dans Des figures, des visages.

Produire une image, c’est capturer, condenser de l’air du temps, plier de ses forces dans un cadre, établir des liaisons entre ces configurations singulières que sont les choses. Circulation, de leur manipulation par les autres membres de l’essaim social, déploiement et recombinaison de ces liaisons « photo-chimiques » qui les brisent, se libèrent de nouveaux potentiels d’énergie disponibles à la production de vie sociale, à ces nouvelles surfaces de contact et d’échange.

L’image écologique, libre de droits, donne à voir le monde comme ensemble en coévolution, toile de la cohabitation des différents rythmes dans la maison terre. Au lieu de voir un seul monde, le nôtre, nous le voyons se multiplier, la formule de l’expression écologique, l’art ou la science de faire cohabiter les rythmes et de multiplier leur perception, les différents rapports que nous sommes capables d’engager avec, nos ressources.  

Ressort ici que son objet consiste à questionner l’émergence, la bonne manipulation comme les effets de l’abondance. Soit une trajectoire à la fois complémentaire et distincte de celle de l’économie, matière dont le discours travaille quant à lui les effets de la rareté.

Si l’économiste isole des objets et raréfie les variables, l’écologiste pratique quant à lui cet art du percevoir à la fois. On quitte l’homo-naturalus exclusif tel que présenté jusqu’ici. Accommodation de son cousin œconomicus duquel découlait une organisation du manque de nature dans l’abondance, une bascule du désir dans la peur de manquer (de l’ours blanc), la dépendance de l’écologie à une non production extérieure au désir, sa production ne passant plus que dans le fantasme (de la marche de l’empereur).

Alors face au pingouin anthropomorphe, à ce bombardement d’images (intraitables – incohabitables) tombées du ciel et qui viennent encombrer les dedans, mimétisme sentimental d’une nature apparente à reproduire, place à une certaine pratique de l’autoproduction dans le (se) donner à voir.

Désynchroniser et resynchroniser les chaînes par l’exercice de la « photo-synthèse ». Se développer au dehors en développant ces innombrables clichés qui nous encombrent, détricotter et retricotter pour en faire des images non exclusives, flottantes et temporaires, qui ne se disent pas à l’avance, qui disent à la fois, et par lesquelles on se branche, on déplie, on tisse comme on casse les chaînes pour se frayer des voies à l’expérience.

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image006 dans Education

A qui appartient la nature ?

Dans la série des empêcheurs d’éco(lo)logiser en rond, la note suivante reprend certains extraits de l’article de Philippe Descola :  » A qui appartient la nature ?  » Ce dernier est disponible dans son intégralité depuis le site de La vie des idées.Il existe une pluralité de natures et de façons de les protéger.

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La politique internationale de protection de l’environnement repose sur une conception très particulière de la nature, qui est née en Europe au siècle des Lumières. Cette conception est loin d’être partagée par tous les peuples de la planète, attachés à d’autres principes cosmologiques. La préservation de la biodiversité ne pourra être pleinement efficace que si elle tient compte de cette pluralité des intelligences de la nature.

http://www.dailymotion.com/video/k1W4Eltj08UOPNtnaC

Sous l’impulsion d’organismes internationaux comme l’UNESCO, l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature, ou l’United Nations Environment Program, les aires protégées au titre de réserves naturelles ont connu une progression considérable durant les trois dernières décennies (…) depuis 1973, leur superficie a été multipliée par quatre. Malgré les disparités de statut entre les aires protégées, et les degrés très variables de protection qu’elles sont de ce fait en mesure d’assurer, ces zones spéciales sont la cause de ce qu’une part non négligeable de la surface terrestre mondiale, approximativement 12 %, peut être considérée actuellement comme une forme de bien public. Toute la question est de savoir à quel public exactement appartient ce bien, et à qui il profite (…)

Deux types de réponses contrastés sont généralement apportés à la première question. On peut d’abord soutenir que la nature n’appartient qu’à elle-même, qu’elle possède une valeur intrinsèque, indépendante de son utilité pour les humains, et qu’il faut donc la protéger en elle-même et pour elle-même. Toutefois cette valeur intrinsèque n’est pas facile à définir et son contenu évolue avec le temps.

Les promoteurs des premiers parcs nationaux aux Etats-Unis voulaient préserver le témoignage des paysages grandioses que la Providence avait confiés à la nation américaine et qui marquaient sa destinée d’un sceau tout particulier. Cette nature-là, la wilderness des Montagnes Rocheuses, des sierras californiennes et des mesas arides du Sud-Ouest, avait de fait une fonction bien précise dans la construction de l’imaginaire national et dans la légitimation de l’expansion de la frontière : donner à voir au plus grand nombre, en particulier grâce à la promotion active et très précoce du tourisme dans les parcs nationaux, le caractère distinctif de la nature américaine et donc du peuple qui avait reçu de Dieu la charge de s’en occuper [2]. On voit que cette nature transformée en auxiliaire de l’idée nationale et en cathédrale de plein air avait bien plus qu’une valeur intrinsèque, même si les créateurs des parcs naturels, nourris pour beaucoup d’entre eux de la lecture de Thoreau, d’Emerson et des philosophes transcendantalistes, avaient le sentiment de la préserver pour elle-même (…)

