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L’écologie de Jacob von Uexküll

     Suivant notre point de vue de l’écologie en tant que « mode d’existence » ou « art des agencements« , il s’agisait pour nous de parcourir une petite sélection d’auteurs dont les écrits sont de natures à éclairer, chacun selon leurs tonalités propres, l’écologie en tant que mode de rapport singulier au monde. A ce titre, nous devons à Jacob von Uexküll d’avoir mis en avant l’interdépendance entre le sujet animal et son milieu, la manière dont celui-ci agit en fonction d’un mode d’intériorisation singulier de certains des éléments qui composent l’environnement.

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Naturaliste et biologiste allemand, Jakob von Uexküll fonde et dirige à Hambourg l’Institut Institut d’étude du milieu et de l’environnement (für Umweltforschung) à partir de 1925. Parti de l’étude des invertébrés, il s’intéresse au comportement animal en général. A l’image d’un romancier, von Uexküll traque et ne cesse de s’émerveiller devant la diversité des « mondes » où évoluent les êtres. La valeur des observations et descriptions qu’Uexküll a pu faire des mondes animaux, le désigne comme l’un des grands précurseurs de l’éthologie contemporaine.

« Tout organisme est une mélodie qui se chante elle-même »

      Au moment de s’immiscer succintement dans la pensée l’auteur, soulignons qu’Uexküll est avant tout un grand vitaliste qui n’aura de cesse de s’opposer à la vision mécaniste des naturalistes de son temps, vision qui tendait à réduire les animaux à de simples récepteurs et transmetteurs de forces mécaniques. Pour lui, bien plus que des objets, les animaux sont des sujets capables d’agir sur leur environnement, notamment en « connotant » l’image qu’ils ont d’un objet des usages qu’ils en font.

Mais n’anticipons pas et commençons par le commencement. Tout ce qu’un sujet perçoit devient son monde de la perception, tout ce qu’il fait, son monde de l’action. La réunion de ces deux « bulles » forme alors une totalité close : le monde vécu de l’animal. Ce dernier regroupe l’ensemble des caractéristiques de l’environnement accessibles au sujet et sélectionnés par lui. De l’environnement au monde vécu, le sujet compose donc ses rapports avec certains des objets de son entourage : ceux qu’il peut sélectionner et caractériser par des signes de la perception et de l’action.

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Si nous désirons maintenant pénétrer plus en avant la pensée d’Uexküll, il nous faut en savoir plus sur les différents processus de construction d’un monde vécu.

Premièrement, qu’est-ce qui compose un monde ? On pourrait dire : un ensemble d’objets reliés entre eux sous un certain rapport, dans un certain espace. Dès lors pour le sujet, comment capter, s’approprier et y insérer des objets du dehors ? De même, comment cartographier, limiter, découper l’espace et le temps ?

Deuxièmement, quel est le rôle de l’apprentissage et de l’expérience dans la dynamique du monde vécu ?

Composer son monde en captant des objets spécifiques

      Construire son milieu, pour l’animal, c’est d’abord isoler des caractères perceptifs parmi une nature « fourmillante ». Autrement dit, séparer et trier entre ce qui est important et ce qui ne l’est pas. Or nous avons vu précédemment que tout ce qu’un sujet perçoit du dehors devient son monde de la perception, tout ce qu’il fait, son monde de l’action. Il nous faudrait donc préciser à présent les conditions d’appartenances de tel ou tel objet aux mondes perceptif et actif.

La nature d’une relation entre un sujet vivant et ce qui va devenir un objet de son monde vécu démarre nécessairement par un processus d’appropriation et de capture. Pour Uexküll, celui-ci s’initialise par la mise en rapport [1] entre un signal perceptif émanant d’un organe perceptif du sujet et une excitation provenant d’un objet de son environnement. La finalité de cette mise en relation étant d’affecter l’objet de caractères perceptifs.

Le sujet possède donc une capacité à être affecté de signes du dehors. Capacité qui rend possible l’effectuation d’une chaîne d’action plus ou moins complexe à partir d’un signal perceptif déclencheur et d’une excitation venant remplir ce pouvoir d’être affecté (la toile remue, un bout de peau se dénude…).

Dans son célèbre exemple de la tique, Uexküll insiste sur le fait que de toute l’infinité des effets possibles dégagés par son objet (le mammifère à sang chaud), seulement trois deviennent [2] des excitations et donc des caractères perceptifs qui détermineront la production de trois caractères actifs : « rien que quelques signes comme des étoiles dans une nuit noire immense ».

