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Notions de base sur les écosystèmes: ordre, information et entropie

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     Le concept d’auto-organisation, issu du domaine de la cybernétique, permet de concevoir qu’il puisse exister au sein de tout système biologique une certaine « créativité ». Que peut un environnement ? On ne le sait pas à l’avance. Henri Atlan, l’un des pionniers des théories de la complexité du vivant, parle d’auto-organisation pour tout système ayant « la capacité d’utiliser les phénomènes aléatoires pour les intégrer dans le système et les faire fonctionner comme des facteurs positifs, créateurs d’ordre, de structures, de fonctions ».

Dans le domaine biologique, les processus d’auto-organisation sont, par définition, ceux qui n’obéissent ni à une série formelle d’instructions d’origine interne (programme génétique), ni à une succession de stimuli externes prévus et nécessaires (programme épigénétique), ni à un apprentissage imposé en fonction de niveaux de développement du système nerveux central (programme scolaire). Ces processus d’auto-organisation découlent des propriétés intrinsèques du système : l’ouverture, la complexité, la redondance, la fiabilité, la compétence.

Dans le cas du système nerveux central, la répétition, ou plus précisément la redondance, se traduit par le fait que de nombreux éléments identiques quant à la structure et à la fonction sont interconnectés entre eux et ne sont pas tous localisés en un même lieu. Ces propriétés lui permettront, dans le cas où surviennent des perturbations aléatoires, de rattraper l’inévitable et transitoire désorganisation, voire même de créer du nouveau par accroissement de complexité. C’est-à-dire par diminution de la redondance et augmentation des spécifications neuroniques.

Il s’agit ici d’une application de la théorie de l’information, théorie qui avec Von Forster avait permis d’établir le principe « d’ordre à partir du bruit ». L’ordre ou la complexité par le bruit constitue le principe même de l’auto-organisation.  Pour se maintenir à un état d’équilibre, un système ouvert doit nécessairement s’adapter aux perturbations de l’extérieur (le bruit) en se désorganisant pour mieux se réorganiser, élevant en cela son degré de complexité interne.

Entropie et information

     Selon la thermodynamique classique, on défini l’entropie (second principe) d’un système physique pourvu d’une certaine quantité d’énergie et d’un certain ordre, par le fait que celui-ci ne peut évoluer spontanément que vers un état d’équilibre thermique homogène. Cet état signifie que le système est devenu indifférent à ce qui l’entoure, c’est-à-dire qu’il a atteint un désordre maximal du fait de la désorganisation progressive des structures matérielles qui le composent. Dit plus grossièrement, tout phénomène laissé à lui-même va à sa perte selon les lois de l’entropie universelle.

Par suite, c’est le physicien franco-américain Léon Brillouin qui a introduit la notion de néguentropie ou d’entropie négative. Pour diminuer l’entropie d’un système, il faut donc lui fournir de la néguentropie, c’est-à-dire une certaine quantité d’information. En 1950, Léon Brillouin calculera le coût énergétique minimum de toute information permettant de définir « l’efficience d’une expérience, par le rapport entre l’information acquise sur le coût entropique ».

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image00212 dans -> PERSPECTIVES TRANSVERSES

état désordonné

état ordonné

     Le passage d’un état désordonné à un état plus ordonné s’explique donc par l’annulation de la production d’entropie par le système, annulation résultant de la réception par celui-ci d’un flux externe d’informations permettant l’adoption par les éléments du système d’un comportement cohérent, «plus ordonné ». L’information s’oppose à l’entropie par ses capacités de reproduction, de répétition (apprentissage), de différentiation mais également de régulation, c’est-à-dire de rétroaction et de correction d’erreurs.

Ainsi pour Ernest Lawrence Rossi « la vie est une qualité de la matière qui surgit du contenu informationnel inhérent à l’improbabilité de la forme ». Physiquement, ce qui fait une information (un bit) c’est une « redondance improbable » qui permet d’identifier un signal, de le détacher un bruit de fond. L’information c’est l’écart, c’est l’exception, ou encore c’est « une différence qui fait la différence » comme le souligne Gregory Bateson.

Pour Roger Balian : « entropie, manque d’information, incertitude, désordre, complexité, apparaissent donc comme des avatars d’un seul et même concept. Sous l’une ou l’autre de ces formes, l’entropie est associée à la notion de probabilité [...] Elle caractérise non pas un objet en soi, mais la connaissance que nous en avons et nos possibilités de faire des prévisions. Elle a donc un caractère à la fois objectif et subjectif ». Autrement dit le concept d’information se révèle être autant subjectif qu’objectif, puisque si l’information doit renvoyer à un phénomène objectif et que sa valeur est dans son improbabilité, il n’y a d’information constituée que par un récepteur, un système cognitif.

Information et écosystèmes

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     Un système peut se représenter comme une différenciation interne entretenue par un flux énergétique externe. Le flux qui traverse le système détermine un intérieur différencié et un extérieur constituant l’environnement du système, ouvert à la circulation des flux qui assurent la régulation de l’ensemble. Un système est donc toujours relié à un environnement, à une écologie.

image0054 dans Ilya Prigogine

Un des aspects qui se dégage de l’étude des écosystèmes, c’est que ceux-ci sont toujours traversés par deux flux :

  • Un flux d’énergie, dont l’origine est solaire et qui traverse successivement les producteurs primaires (les végétaux autotrophes capables de réaliser la photosynthèse), puis les consommateurs et les décomposeurs qui dispersent cette énergie en respirant, transpirant et produisant des déchets.

  • Un flux de matière qui circule en permanence entre herbivores, carnivores, détritivores, coprophages, nécrophages, etc. et tous les organismes de la microfaune et de la microflore qui participent à la minéralisation de la matière organique nécessaire à l’alimentation minérale des plantes, et donc à la fermeture des cycles (biogéochimiques) de la matière. Ces flux de matière font naître et entretiennent des structures alors que la seconde loi de la thermodynamique (entropie) établit que près de l’équilibre, ces structures disparaissent (entropie maximale).