L’idée d’une véritable valeur intrinsèque concédée à la nature est beaucoup plus récente. Elle prend d’abord la forme de la protection de certains milieux parce qu’ils sont l’habitat d’une espèce menacée dont il convient donc d’assurer la perpétuation. Ce sont souvent à l’origine des espèces animales spectaculaires ou qui attirent la sympathie du fait des capacités de projection symbolique qu’elles offrent (…) Cette idée n’a bien sûr rien de nouveau en Europe ; elle court depuis le Moyen Age dans la théologie naturelle. Le juriste anglais Sir Matthew Hale en résume fort bien les principes lorsqu’il écrit dans la deuxième moitié du XVIIème siècle que l’homme ‘vice-roi de la Création’, a été investi par Dieu du « pouvoir, de l’autorité, du droit, de l’empire, de la charge et du soin (…) de préserver la face de la Terre dans sa beauté, son utilité et sa fécondité » [4]. On notera au passage que ces principes issus d’une lecture providentialiste de la genèse biblique sont tout sauf universels, même si leur généralisation en lieux communs de la politique mondiale de protection de l’environnement tend à faire oublier leur origine chrétienne. On voit aussi qu’il est bien malaisé de ne pas mêler la valeur intrinsèque et la valeur instrumentale de la nature, ainsi que le fait Hale lorsqu’il justifie la nécessité de préserver celle-ci en invoquant aussi bien son utilité que sa fécondité et sa beauté. La beauté peut d’ailleurs être rangée dans les arguments d’intérêt puisque seule l’humanité semble être capable de se délecter du spectacle de la nature, et encore faudrait-il probablement restreindre cette humanité-là aux quelques civilisations seulement qui ont développé une esthétique paysagère, pour l’essentiel en Europe et en Extrême-Orient.

Reste ce que Hale appelle la fécondité. C’est en effet le principe de base de la phase ultime des plaidoyers en faveur d’une protection de la nature pour des raisons intrinsèques. On préfère appeler ça maintenant biodiversité, mais l’idée demeure la même : toutes les espèces naturelles doivent être protégées – et non plus seulement celles auxquelles les humains peuvent s’identifier ou qui sont emblématiques d’un génie du lieu – parce que, toutes ensembles, elles contribuent à la prolifération du plus grand nombre possible de formes de vie. Il s’agit bien là d’une valeur en soi, relevant d’une décision normative, et qui n’a nul besoin d’être justifiée en tant que telle si l’humanité tout entière s’accorde à l’entériner : en matière de culture, la diversité est préférable à la monotonie. C’est une proposition avec laquelle je suis en plein accord et qui procède, comme tout choix éthique fondamental, d’une préférence personnelle en faveur d’une des branches de l’alternative qu’il me paraît inutile, et probablement impossible, d’argumenter.Or, cette part d’arbitraire est rarement reconnue, les partisans du maintien d’un taux optimal de biodiversité s’attachant au contraire à asseoir la légitimité de leur position sur une kyrielle de raisons dont la plupart reviennent au fond à en montrer les avantages pour les humains.

Les plus répandus de ces arguments font valoir que, sur les centaines de milliers d’espèces dont on ne sait encore rien ou très peu de choses, certaines recèlent probablement des molécules qui seront utiles pour soigner ou nourrir les humains ; les protéger constitue donc un bon investissement pour l’avenir.

Une variante plus subtile met en avant le fait que notre faible connaissance des interactions synécologiques au sein des écosystèmes généralisés, c’est-à-dire comportant un très grand nombre d’espèces chacune représentée par un faible nombre d’individus, devrait inciter à la précaution car nous ignorons encore à peu près tout des effets que la perturbation de ces écosystèmes pourraient produire sur le climat, l’hydrologie ou la prolifération d’organismes indésirables.

Les arguments les moins utilitaires, enfin, mettent l’accent sur l’avantage évolutif de la diversité génétique dans l’adaptation des organismes, notamment sexués, à des conditions de vie fort diverses, et donc sur la nécessité de préserver le plus grand nombre possible de formules génomiques incorporées dans des espèces afin d’assurer la perpétuation et la croissance de ce potentiel de vie diversifié qui caractérise notre planète. En apparence complètement désintéressée, cette motivation pour protéger la nature, ici une hypostase de la protection de la vie, repose néanmoins sur une évaluation d’experts parlant au nom et à la place tout à la fois des espèces naturelles, d’une sorte de principe téléologique transcendant et de l’immense communauté d’humains qui, faute de connaissances adéquates, devra croire sur parole cet argumentaire.

A la question ‘à qui appartient la nature ?’ on répond certes dans le cas présent ‘à chacune des espèces qui la constitue’, mais aucune d’entre elles, à l’exception de la nôtre, ne s’étant exprimée sur le sujet, c’est le point de vue de certains de ses membres qui va nécessairement prévaloir. On devrait donc dire que toute morale de la nature est par définition anthropogénique en ce qu’elle exprime nécessairement des valeurs défendues par des humains.