Les conditions d’appartenance à l’action d’un objet découlent donc du pouvoir de l’animal de l’affecter de caractères perceptifs et actifs, en rapport structuraux entre eux. C’est le concept du cercle fonctionnel. Comme nous l’avons vu, un cercle fonctionnel s’initialise donc par la rencontre entre un signal déployé par l’organe perceptif du sujet et une excitation portée par un objet. La chaîne ainsi mise en marche fonctionne alors de sorte qu’un caractère perceptif est éteint par un caractère actif, déclenchant ainsi le passage à un nouveau caractère perceptif et ainsi de suite.…

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     Un sujet est donc un ensemble d’organe perceptif (l’ensemble des récepteurs notés OP dans le schéma) et d’organes actifs (l’ensemble des effecteurs notés OA). L’objet est quant à lui un porteur de caractères perceptifs (PCP) et actifs (PCA). Dès lors, tout agencement sujet/objet constitue un ensemble ordonné de rapports, en tant que l’animal distingue dans son milieu autant d’objet qu’il peut accomplir d’action, et inversement.

Pour revenir à la tique, trois caractères perceptifs et trois actifs composent donc la totalité de son milieu vécu. Mais la « pauvreté » de ce monde n’est à considérer qu’au regard de la grande sécurité de l’action que cela suppose. De manière générale, Uexküll proposera la règle suivante : un milieu vécu optimal (ce que le sujet peut) dans un environnement pessimal (l’infinité indiscernable de la nature).

Gilles Deleuze [3] : « C’est pourquoi Uexküll s’est principalement intéressé à des animaux simples qui ne sont pas dans notre monde, ni dans un autre, mais avec un monde associé qu’ils ont su tailler, découper, recoudre : l’araignée et sa toile, le pou et le crâne, la tique et un coin de peau de mammifère. ».

Ce milieu vécu, ou associé comme dit Deleuze, est tissé par l’animal en tant que «le réseau de relations qui portent son existence ». A un animal simple correspond un milieu simple, à un animal complexe, un milieu complexe et richement articulé. Dès lors l’une des premières questions à se poser serait : de quel degré de liberté dispose l’animal dans l’affectation des caractères ? Nous retrouvons ici l’opposition classique entre but ou objectif individuel et obéissance à un plan d’organisation naturel général.

Uexküll tranche la question en s’appuyant sur l’expérience de Fabre et son concept de cercle fonctionnel chez les insectes et les oiseaux. L’expérience consiste simplement à initialiser un cercle fonctionnel par la présence d’un caractère perceptif déclencheur dont on a éliminé l’objet dont il émane normalement. Il devient alors impossible à l’animal de produire le caractère actif indispensable à l’effacement du premier caractère perceptif et permettre ainsi l’initialisation du cercle fonctionnel suivant. Cette impossibilité d’agir condamne donc l’animal à demeurer prisonnier d’un même caractère perceptif, ne le renvoyant qu’à une seule et unique possibilité d’agir. C’est donc bien le plan naturel qui fixe directement les caractères perceptifs accessibles au sujet. Ce plan n’est ni une substance, ni une force, mais l’ensemble des conditions régulatrices de la nature desquelles personne n’échappe. Mais ce qui est vrai pour les insectes, Uexkull n’entend pas l’étendre aussi vite à l’ensemble du règne animal : « peut-être que certaines actions des mammifères supérieurs se révèleront-elle plus tard comme des actions dirigées vers un but, tout en étant elle-même subordonnées au plan général de la nature. »

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Le découpage de l’espace et du temps et la construction du territoire

     Pour le sujet, l’espace et le temps ne sont pas d’une utilité immédiate. Ils ne prennent d’importance qu’au moment de découper et cartographier l’environnement afin d’identifier et différencier, dans une nature fourmillante, les nombreux caractères perceptifs (forme [4], mouvement, forme sans mouvement, mouvement sans forme) « qui se confondraient sans la charpente spatio-temporelle du milieu. ».

L’espace vécu du sujet est un espace composite fait de coordonnées et de lieux. L’espace dit « actif » est l’espace des coordonnées et du mouvement. Il est construit par le sujet à partir des différents « pas d’orientation » disponibles : droite/gauche, haut/bas, avant/arrière. Les espaces tactile et visuel sont les espaces du « signe local », du repérage des « lieux ». Un lieu se définit comme le plus petit contenant spatial, visuel ou tactile, où le sujet ne différencie rien. L’espace tactile est limité par l’envergure des organes, le visuel  par l’horizon, ce qui influe sur le mode de concurrence entre la perception de ces deux espaces.

