Archive pour la Catégorie 'Des figures, des visages.'

Hachiche silencieux

 Delacroix-Baudelaire

« J’affirme que si vous voulez parler de choses vivantes, non seulement en tant que biologiste académique mais à titre personnel, pour vous-même, créature vivante parmi les créatures vivantes, il est indiqué d’utiliser un langage isomorphe au langage grâce auquel les créatures vivantes elles-mêmes sont organisées – un langage qui est en phase avec le langage du monde biologique ». Gregory Bateson

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Contradictions dans la sensibilisation

S’adresser à la raison de l’individu cartésien pour lui démontrer les méfaits de cette même raison sur le bon état de conservation de la planète … ou mobiliser les affects passions d’un corps spinoziste – seul un affect peut dépasser un autre affect. Guider les puissances d’agir, l’art de transformer la connaissance (générique) en affect. 


(Capitalisme, désir et servitude - avec Frederic Lordon
La suite dans les idées - France Culture – 02/10/2010)


(
Capitalisme, désir et servitude - avec Frederic Lordon - La suite dans les idées – France Culture – 02/10/2010)


(L’autre Spinoza 2/5 : La décision de Soi - avec Pascal Séverac - Les nouveaux chemins de la connaissance – France Culture – 04/01/2011)

Principe d’attention, dealer de ce hachiche là

Principe d’attention, ouvrir à des vacuoles de silence, dealer de ce hachiche là. Transformer la connaissance en affect, l’art des correspondances. 

http://www.dailymotion.com/video/xfgasf (Baudelaire et « la confiture verte » – avec Jacques Darriulat - Les Nouveaux chemins de la connaissance -  France Culture - 09.09.2010 (:) La voix de Gilles Deleuze en ligne – Cours Cinéma du 04/05/82)

http://www.dailymotion.com/video/x5dudn (Monde des choses et invention – avec Michel Serresconférence université Lyon 2)

Des correspondants …

Transformer la connaissance en affect, des noeuds-passeurs dans le réseaux des correspondances, des occasions d’actions. 

Ici … Sur les épaules de DarwinJean-Claude Ameisen - France Inter : Biodiversite - Mort cellulaire et sculpture du vivant (1) et (2) … et là …

http://www.dailymotion.com/video/xf2unq (Eco-dialogues du Vigan, avec Francis Halle)

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 Hachiche silencieux dans Art et ecologie whatsoniconpodcasts20100901Renconres sonores …

- Droit et politique
* Tout préjudice à l’environnement est-il « compensable »?
Le Bien commun – France Culture –  23.10.2010
* Le catastrophisme, maladie infantile de l’écologie politique
Les Controverses du progrès – France Culture –
29.10.2010
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Un droit d’ingérence écologique est il souhaitable ?
Le Champ des possibles – France Culture –
08.10.2010
- Climat
* Le changement climatique sur Planète terre (2007-2010) 
Planète terre – France Culture – 2007/2009
* Controverses climatiques
Continent Sciences – France Culture – 25.10.2010
* Forêt et climat : liaisons dangereuses ?
Planète terre – France Culture – 06.10.2010 
(rapport FAOsituation des forêts dans le monde 2009)

D’une messe à l’autre (?)

 D'une messe à l'autre (?) dans Des figures, des visages. arbre3b0404

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« […] Nous devons penser la philosophie comme une force. Or la loi des forces est qu’elles ne peuvent apparaître, sans se couvrir du masque des forces préexistante.[…] Il a bien fallu que la force philosophique, au moment où elle naissait en Grèce, se déguisât pour survivre. Il a fallu que le philosophe empruntât l’allure des forces précédentes, qu’il prît le masque du prêtre […] Le secret de la philosophie, parce qu’il est perdu dès l’origine, reste à découvrir dans l’avenir […] Il était donc fatal que la philosophie ne se développât dans l’histoire qu’en dégénérant, et en se retournant contre soi, en se laissant prendre à son masque […]  » Nietzsche, Gilles Deleuze, PUF.

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« [Dieu a dit à Adam et à Eve :] Soyez féconds et multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-là ; ayez autorité sur les poissons de la mer et sur les oiseaux des cieux, sur tout ce qui est vivant et qui remue sur la terre » Genèse, 1-28.

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Le Carême, antidote au réchauffement climatique …

Source : liberation.fr … Deux des plus importants évêques de l’Eglise anglicane ont appelé hier les Britanniques à profiter du carême pour limiter leur consommation de dioxyde de carbone, et pas seulement de chocolats. Les participants à ce « jeûne de carbone » peuvent choisir leur manière de réduire leur consommation. « Par exemple, le premier jour, les gens peuvent retirer une ampoule électrique d’une lampe. Chaque fois qu’ils voudront allumer la lumière et que ça ne marchera pas, ils se rappelleront pourquoi ils font ce jeûne – pour aider les pauvres du monde, déjà victimes du réchauffement », a noté l’ONG Tearfund, associée à l’opération. « A la fin du jeûne, ils pourront mettre à la place une ampoule à basse consommation. »

Source : tearfund.org … Join Tearfund for the Carbon Fast this Lent – fast from carbon, pray and cry out for climate justice. 
To act justly and to love mercy and to walk humbly with your God. (Micah 6:8) What does the Lord require of you? Climate change is hitting the world’s poorest people now. They’ve done the least to cause climate change, but feel the heat the most. Increased floods, droughts and storms are devastating lives as food, homes and livelihoods are washed away. It’s difficult to see how our energy-hungry lifestyles cause suffering for people around the world we may never meet, but the Lord invites us to walk humbly. Join us to act justly in the face of climate change: fast from carbon, pray and cry out for climate justice.
Rt Revd James Jones, the Bishop of Liverpool : ‘Instead of giving up chocolate for Lent, why not fast for justice? The Carbon Fast makes us think about how we’re treating God’s world; the savings go to the Climate Justice Fund to help those suffering from the effects of climate change.’ 

