Archive pour la Catégorie 'Art et ecologie'

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Conter et décloisonner

Conter et décloisonner dans Art et ecologie g

     C‘est avoir une vision bien limitée des problèmes de l’écologie que de croire que nous allons les identifier, pour y répondre, à travers les mesures physico-chimiques de machines qui après tout ne détectent que ce qu’on leur demande bien de detecter. Alors pour y arriver dans cette voie, sans doute devra-t-on nous démontrer que la solution existe en présupposant cette même solution…

http://www.dailymotion.com/video/x4blm8

C’est encore avoir une vision bien limitée que de croire que les arbres et autres végétaux feront le travail pour nous. Collecteur de CO2, et bien plantons ces nouvelles biomachineries et laissons faire la nature. Elle a toujours raison, comme on dira à l’occasion! Reste qu’assez loin de l’idée d’un végétal que nous dominerions du haut de nos multiples savoirs, observons simplement que nos société tendent à opter pour des stratégies organisationnelles (de type) végétales (réseau, rhizome, voir les travaux de R. Bessis). De sorte que le « dominé » n’est sans doute pas du côté que l’on pense tant notre dépendance vis à vis de la plante croît chaque jour un peu plus (nourriture, production d’O2, absorbtion de CO2, lutte contre l’érosion et la désertification, régulation climatique et hydrique, bois énergie, biocarburant, médicament…). N’oublions pas que la forme de vie végétale est la seule capable de puiser son énergie directement à partir du soleil. Le producteur primaire est ainsi le seul à tiré son énergie hors de la terre, les pieds pourtant fermement immobilisés dedans.

Mais bref, et les hommes dans tout ça ? Un simple pilote au-dessus de la mêlée ? Mais parmi toutes ces « solution-machines », ont-ils encore leur mot à dire une fois dit que la question écologique implique certainement de travailler directement l’étoffe même des choses dont ils sont faits ?

http://www.dailymotion.com/video/x3wsaw

Il y a de la résistance dans l’écologie. Résistance au dualisme, résistance à la tentation de se penser comme « un empire dans un empire« , résistance aux machines de la science et aux sillons des professionnels par une écologie capable de penser contre elle-même, résistance à un certain type de rapport de production and so on… En un mot peut-être, une résistance à toute formulation de type: « moi, j’ai la solution« .

danse1 dans Biodiversité

Alors à la suite de Deleuze et de bien d’autres, on s’insèrera par le milieu les pieds dans l’herbe pour chanter que: « créer c’est résister« . Si les arbres collectent et machinent le CO2, nous collectons des histoires, des perceptions et composons des oeuvres, des récits… Soit autant de graines englobant des modes d’existence passés et à venir. Pour notre conte, mais pas uniquement pour notre compte. Pour d’autres hommes, mais aussi comme un pont tendu vers et à destination de nouvelles formes de vie à venir. Cartographe, historien, poète, musicien, écrivain, écologue, banquier… nous participons tous par nos collectes à la diversité du phénomène du vivant. Alors l’écologie c’est aussi protéger ces espèces immatérielles nées de nos perceptions, et qui témoignent pour la vie dans son ensemble. Avec et sans nous, aux armes…surmonter ! 

Il ne s’agit donc pas de planter mécaniquement, partout et en tout lieu, des arbres pour une même fonction. Ils savent le faire tout seul, sous reserve de leur garantir les territoires et conditions pour se faire. Mais planter des récits comme autant de graines des nouvelles diversités et modes d’existence à produire, voilà peut-être bien une action humaine à replacer très haut dans la hierarchie de ce que pourrait-être une écologie étendue (?!)

http://www.dailymotion.com/video/x3w9xv

Parmi les récits de l’écologie, restent encore à bien des choses à écrire, créer, englober… intégrer. Qui sont, que deviennent nos personnages, où sont nos mondes ? Savoir conter tout autant que compter.

http://www.dailymotion.com/video/x3x1a6

Micro-tentative fantasmée d’auto-bio-récit-graphie sur lignes climatiques (:?! rassemblement de membres épars)

http://www.dailymotion.com/video/x3xay2

Machines that feed us, and that we feed…

http://www.dailymotion.com/video/3vLPNeufdX3hVm27q

Il apparait assez évident que les auteurs du blockbuster « The Matrix » ont bien dû visiter une usine de fabrication/abattage de poule avant d’être en mesure d’imaginer leur monde.  