Dès lors c’est l’ensemble des lieux indentifiables par le sujet qui constitue le système cartographique de l’animal, tous reliés entre eux par les « pas d’orientation ». Ce « système d’information géographique » permet à certains animaux de se doter d’un territoire, création purement subjective, « que la seule connaissance de l’entourage ne suffirait nullement à déceler ». Pourtant l’ensemble de l’environnement n’est qu’une suite continue de territoires, résultat de guerres de frontière incessantes où aucun vide ne demeure.

Quels animaux possèdent un territoire, quels animaux n’en possèdent pas ? Quelles sont les actions que l’on fait sur son territoire et jamais en dehors ? Quels signes accompagnent le fait d’être présent sur son territoire ? Comment on y entre, comment on en sort ? C’est à partir de telles questions que Deleuze et Guattari proposeront une approche philosophique du territoire à travers le concept « déterritorialisation ». 

Par ailleurs, Uexküll présente le temps comme une succession de moment. Des lors, le temps perceptif du sujet correspond au nombre de moments vécus dans un certain laps de temps, un « moment » étant le plus petit contenant de temps indivisible pour un sujet. La notion de temps qui passe est donc entièrement subjective.

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Expérience et apprentissage

      On pourrait se demander chez Uexküll ce qui prime entre la rencontre et l’expérience du nouveau d’un côté, la simple reconnaissance des éléments du plan naturel, de l’autre. A s’en tenir au schéma du cercle fonctionnel, on pourrait dire qu’on ne découvre pas d’objet nouveau, mais bien plus de nouvelles perceptions et « utilités » au sein d’un même objet. On affecte le « même » de nouveaux caractères perceptifs, et donc actifs, en tant que l’image active construite par les OA du sujet complète et ajoute de nouvelles caractéristiques à l’image perceptive construite par les OP du sujet. C’est ce qu’Uexküll nommera la « connotation d’activité ». A savoir que c’est l’action du sujet projetée dans le milieu qui actualise et donne à l’image perceptive sa signification.

Uexküll : « Pour toutes les actions que nous accomplissons à l’aide d’objets de notre milieu, nous avons élaboré une image active que nous mêlons si intimement à l’image perceptive livrées par nos organes sensoriels, que ces objets en reçoivent un nouveau caractère qui nous renseigne sur leur signification. Nous nommerons ce caractère connotation d’activité. »

On a donc une boucle dans la mesure où l’image perceptive livrée par les organes des sens peut être complétée ou transformée par une image active, dépendant de l’action qui se déclenche en fonction de la première : « il faut nous souvenir sans cesse que ce sont les actions des animaux projetées dans leur milieu qui confèrent leur signification aux images perceptives grâce à la connotation d’activité. »

Dans le plan naturel, il y a donc une possibilité d’apprentissage par l’expérience de l’action: « nous reconnaissons dans tous les objets dont nous avons appris à nous servir l’action que nous accomplissons à leur aide, avec la même sureté que leur forme et leur couleur. » 

L’animal distingue dans son milieu autant d’objet qu’il peut accomplir d’action, et inversement. Tout se passe alors comme si le plan naturel permettait l’initialisation passive (distribution des caractères perceptifs et affects passifs) de comportements qui viendront être complétés et enrichis par l’action (création subjective d’affects actifs).

La dynamique des mondes animaux fait donc que ces derniers s’accroissent tout le long de la vie individuelle des animaux capables de réunir des expériences, de sorte que : « toute nouvelle expérience active entraine de nouvelles attitudes (actions) vis-à-vis de nouvelles impressions (perceptions). De nouvelles connotations d’activité servent alors à créer de nouvelles images actives ». Comme chaque cellule vivante de l’organisme est un mécanicien qui perçoit et agit, elles s’organisent dans des organes correspondant aux affects dont on est capable. On est donc ici dans des systèmes de coopération et d’organisation, plus que de sélection, tout du moins avant d’être de sélection.

La rencontre du nouveau démarre donc avec la reconnaissance du connu. Par suite c’est l’expérience de l’action qui accroît le connu distinguable, permettant ainsi la mise en place d’organisations nouvelles etc. Ainsi, avec le nombre des actions possibles croît également le nombre des objets qui peuplent le milieu de l’animal.