Tournons-nous à présent vers les réponses utilitaristes apportées à la question de savoir à qui appartient la nature (…) en résumé, il faut protéger la nature car elle contient des ressources potentielles inexplorées et que mettre en péril ses équilibres internes aura des conséquences catastrophiques pour les humains. Notons seulement que tant les approches écocentriques que les approches anthropocentriques, du moins telles qu’elles s’expriment dans les organisations internationales et les médias autorisés, présentent en la matière le point de vue de l’universel, supposé mieux défendre les intérêts de l’humanité et de la nature en général que les récriminations utilitaristes censément égoïstes et à courte vue des éleveurs pyrénéens confrontés au retour de l’ours, ou des baleiniers norvégiens face aux quotas (…) il y a des conceptions instrumentales de la nature réputées plus nobles que d’autres parce qu’elles se réfèrent à un bien commun de niveau supérieur, c’est-à-dire englobant les intérêts d’un plus grand nombre d’humains et de non-humains. Faut-il dès lors penser que c’est le nombre des entités concernées qui donne sa légitimité à l’appropriation de la nature ? Plus le maintien d’une ressource – une espèce, un groupe d’espèces ou un écosystème – affectera de façon positive une plus grande quantité d’existants, le terme maximal étant la totalité de la biosphère, moins ceux que ce maintien pénalise se verront fondés à faire valoir leur point de vue.

Nous voilà donc arrivés à la deuxième question : pour qui doit-on protéger la nature ? Les réponses sont bien sûr dépendantes de celles apportées à la première question, mais elles ouvrent aussi vers d’autres problèmes. La réponse la plus communément fournie, on l’a vu, est que la nature doit être protégée comme un bien commun mondial, c’est-à-dire au plus haut degré de généralité possible : la préservation d’une espèce ne se fait pas, en principe, au seul bénéfice de cette espèce, mais en tant que celle-ci contribue à la biodiversité générale ; la préservation d’un milieu ne se fait pas, en principe, au seul bénéfice des espèces qui l’occupent, mais en tant que celui-ci contribue à la diversité générale des écosystèmes ; la préservation de la biodiversité terrestre ne se fait pas, en principe, au seul bénéfice des espèces qui la composent et de l’humanité qui pourrait en tirer parti, mais en tant qu’elle contribue au foisonnement de la vie dont notre planète offre pour le moment un témoignage unique.

Les peuples autochtones vivant dans des milieux déclarés menacés ont bien compris la logique de cette prééminence de l’intérêt universel sur les intérêts locaux et comment ils pouvaient en tirer parti. En conséquence, ils ont commencé à se présenter comme des gardiens de la nature – notion abstraite inexistante dans leurs langues et leurs cultures – à qui la communauté internationale devrait confier la mission de veiller à leur échelle sur des environnements dont on mesure chaque jour un peu plus qu’ils les ont façonnés par leurs pratiques. Outre que cette revendication est une bonne façon de se prémunir contre les spoliations territoriales, elle entérine donc le fait que les feux de brousse des Aborigènes australiens, l’horticulture d’essartage en Amazonie et en Asie du Sud-Est ou le pastoralisme nomade au delà du cercle polaire ont profondément transformé la structure phytosociologique et la distribution des populations animales dans des écosystèmes en apparence vierge de toute transformation humaine. Cela dit, toutes les populations locales ne sont pas prêtes à brandir des valeurs universelles de façon à conserver une marge d’autonomie sur les portions de nature dont elles tirent leur subsistance. Si l’on en juge par ce qui se passe dans les Alpes avec le loup, dans les Pyrénées avec l’ours ou dans le Bordelais avec les palombes, ce serait même le contraire qui serait la norme en France : la revendication de particularismes locaux comme façon d’échapper à la tyrannie de l’universel.

Ne faudrait-il pas alors réformer nos principes les plus généraux pour prendre acte de ce qu’il existe une pluralité de natures et de façons de les protéger, pour ne pas imposer l’abstraction du bien public à ceux qui ont d’autres manières de composer des mondes communs, pour ne pas faire trop violence à tous ces peuples qui ont produit au fil du temps toutes ces natures particulières ? Car si l’on accepte l’idée que la philosophie des Lumières – pour considérable qu’ait pu être son rôle dans la promotion de la dignité humaine et l’émancipation des peuples – n’est qu’une façon parmi d’autres de poser les principes d’un vivre ensemble acceptable, alors il faut aussi admettre qu’il n’existe pas de critères absolus et scientifiquement fondés à partir desquels pourraient être justifiées des valeurs universellement reconnues dans le domaine de la préservation des biens naturels et culturels. Cela ne signifie pas que des valeurs maintenant acceptables par le plus grand nombre ne pourraient être décrétées par un acte normatif : le droit à vivre dans la dignité et sans renier sa langue, le droit à l’exercice du libre-arbitre dans la délibération sur l’intérêt public ou le droit à vivre dans un environnement sain sont très probablement des exigences que la plupart des humains pourraient défendre. Mais de telles valeurs ne sont pas intrinsèquement attachées à l’état d’humanité ; leur universalité devrait résulter d’un débat et d’un compromis, c’est-à-dire d’une décision commune dont il est douteux qu’elle puisse être obtenue de façon collective vu l’impossibilité de représenter avec équité la myriade des points de vue différents qui seraient en droit de s’exprimer sur ces questions [5].

