ou neuro-imagerie, désigne l'ensemble des techniques issues de l'imagerie médicale qui permettent d'observer le cerveau, en particulier lorsque qu'un individu exécute une tâche cognitive.
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Fragments pour une écologie étendue
Séjour | Abode Isabelle Hayeur
Initialement et très théoriquement, ce blog tente de mettre en scène le petit écosystème de pensée de son rédacteur. Pour reprendre une image de Bateson, une sorte de danse dont le but serait précisément de détecter et de classer d’autres modèles de danse. Un prototype d’organe sensoriel non localisé (ou extériorisé) en charge de capturer et d’intégrer les informations relatives aux différents changements intervenants dans l’environnement de l’esprit du rédacteur.
Mais arrivé à un certain éclatement, sans doute est-il nécessaire de faire le point sur ce qui apparaît à présent comme une certaine µ-cuisine. Légèrement indigeste ? Mumm, pas toujours très appétissante à vrai dire…Est-ce que ça tient ensemble tout ça ? Une chance que la pâte prenne …?
Car si notre objectif consiste bien à proposer une certaine forme de soupe à partir de divers fragments de rencontres opérées au hasard, reste à présent à faire décanter. Reste à en extraire la méthodologie sucrée salée envisagée comme main tendue entre l’art et écologie, promotion d’un principe d’attention au monde. Sortir de la bifurcation, donner à voir des cadres mobiles ou coexistent différents niveaux logiques et où, lorsque j’incline légèrement la tête, apparaît le photon derrière la couleur, l’arbre devant la forêt et inversement.
Jusqu’à ce jour, nous avons croisé divers personnages. De ces rencontres nous avons extrait, pour ne pas dire aménagé, certains fragments de savoir. Est donc venu le temps de mettre tout ça dans la casserole et de faire chauffer. Sans doute plus longtemps qu’il ne faut, d’où la nécessaire question du combustible. Dégrossir, décanter et observer le résidu. En espérant que quantitativement parlant, il ne reste finalement que peu de chose. Qualitativement ? Des fragments continueront de venir s’ajouter en cours de cuisson au gré de nos rencontres.
La chambre du fond | Innermost Chamber Isabelle Hayeur
http://www.dailymotion.com/video/2QcMs4iXuoL6VgrU1
Extrait de lecture d’après : Une vie, une oeuvre - France Culture
« Gregory Bateson (1904 – 1980) ou la quête des structures du vivant »
http://www.dailymotion.com/video/4fHVbPnVItOKpgyt5
Extrait de lecture d’après : Une vie, une oeuvre - France Culture
« Gregory Bateson (1904 – 1980) ou la quête des structures du vivant »
Extrait de lecture d’après : Histoire de psychanalyse – France Culture - Jacques Alain Miller (4/20 l’invention du partenaire)
http://www.dailymotion.com/video/2URJuDfkfBfDigAAU
Extrait de texte d’après : Vers une écologie de l’esprit - Grégory Bateson (style grâce et information dans l’art primitif – tome1)
Doctorant en anthropologie (LAHIC, EHESS), Jocelyn Bonnerave nous invite dans son article « les performances de jazz : du territoire à l’écologie » à regarder ces dernières comme ne s’inscrivant pas seulement dans un cadre social interactionnel, mais plus généralement dans ce que l’on pourrait appeler à la suite de Bateson : un cadre écologique. Autrement dit, pourquoi sous certaines conditions, ces performences peuvent produire des « écologies musicales ».