Vision transverse : de l’éthique à l’éthologie

       Si l’on peut lire, et même remarquer que l’auteur se réfère à la philosophie kantienne dans ses ouvrages, dans la mesure où « chaque espèce vit dans un environnement unique, qui est ce qui lui apparaît  déterminé par son organisation propre » [5], la lecture des Mondes animaux nous amène à faire l’expérience d’un climat « sensitivement » spinoziste.

Ce que n’hésite pas à souligner Gilles Deleuze dans son ouvrage « Spinoza, philosophie pratique », se référant également à un autre écrit d’Uexküll de 1940, la Théorie de la signification. Ce texte, annexé au Mondes animaux et mondes humains, est l’occasion pour l’auteur d’exposer sa théorie de la composition naturelle, théorie entendue dans le cadre de sa conception des diverses « connotations » que revêtent les objets (obstacle, nourriture, etc.) pour les différents sujets. Or cette théorie de la composition naturelle, en s’appuyant sur une analogie musicale point contrepoint, offre de curieuses raisonnantes avec les concepts d’affect chez Spinoza. Tout du moins tels que sentis par Deleuze en tant que sentiment vécu par le sujet de la variation continue de sa puissance d’agir.

Gilles Deleuze : « un lointain successeur de Spinoza [Uexküll] dira : voyez la tique, admirez cette bête, elle se définit par trois affects, c’est tout ce dont elle est capable en fonction des rapports dont elle est composée, un monde tripolaire et c’est tout! La lumière l’affecte, et elle se hisse jusqu’à la pointe d’une branche. L’odeur d’un mammifère l’affecte, et elle se laisse tomber sur lui. Les poils la gênent, et elle cherche une place dépourvue de poils pour s’enfoncer sous la peau et boire le sang chaud. Aveugle et sourde, la tique n’a que trois affects dans la forêt immense, et le reste du temps peut dormir des années en attendant la rencontre. […] »

Art de la composition de rapports, agencement de relations extérieures au sujet en mode point contrepoint, mondes animaux et cartographie des affects, puissance et limite plutôt que forme et contour, etc. Les points de rencontre et de résonnance semblent nombreux.

L’un d’entre eux concerne l’absence d’intériorité autonome du sujet.  Pour l’auteur, l’intérieur n’est qu’un extérieur sélectionné, l’extérieur, un intérieur projeté. Autrement dit, les relations sont extérieures au sujet qui les ordonne, elles sont dans le milieu, le temps et l’espace vécus.  Autre point prégnant, la récusation sans cesse réaffirmée de toute forme d’anthropomorphisme: «notre premier soin doit donc être de dégager l’examen des milieux de toute forme erronée de finalité. […]  Trop souvent nous nous imaginons que les relations qu’un sujet d’un autre milieu entretient avec les choses de son milieu prennent place dans le même espace et dans le même temps que ceux qui nous relient aux choses de notre monde humain. Cette illusion repose sur la croyance en un monde unique dans lequel s’emboîteraient tous les êtres vivants. »

A ne pas s’attarder sur l’exposé de sa théorie de la composition naturelle, on pourrait penser qu’Uexküll s’oppose ici au principe spinoziste « une seule substance pour tous les attributs ». Rappelons que pour Spinoza, seulement deux attributs de la substance sont accessibles à l’être humain : le corps et la pensée. En ce sens esprit et corps sont dit « avec » en tant que double perspective sur une seule et même substance, ni au-dessus ni au-dedans l’un l’autre.

Mais le monde unique tel que dénoncé par Uexküll ne serait que l’ensemble des existants (objets), et non la substance ou la Nature au sens spinoziste (« Deus sive Natura. »). Dès lors, nous ne sommes plus dans des problèmes de l’ordre «des univers parallèles et contradictoires ». Bien plus, pour reprendre une terminologie deleuzienne, nous nous situons dans la problématique des modes d’existence singuliers et finis et de leur définition/insertion quantitative et qualitative dans la totalité de la Nature. D’après Uexküll, « le rôle que joue la nature en tant qu’objet dans les différents milieux est contradictoire » et donc, « si l’on voulait rassembler ses caractères objectifs, on serait devant un chaos ». Mais « tous ces milieux sont portés et conservés par la totalité qui transcende chaque milieu particulier : la nature ». On notera qu’Uexküll reprend ici le terme de nature par opposition au terme de monde (portion sélectionnée de la nature) qu’il utilisait précédemment.