Monde de machines où vivotent des hommes Duracell dont les affects sont seulement maintenus par une projection d’images, finalement tout comme nos poulets dont on inhibe la peur par la projection de lumières UV. Alors on aura beau nous dire que leur concept est sortie tout droit d’un rêve, on n’aura bien du mal à y croire en jettant un coup d’oeil à la petite rencontre qui suit. L’hypoyhèse d’une surconsommation de poulet industriel comme élément déclencheur du film Matrix n’est donc pas à exclure (:)

http://www.dailymotion.com/video/7q3CoOpn4MobOo78U

Le poulet moderne, sample du poulet tel qu’il pouvait exister dans les fermes.org des années .50, n’est plus aujourd’hui qu’une sélection/maximisation d’une certaine quantité de chair. Extraction réalisée avec et par des machines. Tant est si bien qu’on pourrait se demander à raison s’il faut continuer à appeler cette forme de vie à basse intensité « poulet ». Car ce poulet est bel et bien programmé pour n’être en rien capable des actions du poulet d’antant. Optons donc pour la dénomination pouleX faute de mieux.

Machines that feed us, and that we feed... dans -> PERSPECTIVES TRANSVERSES poulex3

PouleX vit et meure dans une matriX qui s’étend de nos rapports imaginaires au monde à la réalité de nos intestins. Un drôle d’ensemble qui se matérialise dans un agencement de machines d’apparence assez effrayantes, mais qui, chemin faisant, n’est certainement pas dénué de toute proposition esthétique.

Et c’est bien là la force de certaines scènes du film « We feed the world« . Aller chercher la petite trace de vie résiduelle, le petit bug au coeur des machines qui nous laisse encore à voir la fragilité de cet univers, rien qu’un possible parmi d’autres, une invention baroque qui n’est sûrement pas la fin de l’histoire. Dit autrement, comme on me le souffle à l’oreille:  » le tournecou, seul vestige rassurant de présence humaine !  »

De ce système qui déborde largement le champ de la caméra et dont les échos sonores nous renvoient à l’image d’une surface monde, le zoom que le réalisateur opére sur un minuscule point de félure nous donne soudainement à voir cet ensemble comme inquiet de l’intérieur. Stupéfiant, déroutant, presque encore vivant! 

poulex dans Art et ecologie

Encore plus petit et fragile que le pouleX, un tout petit bug, une sorte de tournevis rajouter à la va vite par un opérateur anonyme. Un détail sinistre qui nous renseigne. Son but : s’assurer que la tête de poulet X soit entièrement détachée de son corps (propreté cartésienne avant tout!). Car même la tête sectionnée, un ligament peut encore venir perturber l’ensemble du système, dans un rapport qui nous rappellera celui de la mouche et de la machine à écrire du film Brazil.

Horreur, la tête de pouleX tient encore ! Idée géniale et artisanale d’une autre époque, hybridation du système. Rajoutons vite à la va vite une sorte de tire bouchon non alcoolique qui fera que si la tête tient encore à un fil (toujours bêtement codé dans l’ADN pré-machine de pouleX), et bien au niveau du passage de la chaîne de « démontage pouleX » à cette endroit précis où le code se ramolit, le fil de l’angoisse viendra alors s’enrouler et se prendre autour de la spirale pour être définitivement arraché au corps. Ouf ! Sauvés, nous le sommes, la continuité fonctionne ! Et merci au passage à la bonne vieille mécanique classique.

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Identifier cette petite pièce de rien du tout qui représente « sans doute approximativement » 1/10000000000ème de la taille de l’ensemble du système révèle immédiatement le talent de l’observateur et de la qualité du réalisateur. Donner à voir ! On ne peut filmer l’ensemble, il est impossible de filmer l’ensemble des machines de ce système monde, alors sélectionnons les fragments les plus parlants, les plus révélateurs. Ceux qui font directement sens.

Une fois fait, explorons alors l’éthologie minimaliste et l’intériorité zéro de pouleX. Au hasard des rencontres, il ne cesse pas de subir les chocs extérieurs des machines, forcé qu’il est à boire, à manger, à mourir à telle heure…véritable machine vivante à l’emploi du temps millimétré. Mais dire que tout cela ne tient qu’à un fil, alors il faut bien un film ! Enfin un petit bout de film…plastique.