La question se complique encore du fait que les valeurs sur lesquelles s’appuie la politique internationale de protection de la nature sont indissociables d’une cosmologie très particulière qui a émergé et s’est stabilisée en Europe au cours des derniers siècles, une cosmologie que j’ai appelée naturaliste et qui n’est pas encore partagée par tous les peuples de la planète, loin de là. Car le naturalisme n’est qu’une façon parmi d’autres d’organiser le monde, c’est-à-dire d’opérer des identifications en distribuant des qualités aux existants à partir des diverses possibilités d’imputer à un autre indéterminé une physicalité et une intériorité analogues ou dissemblables à celles dont tout humain fait l’expérience. De sorte que l’identification peut se décliner en quatre formules ontologiques :

- soit la plupart des existants sont réputés avoir une intériorité semblable tout en se distinguant par leurs corps, et c’est l’animisme – présent parmi les peuples d’Amazonie, du nord de l’Amérique du Nord, de Sibérie septentrionale et de certaines parties de l’Asie du sud-est et de la Mélanésie ;

- soit les humains sont seuls à posséder le privilège de l’intériorité tout en se rattachant au continuum des non-humains par leurs caractéristiques matérielles, et c’est le naturalisme – l’Europe à partir de l’âge classique ;

- soit certains humains et non-humains partagent, à l’intérieur d’une classe nommée, les mêmes propriétés physiques et morales issues d’un prototype, tout en se distinguant en bloc d’autres classes du même type, et c’est le totémisme – au premier chef l’Australie des Aborigènes ;

- soit tous les éléments du monde se différencient les uns des autres sur le plan ontologique, raison pour laquelle il convient de trouver entre eux des correspondances stables, et c’est l’analogisme – la Chine, l’Europe de la Renaissance, l’Afrique de l’Ouest, les peuples indigènes des Andes et de Méso-Amérique [6].

[Voir l’article lié concernant les éléments de classification des formes d’écologie symbolique]

http://www.dailymotion.com/video/kCVKFYOpqxZhwIto3X

Or, l’universalisme moderne est directement issu de l’ontologie naturaliste en ce qu’il part du principe que, derrière le fatras des particularismes que l’Homme ne cesse d’engendrer, il existe un champ de réalités aux régularités rassurantes, connaissables par des méthodes éprouvées, et réductibles à des lois immanentes dont la véridicité ne saurait être entachée par leur processus de découverte. Bref, le relativisme culturel n’est tolérable, et même intéressant à étudier, qu’en tant qu’il se détache sur le fond massif d’un universalisme naturel où les esprits en quête de vérité peuvent chercher secours et consolation. Les mœurs, les coutumes, les morales varient, mais les mécanismes de la chimie du carbone, de la gravitation et de l’ADN sont identiques pour tous.

L’universalisme des institutions internationales mettant en œuvre les politiques de protection de la nature est issu d’une extension au domaine des valeurs humaines de ces principes généraux appliqués à l’origine au seul monde matériel. Il repose en particulier sur l’idée que les modernes seraient les seuls à s’être ouvert un accès privilégié à l’intelligence vraie de la nature dont les autres cultures n’auraient que des représentations – approximatives mais dignes d’intérêt pour les esprits charitables, fausses et pernicieuses par leur pouvoir de contagion pour les positivistes. Ce régime épistémologique, que Bruno Latour appelle ‘l’universalisme particulier’ [7], implique donc nécessairement que les principes de protection de la nature issus du développement des sciences positives soient imposés à tous les non-modernes qui n’ont pas pu acquérir une claire appréhension de leur nécessité faute d’avoir suivi la même trajectoire que la nôtre, faute en particulier d’avoir pu imaginer que la nature existait comme une sphère indépendante des humains. Vous viviez jadis en symbiose avec la nature, dit-on aux Indiens d’Amazonie, mais maintenant que vous avez des tronçonneuses, il faut que l’on vous enseigne à ne plus toucher à vos forêts devenues patrimoine mondial du fait de leur taux élevé de biodiversité.

Comment faire pour que cet universalisme-là devienne un peu moins impérial, sans pour autant renoncer à la protection de la biodiversité comme un moyen de conserver au monde son magnifique chatoiement ? Une voie possible dont j’ai commencé ailleurs à explorer les détours, serait ce que l’on pourrait appeler un universalisme relatif, l’adjectif ‘relatif’ étant ici entendu au sens qu’il a dans ‘pronom relatif’, c’est-à-dire se rapportant à une relation.

L’universalisme relatif ne part pas de la nature et des cultures, des substances et des esprits, des discriminations entre qualités premières et qualités secondes, mais des relations de continuité et de discontinuité, d’identité et de différence, de ressemblance et de dissimilitude que les humains établissent partout entre les existants au moyen des outils hérités de leur phylogenèse : un corps, une intentionnalité, une aptitude à percevoir des écarts distinctifs, la capacité de nouer avec un autrui quelconque des rapports d’attachement ou d’antagonisme, de domination ou de dépendance, d’échange ou d’appropriation, de subjectivation ou d’objectivation. L’universalisme relatif n’exige pas que soient données au préalable une matérialité égale pour tous et des significations contingentes, il lui suffit de reconnaître la saillance du discontinu, dans les choses comme dans les mécanismes de leur appréhension, et d’admettre qu’il existe un nombre réduit de formules pour en tirer parti, soit en ratifiant une discontinuité phénoménale, soit en l’invalidant dans une continuité.

Mais si l’universalisme relatif est susceptible de déboucher sur une éthique, c’est-à-dire sur des règles d’usage du monde auxquelles chacun pourrait souscrire sans faire violence aux valeurs dans lesquelles il a été élevé, cette éthique reste encore à construire pierre par pierre, ou plutôt relation par relation.