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Peut-on débattre du réchauffement climatique ?

Du grain à moudre, France Culture, émission du mardi 19 janvier 2010 
L’utilisation par l’homme des combustibles fossiles (charbon, pétrole et gaz) est-il ou non à l’origine d’une émission de CO² susceptible de provoquer un réchauffement de la planète ? Ce réchauffement est-il avéré ? Si oui, est-il comparable aux alternances de réchauffement et de refroidissement que notre planète a déjà connues dans le passé ? C’est pour tenter de donner des réponses à ces questions qu’a été créé, en 1989, sous l’égide de l’ONU, le GIEC. Celui-ci a rendu 4 rapports, très techniques et très volumineux, vous et moi, ne prenons connaissance qu’à travers les compte-rendus de journalistes plus ou moins compétents. Le grand public, lui, est davantage affecté par les films qui, comme « Une vérité qui dérange » d’Al Gore ou « Home » de Yann Arthus-Bertrand, entretiennent un climat de peur sur l’avenir de la planète.
Les conclusions du GIEC sont adoptées à l’unanimité et ne devraient donc pas susciter de controverses. Et pourtant, ses travaux font l’objet de critiques plus ou moins vigoureuses, plus ou moins radicales, selon les cas. On se souvient de celles de Marcel Leroux, le feu directeur du Laboratoire de Climatologie du CNRS, qui soulignait que les précédentes périodes de réchauffement qu’avait connues l’homme s’étaient révélées favorables à son activité et qui accusait les membres du GIEC d’être des « scientifiques politisés ». Ou encore de Richard Lindzen, physicien du climat et professeur au MIT, qui a dénoncé les « pressions politiques » qui s’exerceraient sur les savants pour qu’ils ne mettent pas en cause la théorie dominante.
Car la thèse du réchauffement et de son origine humaine est largement majoritaire dans la communauté scientifique. Mais la science ne progresse que par confrontation et réfutation, et on ne voit pas pourquoi il serait interdit de donner la parole aux uns et aux autres.
Or, il est vrai que le débat entre « réchauffistes » et « climato-sceptiques » est pollué par la politisation. De part et d’autre, on s’accuse de relayer les intérêts de lobbies économiques ou de groupes de pression idéologiques. Quinze jours avant le Sommet du climat de Copenhague, a éclaté l’affaire dite du « climategate », par laquelle des hackers ont tenté de démontrer que le GIEC truquait ses chiffres pour faire coïncider ses courbes avec les plus pessimistes de ses prédictions. Le débat s’envenime. Le meilleur moyen d’y voir clair est d’organiser la confrontation des points de vue.
Avec :
Serge Galam.  Physicien et socio-physicien.
Vincent Courtillot.  Professeur de géophysique à l’université Denis-Diderot.
Valérie Masson Delmotte.  Directeur de recherches au LSCE Co- auteur du quatrième rapport du GIEC en 2007.
Jean Pascal van Ypersele au téléphone.  Professeur de climatologie à l’Université de Louvain-la-Neuve (Belgique) Vice Président du GIEC Membre de l’académie royale de Belgique.

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http://www.dailymotion.com/video/x6c0mp Source audio d’après conférences de Michel Onfray, France Culture, émission du vendredi 1er août 2008 – Questions des auditeurs au Théâtre d’Hérouville St Clair.

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Lumières d’hier et d’aujourd’hui

frontières

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« (…) le rôle que joue la nature en tant qu’objet dans les différents milieux est contradictoire (…) si l’on voulait rassembler ses caractères objectifs, on serait devant un chaos (…) [mais] tous ces milieux sont portés et conservés par la totalité qui transcende chaque milieu particulier : la nature ». Jakob von Uexküll

Si nous cherchions à définir le développement durable, on pourrait dire que celui-ci vise à intégrer dans nos prises de décisions ce que pourrait-être le terreau nécessaire à un continuum de croissance socio-économique. Soit les soubassements où conditions sur lesquelles reposent une certaine idée du progrès (en ce qu’il serait continu par exemple).
L’écologie des sols étant une chose très complexe, le DD simplifie grandement l’affaire en se référant à la notion de cadre et à son synonyme d’environnement. Cadre de vie, cadre de production, environnement de croissance, etc. Dans un cadre dont j’imagine des frontières fixes, je peux en effet segmenter et rendre visible certaines des composantes révélatrices des conditions de reproduction de ce même cadre.
L’une des conclusions est alors qu’un environnement sain est, dans le temps long, l’une des conditions nécessaires au continuum d’un progrès (économique, social, etc.)
Dans un cadre, je compile donc une somme de catégories de pensée (plus et/ou non questionnées) pour aide à la prise de décision. J’ajoute donc de nouvelles variables à l’équation coût-avantage standard, mais le mode de résolution du problème reste sensiblement le même.

Monde complexe → simplification des variables et segmentation par ensemble → analyse comptable par ensemble → synthèse des comptes ou bilan statique consolidé → analyse des risques et analyse coût-avantage de solutions d’équilibre.

Au-delà du caractère directement opérationnel de la chose, difficile d’y voir de véritable révolution dans la pensée. L’homme demeure le plus souvent hors-cadre, le travail centré sur du connu faisant encore une belle part à la mécanique classique.
En résulte une activité à orientation prescriptive qui n’a pas réellement besoin d’un individu attentif au monde, et donc mature, du fait de la diffusion d’attendus institutionnels.

En écho, nous pourrions définir une certaine pratique de l’écologie comme la science et l’art de révéler des relations incertaines et inévidentes. Non perceptibles ou non encore perceptibles du fait de l’échelle spatiale ou temporelles des phénomènes étudiés.
Ici pas de cadre « photographique », mais bien plus l’art du montage cinématographique dans le traitement des points et frontières mobiles et l’accès à la connaissance.
Pas d’environnement-cadre, mais des écosystèmes ouverts les un sur les autres, l’homme dedans entant que producteur et produit. La segmentation standard (économie, environnement, social, etc.) n’est plus ici opérationnelle. D’où le renouvellement nécessaire du mode de penser les problèmes, et l’appel à des résolutions beaucoup plus systémiques.