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Composer ses rapports au monde: surfer ou barboter ?

http://www.dailymotion.com/video/6ve6erCfMG8GGniEA

Trajectoires… pris que nous sommes dans une nature fourmillante, évoquons la technique de soi, le modèle de composition/construction du surfeur. Ce mode d’existence qui s’insère par le milieu des choses, qui chercher à additionner sa puissance à celle de la vague, peut éclairer notre mode d’écoute au monde, renseigner notre rengaine du mais par où commencer ?

D’après la proposition IV de l’Ethique IV, il y a nécessité à composer ses rapports avec les corps extérieurs du fait de l’irréductible extériorité des affects-passions (sentiments) qui nous remplissent: « Il est impossible que l’homme ne soit pas une partie de la nature, et qu’il ne puisse souffrir d’autres changements que ceux qui se peuvent concevoir par sa seule nature et dont il est la cause adéquate. »

D’où le corollaire de cette même proposition: « Il suit de là que l’homme est nécessairement toujours soumis aux [affects] passions (sentiment), qu’il suit l’ordre commun de la nature et y obéit et s’y accommode, autant que la nature des choses l’exige. »

Qui plus est, Ethique IV, proposition V : « La force et l’accroissement de telle ou telle affect-passion (sentiment) et le degré où elle persévère dans l’existence ne se mesurent point par la puissance avec laquelle nous faisons effort pour persévérer dans l’existence, mais par le rapport de la puissance de telle ou telle cause extérieure avec notre puissance propre. » 

Composer ses rapports au monde: surfer ou barboter ? dans Art et ecologie porsche730 

L’homme et la vague, l’homme et le camion, l’homme et l’eau etc etc… c’est à dire le rapport de puissance qui fait qu’un corps va décomposer les rapports caractéristiques de l’autre dans l’évènement que constitue leur rencontre. Capture de parties extrinsèques et modification de rapports caractéristiques, voilà quelques bases d’une chimie spinoziste.

Dans la nature, nous sommes donc condamnés aux rencontres, aux affects-passions du fait de l’effet des corps étrangers sur le notre, du fait que nous formons des idées inadéquates, c’est à dire limitées aux effets de ces corps sur le notre. Je marche dans la rue et je me (dé)compose avec tous les corps existants de la rue.

D’après Ethique III, définitions générales, une idée enveloppe un affect en tant que celui-ci est une transition vécue. Un passage déterminé par le degré de perfection d’une idée à l’autre, mais qui n’est donc pas une idée au sens où celles-ci ne sont jamais porteuses en elles-mêmes des conséquences de leur affirmation en nous-même. D’où la définition de l’affect suivante : une variation (+ ou -) continue (ligne mélodique) de la puissance d’agir ou de la force d’exister de quelqu’un en fonction du degré de perfection des idées qu’il a (cf. III 56 et III déf.2). Plus = joie, moins = tristesse.

flute dans Deleuze

Ainsi, pour Spinoza, selon les degrés de perfection des idées, on définira donc un genre de connaissance (connaissance = auto-affirmation de l’idée en moi) duquel découle un certain mode d’existence fonction des affects dont on est capable en fonction des idées qu’on a. 

Idée inadéquate ou idée affection (barboter) : le premier genre de connaissance, la connaissance « sensible » par les effets des rencontres. Soit le mode d’existence passif où « je vis au hasard des rencontres et des chocs extérieurs ». C’est le monde des perceptions confuses, des signes équivoques dont il ne peut découler que des affects passions du genre: « Ah maman la vague m’a battu ! ». Connaissance mutilée.

Idée notion ou commune (surfer) : le deuxième genre de connaissance, la connaissance par les causes. Soit le mode d’existence actif où « je connais les rapports de convenance et disconvenance entre les corps et où je choisis les bonnes rencontres ». C’est le monde des expressions univoques dont il découle des affects actions du genre:  »Je sais nager ». Connaissance rationnelle.

Idée essence ou « intuitive » : le troisième genre de connaissance, la connaissance par les essences singulières dont les rapports dépendent. Soit le mode d’existence auto-actif où je suis la cause de ce qui m’arrive. Où je suis en « béatitude » dans la mesure où le degré de puissance qu’est mon essence prend conscience de lui-même et des autres degrés de puissance. Il en découle des auto-affects. Connaissance intuitive, soit celle qui fait l’économie du raisonnement.