     Malgré l’incertitude fondamentale concernant l’évolution de tout système complexe, des régularités s’observent. Tout d’abord des alternances entre complexification et simplifications. Les stratégie de développement débutent par une phase « juvénile » de production matérielle quantitative. C’est à dire une stratégie de reproduction maximale avec une durée de vie courte des populations. Celle-ci aboutit alors, en l’absence de perturbation, au « développement de la maturité ». Un tel stade correspond au climax, soit à une économie d’énergie globale par l’accumulation d’information dans les structures, la différenciation, le recyclage, la protection, la réduction de la fertilité et l’allongement des durée de vie. A une stratégie de reproduction se substitue donc dans le temps une stratégie de survie (voir l’article sur les successions végétales). Un tel système peut donc être défini comme une accumulation d’information dans le temps. Information dont la fonction biologique est précisément la résistance à l’entropie (reproduction, croissance, différenciation, auto-organisation, complexification).

La thermodynamique des systèmes vivants est celle des systèmes dissipatifs. C’est à dire la thermodynamique des systèmes ouverts traversés par un courant d’énergie qui les maintient loin de l’équilibre. Pour Prigogine, les structures biologiques exigent une dissipation constante d’énergie et de matière, d’où leur nom de structures dissipatives : « c’est par une succession d’instabilités que la vie est apparue. C’est la nécessité, c’est-à-dire la constitution physicochimique du système et les contraintes que le milieu lui impose, qui détermine le seuil d’instabilité du système. Et c’est le hasard qui décide quelle fluctuation sera amplifiée après que le système a atteint ce seuil et vers quelle structure, quel type de fonctionnement il se dirige parmi tous ceux que rendent possibles les contraintes imposées par le milieu. »

Le métabolisme de la cellule ou de l’écosystème correspond donc à ce torrent d’énergie constant qui doit traverser un système vivant pour en assurer le maintien à long terme. Ce flux d’énergie passe d’un niveau à l’autre sous forme de transfert d’information (message chimique, visuel, etc.) et/ou de matière, et il n’y a jamais un saut de niveau : on ne passe pas directement des cellules aux écosystèmes, mais les interactions se font entre niveaux d’organisation successifs.

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     En théorie des systèmes, plus les voies de circulation de l’énergie sont nombreuses, plus un système est capable de s’autoréguler. Autrement dit, un système est dit persistant (résiliant) si tout blocage du flux d’énergie/matière en tout point du réseau est compensé par la mise en place d’un autre cheminement possible. Dans les écosystèmes, il y a stabilité sur une très grande échelle temporelle car il y a souvent redondance. Toutes les interactions sont viables, car elles existent depuis longtemps, mais toutes ne sont pas nécessaires.

En s’élevant dans les différents niveaux d’organisation, on part d’un niveau où toutes les interactions sont nécessaires et où il n’existe pas d’alternative ou en tout cas très peu d’alternatives (niveau moléculaire, cellulaire), et on arrive à des niveaux « baroques » avec redondance dans les écosystèmes complexes. Au niveau de l’organisme (niveau intermédiaire entre la cellule et l’écosystème), les boucles de régulations du système endocrinien sont complexes et multiples, mais témoignent d’un niveau de complexification tel que des alternatives sont possibles pour assurer la stabilité et l’intégrité de l’individu. Aux niveaux inférieurs, c’est soit la disparition pure et simple, soit l’attente de conditions plus favorables avec formes de résistance ou de dissémination à longue distance.

  • à petite échelle (micron), la stabilité est plus facile à atteindre à travers le développement de fonctions de maintenance de la stabilité du milieu interne vis à vis des fluctuations externes.

  • à grande échelle (kilomètre), les fluctuations possibles étant très nombreuses, il faut donc en permanence ajuster le développement des redondances pour assurer un nouveau cheminement de l’énergie et de l’information en cas de blocage.

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Article d’après sources et extraits :

Introduction à la complexité et son idéologie par Jean Zin

     Dans son article « critique de l’écologisme (la maladie infantile de l’écologie) », Jean Zin nous rappelle que : « [...] l‘écologie-politique à l’ère de l’information n’a rien à voir avec un quelconque retour en arrière, ni avec un moralisme puritain, c’est l’accès à un nouveau stade cognitif et politique d’unification du monde et de prise en compte du négatif de notre industrie, d’une pensée globale et d’un agir local, d’une relocalisation équilibrant la globalisation des réseaux numériques et des marchés [...]« .

Nouveau stade cognitif dont on pourra apercevoir certains des grands principes à travers la lecture des textes suivants de l’auteur : introduction à la complexité et son idéologie.

Introduction à la complexité et son idéologie par Jean Zin dans -> CAPTURE de CODES : image0026

Quelques notions sur l’approche systèmique, extrait d’après « Annexe : Principes d’action en environnement complexe », Jean Zin, dans introduction à la complexité et son idéologie.

Les approches analytique et systémique (Joël de Rosnay, Le Macroscope) 

Approche analytique

Approche systémique

Isole: se concentre sur les éléments

Relie: se concentre sur les interactions entre les éléments.

Considère la nature des interactions.

Considère les effets des interactions

S’appuie sur la précision des détails.

S’appuie sur la perception globale.

Modifie une variable à la fois.

Modifie des groupes de variables simultanément.

Indépendante de la durée: les phénomènes considérés sont réversibles.

Intègre la durée et l’irréversibilité.

La validation des faits se réalise par la preuve expérimentale dans le cadre d’une théorie.

La validation des faits se réalise par comparaison du fonctionnement du modèle avec la réalité.

Modèles précis et détaillés, mais difficilement utilisables dans l’action (exemple: modèles économétriques).

Modèles insuffisamment rigoureux pour servir de base de connaissances, mais utilisables dans la décision et l’action (exemple: modèles du Club de Rome).

Approche efficace lorsque les interactions sont linéaires et faibles.

Approche efficace lorsque les interactions sont non linéaires et fortes.

Conduit à un enseignement par discipline (juxta-disciplinaire).

Conduit à un enseignement pluridisciplinaire.

Conduit à une action programmée dans son détail.

Conduit à une action par objectifs.

Connaissance des détails, buts mal définis.

Connaissance des buts, détails flous.

Les dix commandements de l’approche systémique (Joël de Rosnay, Le Macroscope, p132)

1. Conserver la variété
2. Ne pas ouvrir les boucles de régulation (pas de rupture des cycles naturels)
3. Rechercher les points d’amplification (points sensibles, maillon faible, goulot d’étranglement)
4. Rétablir les équilibres par la décentralisation
5. Savoir maintenir les contraintes (les limites)
6. Différencier pour mieux intégrer
7. Pour évoluer : se laisser agresser (adaptation)
8. Préférer les objectifs à la programmation détaillée
9. Savoir utiliser l’énergie de commande (répartition de l’information)
10. Respecter les temps de réponse

L’Homme coloniaire et le devenir végétal de la société contemporaine

Deux extraits tirés d’un dialogue de septembre 2001 entre le botaniste Francis Hallé et le psychologue Raphaël Bessis sur ce que pourrait-être le devenir végétal des sociétés contemporaines. L’intégralité des échanges est disponible sur le site caute.lautre.net.