La tâche n’est pourtant pas impossible. Elle exige de dresser un inventaire des relations entre humains, comme entre ceux-ci et les non-humains, et de s’accorder pour bannir celles qui susciteraient un opprobre général. On imagine aisément que les formes les plus extrêmes de rapports inégalitaires rentreraient dans cette dernière catégorie : par exemple, l’annihilation gratuite de la vie, la chosification des êtres doués de facultés sensibles ou l’uniformisation des habitudes de vie et des comportements. Et comme, du fait du consensus nécessaire pour aboutir à la sélection des relations retenues, aucune de celles-ci ne pourrait être dite supérieure à une autre, alors les valeurs attachées à des pratiques, des savoirs ou des sites singuliers pourraient s’appuyer sur les relations qu’ils mettent en évidence dans le contexte particulier de leurs usages, sans tomber pour autant dans des justifications contingentes ou fondées sur des calculs immédiats d’intérêts.

Par exemple, et pour revenir à la question de la protection de la nature, là où des humains considèrent comme normal et souhaitable d’entretenir des relations intersubjectives avec des non-humains, il serait envisageable de légitimer la protection d’un environnement particulier, non par ses caractéristiques écosystémiques intrinsèques, mais par le fait que les animaux y sont traités par les populations locales comme des personnes – généralement chassées, du reste, mais en respectant des précautions rituelles. On aurait donc une catégorie d’espaces protégés qui fonctionnerait pour l’essentiel en ‘régime animiste’ – en Amazonie, au Canada, en Sibérie ou dans la forêt malaise – sans que cela n’empêche d’y adjoindre aussi des justifications fondées sur des relations de type naturaliste – la maximisation de la biodiversité ou la capture du carbone, par exemple – pour autant que les relations du deuxième type, c’est-à-dire portées par des acteurs lointains, n’aillent pas trop à l’encontre des conditions d’exercice des relations mises en œuvre par les acteurs locaux. On voit sans peine que les relations permettant de légitimer la patrimonialisation de sites comme le Mont Saint-Michel ou les rizières en terrasses du nord de Luzon seraient tout autres : non plus la présence de non-humains traités comme des sujets, mais l’objectivation d’un projet de connexion entre le macrocosme et le microcosme dont seules les civilisations analogiques, où qu’elles se soient développées, ont pu laisser des traces.

Il y a beaucoup d’utopie là-dedans, dira-t-on ; sans doute, si l’on prend utopie dans le bon sens : comme une multiplicité d’avenirs virtuels frayant la possibilité d’une issue qui n’avait pas été envisagée auparavant.

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Notes

[1] P. Nabokov et L. Loendorf, Restoring a Presence : American Indians and Yellowstone National Park, Norman, University of Oklahoma Press, 2004

[2] Sur ce sujet, les analyses de R. Nash, Wilderness and the American Mind, New Haven, Yale University press, 1973 demeurent irremplaçables.

[3] La première partie de la thèse d’Adel Selmi, bientôt à paraître sous forme d’ouvrage séparé, constitue une précieuse histoire de la politique française de création de parc naturels dans l’empire (Le Parc National de la Vanoise. Administration de la nature et savoirs liés à la diversité biologique, 756 pages, thèse de l’EHESS) ; pour le cas de l’Indochine, voir F. Thomas, Histoire du régime et des services forestiers en Indochine française de 1862 à 1945. Sociologie des sciences et des pratiques scientifiques coloniales en forêts tropicales, Hanoi, Editions Thê Gioi, 1999.

[4] Sir Matthew Hale, The Primitive Origination of Mankind, Londres, 1677, p. 370, cité par C. Glacken, J., Traces on the Rhodian Shore. Nature and Culture in Western Thought from Ancien Times to the End of the Eighteenth Century, Berkeley, University of California Press, 1967 p. 481.

[5] Sur ce thème, voir les interventions réunies dans B. Latour et P. Gagliardi (sous la direction de), Les atmosphères de la politique. Dialogue pour un monde commun, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond, 2006.

[6] Pour un développement plus complet, voir Ph. Descola, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005.

[7] B. Latour, Nous n’avons jamais été modernes. Essai d’anthropologie symétrique, Paris, La Découverte, 1991, p. 142.

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> Autrement :

Points … hors la vue

Miro

[ Un environnement ? Une configuration dynamique, un organe sensoriel décentralisé: un modèle de danse qui capture d’autres modèles de danse. ] Gregory Bateson

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http://www.dailymotion.com/video/k3urLHLoGI73X0zTgG De l’art et de la science, ou des interférences. Jean Claude Ameisen.

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On me dit, très cher monsieur, vous mélangez tout sur ce blog.
L’écologie n’est sûrement pas ceci, mais sûrement cela.
Vous ne pouvez donc pas sérieusement écrire ceci autrement que comme cela : l’écologie est une science qui, tel le cosmonaute, entend piloter les choses du vivant, transferts des matières et des énergies, d’en haut.