D’après Ethique II, axiome 3, l’idée est un mode de pensée qui représente quelque chose (l’effet d’un corps sur le mien), l’affect un mode de pensée qui ne représente rien, comme le fait de désirer quelque chose (persévérer dans son être). Si nous avons donc un primat chronologique et logique de l’idée sur l’affect dès lors que pour désirer quelque chose il est nécessaire d’avoir une idée de cette même chose, nous avons cependant un primat « existentiel » de l’affect sur l’idée ou la raison dans la mesure où d’après Ethique IV, proposition VII: « Une passion (sentiment) ne peut être empêchée ou détruite que par une passion contraire et plus forte. » Autrement dit, j’ai beau savoir que ceci ou cela est mauvais pour moi, tant que cette connaissance ne devient pas affect, elle est sans effet sur mon désir, et par exemple, je continue à fumer.

http://www.dailymotion.com/video/aFygEaaoiD8CWnh80

Pour paraphraser Deleuze, c’est là où la philosophie devient quelque chose de très concret. Car comment s’en sortir une fois dit que nous sommes condamnés aux rencontres et aux idées inadéquates nées de celles-ci ? Alors prendre un point de départ local sur une joie à condition qu’on sente qu’elle nous concerne vraiment (utile propre). Une musique par exemple. Là-dessus on forme la notion commune, c’est à dire l’idée adéquate d’un corps qui fait présenter son âme ou son corps sous le rapport qui se compose le plus directement avec le rapport de cet autre de la rencontre. Là-dessus, on essaie de gagner localement pour étendre cette joie.

Deleuze :  » Le point de départ c’est l’idée de la notion commune et l’affect de joie, c’est l’effet recherché, c’est le mouvement d’intensité dans lequel on cherche à se glisser, comme le surfeur sur sa vague, pour arriver à une idée dont le degré de perfection sera plus grand. » A partir delà on va pouvoir doubler ou remplacer les affects-passions tristes, mais sans jamais s’appuyer dessus. Nous n’avons rien à faire avec la tristesse, elle n’est jamais un tremplin vers quoi que ce soit.

Arts d’existence, souci ou technique de soi. Poser l’expérience. Marcher dans le désordre apparent de la rue, aller à la rencontre. Allumer une musique qui nous atteint joyeusement, garder son attention sur le dehors, surfer sur cette joie de la rencontre musicale, rester présent au dehors, accroître sa puissance d’agir en développant cet agencement, rester souple…surfer. Et d’un coup les couleurs changent. Ma puissance n’est plus seule, elle s’additionne, elle prend appui. Remplacer la musique par autre chose…continuer à tester le surf. Construire ses agencements, préparer ses rencontres.

« Par réalité et perfection j’entends la même chose. » Ethique II, proposition VI.

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« Le désir n’a pas pour objet des personnes ou des choses, mais des milieux tout entiers qu’il parcourt, des vibrations et flux de toute nature qu’il épouse. »
Gilles Deleuze et Félix Guattari, L’Anti-Œdipe.

Imagerie cérébrale du jour

Imageries cérébrales (10/2007)
Album : Imageries cérébrales (10/2007)
ou neuro-imagerie, désigne l-ensemble des techniques issues de l-imagerie médicale qui permettent d-observer le cerveau, en particulier lorsque qu un individu exécute une tâche cognitive.
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Source photos : http://fleur2montmagner.free.fr

Green is beautiful

SORTIE DU WEB(MAGA)ZINE GREEN IS BEAUTIFUL® N°2

Green is Beautiful Webzine n°2

GREEN IS BEAUTIFUL® est un collectif créé en 2005 regroupant des professionnels de la communication, des artistes, des journalistes et des scientifiques tournés vers le développement durable. Le collectif évolue au carrefour de la communication éco-responsable, de l’esthétique verte ainsi que de l’éducation à la préservation de l’environnement. En savoir +

Des visages, des figures : les « écosystèmes » lynchiens

Passer d’un plan, d’une frontière à une autre, intégrer différents niveaux, faire se renconter des contraires, imposer de nouvelles règles, faire circuler…comment tout ça tient-il ensemble ? 

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     Des visages, des figures. Jusqu’à présent nos petites espèces immatérielles vivent et cohabitent sur différents territoires de la pensée. Territoires « qui chante quoi appartient à quoi » dans lesquels elles sont soumises à des rapports de forces. Zoom dans l’herbe, et observons maintenant quelques unes des « espèces emblématiques ».