L’Homme coloniaire et le devenir végétal de la société contemporaine dans -> CAPTURE de CODES : spe

[...]

F.Hallé : Vous avez donc comme finalité la réflexion sur le cyberespace ?

R.Bessis : Oui, c’est bien cela, avec tout de même cette idée que le cyberespace et internet ne sont que des symptômes majeurs d’une situation matricielle bien plus vaste…

F.Hallé : La mondialisation ?

R.Bessis : Exactement. Alors, j’aimerais cheminer avec vous le long de cette double voie, celle de la botanique contemporaine et celle d’une anthropologie des réseaux, l’une comme l’autre débouchant sur un questionnement philosophique plus large.
Je vais donc commencer par rappeler ce que vous avez montré très clairement dès le début de votre ouvrage, à savoir qu’il y a eu (et continue d’y avoir) un zoocentrisme au sein des sciences du vivant qui a laminé les recherches pendant des années, ou du moins, qui a créé une inertie, du point de vue de l’avancement de ces recherches : ce zoocentrisme opérait une sorte de résistance épistémologique…

F.Hallé : Complètement. Et il est innocent…c’est ce qui en fait la force, car, ce n’est pas du tout voulu.

R.Bessis : Oui, c’est donc à l’insu du chercheur lui-même que s’accomplit cette résistance épistémologique. Et bien, de la même façon je dirais que spontanément le chercheur en sciences sociales réapplique le schème, ou les schèmes, de la biologie zoocentriste sur l’individu comme sur la société. C’est-à-dire qu’il se représente la société comme corps organique, comme un corps vivant animal et non pas végétal.

F.Hallé : Beaucoup d’anthropologues font cela ?

R.Bessis : Oui, les plus classiques ne manquent pas de céder à cette analogie, qui les font réfléchir la société sur le modèle d’un immense organisme vivant…

F.Hallé : Mais cet organisme est censé être animal ?! Bizarrement, c’est que les sociétés d’animaux font des super-organismes qui sont plutôt végétaux… mais, bien sûr, les auteurs classiques n’ont pas pu s’en rendre compte puisqu’ils étaient partis sur les bases erronées…

R.Bessis : Tout à fait. Si l’on part des hypothèses de Nobert Elias (historien et sociologue) et de Gregory Bateson (anthropologue éthologue) qui, tous deux, évitent la division arbitraire et sans fondement de la société d’un côté et de l’individu de l’autre…

F.Hallé : On peut penser une chose pareille ??

R.Bessis : Mais bien sûr…(rires). La question ici que vous posez est celle de l’échelle. Lorsqu’on découpe le réel, on trouve à un certain niveau : l’individu… Mais, cela ne correspond en définitif qu’à un seul niveau de perspective du réel, cela correspond à une échelle d’analyse du réel. En revanche, lorsque l’on étudie l’individu sur le plan social, on se rend compte qu’il n’existe pas seul, que sa pensée, son discours, son comportement social évolue en rapport à d’autres, et à ce point là de notre perception de l’humain, nous sommes tenus d’intégrer de nouveaux concepts afin de mieux rendre compte du complexe qu’est la personne humaine. De sorte qu’il me paraît bien plus adéquat de parler de configuration singulière, plutôt que d’individu, configuration singulière qui ne prend forme qu’en rapport à d’autres configurations singulières, lesquelles ne se comprennent que dans un contexte très fortement dynamique. Ainsi, l’homme n’est plus pensé dans une position isolationniste, archipélique où les êtres seraient complètement distincts les uns des autres : atomisés… (c’est pourtant là la pensée de l’individu). Au contraire, les humains nous apparaissent comme étant dans une reliance constante, très fluide, qui modifie en permanence leurs singulières configurations, et est à la base de la morphogenèse psychique de chaque subjectivité. C’est à ce niveau d’analyse que l’on commence à percevoir les turbulences dans lesquelles séjourne l’âme humaine : l’individu au sens strict n’existe nullement, tant la subjectivité humaine s’ancre dans de multiples expansions, établissant la pluralité de ces racines dans un champ beaucoup plus large : celui de la collectivité, laquelle n’ayant pas davantage de forme parfaitement close, pleine et isolée, s’ouvrirait et s’ancrerait sur un collectif encore plus vaste. Si bien que d’une expansion à l’autre, nous nous retrouverions assez vite au niveau presque le plus général, celui de la société elle-même. C’est en ce sens que le schisme entre la société d’un côté et l’individu de l’autre est souvent une opinion sociologique non interrogée, qui en fait une problématique tout à fait passionnante. Peut-être pouvons nous l’exprimer en un chiasme : l’individu est un être social et la société est faite d’individus…

F.Hallé : Donc le concept d’individu serait un concept gigogne ? récurrent ?

R.Bessis : Tout-à-fait.

F.Hallé : Alors là, je retrouve une problématique végétale.

magrittelittle dans -> PERSPECTIVES TRANSVERSES

R.Bessis : Si, donc, nous faisons cet effort de penser l’individu ou la société – peu importe ici à quel niveau d’échelle on se situe – non plus au travers de schèmes issus de la biologie zoologique et zoocentriste, mais au travers d’une biologie des plantes et d’une botanique, à ce moment là, cela offre des perspectives tout à fait innovantes, et je pense pertinentes. L’hypothèse que je souhaite ici développer consiste donc à dire que la psyché comme le socius humain sont structurés selon des problématiques végétales qu’une épistémologie zoocentriste, issue des sciences de la vie et réexploitée naïvement dans le champ des sciences humaines, ne pouvait percevoir, tout occupée qu’elle était à valider son paradigme centré sur la condition animale.

Nous allons tenter ici d’ouvrir plus avant cette brèche, par des réflexions qui auront pour certaines une portée anthropologique, quand d’autres seront plus étroitement et précisément liées aux expériences contemporaines des univers informatiques en réseaux.C’est en faisant le pari d’une fécondité propre au dialogue interdisciplinaire engagé ici, que je pense à vos côtés approfondir mon hypothèse.

[...]