« […] cette aptitude à intégrer le changement interactionnel ouvre le performeur de jazz à toutes sortes d’imprévus, dans le cadre social de l’interaction, mais pas seulement : il devient potentiellement capable d’intégrer au cours de sa performance tout ce qui advient sans prévenir dans l’espace-temps du spectacle, des bruits parasites aux caprices de la météo. Les performances de jazz n’ont donc pas seulement à voir avec le cadre interactionnel mais, plus généralement, avec ce qu’après Bateson on peut appeler le cadre écologique : elles produisent des écologies musicales. »
Du cadre social de l’interaction…
Dans la vie sociale en général, il s’agit d’éviter les ruptures, « être membre, c’est être prévisible » : « [...] On ne se croise pas n’importe comment sur cette scène de théâtre qu’est un trottoir de centre-ville, on ne donne pas du feu de la même façon à un inconnu et à une vieille amie, etc. On suit toujours des patrons chorégraphiques. Allumer une cigarette est une performance, jouer Shakespeare est une performance, mais répéter Shakespeare, ou Summertime, l’est aussi dès qu’il y a influence mutuelle entre des interactants et évaluation réciproque des comportements selon des normes attendues. Chacun est un public pour autrui. L’interaction relève d’une performance cérémonielle notamment parce qu’elle réaffirme sans cesse la légitimité des territoires respectifs des acteurs. Or, les performances que j’ai observées hypertrophient le plan du son dans la confrontation territoriale : il me semble qu’elles produisent des territoires sonores. L’une des fonctions des « cérémonies de jazz » est précisément d’assurer la légitimation des différents territoires sonores. […]»
Ce qui étonne alors l’auteur dans les règles de jazz, c’est leur plasticité : « […] Elles sont à la fois rigides et extrêmement souples. Elles peuvent être apparemment contredites sans rupture. Les territoires sont marqués mais peuvent s’ouvrir, se déplacer. Dans « Une théorie du jeu et du fantasme », article regroupé dans Vers une écologie de l’esprit, Bateson suggère ce qu’il entend par cadre interactionnel grâce à l’analogie du cadre d’un tableau : « […] le cadre du tableau est une indication pour celui qui regarde, qu’il ne doit pas étendre au papier peint du mur les prémisses qui opèrent pour les figures inscrites dans le tableau. (Bateson, 1980a, p. 220) ». Autrement dit, le cadre est la définition de la situation, ce qui permet à chaque interactant d’interpréter et de jouer ce qui se passe avec les autres. »
…aux systèmes évolutifs d’interactions…
« […] Bateson s’intéresse particulièrement aux situations qui changent de cadre, et notamment à la thérapie psychiatrique où la relation patient-analyste devient idéalement une relation entre deux personnes « saines », et que Bateson appelle précisément « processus de changement » […] nos joueurs imaginaires ont évité le paradoxe en séparant la discussion sur les règles / du jeu effectif, or c’est précisément cette séparation qui est impossible en psychothérapie. Pour nous le processus psychothérapique est une interaction cadrée entre deux personnes où les règles sont implicites, mais susceptibles de changer. Un tel changement ne peut être proposé que par une action expérimentale ; cependant, chaque action expérimentale qui contient implicitement une proposition de changement de règles est elle-même une partie du jeu en cours. C’est bien cette combinaison de types logiques, à l’intérieur d’un seul acte signifiant, qui donne à la thérapie son caractère, non pas d’un jeu rigide mais d’un système évolutif d’interaction. (Bateson, 1980a, p. 222-223) »
Fort de cet appareillage conceptuel, l’auteur dévoile alors plus en avant son hypothèse de travail : « […] ce qui rend possible un chorus de trompette imprévu, c’est que les performances de jazz sont de semblables « systèmes évolutifs d’interactions » où certains événements sonores fonctionnent comme des « combinaisons de types logiques » : ils sont dans le cadre des éléments métacommunicationnels susceptibles de modifier le cadre. Voilà comment on évite la rupture : le cadre de la cérémonie n’est pas brisé, il est échangé. Toute la question serait alors de dégager quels événements possèdent ce pouvoir, et avec quelles conditions de validité. […] »
…à l’écologie musicale
Quelles sont alors les conséquences d’une telle plasticité ? « L’une des conséquences de cette plasticité concerne les territoires sonores. Le territoire collectif est donc susceptible, pour parler comme Deleuze et Guattari, de déterritorialisations locales et, dans d’autres contextes, de déterritorialisations totales. Cette plasticité est souvent telle qu’elle ne concerne pas simplement le cadre de l’interaction sociale : les performeurs de jazz ouvrent leurs territoires à toutes sortes d’événements contemporains de la performance, émanant du cadre lui-même et pas seulement de ce qui s’y joue. Il n’y a pas seulement territoires sonores, mais écologies musicales.