Monde complexe → modélisation systémique et intégration de l’observateur → analyse dynamique des déséquilibres → réponse à la question existe-t-il un intérêt à agir ? (principe d’attention et de précaution).

En résulte une activité à but informatif (sur les réponses incertaines du monde à nos actions) qui a réellement besoin d’un individu attentif au monde, et donc mature face à l’émergence d’inattendus.

De là notre question : le développement durable réactualise-t-il véritablement l’idée de progrès ? Si oui laquelle et en quoi ?
Ou alors vise-t-il plus simplement à la construction d’un continuum historique artificiel ?
Un petit retour en arrière semble utile. Le progrès, mais lequel ? De quoi, et à partir de quoi parlons-nous ?

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http://www.dailymotion.com/video/x8vpvr

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« Qu’est-ce que les Lumières ? »
Emmanuel Kant, 1784, traduction Jules Barni, source

« Les lumières sont ce qui fait sortir l’homme de la minorité qu’il doit s’imputer à lui-même. La minorité consiste dans l’incapacité où il est de se servir de son intelligence sans être dirigé par autrui. Il doit s’imputer à lui-même cette minorité, quand elle n’a pas pour cause le manque d’intelligence, mais l’absence de la résolution et du courage nécessaires pour user de son esprit sans être guidé par un autre. Sapere aude, aie le courage de te servir de ta propre intelligence ! Voilà donc la devise des lumières.

La paresse et la lâcheté sont les causes qui font qu’une si grande partie des hommes, après avoir été depuis longtemps affranchis par la nature de toute direction étrangère (naturaliter majorennes), restent volontiers mineurs toute leur vie, et qu’il est si facile aux autres de s’ériger en tuteurs. Il est si commode d’être mineur ! J’ai un livre qui a de l’esprit pour moi, un directeur qui a de la conscience pour moi, un médecin qui juge pour moi du régime qui me convient, etc. ; pourquoi me donnerais-je de la peine ? Je n’ai pas besoin de penser, pourvu que je puisse payer ; d’autres se chargeront pour moi de cette ennuyeuse occupation. Que la plus grande partie des hommes (et avec eux le beau sexe tout entier) tiennent pour difficile, même pour très-dangereux, le passage de la minorité à la majorité ; c’est à quoi visent avant tout ces tuteurs qui se sont chargés avec tant de bonté de la haute surveillance de leurs semblables. Après les avoir d’abord abêtis en les traitant comme des animaux domestiques, et avoir pris toutes leurs précautions pour que ces paisibles créatures ne puissent tenter un seul pas hors de la charrette où ils les tiennent enfermés, ils leur montrent ensuite le danger qui les menace, s’ils essayent de marcher seuls. Or ce danger n’est pas sans doute aussi grand qu’ils veulent bien le dire, car, au prix de quelques chutes, on finirait bien par apprendre à marcher ; mais un exemple de ce genre rend timide et dégoûte ordinairement de toute tentative ultérieure.

Il est donc difficile pour chaque individu en particulier de travailler à sortir de la minorité qui lui est presque devenue une seconde nature. Il en est même arrivé à l’aimer, et provisoirement il est tout à fait incapable de se servir de sa propre intelligence, parce qu’on ne lui permet jamais d’en faire l’essai. Les règles et les formules, ces instruments mécaniques de l’usage rationnel, ou plutôt de l’abus de nos facultés naturelles, sont les fers qui nous retiennent dans une éternelle minorité. Qui parviendrait à s’en débarrasser, ne franchirait encore que d’un saut mal assuré les fossés les plus étroits, car il n’est pas accoutumé à d’aussi libres mouvementé. Aussi n’arrive-t-il qu’à bien peu d’hommes de s’affranchir de leur minorité par le travail de leur propre esprit, pour marcher ensuite d’un pas sûr.

Mais que le public s’éclaire lui-même, c’est ce qui est plutôt possible ; cela même est presque inévitable, pourvu qu’on lui laisse la liberté. Car alors il se trouvera toujours quelques libres penseurs, même parmi les tuteurs officiels de la foule, qui, après avoir secoué eux-mêmes le joug de la minorité, répandront autour d’eux cet esprit qui fait estimer au poids de la raison la vocation de chaque homme à penser par lui-même et la valeur personnelle qu’il en retire. Mais il est curieux de voir le public, auquel ses tuteurs avaient d’abord imposé un tel joug, les contraindre ensuite eux-mêmes de continuer à le subir, quand il y est poussé par ceux d’entre eux qui sont incapables de toute lumière. Tant il est dangereux de semer des préjugés ! Car ils finissent par retomber sur leurs auteurs ou sur les successeurs de leurs auteurs. Le public ne peut donc arriver que lentement aux lumières. Une révolution peut bien amener la chute du despotisme d’un individu et de l’oppression d’un maître cupide ou ambitieux, mais jamais une véritable réforme dans la façon de penser ; de nouveaux préjugés serviront, tout aussi bien que les anciens, à conduire les masses aveugles.