R.Bessis :Je finirai ce dialogue entre nous par la phrase la plus philosophique qui termine votre travail et votre éloge de la plante. Vous dites, en citant René Thom : « Une contrainte fondamentale de la dynamique animale, qui distingue l’animal du végétal est la prédation (…). La plante n’a pas de proie individuée, elle cherche donc toujours à s’identifier à un milieu tridimensionnel » . Chez le végétal, « on trouve une sorte de dilution fractale dans le milieu nourricier ambiant ». Vous rajoutez alors ceci : « Peut-être à la transcendance de l’animal et de l’être humain faut-il opposer l’immanence de la plante. » Comment entendez-vous, au juste, cette dernière phrase ?

F.Hallé : Si l’on se place sur le plan de l’évolution biologique, celle de Darwin, alors l’évolution de la plante et celle de l’animal, sont très différentes. Evoluer pour les animaux, c’est se dégager de mieux en mieux des contraintes du milieu, et en ce sens, l’homme est bien placé au sommet de la pyramide, parce que pour nous à la limite, on ne sait même plus ce qu’est le milieu. Evoluer pour une plante, c’est se conformer de mieux en mieux aux contraintes du milieu, cela consiste donc, non pas à échapper mais au contraire à se dissoudre dedans, à disparaître d’une certaine manière. C’est en quoi la plante m’est apparue immanente, alors que l’animal serait transcendant.

R.Bessis : Je pense que notre société actuelle développe un devenir de type végétal, mais elle n’en a pas véritablement le choix. Tout ce qu’elle fait, soi-disant à ‘‘l’autre’’ (au milieu, à la nature, au monde) par volonté carnassière, c’est en fait, à elle-même qu’elle le fait. Si bien que le meurtre de l’autre se retourne en suicide, et la pulsion d’agression en pulsion de mort. Le devenir végétal appelle au contraire à ne plus vivre une opposition, mais à déployer une immanence.

***

test34 dans Francis Halle

+ Voir l’article dans son intégralité

+ Quelques notions de phytosociologie

L’humain végétalisé

Article de Jacques Testart, paru dans Libération le 14 octobre 2011

L’humain végétalisé  dans Entendu-lu-web buisson

«Chaque année, chaque jour, des espèces nouvelles naissaient, plus nombreuses qu’il n’en fallait à l’armée des naturalistes pour leur trouver un nom ; certaines monstrueuses, d’autres charmantes, d’autres encore inopinément utiles, comme les chênes laitiers qui poussaient dans le Casentino. Pourquoi ne pas espérer dans un progrès ? Pourquoi ne pas croire en une nouvelle sélection millénaire, en un homme nouveau qui aurait la force et la rapidité du tigre, la longévité du cèdre, la prudence de la fourmi ? » Primo Levi in «Dysphylaxie», in «Lilith, nouvelles», Livre de poche 1989.

Ce surhumain imaginé par Primo Levi n’a pas les raideurs instrumentales des androïdes bidouillés par nos modernes transhumanistes. Il doit son écart à la norme que nous connaissons, à une modification inouïe : celle de la levée des défenses immunitaires qui permettrait la fécondation des femmes par des entités animales ou même végétales.

Primo Levi n’implique aucune sexualité dans ces hybridations hors normes, seulement le passage libre d’un matériel absolument étranger, capable de s’introduire en l’humain, féconder et transmettre ses propres caractéristiques. Que cela soit possible par la voie du tube digestif plutôt que celle de la matrice n’apporterait ni ne retirerait rien à l’imaginaire du romancier dont la prescience se trouve en avance, comme souvent, sur les constats de la dissection.

Or, il vient d’être admis que le végétal peut s’introduire en l’animal autrement que pour lui apporter des calories ou des vitamines, des fibres ou de l’amidon. On avait longtemps négligé le rôle de petits acides nucléiques, nommés micro-ARN présents chez tous les êtres vivants, d’autant qu’ils sont issus de la partie de l’ADN qu’on estimait sans aucun intérêt («ADN poubelle»), comme si la prise en compte de ce domaine (95% de l’ADN quand même) risquait de perturber la belle compréhension qui soutenait le «génie génétique». Des travaux récents ont accordé à ces micro-ARN la propriété de freiner des synthèses protéiques et donc de jouer sur des fonctions vitales. Enfin, une découverte extraordinaire vient d’arriver grâce à des Chinois qui ont démontré que les micro-ARN des végétaux que nous consommons ne sont pas détruits par la digestion, se retrouvent dans nos organes, et en modulent le métabolisme ! (Lin Zhang et al., Cell Research, 2011).

Ainsi la nature procède à un mélange fonctionnel des ordres végétal et animal. Sans être totalement soumis à quelque loi végétalienne, nous voici sommés d’admettre que nous sommes de la nature : le fonctionnement de nos cellules hépatiques est modifié par un grain de riz comme l’est certainement celui de nos cellules pulmonaires par un épi de maïs ou de nos cellules musculaires par une feuille d’épinard.

Que les carnivores exclusifs ne s’imaginent pas à l’abri : la même chose doit arriver avec des micro- ARN de bœuf, de dinde, de grenouille ou de moule.

Le message de ces innombrables ovnis demeure infinitésimal dans le bruit métabolique mais il signe une fusion certaine des ordres biologiques, capable de moduler notre physiologie et donc nos pathologies.

Quelles leçons tirer de cette découverte ? D’abord, on constate qu’elle a fait couler beaucoup moins d’encre médiatique que n’importe quel bricolage aventureux opportunément annoncé juste avant un téléthon. Mais on observe aussi que les rares commentaires, essentiellement par des chercheurs, portent sur l’ouverture espérée à des tests pour prévenir des risques pathologiques ou à de nouvelles technologies pour éviter ces pathologies. Sans nourrir une critique de l’improvisation qui a diffusé les OGM ou la thérapie génique avant qu’on dispose de la connaissance suffisante du monde vivant pour pouvoir prétendre à sa «maîtrise». D’autant que cette découverte considérable survient au moment même où les biotechnologies s’orientent vers la création d’une nouvelle classe de plantes transgéniques consistant en l’introduction de séquences codant des micro-ARN dans des plantes comestibles pour en modifier les propriétés. C’est-à-dire qu’on va faire entrer dans la chaîne alimentaire des molécules dont on découvre des propriétés insoupçonnées qu’on ne connaît pas encore ! Comme si chaque brèche ouverte dans l’immense ignorance autorisait la suffisance scientiste à faire comme si on avait tout compris, à nier qu’il reste d’innombrables inconnues dont une seule peut suffire à ruiner l’édifice technologique. Faute d’humilité, nos productions brevetables sont souvent des injures à l’intelligence.

sp3 dans Lecture de...