[…] Si on se reporte à « Écologie et souplesse dans la civilisation urbaine » (Bateson, 1980b, p. 253-264), on remarque que l’écologie est toujours un processus de couplage entre des éléments hétérogènes : la ville et son environnement, les différents degrés logiques dans la sphère des idées, ou les espèces dominantes et les espèces secondaires d’une barrière de corail. Chaque élément du couplage dispose d’une certaine souplesse, c’est-à-dire que ses variables de fonctionnement peuvent fluctuer entre les seuils minimum et maximum au-delà desquels ils tombent dans le déséquilibre. Le couplage dans son ensemble est véritablement « écologique » lorsque ses éléments sont à des degrés de souplesse compatibles, soit lorsque le système produit un équilibre. Une population urbaine et son milieu sont écologiques lorsque, par exemple, les ressources en eau supportent le nombre d’habitants et leur mode de consommation de cette eau, fonction des habitudes alimentaires et hygiéniques, des technologies mobilisées, etc.
[…] Bateson montre longuement que les interactions humaines sont perpétuellement inscrites dans ce type de couplage, comme dans les relations entre professeur et élève, ou entre analyste et patient : « Les moyens par lesquels un homme en influence un autre font partie, eux aussi, de l’écologie des idées contenues dans leur relation, ainsi que du système écologique plus large qui englobe cette même relation. (Bateson, 1980b, p. 263) [...] Il me semble que les performances de jazz sont un autre exemple d’interactions face-à-face qui engage plus que ce face-à-face, et peuvent se coupler avec d’autres éléments, avec des éléments du « milieu ». C’est que les modifications des règles du jeu musical n’ont pas forcément à venir de l’un des interactants : elles peuvent être produites par toutes sortes d’événements environnants, tant qu’il est possible de créer un équilibre.»
A titre d’illustration, l’auteur nous donne à voir trois exemples précis (festival de Châteauvallon de 1978, festival d’Uzeste de 2004 et Bouffes du Nord, en juin dernier), consultables ici en fin d’article. Avant de conclure comme suit : « […] je crois que ces situations sont beaucoup plus qu’anecdotiques, parce qu’elles sont très fréquentes et parce que les éléments extérieurs à l’interaction sociale jouent un rôle déterminant, quoique ce rôle soit différent à chaque fois, dans l’invention formelle de la pièce et dans la réception du public.
Ces moments écologiques sont souvent accueillis par des rires, et il y a là un signe fort. En déterritorialisant des bruits ou des conditions météorologiques, en les intégrant dans la performance, les musiciens se reterritorialisent, mais il ne s’agit plus d’un domaine réservé. L’allusion à des éléments communs au performeur et au spectateur crée une complicité : vous et nous subissons les sirènes, ou les aboiements d’un chien, les intempéries. Cette capacité de répartie dans le cadre d’une situation partagée est l’une des compétences les plus repérables du bon performeur, parce qu’elle invente une écologie : un système complexe, virtuose parce qu’en équilibre malgré sa précarité. Il semble que la pratique du jazz permette d’acquérir cette compétence. »
Consulter l’intégralité de l’article à l’adresse suivante : http://shadyc.ehess.fr/document.php?id=345
« La philosophie peut avoir de grandes batailles intérieures (idéalisme-réalisme, etc.), mais ce sont des batailles pour rire. N’étant pas une puissance, la philosophie ne peut pas engager de bataille avec les puissances, elle mène en revanche une guerre sans bataille, une guérilla contre elles. Et elle ne peut pas parler avec elles, elle n’a rien à leur dire, rien à communiquer, et mène seulement des pourparlers. Comme les puissances ne se contentent pas d’être extérieures, mais aussi passent en chacun de nous, c’est chacun de nous qui se trouve sans cesse en pourparlers et en guérilla avec lui-même, grâce à la philosophie. » |
Pourparlers compile quelques entretiens du philosophe Gilles Deleuze (période 1972 à 1990), textes parmi lesquels on peut trouver plusieurs lignes de réflexion autour de la complexe question des rapports entre la philosophie, l’art et la science. L’extrait suivant donne ainsi à voir quelques points d’ancrage importants à ceux qui souhaiteraient impulser l’idée que l’art est une chance de développement et de transmission douce des savoirs issus de l’écologie scientifique.