Pour Deleuze, « constituer un territoire, c’est un peu la naissance de l’art… ». Lorsqu’un animal définit son territoire, il réalise une série de marquages qui sont des postures, des lignes, des couleurs, des chants…Commençons donc par nous interresser à la niche écologique d’un sujet comme David Lynch.

De la niche au monde…

Des visages, des figures : les ACTUS image001" />

Représentation, cadre et contexte

Un metteur en scène est capable de créer des mondes et les transmettre. Autrement dit, il donne accès à de nouvelles rencontres sous forme d’idées et d’affects en manipulant différents agencements conducteurs, différent dispositifs faits de sons, mouvements, lumières, couleurs…Mais pour ce faire, encore lui faut-il construire le terrain de jeu qui rendra ses nouvelles «règles» acceptables.

Alors construire un terrain de jeu, ou un monde, c’est d’abord isoler des caractères perceptifs parmi une nature « fourmillante ». Séparer et trier entre ce qui est « important » et ce qui ne l’est pas. Déformer pour reformer. Comme le dit von Uexküll, « chaque espèce vit dans un monde unique, qui est ce qui lui apparaît  déterminé par son organisation propre […] rien que quelques signes comme des étoiles dans une nuit noire immense ».

Sur ce terrain de jeu, vont alors pouvoir prendre place des personnages adaptés. Gilles Deleuze : « Un lointain successeur de Spinoza [Uexküll] dira : voyez la tique, admirez cette bête, elle se définit par trois affects, c’est tout ce dont elle est capable en fonction des rapports dont elle est composée, un monde tripolaire et c’est tout! La lumière l’affecte, et elle se hisse jusqu’à la pointe d’une branche. L’odeur d’un mammifère l’affecte, et elle se laisse tomber sur lui. Les poils la gênent, et elle cherche une place dépourvue de poils pour s’enfoncer sous la peau et boire le sang chaud. Aveugle et sourde, la tique n’a que trois affects dans la forêt immense, et le reste du temps peut dormir des années en attendant la rencontre. […] »

Sécurité de l’action dans un terrain de jeu, il s’agit donc pour tout sujet « réalisateur » de composer un monde optimal - le réseau de relations qui porte une existence - au sein de l’environnement pessimal qu’est l’infinité indiscernable de la nature. Gilles Deleuze: « C’est pourquoi Uexküll s’est principalement intéressé à des animaux simples qui ne sont pas dans notre monde, ni dans un autre, mais avec un monde associé qu’ils ont su tailler, découper, recoudre : l’araignée et sa toile, le pou et le crâne, la tique et un coin de peau de mammifère. »

…du monde à l’écosystème

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     Un réalisateur produit donc un monde, délimite l’espace de jeu dans lequel il va pouvoir transmettre idées et affects propres. Un monde qui chez Lynch est fait d’extractions lumineuses (telle couleur et pas une autre parmi les milliers de gammes possibles), de déformations des proportions des corps et d’attractions étranges (modification et pivotage des angles, multiplication des points de vue sur le même…)

Mais un monde n’est pas un écosystème. Dans ce dernier, à partir d’un élément du monde, le spectateur est capable de reconstruire une vision de l’ensemble. Or il semble que le monde de Lynch puisse répondre à cette définition de l’écosystème à travers certaines des répétitions qui (co)existent d’une œuvre à l’autre : redondances, modèles et structures caractéristiques de systèmes complexes.

Alors ici on ne va pas se demander comment tout ça se produit dans la tête du réalisateur (point de vue psychanalytique[1]), mais on va plutôt tenter d’évoquer rapidement quelques pistes ou sensations très fragmentaires autour d’un comment tout ça fonctionne ensemble (point de vue écologique).

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Diffusion, contamination et dissipation

     Premièrement, l’écosystème lynchien est marqué par l’instabilité. Le réseau des relations est non linéaire (espaces, temps). Chaotique dans la mesure où ce qui se passe en un point du système a toujours des répercutions imprévisibles sur l’ensemble.

Il a toujours contamination (la tristesse dans la scène du bar de Twin Peaks faisant suite au meurtre de Maddy), il y a toujours cohabitation (le « je suis chez vous en ce moment même » de Lost Highway), et donc coévolution entre les différents niveaux ou profondeurs d’un réel multiple fait de couches rêves/réalités sans véritables contours. Ni dedans, ni dehors dans le temps ou l’espace. Des mondes oui, mais associés et imbriqués.