Eduquer au vivant

Qu’est-ce que le vivant ? A quoi le reconnaît-on ? Venant de Mars, comment identifier ce qui est vivant entre un caillou et un crabe, un robot, un cristal et un homme…

Le vivant ?

Si Jacques Monod et Gregory Bateson convoquent tout deux cette « parabole du martien » pour tenter de répondre à l’interrogation, leurs conclusions divergent sensiblement. Pour le premier nommé le vivant se caractérise par un mécanisme de conservation, sourd et quantitatif, opérant sur les taux différentiels de reproduction des mutations génétiques hasardeuses.

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« Selon la théorie moderne, la notion de révélation s’applique au développement épigénétique, mais non, bien entendu, à l’émergence évolutive qui, grâce précisément au fait qu’elle prend sa source dans l’imprévisible essentiel est créatrice de nouveautés absolues … Mais là où Bergson voyait la preuve la plus manifeste que le principe de la vie est l’évolution elle même, la biologie moderne reconnaît, au contraire, que toutes les propriétés des être vivants reposent sur un mécanisme fondamental de conservation moléculaire. Pour la théorie moderne l’évolution n’est nullement une propriété des êtres vivants puisqu’elle a sa racine dans les imperfections mêmes du mécanisme conservateur qui, lui, constitue bien leur unique privilège. Il faut donc dire que la même source de perturbations, de bruit qui, dans un système non vivant, c’est à dire non réplicatif, abolirait peu à peu toute structure est à l’origine de l’évolution dans la biosphère, et rend compte de sa totale liberté créatrice, grâce à ce conservatoire du hasard, sourd au bruit autant qu’à la musique, la structure réplicative de l’ADN »

Jacques Monod, le hasard et la nécessité,
essai sur la philosophie naturelle de la biologie moderne, page 130, Ed. Seuil.

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Pour Gregory Bateson, il s’agit de pouvoir reconnaître la vie par identification avec le vivant. Il s’agit là d’une approche qualitative et esthétique, par la reconnaissance de son organisation rythmique.

http://www.dailymotion.com/video/xa4y4m Gregory Bateson, qu’est-ce que le vivant ?

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Du qu’est-ce que le vivant pour un martien au qu’est-ce que le vivant pour un enfant… 

C’est à cette dernière question que tente de répondre Sandrine Guillaumin, professeur des écoles et lauréate du prix La main à la pâte 2008 (prix visant à valoriser l’apprentissage des sciences à l’école primaire) pour ses travaux consacrés à la question du vivant en maternelle.
Comment aborder le monde du vivant en maternelle ? Les concepts du vivant et de l’inerte faisant appel à l’abstraction, le professeur a donc choisi de travailler à partir du monde végétal. Les notes et graphiques suivants sont extraits du mémoire de Sandrine Guillaumin, ainsi que de l’émission que lui consacrait Canal Académie en 2008 (fichier son lié) .

« […] j’ai mis en place un protocole permettant d’aider les enfants à entrer dans le monde du vivant. Pour ce faire, j’ai tenu à suivre les grandes étapes d’une réelle démarche scientifique, même si je m’adressais à  des élèves de maternelle. Ces derniers ont été placés au cœur de leurs  apprentissages en leur permettant d’être actifs par la manipulation, l’observation, et la verbalisation. Quant à l’enseignant, il doit rebondir sur les conceptions initiales des élèves et jouer un véritable rôle de tuteur en conduisant les enfants  à s’éveiller à la curiosité et en leur  permettant de réaliser un premier pas vers l’abstraction. »

Sandrine Guillaumin.

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L’objectif des séquences en classe est de repérer et nommer ce qu’on observe, de prendre conscience de la diversité du monde vivant, d’identifier quelques unes des caractéristiques communes aux végétaux, animaux et à l’enfant lui-même, comme d’observer les caractéristiques du vivant (naître, grandir se reproduire, mourir).

programme

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Francis Hallé, sur les conséquences de la mobilité :

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Pour passer du concret à l’abstrait avec ses deux classes de petite et de moyennes sections, Sandrine Guillaumin a procédé en trois phases :

1. La phase d’observation et d’exploration qui consiste à éveiller la curiosité des élèves et à attiser leur désir de chercher une réponse au problème posé.
Sandrine Guillaumin a ainsi demandé à ses jeunes élèves de classer les photos d’objets, d’animaux, et de végétaux (peluche, fleur, chat, soleil, etc.) dans deux boîtes : vivant / pas vivant.
Résultats : seuls quatre élèves dépassent la barre des 60 % de bonnes réponses et seulement deux approchent les 70 %. Par ailleurs, les objets comme l’aspirateur et la voiture, inertes mais mobiles, sont considérés comme vivants par au moins la moitié des élèves. Enfin, aucun élève n’a conscience qu’une fleur, un arbre, une carotte ou une graine sont vivants.

education au vivant

2. Une fois la phase d’observation terminée, la deuxième étape consiste en la représentation mentale. L’enseignant encourage ses élèves à argumenter leurs réponses, à écouter les idées d’autrui. Un élève capable d’exprimer, de décrire sa pensée et qui en a conscience, a en effet déjà fait un premier pas vers l’abstraction.
Sandrine Guillaumin a donc pris l’expérience des semis et a posé la question suivante a ses élèves : « Comment faire pour savoir si une graine est vivante ? ».
Les réponses ont été les suivantes : « Il faut la mettre dans le jardin », « Il faut la mettre dans la terre ». Après avoir laissé germer les graines de haricots et de lentilles, petite et moyenne sections ont décrit avec leurs propres mots, ce qu’ils avaient observés : « J’ai vu les petites graines se transformer en plante », « J’ai vu du vert sortir de la terre », « Les feuilles sont devenues de plus en plus grosses », « Ma plante elle grandit et elle penche », « Ma graine elle a poussé comme les plantes de ma maman », « J’ai vu des fils verts et des fils blancs ».

3. Nous arrivons de ce fait à la troisième phase, l’abstraction : l’enfant a atteint ce niveau s’il est capable de transférer les informations nouvellement acquises dans un autre contexte. Ces informations constituent alors de véritables connaissances.
À l’issu de ses séances, l’exercice de classement des photos est réalisé de nouveau. Cette fois-ci, plus de la moitié des élèves, aussi bien en petite section qu’en moyenne section, considère que les graines et les carottes sont vivantes ; un résultat satisfaisant puisqu’en quelques séances, l’enseignant a réussi à faire évoluer les représentations de ses jeunes élèves, et cela, par le biais de l’expérience.
Cet exercice qui peut sembler anodin au premier abord est en réalité très constructif. Lors d’un stage précédent en classe de CM1, Sandrine Guillaumin avait réalisé la même expérience des photos à classer : les espèces végétales étaient alors supposées non vivantes par environ la moitié des élèves. De nombreuses confusions étaient présentes dans l’esprit de certains.