« […] Ce qui m’intéresse, ce sont les rapports entre les arts, la science et la philosophie. Il n’y a aucun privilège d’une de ces disciplines sur une autre. Chacune d’entre elles est créatrice. Le véritable objet de la science, c’est de créer des fonctions, le véritable objet de l’art, c’est de créer des agrégats sensibles et l’objet de la philosophie, créer concepts.
A partir de là, si l’on se donne ces grosses rubriques, aussi sommaires soient-elles : fonction, agrégat, concept, on peut formuler la question des échos et des résonances entre elles. Comment est-il possible que, sur des lignes complètement différentes, avec des rythmes et des mouvements de production complètement différents, comment est-il possible qu’un concept, un agrégat et une fonction se rencontrent ?
Premier exemple : il y a, en mathématiques, un type d’espace appelé espace riemannien. Mathématiquement très bien défini, en rapport avec des fonctions, ce type d’espace implique la constitution de petits morceaux voisins dont le raccordement peut se faire d’une infinité de manières et cela a permis, entre autres, la théorie de la relativité. Maintenant, si je prends le cinéma moderne, je constate qu’après la guerre apparaît un type d’espace qui procède par voisinages, les connections d’un petit morceau avec un autre se faisant d’une infinité de manières possibles et n’étant pas prédéterminées. Ce sont des espaces déconnectés. Si je dis : c’est un espace riemannien, ça a l’air facile et pourtant c’est exact d’une certaine manière, il ne s’agit pas de dire : le cinéma fait ce que Riemann a fait. Mais, si l’on prend uniquement cette détermination de l’espace voisinages raccordés d’une infinité de manières possibles, voisinages visuels et sonores raccordés de manière tactile, alors, c’est un espace de Bresson. Alors, bien sûr, Bresson n’est pas Riemann, mais il fait dans le cinéma la même chose qui s’est produite en mathématiques et il y a écho.
Un autre exemple : il y a dans la physique quelque chose qui m’intéresse beaucoup, qui a été analysé par Prigogine et Stengers, et qu’on appelle « transformation du boulanger. On prend un carré, on l’étire en rectangle, on coupe le rectangle en deux, on rabat une partie du rectangle sur l’autre, on modifie constamment le carré en le réétirant, c’est l’opération du pétrin. Au bout d’un certain nombre de transformations, deux points, si rapprochés soient-ils dans le carré originel, se trouveront fatalement dans deux moitiés opposées. Ça donne l’objet de tout un calcul et Prigogine, en fonction de sa physique probabilitaire, y attache une grande importance. Là-dessus, je passe à Resnais. Dans son film Je t’aime, je t’aime on voit un héros qui est reporté à un instant : sa vie et cet instant va être pris dans des ensembles différents à chaque fois Comme des nappes qui vont être perpétuellement brassées, modifiées, redistribuées, de telle façon que ce qui est proche sur une nappe va être au contraire très distant sur autre. C’est une conception du temps très frappante, très curieuse cinématographiquement et qui fait écho à la « transformation du boulanger ».
[…] Du coup, la philosophie, l’art et la science entrent dans des rapports de résonance mutuels et dans des rapports d’échange, mais, à chaque fois, pour des raisons intrinsèques. C’est en fonction de leur évolution propre qu’ils percutent l’un dans l’autre. Alors, dans ce sens, il bien considérer la philosophie, l’art et la science comme des espèces de lignes mélodiques étrangères les unes autres et qui ne cessent pas d’interférer. La philosophie n’ayant, là-dedans, aucun pseudo-primat de réflexion, et dès lors aucune infériorité de création. Créer des concepts, c’est non moins difficile que de créer de nouvelles combinaisons visuelles, sonores, ou créer des fonctions scientifiques. Ce qu’il faut voir, c’est que les interférences entre lignes ne relèvent pas de la surveillance ou de la réflexion mutuelle. Une discipline qui se donnerait pour mission de suivre un mouvement créatif venu d’ailleurs abandonnerait elle-même tout rôle créateur. L’important n’a jamais été d’accompagne le mouvement du voisin, mais de faire son propre mouvement. Si personne ne commence, personne ne bouge. Les interférences ce n’est pas non plus de l’échange : tout se fait par don ou capture.