Ceci ou cela répondons que notre récit du monde est simplement moniste, et qu’ainsi écologie des corps et des idées forment deux aspects parallèles d’une seule et même question « écologique ». Deux versants d’un même fait, où pour l’articuler autrement à la manière d’un Bateson : « Nos idées sont immanentes dans un réseau de voies causales (système d’information) dont les limites ne coïncident ni avec celles du corps, ni avec celles de ce qu’on appelle communément soi ou conscience. »

Et après tout, pour le dire plus simplement, l’écologie est une pile de savoirs constituée du jeu des idées que nous nous faisons du monde, celles-ci exprimant bien plus une certaine perspective sur ce dernier, perspective née de l’histoire de nos rencontres avec, que les propriétés de ce monde. Parler d’écologie, c’est donc avant tout parler de celui qui en parle, sous la forme d’idées comme d’images, à savoir l’homme. De l’étude de la Nature, il ne peut tirer avant toute chose qu’une connaissance de sa propre nature.
Nous disons perspective car l’écologie plus qu’une science est avant tout une certaine manière de percevoir le monde. De le plier dans une représentation proprement écologique, des plis correspondant à certaines relations d’un type nouveau (rétroactions, coévolution, …).
A cette manière de voir correspond un mode d’existence, c’est à dire l’art de vivre en rapport avec cette représentation. Coprésence au monde et à soi, coévolution des rapports entre le monde et soi.

Perspective écologique dont nous essayons très maladroitement d’explorer ici quelques uns des contours, faute d’être satisfait par les propositions actuelles et les usages qui en découlent.
Les propositions actuelles, quelles sont-elles au fond ? Dualisme, happy triolisme, transcendance new age, sado anthropomorphisme, psychanalyse du pingouin et culte des manchots qui ne transforment pas le monde à coup de marteau ? Etc, etc, soit grosso-modo l’asile d’une flopée de superstitions savamment réactualisées dans les habits d’une nouvelle morale naturée. Morale qui, parlant au nom de la terre mère à la manière d’un coucou, colonisent le nid d’une science encore à venir pour en chasser les petits Fourrier.

Faire des arbres des puits à carbone à produire sur un même mode que celui des automobiles n’en est qu’un exemple assez facile. Ici l’absence de perspective nouvelle excuse de facto celle du projet pédagogique. On gère le carbone comme l’aluminium dans une même équation. Un des termes change, mais pas la nature des relations. Il en va de même de l’absence des singularités dans les discours. Pourtant, ceux-ci ne manquent pas de nous ceci, nous cela. 
En retour ? Toujours aussi peu d’autonomie dans le possible, et des grilles qui pleuvent sur des diagrammes qui s’assèchent. Mais quelle représentation du monde, quels hommes dedans, quels modes d’accès à la connaissance ? Des utilisations et captures individuelles aux sociabilités et ainsi de suite, nous ne repensons le monde que bien peu aujourd’hui. Question de vitesse, question de savoir plier (dans la complexité) plus que d’extraire également.
Mais quelles ontologie, anthropologieépistémologie et tous ces gros mots réunis pour l’agir écologique ? Celui-ci bénéficie-t-il d’un laisser-passer à ces endroits, ou bien l’homo ecologicus n’est-il finalement qu’un reflet inversé de l’œconomicus ? 

Miro

Filet à papillons et surface d’inscription, de nôtre petit côté, tâtonnant au fil des rencontres, insatisfait des représentations communément proposées au recyclage, et ne cherchant pas à séparer la question écologique de celle du bonheur humain (en tant que celui s’articule également autour des modalités sociales de cohabitation des joies individuelles dans les usages que nous faisons du monde des choses bien qu’habitant celui des hommes), nous avons ainsi pu capturer ici et là quelques fragments de code.

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http://www.dailymotion.com/video/k657hrwUlxdosMOROk Perspective esthétique et micropolitiques désirantes, Félix Guattari: « L’écologie est un grand tournant, à condition que cette écologie soit mariée à la dimension sociale et économique, avec toute forme d’altérité, pour former une idéologie douce, qui fasse sa place aux nouvelles connaissances. »

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Alors on touche et on expérimente là dedans des bidouillages partiels qui n’appellent qu’à leurs propres transformations, pour peut-être certains usages dans des ailleurs.
On tourne, on tourne autour. On se répète dans un mouvement centrifuge qui peut-être un jour fera apparaître une nouvelle poterie, par expulsion sélective des trops perçus.
En attendant, petite tentative de synthèse très incomplète et dans le désordre. 

arrow La perspective écologique, l’art des agencements ou des frontières mobiles. L’individu est une configuration singulière qui ne prend forme qu’en rapport à d’autres configurations singulières, lesquelles ne se comprennent que dans un contexte très dynamique.
L’homme, sous-système de systèmes, ne compose toujours qu’un arc dans un circuit plus grand qui toujours le comprend lui et son environnement (l’homme et l’ordinateur, l’homme et la canne…). Gregory Bateson : « L’unité autocorrective qui transmet l’information ou qui, comme on dit, pense, agit et décide, est un système dont les limites ne coïncident ni avec celles du corps, ni avec celles de ce qu’on appelle communément soi ou conscience ». Alors de quoi je suis capable (mode d’existence) dans tel agencement, dans tel circuit ? Comment je m’insère dans ces réseaux de réseaux ? Soit la compréhension des différents circuits dans lesquels s’insère et racine l’âme humaine.
Comme ces relations et compositions sont plus ou moins inaccessibles à notre mode de pensé actuel (linéaire et séquentiel), notre hypothèse est bien que l’art en est l’une des principale portes d’entrée.
Coévolution, interaction, rétroaction, etc., autant de concepts issus de la systémique et qui forment aujourd’hui les bases de la pensée écologique scientifique. L’approche écosystémique est donc une façon de percevoir à la fois l’arbre et la forêt, sans que l’un ne masque l’autre. L’arbre est perçu comme une configuration d’interactions appropriée aux conditions de vie de la forêt, elle-même association d’arbres dont les interactions produisent leur propre niche écologique individuelle.
Tout système peut se représenter comme une différenciation interne entretenue par un flux énergétique (matière, information) externe qui le traverse. Ce flux détermine donc un intérieur différencié et un extérieur qu’on appelle environnement. C’est-à-dire un système plus ouvert à la circulation des flux et qui assure la régulation de l’ensemble. Tout système est donc relié à un environnement (à un autre système plus ouvert), à une écologie (à des relations entre systèmes). 
Nous ne pouvons donc pas donner à comprendre clairement l’écologie par des approches pédagogiques classiques, linéaires et exclusives.
Le projet de l’œuvre d’art est un projet intégrateur qui rencontre précisément cet objectif de la pensée écologique. Comme le disait Nietzsche, le corps dansant a le pouvoir d’unir les contraires et « nous avons l’art, afin de ne pas mourir de la vérité ». Une vérité entendue au sens d’un mode de pensée qui préfigure des frontières fixes (individu/collectivité, artificiel/naturel…), et épuise le réel à l’avance.