La diffusion des lumières n’exige autre chose que la liberté, et encore la plus inoffensive de toutes les libertés, celle de faire publiquement usage de sa raison en toutes choses. Mais j’entends crier de toutes parts : ne raisonnez pas. L’officier dit : ne raisonnez pas, mais exécutez ; le financier : ne raisonnez pas, mais payez ; le prêtre : ne raisonnez pas, mais croyez. (Il n’y a qu’un seul maître dans le monde qui dise : raisonnez tant que vous voudrez et sur tout ce que vous voudrez, mais obéissez.) Là est en général la limite de la liberté. Mais quelle limite est un obstacle pour les lumières ? Quelle limite, loin de les entraver, les favorise ? Je réponds : l’usage public de sa raison doit toujours être libre, et seul il peut répandre les lumières parmi les hommes ; mais l’usage privé peut souvent être très-étroitement limité, sans nuire beaucoup pour cela aux progrès des lumières. J’entends par usage public de sa raison celui qu’en fait quelqu’un, à titre de savant, devant le public entier des lecteurs. J’appelle au contraire usage privé celui qu’il peut faire de sa raison dans un certain poste civil ou une certaine fonction qui lui est confiée. Or il y a beaucoup de choses, intéressant la chose publique, qui veulent un certain mécanisme, ou qui exigent que quelques membres de la société se conduisent d’une manière purement passive, afin de concourir, en entrant pour leur part dans la savante harmonie du gouvernement, à certaines fins publiques, ou du moins pour ne pas les contrarier. Ici sans doute il n’est pas permis de raisonner, il faut obéir. Mais, en tant qu’ils se considèrent comme membres de toute une société, et même de la société générale des hommes, par conséquent en qualité de savants, s’adressant par des écrits à un public dans le sens propre du mot, ces mêmes hommes, qui font partie de la machine, peuvent raisonner, sans porter atteinte par là aux affaires auxquelles ils sont en partie dévolus, comme membres passifs. Il serait fort déplorable qu’un officier, ayant reçu un ordre de son supérieur, voulût raisonner tout haut, pendant son service, sur la convenance ou l’utilité de cet ordre ; il doit obéir. Mais on ne peut équitablement lui défendre, comme savant, de faire ses remarques sur les fautes commises dans le service de la guerre, et de les soumettre au jugement de son public. Un citoyen ne peut refuser de payer les impôts dont il est frappé ; on peut même punir comme un scandale (qui pourrait occasionner des résistances générales) un blâme intempestif des droits qui doivent être acquittés par lui. Mais pourtant il ne manque pas à son devoir de citoyen en publiant, à titre de savant, sa façon de penser sur l’inconvenance ou même l’iniquité de ces impositions. De même un ecclésiastique est obligé de suivre, en s’adressant aux élèves auxquels il enseigne le catéchisme, ou à ses paroissiens, le symbole de l’Église qu’il sert ; car il n’a été nommé qu’à cette condition. Mais, comme savant, il a toute liberté, et c’est même sa vocation, de communiquer au public toutes les pensées qu’un examen sévère et consciencieux lui a suggérées sur les vices de ce symbole, ainsi que ses projets d’amélioration touchant les choses de la religion et de l’Église. Il n’y a rien là d’ailleurs qui puisse être un fardeau pour sa conscience. Car ce qu’il enseigne en vertu de sa charge, comme fonctionnaire de l’Église, il ne le présente pas comme quelque chose sur quoi il ait la libre faculté d’enseigner ce qui lui paraît bon, mais comme ce qu’il a la mission d’exposer d’après l’ordre et au nom d’autrui. Il dira : notre Église enseigne ceci ou cela ; voilà les preuves dont elle se sert. Il montrera alors toute l’utilité pratique que ses paroissiens peuvent retirer d’institutions auxquelles il ne souscrirait pas lui-même avec une entière conviction, mais qu’il peut néanmoins s’engager à exposer, parce qu’il n’est pas du tout impossible qu’il n’y ait là quelque vérité cachée, et que dans tous les cas du moins on n’y trouve rien de contraire à la religion intérieure. Car, s’il croyait y trouver quelque chose de pareil, il ne pourrait remplir ses fonctions en conscience ; il devrait les déposer. L’usage qu’un homme chargé d’enseigner fait de sa raison devant ses paroissiens est donc simplement un usage privé ; car ceux-ci ne forment jamais qu’une assemblée domestique, si grande qu’elle puisse être, et sous ce rapport, comme prêtre, il n’est pas libre et ne peut pas l’être, puisqu’il exécute un ordre étranger. Au contraire, comme savant, s’adressant par des écrits au public proprement dit, c’est-à-dire au monde, ou dans l’usage public de sa raison, l’ecclésiastique jouit d’une liberté illimitée de se servir de sa propre raison et de parler en son propre nom. Car vouloir que les tuteurs du peuple (dans les choses spirituelles) restent eux-mêmes toujours mineurs, c’est une absurdité qui tend à éterniser les absurdités.