Ce qui est essentiel, c’est les intercesseurs. La création, c’est les intercesseurs. Sans eux il n’y a pas d’œuvre. Ça peut être des gens — pour un philosophe, des artistes ou des savants, pour un savant, des philosophes ou des artistes — mais aussi des choses, des plantes, des animaux même, comme dans Castaneda. Fictifs ou réels, animés ou inanimés, il faut fabriquer ses intercesseurs.
C’est une série. Si on ne forme pas une série, même complètement imaginaire, on est perdu. J’ai besoin de mes intercesseurs pour m’exprimer, et eux ne s’exprimeraient jamais sans moi : on travaille toujours a plusieurs, même quand ça ne se voit pas. A plus forte raison quand c’est visible : Félix Guattari et moi, nous sommes intercesseurs l’un de l’autre.
La fabrication des intercesseurs à l’intérieur d’une communauté apparaît bien chez le cinéaste canadien Pierre Perrault : je me suis donné des intercesseurs, et c’est comme ça que je peux dire ce que j’ai â dire. Perrault pense que, s’il parle tout seul, même s’il invente des fictions, tiendra forcément un discours d’intellectuel, il ne pourra pas échapper au « discours du maître ou du colonisateur », un discours préétabli. Ce qu’il faut, c’est saisir quelqu’un d’autre en train de « légender », en « flagrant délit de légender »…Alors se forme, à deux ou à plusieurs, un discours de minorité. On retrouve ici la fonction de fabulation bergsonienne… Prendre les gens en flagrant délit de légender, c’est saisir le mouvement de constitution d’un peuple. Les peuples ne préexistent pas.
[…] Cette idée que la vérité, ce n’est pas quelque chose qui préexiste, qui est à découvrir mais qu’elle est à créer dans chaque domaine, c’est évident, par exemple dans les sciences. Même en physique, il n’y a pas de vérité qui ne suppose un système symbolique, ne serait-ce que des coordonnées. Il n’y a pas de vérité qui ne « fausse » des idées préétablies. Dire « la vérité est une création » implique que la production de vérité passe par une série d’opérations qui consistent à travailler une matière, une série de falsifications à la lettre. Mon travail avec Guattari : chacun est le faussaire de l’autre, ce qui veut dire que chacun comprend à sa manière la notion proposée par l’autre. Se forme une série réfléchie, à deux termes. N’est pas exclue une série à plusieurs termes, ou des séries compliquées, avec bifurcations. Ces puissances du faux qui vont produire du vrai, c’est ça les intercesseurs […] »
« Si nous n’avions pas approuvé les arts et inventé cette sorte de culte du non-vrai, nous ne saurions du tout supporter la faculté que nous procure maintenant la science, de comprendre l’universel esprit de non-vérité et de mensonge, de comprendre le délire et l’erreur en tant que conditions de l’existence connaissante et sensible » Nietzsche.
A l’occasion de la journée d’étude [écologie, science, art et société] organisée par le collectif green is beautiful, peut-être n’est-il pas inutile de faire le point sur les convergences possibles entre l’art et de l’écologie. Question que nous abordons régulièrement ici sous l’angle suivant : si l’écologie est une chance de développement doux pour notre époque, l’art est une chance de développement doux pour l’écologie.
La perspective écologique, c’est l’art des agencements. Autrement dit, la compréhension des différents circuits dans lesquels s’insère et racine l’âme humaine. Comme ces relations et compositions nous semblent plus ou moins inaccessibles à notre mode de pensé actuel (linéaire, séquentiel), notre hypothèse est bien que l’art en est l’une des principale portes d’entrée.