L’idée d’une quelconque transcendance n’a pas de sens pour Spinoza pour qui la Nature est cause immanente de toute chose dans la mesure où, existante et agissante dans un même mouvement, elle interdit toute forme de création extérieure à elle-même. Ici encore il faut lire Uexküll avec attention quand il écrit : « chaque cellule vivante est un mécanicien qui perçoit et agit », c’est-à-dire qu’elle possède ses propres caractères actifs et perceptifs, son impulsion ou tonalité propre. L’animal est alors le fruit de la « collaboration de l’ensemble de ses mécaniciens. » Or chez Spinoza, chaque individu, âme et corps, possède une infinité de parties qui lui appartiennent sous un certain rapport plus ou moins composé. Aussi chaque individu est lui-même composé d’individus d’ordre inférieur et entre dans la composition d’individus d’ordre supérieur, de sorte que : « tous les individus sont dans la Nature comme  sur un plan de consistance dont ils forment la figure entière, variable à chaque moment. » [6]

L’ensemble de ces résonnances permettra à Deleuze d’écrire que : « l’éthique est une éthologie, […] ce que peut un corps, on ne le sait pas à l’avance et au bout du compte, on a toujours les organes et les fonctions correspondant aux affects dont on est capable. ». En conséquence, on ne défini plus par ce qu’on est - l’essence : l’homme en tant qu’animal marchant debout ou animal pensant – mais on défini parce qu’on peut – la puissance : les limites de son monde, le nombre d’objet qu’on est capable d’y mettre dans la mesure où un animal distingue dans son milieu autant d’objet qu’il peut accomplir d’action et inversement.

Conclusion

     Voici donc évoqué, très rapidement, quelques uns des fondements de la composition des mondes animaux chez Uexküll. En quoi cela peut-il nous donner à penser en tant qu’être humain occidental « moderne »? De manière contingente, et sans doute parce qu’aujourd’hui plus qu’hier nous sommes charmés par les tentations anthropomorphiques comme anthropocentristes, envahis par des notions confuses, le travail d’Uexküll a le grand mérite de clarifier certaines positions.

L’environnement, c’est l’infinité des objets entourant un sujet, le milieu, l’ensemble réduit des objets qui lui sont accessibles. Ainsi, ce que l’homme appelle maladroitement environnement n’est en fait rien d’autre que son propre milieu vécu. C’est à dire une infime portion de la nature, sélectionnée et reliée sous la forme d’un réseau écologique individuel qui détermine ce que chaque sujet est capable en perception comme en action. Chaque sujet, qu’il soit porté à l’existence sous la forme d’un homme, tique ou mouton, compose donc un monde singulier et immanent, en tant qu’il est compris dans le cadre général des conditions régulatrice du plan naturel.

Gille Deleuze : « les corps ne se définissent pas par leur genre ou leur espèce, par leurs organes et leurs fonctions, mais par ce qu’ils peuvent, par les affects dont ils sont capables, en passion comme en action. Vous n’avez pas défini un animal tant que vous n’avez pas fait la liste de ses affects. En ce sens, il y a plus de différences entre un cheval de course et un cheval de labour qu’entre un cheval de labour et un bœuf. »

Les observations d’Uexküll remettent ainsi profondément en question les notions de forme et de contour, d’espèce et de classification générique. Elles font appelle à des systèmes de coopération entre différents niveaux d’individualité et place la sélection au niveau des rapports extérieurs dont ceux-ci deviennent capables. Ici rien n’est indifférent, la nature est une continuité à géométrie variable, vaste ensemble habité de l’infinité des subjectivités possibles à un moment donné.

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[1] Les signaux perceptifs deviennent des caractères perceptifs.
[2] Capables d’être rencontrer par les signaux perceptifs
[3] D’après Spinoza, philosophie pratique, éditions de minuit.
[4] Forme et mouvement n’apparaissent que dans les mondes perceptifs supérieurs.
[5] D’après encyclopédia universalis, article de Françoise Armengaud. Autrement dit, il n’existe ni temps, ni espace indépendamment de la présence d’un sujet.
[6] Gilles Deleuze, Spinoza, philosophie pratique.

Sur le web: de la mort de l’environnement et autres rencontres

 Sur le web: de la mort de l'environnement et autres rencontres dans Biodiversité frog

Suite à certaines de nos dernières notes concernant le principe d’attention appliqué à l’écologie: l’appel aux sciences sociales et autres variations sur la mort de l’homme, voici quelques ressources, fragments et pistes de reflexions collectées sur le web autours de la question de l’homme dans l’écologie.

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Extraits du compte rendu de lecture de Gérard Chouquer de l’ouvrage de Frédéric Couston, L’écologisme est-il un humanisme ? 