Mais une société de prêtres, telle qu’une assemblée ecclésiastique, ou une classe vénérable (comme elle s’appelle elle-même chez les Hollandais), n’aurait-elle donc pas le droit de s’engager par serment à rester fidèle à un certain symbole immuable, afin d’exercer ainsi sur chacun de ses membres, et, par leur intermédiaire, sur le peuple, une tutelle supérieure qui ne discontinuât point, et qui même fût éternelle ? Je dis que cela est tout à fait impossible. Un pareil contrat, qui aurait pour but d’écarter à jamais de l’espèce humaine toute lumière ultérieure, serait nul et de nul effet, fût-il confirmé par le souverain pouvoir, par les diètes du royaume et par les traités de paix les plus solennels. Un siècle ne peut s’engager, sous la foi du serment, à transmettre au siècle suivant un état de choses qui interdise à celui-ci d’étendre ses connaissances (surtout quand elles sont si pressantes), de se débarrasser de ses erreurs, et en général d’avancer dans la voie des lumières. Ce serait un crime contre la nature humaine, dont la destination originelle consiste précisément dans ce progrès ; et par conséquent les générations suivantes auraient parfaitement le droit de rejeter ces sortes de traités comme arbitraires et impies. La pierre de touche de tout ce que l’on peut ériger en loi pour un peuple est dans cette question : ce peuple pourrait-il bien s’imposer à lui-même une pareille loi ? Or, en attendant en quelque sorte une loi meilleure, il pourrait bien adopter pour un temps court et déterminé une loi analogue à celle dont nous venons de parler, afin d’établir un certain ordre ; encore faudrait-il que, pendant toute la durée de l’ordre établi, il laissât à chacun des citoyens, particulièrement aux ecclésiastiques, la liberté de faire publiquement, en qualité de savants, c’est-à-dire dans des écrits, leurs remarques sur les vices des institutions actuelles, jusqu’à ce que ces sortes d’idées eussent fait de tels progrès dans le public que l’on pût, en réunissant les suffrages (quand même ils ne seraient pas unanimes), soumettre à la couronne le projet de prendre sous sa protection, sans gêner en rien tous ceux qui voudraient s’en tenir à l’ancienne constitution religieuse, tous ceux qui s’accorderaient dans l’idée de la réformer. Mais se concerter, ne fût-ce que pour la durée de la vie d’un homme, afin d’établir une constitution religieuse immuable que personne ne puisse mettre publiquement en doute, et enlever par là en quelque sorte un espace de temps au progrès de l’humanité dans la voie des améliorations, le rendre stérile et même funeste pour la postérité, c’est ce qui est absolument illégitime. Un homme peut bien différer quelque temps de s’éclairer personnellement sur ce qu’il est obligé de savoir ; mais renoncer aux lumières, soit pour soi-même, soit surtout pour la postérité, c’est violer et fouler aux pieds les droits sacrés de l’humanité. Or ce qu’un peuple ne peut pas décider pour lui-même, un monarque le peut encore moins pour le peuple, car son autorité législative repose justement sur ce qu’il réunit dans sa volonté toute la volonté du peuple. Pourvu qu’il veille à ce qu’aucune amélioration véritable ou supposée ne trouble l’ordre civil, il peut d’ailleurs laisser ses sujets libres de faire eux-mêmes ce qu’ils croient nécessaire pour le salut de leur âme. Cela ne le regarde en rien, et la seule chose qui le doive occuper, c’est que les uns ne puissent empêcher violemment les autres de travailler de tout leur pouvoir à déterminer et à répandre leurs idées sur ces matières. Il fait même tort à sa majesté en se mêlant de ces sortes de choses, c’est-à-dire en jugeant dignes de ses augustes regards les écrits où ses sujets cherchent à mettre leurs connaissances en lumière, soit qu’il invoque en cela l’autorité souveraine de son propre esprit, auquel cas il s’expose à cette objection : Cæsar non est supra grammaticos, soit surtout qu’il ravale sa puissance suprême jusqu’à protéger dans son État, contre le reste de ses sujets, le despotisme ecclésiastique de quelques tyrans.

Si donc on demande : vivons-nous aujourd’hui dans un siècle éclairé ? je réponds : non, mais bien dans un siècle de lumières. Il s’en faut de beaucoup encore que, dans le cours actuel des choses, les hommes, pris en général, soient déjà en état ou même puissent être mis en état de se servir sûrement et bien, sans être dirigés par autrui, de leur propre intelligence dans les choses de religion ; mais qu’ils aient aujourd’hui le champ ouvert devant eux pour travailler librement à cette œuvre, et que les obstacles, qui empêchent la diffusion générale des lumières ou retiennent encore les esprits dans un état de minorité qu’ils doivent s’imputer à eux-mêmes, diminuent insensiblement, c’est ce dont nous voyons des signes manifestes. Sous ce rapport, ce siècle est le siècle des lumières ; c’est le siècle de Frédéric.

Un prince qui ne croit pas indigne de lui de dire qu’il regarde comme un devoir de ne rien prescrire aux hommes dans les choses de religion, mais de leur laisser à cet égard une pleine liberté, et qui par conséquent ne repousse pas le noble mot de tolérance, est lui-même éclairé et mérite d’être loué par le monde et la postérité reconnaissante, comme celui qui le premier, du moins du côté du gouvernement, a affranchi l’espèce humaine de son état de minorité, et a laissé chacun libre de se servir de sa propre raison dans tout ce qui est affaire de conscience. Sous son règne, de vénérables ecclésiastiques, sans nuire aux devoirs de leur profession, et, à plus forte raison, tous les autres qui ne sont gênés par aucun devoir de ce genre, peuvent, en qualité de savants, soumettre librement et publiquement à l’examen du monde leurs jugements et leurs vues, bien qu’ils s’écartent sur tel ou tel point du symbole reçu. Cet esprit de liberté se répand aussi hors de chez nous, là même où il a à lutter contre les obstacles extérieurs d’un gouvernement qui entend mal son devoir ; car le nôtre offre une preuve éclatante qu’il n’y a absolument rien à craindre de la liberté pour la paix publique et l’harmonie des citoyens. Les hommes travaillent d’eux-mêmes à sortir peu à peu de la barbarie, pourvu qu’on ne s’applique pas à les y retenir.

J’ai placé dans les choses de religion le point important des lumières, qui font sortir les hommes de l’état de minorité qu’ils se doivent à eux-mêmes, parce que, quant aux arts et aux sciences, notre souverain n’a aucun intérêt à exercer une tutelle sur ses sujets, et surtout parce que cet état de minorité est non-seulement le plus funeste, mais encore le plus avilissant de tous. Mais la façon de penser d’un chef d’État, qui favorise les arts et sciences, va plus loin encore : il voit que, même pour sa législation, il n’y a aucun danger à permettre à ses sujets de faire publiquement usage de leur propre raison et de publier leurs pensées sur les améliorations qu’on y pourrait introduire, même de faire librement la critique des lois déjà promulguées ; nous en avons aussi un éclatant exemple dans le monarque auquel nous rendons hommage, et qui ne s’est laissé devancer en cela par aucun autre.