« […] L’art, à une fonction positive, consistant à maintenir ce que j’ai appelé « sagesse », modifier, par exemple, une conception trop projective de la vie, pour la rendre plus systémique […] ce que la conscience non assistée (par l’art, les rêves, la religion…) ne peut jamais apprécier, c’est la nature systémique de l’esprit. » Grégory Bateson
Coévolution, interaction, rétroaction,…autant de concepts issus de la systèmique et qui forment aujourd’hui les bases de la pensée écologique scientifique. A partir de là, l’approche écosystémique est donc une façon de percevoir à la fois l’arbre et la forêt, sans que l’un ne masque l’autre. L’arbre est perçu comme une configuration d’interactions appropriée aux conditions de vie de la forêt, elle-même association d’arbres dont les interactions produisent leur propre niche écologique individuelle. Nous ne pouvons donc pas donner à comprendre clairement l’écologie par des approches classiques, linéaires et exclusives.
Or le projet de l’œuvre d’art est un projet intégrateur qui rencontre précisement cet objectif de la pensée écologique. Comme le disait Nietzsche, le corps dansant a le pouvoir d’unir les contraires et « nous avons l’art, afin de ne pas mourir de la vérité ». Une vérité entendue au sens d’un mode de pensée figé dans des frontières terriblement fixes (individu/collectivité, artificiel/naturel…)
« L’écologie est un grand tournant, à condition que cette écologie soit mariée à la dimension sociale et économique, avec toute forme d’altérité, pour former une idéologie douce, qui fasse sa place aux nouvelles connaissances. » Félix Guattari.
De la terre tourne autour du soleil à l’individu ne tourne pas autour d’un moi conscient, les véritables révolutions de nos modes de pensée ont toujours été accompagnées de nouvelles perspectives artistiques. Alors si la révolution freudienne avait ouvert la porte aux mouvements dadaïstes et surréalistes, que peut-on attendre de la révolution écologique ? Révolution que l’on pourrait définir comme suit : nos idées sont immanentes dans un réseau de voies causales (système d’information) dont les limites ne coïncident ni avec celles du corps, ni avec celles de ce qu’on appelle communément soi ou conscience. Autrement dit un « abandon des frontières de l’individu comme point de repère ». Bateson remarquait que si Freud avait « étendu le concept d’esprit vers le dedans […] à l’intérieur du corps », lui-même entendait « étendre l’esprit vers le dehors ». Ces deux mouvements ayant ceci de commun qu’ils s’accompagnent de la réduction du champ du soi conscient.
« La monstrueuse pathologie atomiste que l’on rencontre aux niveaux individuel, familial, national et international – la pathologie du mode de pensée erroné dans lequel nous vivons tous – ne pourra être corrigée, en fin de compte, que par l’extraordinaire découverte des relations qui font la beauté de la nature. » Gregory Bateson.
De ce que nous avons pu balayer sur quelques articles, nous pouvons peut-être essayer de synthétiser quelques unes des forces ou processus à l’oeuvre et qui pourraient être manipulés à des fins d’illustration artistique de la question écologique.
Un monde vécu comme de plus en plus clos : le processus d’uniformisation des pratiques humaines né de la mondialisation rend aujourd’hui de plus en plus difficile la rencontre avec toute forme de différence. Nous vivons ainsi comme dans une cloche sous laquelle les rétroactions de nos actions nous apparaissent comme de plus en plus visibles (effet boomerang). On pourrait même dire audibles sous la forme d’échos, ce que Raphaël Bessis nomme l’échoïsation du monde.
Un devenir végétal : dans la mesure où plus aucun des territoires de la planète ne porte pas une trace de moi-même (les mêmes pesticides dans les glaces polaires et dans mes testicules…), pulsion de fuite et mouvement perdent de leur intérêt stratégique. Dès lors, en pensant le rapport animal et végétal sur la base de stratégies de captation de l’énergie différenciées, l’une en mouvement, l’autre non, peut-on imaginer que le développement des humains adopte un modèle plus végétal ? Un mode où à l’image de la plante pour la lumière et l’eau, l’individu étendrait en surface ses capteurs d’information dans le réseau sociétal, à la recherche de sens composites (informations, énergie). En contrepoint, il délaisserait la construction de son intériorité au profit d’un nouveau type de croissance : en extérieure, en surface, par réitération et redondance, en multipliant les chemins de circulation de l’information. Parallèlement, ce dernier ne pourrait plus se satisfaire du substrat traditionnel des connaissances : analytique, linéaire et séquentielle.