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Moyenne section

Eduquer au vivant  dans Bateson image003

Education au vivant

Petite section

Education au vivant

Education au vivant

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(E)colo-cast

Ecolocast

* Idées

(E)colo-cast dans Art et ecologie logofranceculture Croisements
loading dans BiodiversitéL’homme est-il un animal ?
(avec Alain Prochiantz et Philippe Descola)

 » Définir l’homme par rapport à l’animal n’est-ce pas le rêve avoué des philosophes depuis le XVII siècle ? L’enjeu était de taille, puisqu’il en allait de la définition du propre de l’homme autant que de sa destination. Si le biologiste aujourd’hui admet que l’homme est à peu près un animal comme les autres, tant les différences génétiques entre un grand singe et l’homme sont infimes, il accorde néanmoins de l’importance à la discontinuité existante entre l’homme et l’animal. L’anthropologue semble faire le chemin inverse. Face aux progrès de l’éthologie de terrain, il détrône l’homme d’un certain nombre de suprématies. Il met les capacités cognitives des hommes et des animaux en partage. Notamment sur le plan de la technique. Il respecte également les sociétés animistes qui font de l’homme et des animaux des vivants possédant des qualités autonomes. Un dialogue qui brouille les frontières et redistribue les rôles. »

+ Ecouter

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logofranceculture dans Ecosophie ici et la Le champ des possibles 
loading dans EnergiePourquoi une technologie prend (ou échoue) ?
 

 » Après presque 10 mois passés à observer les effets de certaines innovations sociales ou technologiques, et la manière dont s’inventent ainsi les mondes de demain, aujourd’hui retour sur l’histoire, pour observer à la fois les composantes de la dynamique de l’innovation technologique, mais aussi ses possibles ratés. L’histoire des techniques est jalonnée de quelques flops retentissants, de plusieurs miracles improbables, de vieilles lunes sans cesse réactivées, d’intuitions matérialisées ou d’idées saugrenues. Mais, quoi qu’il en soit, tout ce qui nous entoure est le produit d’une construction dont les ressorts ne sont pas seulement techniques, mais également sociaux et politiques.Si votre frigo fait du bruit, ce n’est pas parce que c’était la meilleure technologie possible, mais parce que l’entreprise qui a développé cette technique l’a emporté économiquement sur une autre qui proposait un modèle tout aussi performant mais plus silencieux. Mais si l’innovation technologique n’est neutre ni politiquement ni socialement, qu’est-ce qui explique qu’elle prenne ou non ? Quelles sont les conditions de réussite ou d’échec d’une innovation technique ? Que retrouve-t-on dans le cimetière des innovations échouées ? Et que nous apprend l’histoire des révolutions industrielles sur un possible changement de civilisation lié à l’évolution et à la diffusion des technologies contemporaines.
Avec François Caron, historien et Nicolas Chevassus au Louis, biologiste et journaliste. « 

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logofranceculture dans Entendu-lu-web loading dans Monde animalEcosophie – invitations à l’imaginaire

 » Un spectre hante le monde : le monde peut être dévasté ! D’où l’émergence d’une nouvelle sensibilité qui, au-delà ou en-deçà d’une écologie strictement politique, s’emploie à penser un nouveau rapport à la « terre mère ». Rapport n’étant plus intrusif, il fait de l’homme le « maître et possesseur de la nature », mais beaucoup plus partenarial. C’est cela que l’on peut nommer « ÉCOSOPHIE » : une sagesse de la maison commune qui ne sera pas sans incidence pratique dans la vie quotidienne et dans l’imaginaire collectif.
Avec Stéphane Hugon, sociologue et président d’Eranos ; Massimo Di Felice, professeur à l’Ecole de Communication et Art de l’Université de São Paulo et Andréi Netto, envoyé spécial du journal « O Estado de São Paulo ».Enregistré le 24 mai 2011. »

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logofranceculture dans Monde végétal Les matins loading dans OikosDémocratie et crise écologique

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* Forêt

logofranceculture dans Philippe Descola Contre-expertise
loading dans Ressource en eauPatrimoine, exploitation, loisirs : que faire de nos forêts ?

logofranceculture Culture monde
loadingPour tout l’or vert du monde : 1/4 petite géohistoire de la forêt

+ Dossier spécial forêt de Télérama 

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* Entre terre et mer

logofranceculture Les rencontres d’Averroès
loadingDe la terre, peut-on la protéger ?
loadingDe la mer, est-elle menacée ?

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Remettre les non-humains au cœur de la politique

@les7sages.fr

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 « Tout sujet tisse ses relations comme autant de fils d’araignée
avec certaines caractéristiques des choses et les entrelace
pour en faire un réseau qui porte son existence. »
Jakob von Uexküll in Mondes animaux et monde humain

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EcoRev‘ N°34 - Urgence écologique, urgence démocratique

Remettre les non-humains au cœur de la politique
Propos recueillis par Isabelle Lamaud Mardi 23 mars 2010, par Bruno Latour.
La question écologique interroge et transforme l’espace des pratiques démocratiques.
Bruno Latour, sociologue de la science et des techniques, revient ici sur le caractère cosmopolitique de toute politique. Décloisonnant nature et société, science et politique, il montre en quoi l’écologie politique rénove la représentation du monde commun à composer.

EcoRev’ – Dans votre ouvrage Politiques de la nature, vous critiquez une forme d’écologie politique qui consisterait simplement à inclure dans le débat démocratique les questions sur la nature. En quoi vos propositions se démarquent-elles de ce projet ?