« La monstrueuse pathologie atomiste que l’on rencontre aux niveaux individuel, familial, national et international – la pathologie du mode de pensée erroné dans lequel nous vivons tous – ne pourra être corrigée, en fin de compte, que par l’extraordinaire découverte des relations qui font la beauté de la nature. » Gregory Bateson. 

Aujourd’hui, l’individu cherche à combiner et expérimenter les approches de toute nature dont il a les « échos » permanents dans la société informationnelle au sein de laquelle il pousse (scientifiques, industrielles, médiatiques, artistiques…). Mais sa conscience n’est qu’une petite partie systématiquement sélectionnée et aboutit à une image déformée d’un ensemble plus vaste, le réel. Gregory Bateson : « La vie dépend de circuits de contingences entrelacés, alors que la conscience ne peut mettre en évidence que tels petits arcs de tels circuits que l’engrenage des buts humains peut manœuvrer. » Ignorant ces circuits plus vastes, l’individu sample des entités à partir d’un mode de pensée atomiste. Le poulet en batterie est un sample du poulet naturel. C’est-à-dire une entité extraite de son environnement (circuit initial), tout comme on extrait un son d’un ensemble musical. Le sample n’a évidement plus les mêmes capacités que l’original dans son contexte, mais à en rester à la forme on dira que c’est toujours un poulet et on pourra le multiplier à l’infini (copier/coller…).
Dans un monde complexe, il ne s’agit plus de chercher à dénouer ou extraire, mais bien à nouer. L’ensemble de l’esprit est un « réseau cybernétique intégré » de propositions, d’images, de processus etc. etc…., la conscience, un échantillon des différentes parties et régions de ce réseau. Gregory Bateson : « si l’on coupe la conscience, ce qui apparaît ce sont des arcs de circuits, non des pas des circuits complet, ni des circuits de circuits encore plus vaste. ». Ainsi plier le papier, notre conscience, pour en rapprocher les bords.

arrow L’écologie, en tant que concept intégrateur, celle-ci vise à la cohabitation des perspectives et usages du monde, du poétique au productif, et s’occupe donc de la gestion du multiple bien plus que de la rareté. Le multiple étant ici entendu au sens d’une multitude de désirs singuliers, non comme des collectifs institutionnels ou des classifications.

arrow L’homme coévolue avec le naturel comme l’artificiel, cette distinction n’étant le fruit que d’une perception limité (prélèvement). Cette proposition pourrait également s’entendre comme suit : l’homme habite techniquement la nature et naturellement la technique sur un seul et même plan d’immanence qui est un plan de composition (un modèle de danse qui capture d’autres modèles de danse). Rencontre à ce stade avec Michel Puech, comme avec le Deleuze du petit texte intitulé  » Spinoza et nous  ».

Gilles Deleuze : « L’artifice fait complètement-partie de la Nature, puisque toute chose, sur le plan immanent de la Nature, se définit par des agencements de mouvements et d’affects dans lesquels elle entre, que ces agencements soient artificiels ou naturels [...] une composition des vitesses et des lenteurs, des pouvoirs d’affecter et d’être affecté sur ce plan d’immanence. Voilà pourquoi Spinoza lance de véritables cris : vous ne savez pas ce dont vous êtes capables, en bon et en mauvais, vous ne savez pas d’avance ce que peut un corps ou une âme, dans telle rencontre, dans tel agencement, dans telle combinaison. »

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http://www.dailymotion.com/video/k3nS3J7O5wL1n2NBjR Michel Puech sur France Culture : « l’homme habite techniquement la nature et naturellement la technique ».