Mais aussi celui-là seul, qui, en même temps qu’il est lui-même éclairé et n’a pas peur de son ombre, a sous la main pour garant de la paix publique une armée nombreuse et parfaitement disciplinée, celui-là peut dire ce que n’oserait pas dire une république : raisonnez tant que vous voudrez et sur tout ce que vous voudrez, seulement obéissez. Les choses humaines suivent ici un cours étrange et inattendu, comme on le voit souvent d’ailleurs, quand on les envisage en grand, car presque tout y est paradoxal. Un degré supérieur de liberté civile semble favorable à la liberté de l’esprit du peuple, et pourtant lui oppose des bornes infranchissables ; un degré inférieur, au contraire, lui ouvre un libre champ où il peut se développer tout à son aise. Lorsque la nature a développé, sous sa dure enveloppe, le germe sur lequel elle veille si tendrement, à savoir le penchant et la vocation de l’homme pour la liberté de penser, alors ce penchant réagit insensiblement sur les sentiments du peuple (qu’il rend peu à peu plus capable de la liberté d’agir), et enfin sur les principes mêmes du gouvernement, lequel trouve son propre avantage à traiter l’homme, qui n’est plus alors une machine, conformément à sa dignité. »

Imaginaire social

http://www.dailymotion.com/video/x9vpjt Cornelius Castoriadis, l’imagination créatrice.

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L’imaginaire selon Cornélius Castoriadis par Sébastien Chapel, www.laviedesidees.fr 

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Fabrication et auto-organisation. Une pratique ne peut jamais être l’application stricte d’une théorie … ou alors, ou alors, ou alors … 

Nos amis, nos amours, nos héros 

Fantasme de scientificité du déduire le cours de l’histoire. Les formes, les rapports de forces, un nous transparent réduit à quelques déterminations. 
Que l’état t+1 ne s’explique pas par le seul t … 

… souligner cela ???

Certains semblant se faire un devoir de piloter les sciences du vivant d’en haut, sciences dures exclusives.
D’autres, prédication d’un dix ans pour ce faire avant effondrement total d’un dehors bombardé d’une même hauteur … 

…. alors actualité, sûrement.

Il faut imaginer Sisyphe heureux …

…. il doit bien y avoir des manières de rouler …

... [à la fois]

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http://www.dailymotion.com/video/x9vtv6 Cornelius Castoriadis, l’imagination créatrice, suite.

La figure de Gaïa, Isabelle Stengers.

Gaïa et les satyres 

L’art de faire attention ? Voila qui demande de la pensée, de l’imagination … un art avec lequel il s’agit de renouer. Praxis pour une réflexion propre.
La figure de Gaïa ? Une fiction instauratrice pour nous donner matière à penser.

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(…) Ce que je nomme Gaïa fut baptisé ainsi par James Lovelock et Lynn Margulis au début des années 70. Ils tiraient les leçons de recherches qui concourent à mettre à jour l’ensemble dense de relations couplant ce que les disciplines scientifiques avaient l’habitude de traiter séparément – les vivants, les océans, l’atmosphère, le climat, les sols plus ou moins fertiles. Donner un nom, Gaïa, à cet agencement de relations, c’était insister sur deux conséquences de ces recherches. Ce dont nous dépendons, et qui a si souvent été défini comme le « donné », le cadre globalement stable de nos histoires et de nos calculs, est le produit d’une histoire de co-évolution, dont les premiers artisans, et les véritables auteurs en continu, furent les peuples innombrables des microorganismes. Et Gaïa, « planète vivante », doit être reconnue comme un « être » et non pas assimilée à une somme de processus, au même sens où nous reconnaissons qu’un rat, par exemple, est un être : elle est dotée non seulement d’une histoire mais aussi d’un régime d’activité propre issu de la manière dont les processus qui la constituent sont couplés les uns aux autres de façons multiples et enchevêtrées, la variation de l’un ayant des répercussions multiples qui affectent les autres. Interroger Gaïa, alors, c’est interroger quelque chose qui tient ensemble, et les questions adressées à un processus particulier peuvent mettre en jeu une réponse, parfois inattendue, de l’ensemble (…)

Que Gaïa ne nous demande rien traduit la spécificité de ce qui est en train d’arriver, de ce qu’il s’agit de réussir à penser, l’événement d’une intrusion unilatérale, qui impose une question sans être intéressée à la réponse. Car Gaïa elle-même n’est pas menacée, à la différence des très nombreuses espèces vivantes qui seront balayées par le changement de leur milieu, d’une rapidité sans précédent, qui s’annonce. Les vivants innombrables que sont les micro-organismes continueront en effet à participer à son régime d’existence, celui d’une « planète vivante ». Et c’est précisément parce qu’elle n’est pas menacée qu’elle donne un coup de vieux aux versions épiques de l’histoire humaine, lorsque l’Homme, dressé sur ses deux pattes et apprenant à déchiffrer les « lois de la nature », a compris qu’il était maître de son destin, libre de toute transcendance. Gaïa est le nom d’une forme inédite, ou alors oubliée, de transcendance : une transcendance dépourvue des hautes qualités qui permettraient de l’invoquer comme arbitre ou comme garant ou comme ressource ; un agencement chatouilleux de forces indifférentes à nos raisons et à nos projets.

L’intrusion du type de transcendance que je nomme Gaïa fait exister au sein de nos vies une inconnue majeure, et qui est là pour rester. C’est ce qui est d’ailleurs peut-être le plus difficile à concevoir : il n’existe pas d’avenir prévisible où elle nous restituera la liberté de l’ignorer ; il ne s’agit pas d’un « mauvais moment à passer », suivi d’une forme quelconque de happy end au sens pauvrelet de « problème réglé ». Nous ne serons plus autorisés à l’oublier (…)

Extrait de Au temps des catastrophes, Ed. Empêcheurs de penser en rond/La découverte. Plus sur le blog de Jean Clet Martin.

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Réinventer la ville ? Le choix de la complexité. Isabelle Stengers. Préface d’Alain Berestetsky et Thierry Kübler. Edité à l’occasion d’ »Urbanités » rencontres pour réinventer la ville, une initiative du Département de la Seine Saint-Denis organisée par la Fondation 93 dans le cadre de citésplanète, réalisée en collaboration avec l’ASTS.

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Extraits audios d’après : Terre à terre, France Culture, émission du samedi 2 mai 2009: Crise écologique avec Isablle Stengers.

http://www.dailymotion.com/video/x9lddo Des figures instauratrices …

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http://www.dailymotion.com/video/x9ldtu Suite … des montages …

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http://www.dailymotion.com/video/x9lexb Fin.