Bruno Latour – Je ne crois pas en effet que l’on avance beaucoup en liant l’écologie politique avec la nature. Cela dépend d’abord de ce qu’on entend par « nature » [Ecouter Bruno Latour on Nature @ MIT]. Est-ce la réalité extérieure de toutes les choses qui nous entourent ? Est-ce que vous voulez désigner par nature ce qui est le pendant de culture, de société, etc. ? Est-ce la nature unifiée par ce qu’on appelle « les lois de la nature » ? Est-ce la nature comme campagne et sauvagerie par rapport à la ville ou à la civilisation ? Mon argument est, tout simplement, que nature et politique ne vont pas bien ensemble et que, par conséquent, la dernière des choses à faire, si l’on veut faire de la politique écologique, c’est de vouloir « sauver » ou même « défendre » la nature. La nature est indéfendable !
L’écologie politique s’est pensée à partir de questions nouvelles, dont beaucoup, c’est vrai, provenaient de l’ancien cadre naturel, mais c’est d’abord un renouveau et de la politique et de l’écologie : l’ensemble des êtres auxquels nous tenons, dans lesquels nous sommes mêlés, avec lesquels nous avons une histoire commune.
Quand l’écologie politique arrive, la nature s’en va. D’ailleurs historiquement, c’est quand la nature conçue comme cadre extérieur a commencé à manquer, que l’écologie est devenue de plus en plus visible au sens commun. C’est-à-dire qu’on ne peut plus considérer une vie politique des humains d’un côté et de l’autre, à l’extérieur, une nature qui servirait de cadre – ou de décharge. L’écologie politique c’est la rénovation des ingrédients, des sujets, des passions, des objets, des cadres mêmes de la politique, de la vie commune, de ce que j’appelle pour cette raison la composition du monde commun.
La notion de nature est soit trop occidentale, soit trop confuse, soit une unification trop rapide des êtres pour pouvoir servir en quoi que ce soit de référent à la politique. Vous n’allez jamais pouvoir dire « la nature veut ceci ou cela » et entrainer aussitôt l’adhésion ou la décision des humains. Non, vous entrez dans un espace forcément controversé – on le voit bien avec le climat – et donc en politique. L’idée que l’appel à la nature va simplifier ou réorienter la politique, n’a donc pas grand sens.

Pourquoi l’entrée des non-humains en politique serait-elle nécessaire, et comment peut-elle se faire ? Et d’abord qu’est-ce que vous appelez non-humains ?

Le mot n’est pas formidable. Il est trop négatif. Je cherchais juste une alternative au couple calamiteux : objet/sujet. Humains/ non-humains, cela fait comme une sorte de chaîne qui oblige à redéfinir ce qui forme les humains et ceux dont ils dépendent pour exister. Parler de chaînes d’humains et de non-humains, c’est une manière d’éviter de parler de nature d’un côté et de société de l’autre, parce que ni d’un côté ni de l’autre on ne sait exactement de quoi elles se composent. C’est un concept pour ré-ouvrir la question de nos liens et de nos attachements, alors que dans l’ancienne division sujet/objet on est toujours dans un rapport d’émancipation : plus on est sujet, moins on est objet et vice versa. Avec la chaine humains/non- humains, on ne sait pas. Peut-être que, sans les non-humains, nous ne serions pas du tout des humains.
Ce qu’on appelle les crises écologiques, c’est la soudaine réalisation de ces incertitudes de plus en plus nombreuses. On s’aperçoit brusquement que l’on ne sait plus de quoi l’on dépend. Que la définition même de nos biens et de nos maux est en question. C’est ce que Peter Sloterdijk appelle l’explicitation. Nous explicitons ce dont, avant, nous ne savions pas que nous dépendions.
Pour revenir à la première question, je crois qu’il faut la renverser : par quelle étrangeté de l’histoire a-t-on pu penser que la politique, c’était une affaire d’humains entre eux ? Alors que de tous temps et dans tous les peuples on a toujours eu affaire simultanément aux humains et aux non-humains et que la politique a toujours été aussi une définition du cosmos. Le maire du moindre village, c’est toujours d’eau, de terre, d’air, de bâtiments, d’animaux, de virus, de transports, de « calamités naturelles » qu’il doit s’occuper, en même temps que des misères, des passions et des calamités de ses administrés. Pendant une brève période, celle que j’appelle la « parenthèse moderniste », on a pu croire en effet que la théorie politique, la représentation, l’élection, la prise de parole, etc. tout cela était réservé aux seuls humains entre eux. Mais en même temps, dès qu’on regarde le contenu de ce dont parlent les humains assemblés, cela a toujours été le monde dans toute sa diversité, sa complexité, son hétérogénéité. Autrement dit, la politique a toujours été une cosmopolitique [Regarder May nature be recomposed? A few issues in cosmopolitics], une certaine façon de concevoir les liens entre les humains et les non-humains. Il se trouve seulement que les sciences politiques ont largement ignoré ce point et se sont concentrées sur les « représentations » que les humains se faisaient des questions « de nature ». Du coup elles se sont beaucoup préoccupées de la façon dont on pouvait avoir des gouvernements « représentatifs » mais pas du tout des procédures par lesquelles on allait pouvoir représenter, c’est-à-dire rendre présents, les objets de dispute, le contenu des affaires pour lesquelles les humains se sont assemblés. Or les deux sens du mot « représentation » doivent être liés : est-ce que ceux qui sont assemblés sont représentatifs, oui, d’accord, mais aussi, est-ce que ce qu’ils disent offre une bonne représentation du monde commun à composer ?
C’est ce que j’avais proposé d’appeler, il y a vingt ans, le parlement des choses [Regarder From Object to Things: How to Represent the Parliament of Nature?], et qui est maintenant devenu une évidence, surtout après Kyoto et maintenant Copenhague : tout le monde maintenant comprend que les non-humains sont depuis longtemps entrés en politique par le truchement de leurs innombrables porte-parole qui s’assemblent autour des choses, c’est-à-dire des sujets de dispute, des affaires, de ce que les Anglais appellent des issues. Par conséquent, les non-humains ont toujours été au cœur de la politique ; on avait simplement cru pouvoir diviser les choses en disant : aux politiques les humains et leurs opinions ; aux scientifiques les non-humains et leurs propriétés. Mais aujourd’hui on redevient comme on était avant. On pourrait reprendre ce cliché en le modifiant : « nos ancêtres les Gaulois n’avaient peur de rien sinon que le ciel leur tombe sur la tête ; la multitude qui s’assemble à Copenhague a peur de tout, y compris que le ciel – le climat – lui tombe sur la tête ». On est redevenu normal. Politics as usual.

Vous attribuez un rôle de porte-parole des non-humains aux scientifiques. A quelles conditions cela peut-il s’effectuer sans reproduire la séparation entre savants et profanes ?