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arrow L’actuelle mise en réseau du monde implique un certain devenir végétal, à un certain niveau de nos stratégies organisationnelles : gestion du temps et occupation de l’espace en premier lieu, mais également à une plus grande fluidité des sujets, psychologique, voire même aujourd’hui génétique.
Car mise en réseau, c’est-à-dire modification des rapports des vitesses et des lenteurs de chacun, des modes d’individuations et d’affectation des corps sur ce même plan d’immanence, avec pour conséquence une croissance des surfaces d’échange et l’émergence de nouveaux collectifs fluides respectant les singularités. Soit de nouvelles sociabilités.
Dans la mesure où plus aucun des territoires de la planète ne porte pas une trace de moi-même (les mêmes pesticides dans les glaces polaires et dans mes testicules…), pulsion de fuite et mouvement perdent de leur intérêt stratégique. Dès lors, en pensant le rapport animal et végétal sur la base de stratégies de captation de l’énergie différenciées, l’une en mouvement, l’autre non, peut-on imaginer que le développement des humains adopte un modèle plus végétal ? Un mode où à l’image de la plante pour la lumière et l’eau, l’individu étendrait en surface ses capteurs d’information dans le réseau sociétal, à la recherche de sens composites (informations, énergie).
En contrepoint, il délaisserait la construction de son intériorité au profit d’un nouveau type de croissance : en extérieure, en surface, par réitération et redondance, en multipliant les chemins de circulation de l’information. Parallèlement, ce dernier ne pourrait plus se satisfaire du substrat traditionnel des connaissances : analytique, linéaire et séquentielle.
Rencontre ici avec Francis Hallé et Raphaël Bessis autour de la question de l’homme coloniaire.

arrow L’homme « photo-synthétiseur » est un producteur primaire (plus ou moins autonome, plus ou moins affirmatif) d’images à dédoubler, articuler et recycler collectivement dans des récits du monde. Littérature, poésie ou toute la question du rôle de l’art dans dans l’éducation, les fonctions de contrôle et de sagesse au sens d’un Bateson, la présence au monde d’un Thoreau.

« [...] L’art, à une fonction positive, consistant à maintenir ce que j’ai appelé « sagesse », modifier, par exemple, une conception trop projective de la vie, pour la rendre plus systémique [...] ce que la conscience non assistée (par l’art, les rêves, la religion…) ne peut jamais apprécier, c’est la nature systémique de l’esprit. » Grégory Bateson

Rencontre ici avec l’accès à la connaissance des devenirs du monde sur un mode cinématographique, Bergson (le cinéma fait voir le mouvement, les rapports de mouvement, les interactions qui passent – jaillissent - entre les choses).

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http://www.dailymotion.com/video/k5a8Z8wuAyBpnBM0Mg Bergson, image cinématographique, et appréhention de l’abondance des devenirs du monde.

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arrow Penser la diversité ne requière pas que les choses aient une valeur en elles-mêmes. L’attribution d’une valeur esthétique, d’un usage, etc, est avant tout fonction du déploiement d’un désir singulier. Ce n’est pas parce que cette chose est aimable que je l’aime, c’est parce que je l’aime que cette chose est aimable.
Ce que la diversité mets ainsi en jeu, ce sont donc des potentiels de liaison et de  déliaison dans le tissu du monde, ces agencements mobiles permettant des gains de puissance dans une communauté faite de multiples systèmes en coévolution. L’extinction d’un individu singulier est en ce sens la perte pour tous les autres d’une liaison, d’un mode de connexion possible, d’un modèle ou mouvement de danse dans lequel peut se glisser un moi. Soit une perte en conjugaison ou en grammaire du monde. Toujours Spinoza, toujours Deleuze et un zest de Misrahi aux commentaires.

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http://www.dailymotion.com/video/k5q5KaPOMSGW7arBNA Gilles Deleuze sur l’Ethique de Spinoza, lecture de « Spinoza et nous »

http://www.dailymotion.com/video/k6dBvXQ94T6qvyymWu Bodiversité, tissu du vivant et pouvoir de transformation (Elias Canetti)

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Pour décliner tout cela plus concrètement, d’un point de vu politique et quotidien, se pose donc la question de l’accès pour le plus grand nombre aux territoires, à ses flux de matières et d’informations avec lesquels il est nécessaire ou possible qu’ils se combinent pour devenir humain (l’eau, l’air, etc.) et plus encore (l’information, l’éducation, les surfaces d’écriture et de lecture que sont les arbres, les paysages, l’éthologie animale, etc.).

Mais une fois dit cela, constatons que nous n’avons rien inventé de bien nouveau. Tout juste actualisé quelques très vieilles questions : occupation des territoires, rémunération des équivalents travaux de chacun, etc. 
A ceci près, outre le cheminement personnel qui nous amène à réinterroger ces questions sous tel ou tel angle d’incidence, à ceci près donc que le capital énergétique d’un individu humain, c’est à dire son pouvoir de transformation mécanique du monde, est à présent à un niveau sans doute jamais atteint par l’espèce. On pourrait peut-être d’ailleurs imaginer qu’il en va de l’inverse quant à son pouvoir de transformation psychique.
A ceci près toujours que l’heure est à la maîtrise de notre propre maîtrise ou puissance, grâce aux connaissances aujourd’hui acquises sur les rapports entre les flux : cycles, transferts, conditions de reproduction des matières et des énergies.

Modification des vitesses et réactualisation des liens, tout cela nous ramène d’une certaine manière à la question éthique telle que posée par Spinoza : comment rendre désirables ou « activer » ces connaissances nouvelles, comment articuler autonomie individuelle et communauté de raisonnable ?

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http://www.dailymotion.com/video/k4BHxtdZ4qyPkhTwrz Robert Misrahi sur Spinoza. De la recherche de l’autonomie au « Rien n’est plus utile à l’homme qu’un autre homme vivant sous la conduite de la raison »

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Matisse

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