(Re)montage(s)

http://www.dailymotion.com/video/x9uikt Le monde est démonté, comment remonter le monde ? Georges Didi-Huberman, entre autres …

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L’imagerie écologique, celle-ci a pour ambition de relier entre eux tous les points de l’univers. Dévoiler sans masquer, elle déborde des cadres. Hors-champ, elle appelle nécessairement à un certain type de (dé)montage « cinématographique ».

Remontage des coupes que nous faisons dans l’étoffe des choses, précisément afin de se dévoiler le tissu des relations qui porte tout existant, ces vastes parties du réseau de la pensée qui se trouvent situées à l’extérieur du corps. Se faire voir, jeu de miroirs, des différences et des connaissances, comment le dedans sélectionne et se tisse du dehors. Ce qu’il prend, ce qu’il laisse, comment il combine, digère, et à quels rythmes.

A côté de cette vision d’une certaine image écologique, [voir à la fois], advient également une affaire de technique. Technique de remontage et de position. Mettre en mouvement ses images, celles qu’on a imprimées du dehors, c’est vouloir (libère) se ressaisir des traces de quelque chose de soi et du monde.

Souligner ses vitesses et ses lenteurs, ses capacités d’affecter et d’être affecté. Mes prélèvements, mes transformations, mes pliages, mes collages du dehors. Je(u) de l’enfant qui se donne à voir comment et avec quoi il devient, il organise son monde. Je(u) de l’enfant qui regarde sa maison en simulant la sélection, la découpe permanente qu’il fait dans l’étoffe des choses. Je(u) de l’enfant qui se dédouble sous la forme d’un récit-remontage de ses propres archives pour rendre perceptibles à l’écran ces innombrables clichés qui restent inutiles parce que l’intelligence ne les a pas développés.

Plier des « forces-photons » dans des images, écologiques car inclusives, remonter un tissage, voilà des artifices, qui sans prétendre dire le vrai, nous permettent de saisir que nous n’avons pas du tout à choisir entre la technique et la nature. Nous habitons techniquement la nature, nous sélectionnons, et naturellement la technique, nous agençons. 

L’écologie : un certain type de remontage du monde. Accès à la connaissance par ce montage qui fait voir le mouvements qui passent entre les choses. L’image, ou comment saisir les rapports inévidents entre les chose. Mettre en relation, dresser des ponts baroques.

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« Car c’est là [i.e. la durée] ce que notre représentation habituelle du mouvement et du changement nous empêche de voir. Si le mouvement est une série de positions et le changement d’une série d’états, le temps est fait de parties distinctes et juxtaposées. Sans doute nous disons encore qu’elles se succèdent, mais cette succession est alors semblable à celle des images d’un film cinématographique : le film pourrait se dérouler dix fois, cent fois, mille fois plus vite sans que rien fût modifié à ce qu’il déroule ; s’il allait infiniment vite, si le déroulement (cette fois hors de l’appareil) devenait instantané, ce seraient encore les mêmes images. La succession ainsi entendue n’ajoute donc rien ; elle en retranche plutôt quelque chose ; elle marque un déficit ; elle traduit une infirmité de notre perception, condamnée à détailler le film image par image au lieu de le saisir globalement. Bref, le temps ainsi envisagé n’est qu’un espace idéal où l’on suppose alignés tous les événements passés, présents et futurs, avec, en outre, un empêchement pour eux de nous apparaître en bloc (…) »
Henri Bergson, La pensée et le mouvant, Introduction, Ière partie (Paris, P.U.F. Quadrige, 1990, p. 9-10)
 
«  (…) Il est vrai que, si nous avions affaire aux photographies toutes seules, nous aurions beau les regarder, nous ne les verrions pas s’animer : avec de l’immobilité, même indéfiniment juxtaposée à elle-même, nous ne ferons jamais du mouvement. Pour que les images s’animent, il faut qu’il y ait du mouvement quelque part. Le mouvement existe bien ici, en effet, il est dans l’appareil. C’est parce que la bande cinématographique se déroule, amenant, tour à tour, les diverses photographies de la scène à se continuer les unes les autres, que chaque acteur de cette scène reconquiert sa mobilité : il enfile toutes ses attitudes successives sur l’invisible mouvement de la bande cinématographique. Le procédé a donc consisté, en somme, à extraire de tous les mouvements propres à toutes les figures un mouvement impersonnel, abstrait et simple, le mouvement en général pour ainsi dire, à le mettre dans l’appareil, et à reconstituer l’individualité de chaque mouvement particulier par la composition de ce mouvement anonyme avec les attitudes personnelles. Tel est l’artifice du cinématographe. Tel est aussi celui de notre connaissance. Au lieu de nous attacher au devenir intérieur des choses, nous nous plaçons en dehors d’elles pour recomposer leur devenir artificiellement. Nous prenons des vues quasi instantanées sur la réalité qui passe, et, comme elles sont caractéristiques de cette réalité, il nous suffit de les enfiler le long d’un devenir abstrait, uniforme, invisible, situé au fond de l’appareil de la connaissance, pour imiter ce qu’il y a de caractéristique dans ce devenir lui-même. Perception, intellection, langage procèdent en général ainsi. Qu’il s’agisse de penser le devenir, ou de l’exprimer, ou même de le percevoir, nous ne faisons guère autre chose qu’actionner une espèce de cinématographe intérieur. On résumerait donc tout ce qui précède en disant que le mécanisme de notre connaissance usuelle est de nature cinématographique. »
Henri Bergson, L’évolution créatrice, chap. IV (Paris, P.U.F. Quadrige, 2001, p. 305)

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Extrait du manifeste de Dziga Vertov, ciné-oeil (1923)
 