D’abord il faut bien comprendre cette idée de porte-parole : cela veut dire qu’il n’y a jamais de rapport simple et direct, mimétique entre celui qui parle et ce dont il parle. Les humains parlent, certes, mais en politique classique, ils parlent par l’intermédiaire de porte-paroles, leurs représentants, directs ou indirects, peu importe. Bon, les scientifiques, eux, parlent aussi pour les choses qu’ils sont chargés de représenter dans ces nombreux quasi-parlements qui se sont créés autour de tous les sujets de controverses – le climat, les antennes relais, les éoliennes, le thon rouge, le H1N1, les exemples ne manquent pas.
Quel est leur rôle ? Autrefois, du temps de la parenthèse moderniste, on aurait dit : qu’ils nous donnent les faits, la nature des faits, et nous, politiques, moralistes, gens du peuple, militants, etc. nous nous occuperons de décider des valeurs [Regarder Fabrication et destruction comparées des images : art, science, religion]. Mais personne n’a jamais cru que quand les chercheurs disent « les faits parlent par eux-mêmes » ce soit littéralement vrai. Les faits parlent par leur intermédiaire. Ce qui explique que les scientifiques soient souvent divisés et, quand ils ne le sont pas, que leur autorité ne soit plus suffisante pour entrainer l’accord sur le monde commun.
D’autre part, comme vous le suggérez, d’innombrables « représentants » se sont fait voir, en s’autoproclamant souvent représentants des mêmes éoliennes, du même thon rouge, du même climat, ou des mêmes antennes relais. Les pêcheurs de thon, eux aussi, vont se mettre à critiquer les quotas définis par les statisticiens chargés de surveiller l’évolution de la ressource. Il est beaucoup plus difficile qu’avant d’avoir d’abord des faits indiscutables, et ensuite une discussion. Donc on ne peut plus distinguer les politiques – autorisés à représenter les humains –, les scientifiques – qui définissent les faits indiscutables –, les militants et les gens du commun qui eux devraient attendre, pour savoir et se décider, ce que disent les deux premiers groupes. On est dans des parlements et c’est un peu la foire puisque tous les porte-parole disent ce que diraient les choses dont ils parlent si elles pouvaient parler !
Il faut donc repenser totalement la fonction politique, le rôle même des parlements, la notion de porte-parole pour retrouver des règles d’autorité, de procédure, de débats par lesquelles nous pouvons décider, en fin de compte, dans quel monde commun nous voulons vivre. Le cas du H1N1 est assez typique du genre d’imbroglios dans lesquels on se trouve. La répartition de l’autorité est complètement différente. Là non plus on ne peut pas s’abriter derrière la nature pour obtenir des décisions indiscutables. Il faut parvenir à clore les controverses tout en acceptant cette multiplication des arènes et des porte-paroles. C’est un peu angoissant pour les chercheurs souvent, mais, en même temps, cela les met dans une situation plus réaliste que celle d’avoir seulement à définir les faits indiscutables.
On est dans des parlements. La décision arrive à la fin, pas au début. Et même après, la discussion continue. Mais on a décidé. On voit bien la difficulté de concilier l’ancien et le nouveau modèle dans la querelle sur l’origine anthropique du climat. C’est normal d’avoir une opposition qui continue à discuter, mais on doit pouvoir se tenir à la décision prise sur le lien de causalité et on doit pouvoir prendre des mesures en fonction de ces prémisses décidés en commun selon une procédure légitime. C’est là où les notions de porte-parole et de parlement sont tellement utiles : pour nous permettre d’entrer à nouveau dans la politique [Regarder Making Things Public: Atmospheres of Democracy].

Les associations écologistes peuvent-elles représenter des lieux pertinents afin de porter les intérêts d’entités qui ne sont pas représentées dans les systèmes politiques actuels (non-humains, générations futures) ?

Bien sûr, puisque c’est souvent à elles que l’on doit d’entendre les voix de ceux qu’on aurait oubliés, qu’ils soient humains ou non-humains. Par définition, tout système représentatif est mauvais dans la mesure où il représente mal des milliers d’affaires, de soucis. Il faut donc toujours passer par des porte-paroles, souvent autoproclamés, qui vont se mettre à faire parler les oubliés, les rejetés, les exclus, qu’il s’agisse du thon rouge en voie de disparition, ou des prisonniers entassés dans leurs cellules, ou des symptômes étranges de ceux qui croient subir les effets des éoliennes ou des antennes-relais.
Sans militants, pas de démocratie. Mais cela ne veut pas dire que le reste du public doit forcément les croire. Le public – ou plutôt les publics, comme dit Walter Lippmann – est toujours un fantôme, c’est-à-dire qu’il faut le faire exister sur chaque nouveau sujet d’une façon nouvelle. Et son travail, c’est d’apprendre à détecter dans cette foire parlementaire, ceux – militants, scientifiques, officiels, politiques, administrateurs, lobbyistes – qui sont plus ou moins partisans.
C’est la grande affaire de la démocratie : représenter les absents, les morts, les futurs, les exclus, les petits ; et ce travail, il faut toujours le reprendre et recommencer.

S’agit-il de développer le caractère délibératif des démocraties ? Que peut apporter de plus ce type de démocratie par rapport au système représentatif, voire à des systèmes politiques autoritaires ?

Les systèmes autoritaires se préoccupent aussi peu des humains que des non-humains. La crainte d’un autoritarisme fondé sur l’écologie n’est agitée que par ceux qui, justement, font appel à la Science, avec un grand S, pour protéger leurs propres positions politiques de toute critique. C’est l’ancien cauchemar d’une politique fondée sur une science, le matérialisme historique, le néolibéralisme ou aujourd’hui l’écologie. Le danger serait réel si les écologistes étaient liés à la Nature avec un grand N et qu’ils disaient : « la Nature m’a parlé directement, elle veut ceci, donc faites-le ». Là, on aurait un fondamentalisme écologique égal et pire que le fanatisme religieux qui dit parler sans interprétation au nom de Dieu.
Mais la scène des controverses écologiques, c’est ce qui est si réconfortant, montre exactement le contraire : c’est une extension formidable du « système délibératif », ce qui donne souvent le tournis, je le reconnais. C’est cet espace des controverses [Regarder Organizing Uncertainties: the mapping controversies project] qu’il va nous falloir habiter et qui présente pour la démocratie une chance de renouveau extraordinaire. A condition d’apprendre à inventer les procédures, les instruments qui permettent de s’y orienter et de retrouver, en fin de compte, un principe d’autorité qui soit légitime [Regarder Mapping scientific and technical controversies] .

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