Ce qui se répète d’un plan à l’autre, ce sont des formes non identitaires, des objets/personnages. Ce qui diffère, ce sont des flux et des décalages. Des décalages de vitesse et de lenteur, des décalages par rapport à un manque (bras, œil, sourcil, taille) autour d’un axe (attraction étrange) normalité/banalité.

http://www.dailymotion.com/video/4zhaAA3JXYUhLm68Q

Tout cela est possible du fait que nous sommes dans un univers de flux où toute image/forme n’est donc qu’un instantané, un enregistrement (« all is recorded ») à déplier/répliquer.

image003 dans David Lynch

« All is recorded »

Qu’ils soient sonores (irriguant des routes, des couloirs ou des câbles électriques) ou lumineux (éclair, stroboscope, sol en Z reflètant), ces flux traversent, bombardent, chargent et déchargent les diverses formes réceptacles que sont les objets/personnages récurrents.

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Flux et support conducteur

Ces objets/personnages fonctionnent donc à l’image de conduites de stockages temporaires, récurrentes, et non caractérisées par une frontière humain/non humains.  C’est la traversée d’un ou plusieurs flux qui en définit la forme, donc le sens, en modifiant les couleurs, la texture (déclinaison des rideaux rouges), en génèrant des échos (écrans, réfractions) sonores…

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L’objet/personnage du rideau rouge se reterritorialise ici en peinture rouge. Changement de texture mais signifié (contexte) stable

Absence d’intériorité et discrimination par des flux extérieurs entrant et sortant, ces éléments sont donc interchangeables dans différentes chaînes de signification ou séquences redondantes.

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Absence d’intériorité du personnage et identité donnée par le contexte (le rapport des flux extérieurs qui l’irriguent)

Leur sens varie en fonction des bombardements du dehors, du contexte et des contours musicaux qui permettent de multiplier les points de vue sur le même. En conséquence, les objets/personnages sont indépendants les uns des autres que ce soit dans la succession des plans ou dans leurs associations, déconstructions et reconstructions (de la cabane en flammes aux personnages qui parlent…à l’envers puis à l’endroit).

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Systèmes d’alerte, instabilité, connexion et diffusion.

L’écosystème lynchien est également hiérarchisé. Une hiérarchie qui n’est pas de type humain/non humain. Les objets/personnages sont différemment capables de circuler entre les divers mondes apparents ou contextes. Les devenir dans le passage des différentes « espèces » ne sont pas les mêmes. Celui du personnage à la tête encastrée dans la table en verre dans Lost Highway, ceux des corps réceptacles poreux (Leland Palmer, Fred Madison) à remplir. Si les objets sont interchangeables et superposables, la composante personnage est néanmoins marquée par le passage : la couleur des cheveux, le visage ou le physique entier est modifié.

http://www.dailymotion.com/video/5WAK6JWxXSXFXm6SL

Dans le cadre lynchien, toute superposition (image/son) est possible du fait des différences de profondeur et de fréquence qui coexistent dans un même champ (hologrammes visuels, échos sonores). Le mouvement est donc un mouvement de diffusion, d’aborption, de dissipation, de capillarité des fluides : lumière, échos sonores, fumée.

Le passage entre les différents niveaux de profondeur est toujours marqué par un son, un flux de lumière, une ampoule qui cherche à s’éteindre ou à s’allumer, un chant ou une danse. A l’image des bioindicateurs, il existe une grille de lecture, des systèmes d’alerte qui marquent le temps des processus de connexion et de passage.

« Il flotte toujours une musique dans l’air » Red dwarf, Twin Peaks

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La grille de lecture classique du monde associé de Twin Peaks. L’effet stroboscopique de la lumière est également inscrit sur la surface du sol (éclairs)

 « Tout organisme est une mélodie qui se chante elle-même » von Uexküll

Territoire sonores et lumineux aux portes d’entrée multiples, comment tout cela tient ensemble ? L’écosystème lynchien est capable de résilience, c’est-à-dire d’absorber beaucoup de variations, de bruits, d’éléments contraires. Les limites des espaces ne sont pas spatiales mais musicales. Le liant sonore admet la cohabitation des contraires, rend flou toute frontière du dedans et du dehors. En jouant sur les fréquences (profondeurs superposables), il permet également de déformer l’espace (gros plan, contre plongée) pour l’occuper différemment.