Je suis un œil.
Un œil mécanique.
Moi, c’est-à-dire la machine, je suis la machine qui vous montre le monde comme elle seule peut le voir.
Désormais je serai libéré de l’immobilité humaine. Je suis en perpétuel en mouvement.
Je m’approche des choses, je m’en éloigne. Je me glisse sous elles, j’entre en elles.
Je me déplace vers le mufle du cheval de course.
Je traverse les foules à toute vitesse, je précède les soldats à l’assaut, je décolle avec les aéroplanes, je me renverse sur le dos, je tombe et me relève en même temps que les corps tombent et se relèvent…
Voilà ce que je suis, une machine tournant avec des manœuvres chaotiques, enregistrant les mouvements les uns derrière les autres les assemblant en fatras.
Libérée des frontières du temps et de l’espace, j’organise comme je le souhaite chaque point de l’univers.
Ma voie, est celle d’une nouvelle conception du monde. Je vous fais découvrir le monde que vous ne connaissez pas (…)

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http://www.dailymotion.com/video/x6t99s Commentaires de Pierre Montebello : Deleuze, Bergson et le cinéma.

Des images [remontages] « écologiques » ?

 Des images [remontages]

« [...] nous reconnaissons dans tous les objets dont nous avons appris à nous servir l’action que nous accomplissons à leur aide, avec la même sureté que leur forme et leur couleur [...] toute nouvelle expérience active entraine de nouvelles attitudes vis-à-vis de nouvelles impressions. De nouvelles connotations d’activité servent alors à créer de nouvelles images actives. » Jacob von Uexküll.

« Ils [les arbres] ne sont qu’une volonté d’expression. Ils n’ont rien de caché pour eux-mêmes, ils ne peuvent garder aucune idée secrète, ils se déploient entièrement, honnêtement, sans restriction [...], ils ne s’occupent qu’à accomplir leur expression : ils se préparent, ils s’ornent, ils attendent qu’on vienne les lire. » Francis Ponge.

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Proposition : la question écologique appelle à un certain type de vision, d’images. « Photo-synthèse » d’une co-perception des choses qui figure, entre, des interactions.

Ces paysages inconnus, pour reprendre la formule de Proust, c’est pouvoir percevoir à la fois l’arbre et la forêt sans que l’un ne masque l’autre. L’arbre est donné à voir comme une configuration d’interactions, dynamiques et singulières appropriée aux conditions de vie de la forêt, celle-ci étant elle-même l’association d’arbres produite par leurs interactions.

L’arbre est producteur de la forêt qui le produit en retour. Comme le souligne Whitehead, pour qu’une interaction soit réelle, il faut en effet à la fois que la nature des choses en relation soit un produit de ces relations, et que les relations de leur côté soient des produits de la nature des choses.

La vision et l’image « écologique » , c’est donc à la fois l’arbre et la forêt, l’individu et la collectivité, le je et le nous qui cohabitent dans une même expression. Sa différence qualitative dans la façon dont nous apparaît le monde, c’est ce [à la fois] dedans-dehors, quand le récit de l’environnementalisme ne nous donnait à voir qu’un jeu de lego mais sans histoire.

D’où la nécessité de faire appel à cette compréhension intuitive qui passe par l’image, lieu de la cohabitation des contraires ou des oppositions apparentes, l’outil au service d’une correction systémique nous dirait Bateson.

« [...] L’art, à une fonction positive, consistant à maintenir ce que j’ai appelé « sagesse », modifier, par exemple, une conception trop projective de la vie, pour la rendre plus systémique [...] La question à poser à propos d’une œuvre d’art devient : quelles sortes de corrections, dans le sens de la sagesse, sont accomplies par celui qui crée ou qui « parcourt» cette œuvre d’art ? » Grégory Bateson, Vers une écologie de l’Esprit.

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image004 dans Des figures, des visages.

Produire une image, c’est capturer, condenser de l’air du temps, plier de ses forces dans un cadre, établir des liaisons entre ces configurations singulières que sont les choses. Circulation, de leur manipulation par les autres membres de l’essaim social, déploiement et recombinaison de ces liaisons « photo-chimiques » qui les brisent, se libèrent de nouveaux potentiels d’énergie disponibles à la production de vie sociale, à ces nouvelles surfaces de contact et d’échange.

L’image écologique, libre de droits, donne à voir le monde comme ensemble en coévolution, toile de la cohabitation des différents rythmes dans la maison terre. Au lieu de voir un seul monde, le nôtre, nous le voyons se multiplier, la formule de l’expression écologique, l’art ou la science de faire cohabiter les rythmes et de multiplier leur perception, les différents rapports que nous sommes capables d’engager avec, nos ressources.  

Ressort ici que son objet consiste à questionner l’émergence, la bonne manipulation comme les effets de l’abondance. Soit une trajectoire à la fois complémentaire et distincte de celle de l’économie, matière dont le discours travaille quant à lui les effets de la rareté.

Si l’économiste isole des objets et raréfie les variables, l’écologiste pratique quant à lui cet art du percevoir à la fois. On quitte l’homo-naturalus exclusif tel que présenté jusqu’ici. Accommodation de son cousin œconomicus duquel découlait une organisation du manque de nature dans l’abondance, une bascule du désir dans la peur de manquer (de l’ours blanc), la dépendance de l’écologie à une non production extérieure au désir, sa production ne passant plus que dans le fantasme (de la marche de l’empereur).

Alors face au pingouin anthropomorphe, à ce bombardement d’images (intraitables – incohabitables) tombées du ciel et qui viennent encombrer les dedans, mimétisme sentimental d’une nature apparente à reproduire, place à une certaine pratique de l’autoproduction dans le (se) donner à voir.

Désynchroniser et resynchroniser les chaînes par l’exercice de la « photo-synthèse ». Se développer au dehors en développant ces innombrables clichés qui nous encombrent, détricotter et retricotter pour en faire des images non exclusives, flottantes et temporaires, qui ne se disent pas à l’avance, qui disent à la fois, et par lesquelles on se branche, on déplie, on tisse comme on casse les chaînes pour se frayer des voies à l’expérience.

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image006 dans Education

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