 » [...] La thèse de l’ouvrage est, en effet, la suivante : pour changer et trouver un nouveau contrat, il faut adopter de nouvelles catégories. Or le concept d’environnement est trop lié à la crise de la modernité pour être retenu. Il faut donc se débarrasser de ce concept pour aller vers une politique écologiste, qui soit un « réformisme radical ».

Frédéric Couston établit tout d’abord le lien que la notion d’environnement entretient avec la crise de la modernité. Pour lui, la crise de la modernité est une des dimensions de la crise environnementale puisque c’est un effet de la séparation moderne entre nature et sociétés. Plus précisément, ce qui émerge avec la modernité c’est l’opposition entre un espace naturel à l’écart de l’histoire, et qui sera de plus en plus paré de qualités, et un espace environnemental voué au progrès et lieu de la déploration. La nature, c’est ce dont on ignore l’histoire et même ce dont on ne veut pas faire l’histoire. Idée qu’il résume en une formule forte : « Le concept d’environnement a donc le mérite, en se chargeant des basses œuvres de la modernité, de permettre à la notion traditionnelle de nature de revivre et d’être de nouveau ressentie comme un réservoir immatériel et imaginaire de valeurs. » (P. 63) La conclusion est que si l’on peut annoncer la mort de la nature - parce que « la nature n’est plus ce qu’elle était » (Cosmopolitiques 1, 2002) et qu’elle n’est plus l’autre de l’homme et de l’artificialisation -, il faut, paradoxalement, annoncer, dans le même temps, la mort de la notion d’environnement.

Les raisons sont multiples. Il y a contradiction à nommer environnement l’écosystème, c’est-à-dire ce qui n’est pas l’homme, surtout si c’est pour réinventer, ensuite, la part de l’homme dans l’écosystème. Mieux vaudrait prendre en compte le fait que l’environnement est une représentation culturelle, en outre récente. Il y aura donc mort du concept par absorption de l’homme en lui : un environnement qui absorbe ce qu’il est censé environner redevient un tout. Par ailleurs, si le mot désigne une extériorité statique, pourquoi le choisir pour qualifier un ensemble de relations dynamiques ? Il y aura donc une autre mort de l’environnement en ce que la suppression des problèmes d’environnement passera par la suppression de la notion elle-même au profit d’autre chose.

La crise de l’environnement n’est pas différente de la crise de la modernité parce que la pensée moderne ne parvient pas « à inscrire dans le réel son projet de séparation de la nature et de l’homme sans cesse contrarié par l’irruption de nouveaux hybrides, mi-naturels mi-artificiels » (pp. 85-86). Il faut donc abandonner ou, au moins, dépasser ce concept [...]

La troisième partie de l’ouvrage part à la recherche du nouveau contrat que l’homme doit envisager. Ce contrat est nécessaire, non pas, comme le suggère Michel Serres, parce qu’un nouveau contractant, la nature, doit être intégré mais parce que notre manière de nous considérer dans l’écosphère doit changer. Ce contrat, l’écologisme, ne peut être ni le contrat libéral, fondé sur l’individu, ni le contrat holiste, soumettant l’homme à un plan général qui le dépasse. Il s’agit par conséquent d’un nouveau type de contrat. Pour en discuter les fondements, Frédéric Couston entreprend de démontrer que l’écologisme n’est ni un totalitarisme ni un libéralisme. Il récuse le communisme écologique de Jonas, qui mène à une forme de totalitarisme. Il ne pense pas que soit concevable la notion d’aménagement écologique du capitalisme. Il explique enfin comment l’écologisme n’est ni une révolution ni une utopie, qui ne saurait être confondu avec la politique écologisée [...]« 

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http://www.dailymotion.com/video/x2xuzm

Michel Serres sur Bergson, illustrations sonores d’après extraits du dossier France Culture : Bergson, le cinéma de la pensée

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Sélection d’articles du dossier écologie de l’encyclopédie de L’Agora, première encyclopédie virtuelle, évolutive et participative en langue française née en 1998.

Qu’est-ce que l’écologie?