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Différence dans la répétition : ici peu de code « rouge », seulement localisé au niveau des lèvres et souligné par l’absence des sourcils, mais inversion du marqueur musical. Cette fois l’arrivée de l’objet/personnage (le passage) est marquée par la coupure (l’absorption) du son.

Le cadre spatial est quant à lui fragmenté, le plan des décors coupé. Si les mouvements de caméras définissant des coutours sont souvent flous et partiels, c’est une cohérence d’ensemble qui permet au spectateur/visiteur de reconstruire les manques à partir de la reconnaissance sensible d’un marqueur temporel. Temps non linéaire, mais temps d’un processus. Ici n’est donc plus ici, et bien que les formes soient les mêmes, jai été affecté par le dispositif marquant le processus du changement. Je comprends que le contexte du jeu n’est plus le même, et j’admet que les règles changent.

http://www.dailymotion.com/video/65xaXMFdynph4m7M3


[1] Lynch et Lacan :

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Transmettre et bombarder

     D‘un certain point de vue, une idée, c’est l’extraction et la transmission d’une différence : « une unité d’information peut se définir comme une différence qui produit une autre différence. Une telle différence qui se déplace et subit des modifications successives dans un circuit constitue une idée élémentaire » - Vers une écologie de l’esprit, tome 1, Grégory Bateson, éditions du Seuil 1977.

Un affect, est la perception, sentiment ou expérience vécue d’une transition entre deux idées : « La joie est le passage de l’homme d’une moindre à une plus grande perfection. » [II, EIII]. C’est à dire que toute idée englobe un affect en ce qu’elle succède toujours à une autre idée. Si nous suivons Spinoza, les idées qu’on a impliquent et enveloppent des affects de joie ou de tristesse. La règle dans la Nature, c’est la perpétuelle rencontre des corps. Et nous ne cessons d’avoir des idées qui correspondent aux effets, aux affections que produisent ces corps sur le nôtre. L’esprit humain - attribut pensée - est donc idée du corps - attribut étendu. Nos idées sont alors dites adéquates lorsque nous sommes capables de composer un certain type de rapport avec le corps affectant, rapport caractérisé par la production d’un affect de joie qui augmente (transition) notre puissance ou persistance dans notre être. 

Le plus souvent au hasard des rencontres extérieures, nos sentiments oscillent ainsi entre joie et tristesse: « L’Amour est la joie accompagnée de l’idée d’une cause extérieure » [VI, EIII] -  » Le repentir est la tristesse qu’accompagne l’idée de quelque action que nous croyons avoir faite par un libre décret de l’esprit. » [XXVII, EIII]….

Inland Empire

De telles notions sont-elles utiles à celui qui chercherait à transmettre un savoir « écologique » ? C’est à dire un ensemble d’idées ayant la propriété de fonctionner entre elles de manière peut-être plus systémique que d’autres. Question, ce dernier point a-t-il des conséquences :

  • quantitatives, sur notre production d’idée au sens d’une identification plus poussée des différences perçues dans l’environnement, des rencontres possibles;

  • qualitatives, sur le caractère adéquat ou inadéquat des idées que nous pouvons en former;

  • enfin, sur le types d’affects que ces mêmes idées sont capables de produire en nous ?

En ce sens, il n’est peut-être pas inintéressant de s’intéresser à l’écologie particulière de cinéastes tels que David Lynch. On dit souvent d’un bon metteur en scène que ce dernier est capable de créer des mondes et de les transmettre. Autrement dit, nous donne accès à de nouvelles rencontres, sous forme d’idées et d’affects transmis par des supports conducteurs : des agencements, des dispositifs faits de sons, mouvements, lumières, couleurs…

Si nous suivons Spinoza, on peut dire que nos affects correspondent aux idées qu’on a. Et qu’à la limite, on ne « reconnaîtrait » quelque chose dans la Nature qu’à partir du moment où nous nous serions préalablement formés une idée de cette chose. Mais les choses nous rentrent dedans comme pour nous forcer à penser. Favoriser et accélérer les rencontres en nous bombardant, voilà peut-être un des objectifs du cinéaste, de tout passeur de points de vue :

http://www.dailymotion.com/video/gJryxuW8OzKa0kUAM

Tabac

http://www.dailymotion.com/video/47ZfOPgdOmH2je6zB

http://www.dailymotion.com/video/7HPnk8bwr0rRVipH0

http://www.dailymotion.com/video/4v2ZybhJSoH3bfgY6

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