Un mix-monde, fait de sample et d’extraction : dans un monde intégré, l’individu cherche à combiner et expérimenter les approches de toute nature dont il a les « échos » permanents dans la société informationnelle au sein de laquelle il « pousse » (scientifiques, industrielles, médiatiques, artistiques…). Mais sa conscience n’est qu’une petite partie systématiquement sélectionnée et aboutit à une image déformée d’un ensemble plus vaste, le réel. Gregory Bateson : « La vie dépend de circuits de contingences entrelacés, alors que la conscience ne peut mettre en évidence que tels petits arcs de tels circuits que l’engrenage des buts humains peut manœuvrer. » Ignorant ces circuits plus vastes, l’individu sample des entités à partir d’un mode de pensée atomiste sujet-objet. Le poulet en batterie est un sample du poulet naturel. C’est-à-dire une entité extraite de son environnement (circuit initial), tout comme on extrait un son d’un ensemble musical. Le sample n’a évidement plus les mêmes capacités que l’original dans son contexte, mais à en rester à la forme on dira que c’est toujours un poulet et on pourra le multiplier à l’infini (copier/coller…).
Extérieur/intérieur : tout système peut se représenter comme une différenciation interne entretenue par un flux énergétique (matière, information) externe qui le traverse. Ce flux détermine donc un intérieur différencié et un extérieur qu’on appelle environnement. C’est-à-dire un système plus ouvert à la circulation des flux et qui assure la régulation de l’ensemble. Tout système est donc relié à un environnement (à un autre système plus ouvert), à une écologie (à des relations entre systèmes). Mais dans quelle mesure l’intérieur n’est-il qu’un extérieur sélectionné, l’extérieur, un intérieur projeté ?
Individu/collectivité : l’individu est une configuration singulière qui ne prend forme qu’en rapport à d’autres configurations singulières, lesquelles ne se comprennent que dans un contexte très dynamique. L’homme, sous-système de systèmes, ne compose toujours qu’un arc dans un circuit plus grand qui toujours le comprend lui et son environnement (l’homme et l’ordinateur, l’homme et la canne…). Gregory Bateson : « L’unité autocorrective qui transmet l’information ou qui, comme on dit, pense, agit et décide, est un système dont les limites ne coïncident ni avec celles du corps, ni avec celles de ce qu’on appelle communément soi ou conscience ». Alors de quoi je suis capable (mode d’existence) dans tel agencement, dans tel circuit ? Comment je m’insère dans ces réseaux de réseaux ?
Artificiel/naturel : à la condition de considérer l’être humain come un « empire dans un empire », hors-circuit et hors contexte, ce qu’il fabrique aurait donc un caractère spécial par nature. Gilles Deleuze : « L’artifice fait complètement-partie de la Nature, puisque toute chose, sur le plan immanent de la Nature, se définit par des agencements de mouvements et d’affects dans lesquels elle entre, que ces agencements soient artificiels ou naturels […] une composition des vitesses et des lenteurs, des pouvoirs d’affecter et d’être affecté sur ce plan d’immanence. Voilà pourquoi Spinoza lance de véritables cris : vous ne savez pas ce dont vous êtes capables, en bon et en mauvais, vous ne savez pas d’avance ce que peut un corps ou une âme, dans telle rencontre, dans tel agencement, dans telle combinaison. »
Plier pour rapprocher : dans un monde intégré et complexe, il ne s’agit plus de chercher à dénouer, mais bien à nouer. L’ensemble de l’esprit est un « réseau cybernétique intégré » de propositions, d’images, de processus etc. etc.…, la conscience, un échantillon des différentes parties et régions de ce réseau. Gregory Bateson : « si l’on coupe la conscience, ce qui apparaît ce sont des arcs de circuits, non des pas des circuits complet, ni des circuits de circuits encore plus vaste. ». Ainsi plier le papier, notre conscience, pour en rapprocher les bords.
http://utime.unblog.fr/2007/05/02/ecologie-education-et-approche-systemique/