Humaniser l’écologie « L’écologie est surtout et avant tout une certaine «vision du monde», une sensibilité particulière, et non pas simplement une science. C’est un art qui nous apprend à vivre-avec, à vivre en symbiose, et non pas à manipuler; qui nous apprend à nous ajuster et à nous adapter, et non pas à contrôler; qui nous apprend à promouvoir la vie et non pas la mort, à voir ce qui nous entoure comme des organismes et non pas comme des machines. »

Les lois de l’écologie « L’écologie n’est pas une science nouvelle, même si le vocabulaire écologique est tout récemment passé dans l’usage commun. La science de l’environnement est née au sein de l’histoire naturelle, est passée de l’observation de la nature à l’expérimentation dès le siècle dernier. Ses origines dans les sciences biologiques ont doté l’écologie d’une méthodologie et d’un cadre conceptuel qui ont beaucoup influencé les formes nouvelles qu’elle se donne en s’appropriant les sciences de l’homme. Cette transition est encore très imparfaite. »

Pour une écologie de l’homme « L’écologie n’est réelle que lorsqu’elle est d’abord une écologie de l’Homme et non de la Terre. « Ce n’est donc pas en se niant lui-même que l’homme peut se rapprocher de la nature, car, en désavouant l’esprit qui le fonde, l’homme ne devient pas nature, mais débris de la nature… »

Pour un écologisme non intégriste « Réponse de Claude Villeneuve à l’article de Nicole Jetté-Soucy (ci-dessus). L’objectif de l’écologie, c’est de comprendre le fonctionnement des écosystèmes. »

Le paradoxe de l’arche de Noé « La perte de biodiversité est actuellement l’une des dimensions les plus à la mode dans l’étude des changements environnementaux à l’échelle du globe. Qu’en est-il en réalité et comment conserver les diverses formes de vie à l’échelle planétaire? La responsabilité de l’humanité passe par un changement de paradigme. »

La ressource en eau ? (visage, language, qualités et quantités)

L’eau et la vie « La vie sort de l’eau, mais l’eau ne sort pas d’elle. «Nous sommes des sacs d’eau de mer», disait Alain. En réalité, chacune de nos cellules évolue toujours dans un milieu aqueux, dont les conditions sont contrôlées par des mécanismes physiologiques souvent complexes qui reflètent notre évolution et notre adaptation à l’environnement. »

Plaidoyer pour les eaux oubliées « L’eau mythisée, voire sacrée, dévoile du même coup, d’une part, l’essence et la nature de l’eau, son être intime et originel, sa dignité et sa grandeur, sa plénitude et son sens, et d’autre part, sa puissance symbolique, son ouverture sur la transcendance, sa concordance avec l’être humain et sa capacité d’évoquer le cosmos et le divin. »

L’eau: problématique-clé « La question de l’eau, de ses usages et des abus que l’humanité fait subir à cette ressource essentielle n’a pas fini de nous inquiéter. Il s’agit probablement de la question qui nous rapprochera de la façon la plus tangible de notre environnement dans les décennies à venir. En effet, on peut penser vivre avec un air pollué, avec des sols contaminés, avec une faune et une flore raréfiées… mais l’eau doit être pure, exempte de bactéries nocives ou de substances délétères, sans odeur, sans saveur, sans couleur, pour rencontrer nos critères de qualité. L’accès à une source d’eau potable est probablement la préoccupation la plus ancienne qui confronte l’humanité à son environnement. »

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http://www.dailymotion.com/video/x2xtfh

Michel Serres sur Bergson, illustrations sonores d’après extraits du dossier France Culture : Bergson, le cinéma de la pensée

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La revue études rurales explore les nombreux aspects de la « ruralité » à travers les territoires, les activités, les genres de vie, les organisations politiques, les représentations, les croyances, les héritages et les perspectives. Grâce à la contribution d’auteurs venus d’horizons divers, la revue parle du monde en s’appuyant, pour toutes les disciplines (humaines, sociales et naturalistes), tant sur l’enquête scientifique que sur la réflexion, historique, philosophique ou anthropologique. Deux articles de la revue: 

Olivia Aubriot, L’eau, miroir d’une société. Irrigation paysanne au Népal central Paris, Éditions du CNRS, 2004, 321 p.

Gilles Tétart, Le sang des fleurs. Une anthropologie de l’abeille et du miel (préface de Françoise Héritier)

De l’abeille à la ressource en eau

Deux émissions de France Culture s’accordant aux différents thèmes traités ici: l’état de la ressource en eau, l’état des peuplements d’abeilles.

Les limites des ressources en eau

L’eau est synonyme de vie. Sans eau, pas ou peu de vie. Les ressources en eau douce sont finies et elles sont très inégalement réparties à la surface du globe. Dès lors préservons-nous suffisamment cette ressource rare et précieuse, et les écosystèmes naturels qui y sont associés ? Ne sommes-nous pas en train de la gaspiller? De détruire la biodiversité des milieux aquatiques ? Combien de temps faut-il pour qu’une nappe phréatique polluée soit purifiée? Y a-t-il assez d’eau pour satisfaire les besoins d’une population mondiale en croissance et ceux de la nature? Une conférence donnée par Ghislain de Marsily, professeur émérite d’hydrologie à l’Université Paris VI, membre de l’Académie des sciences, évoque les limites de la gestion des ressources en eau.

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Fin de lune de miel ?

Les abeilles seraient-elles en train de disparaître ? Les témoignages d’apiculteurs du monde entier s’accumulent, qui voient leurs colonies disparaître en quelques jours, sans qu’aucune abeille ne soit retrouvée morte au pied de la ruche pour autant. Elles ne seraient donc pas victimes de pesticides, alors d’où provient ce mystère ? Le phénomène, connu sous le nom de « colony collapse disorder », maladie de la disparition, inquiète les scientifiques notamment par le manque de pollinisateurs et sa répercussion sur l’agriculture. En effet 80% des espèces végétales ont besoin des abeilles pour être fécondées. Mais les chercheurs peinent à trouver les causes de ce qui semble correspondre à une perte de mémoire, qui les empêcherait de retrouver leur ruche. Effets inconnus des OGM ? Emissions d’ondes électromagnétiques émises par les téléphones portables, les GPS, la WiFi? Il faut savoir que cette intelligence qui nous semble collective est armée d’un psychisme extraordinaire, proche des animaux dits supérieurs, s’orientant par rapport au soleil, utilisant des modes de communication visuels, chimiques et tactiles qui laissent encore la part belle à l’inconnu. Les entomologistes mènent leur enquête, et parfois, par cet étrange phénomène de mimétisme qui finit par nous rapprocher de nos ennemis, certains deviennent spécialistes des insectes après les avoir longtemps combattu pour les grandes firmes de pesticides.Entre fantastique cité de petits forçats et entité collective, le petit bourdonnement rayé et sa cohorte de cousines a convoqué dans toutes les mythologies le souvenir mêlé du goût de miel et celui, cuisant, du dard, témoignant de notre longue histoire commune. Mais si aujourd’hui les abeilles sont malades de l’homme, certains tentent de renouer le lien comme le créateur du Parti poétique devenu producteur du miel Béton en collaboration avec elles : elles nous livrent le goût de notre territoire pris dans la gangue des alvéoles. Emerge alors à chaque fois un dialogue, une communication non verbale établie entre le monde humain et la nature.

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Vers une contre marche des pinguoins freegurants du spectacle ?

Et si les pingouins n’étaient après tout que d’horribles fascistes principalement intéressés au cours du pétrole ? Et si les religieuses sardines devenaient stériles à l’écoute du chant des hommes ? Et si, et si… Si l’homme a toujours eu tendance à figurer les forces impersonnelles de la nature à travers les animaux, il semble qu’un drôle de basculement se soit silencieusement opérer: en charge maintenant aux animaux de figurer les croyances d’hommes devenus soudainement réticents au fait de jouer eux-même leurs propres comédies. L’arrière monde blanc des pingouins empereurs, dernier refuge du bonheur humain ?

We want to pe paid !

µtime: Monsieur le réprésentant des pingouins en colère, pourriez-vous nous présenter en quelques mots l’essence de vos revendications ? Pourquoi et comment contaminer un espace public déjà fortement saturé de revendications catégorielles de toutes les natures ?

Pingouin: Tout d’abord, merci de me permettre cette petite ouverture de la calotte médiatique. Vous parliez réchauffement climatique tantôt, reste qu’il fait encore assez froid chez vous pour qu’elle durcisse encore à ce point. Quelqu’un s’occupe de maintenir des ouvertures ?

µtimeNotre espèce préfère généralement recourir à des couvertures de surface …

Pingouin: Mmmm… Bien, donc revenons à votre question. Voyez autour de vous, nous ne sommes que quelques-uns ici… ils ont été des millions à nous prendre pour des cons ! Il n’était donc que temps de reprendre la parole qui nous avait été odieusement dérobée… et c’est le moins dire!

µtimeDérobée par qui et par quoi ? 

Pingouin: Aujourd’hui, nombre des pingouins que je représente souhaitent s’exprimer très ouvertement sur l’exploitation abusive dont notre espèce a fait l’objet à partr de 2004. Rendez-vous compte que la Marche de l’empereur a récolté sur le marché US pas moins de 77 millions de dollars en quelques 160 jours d’exploitation ! Mais nous les pinguoins, nous les acteurs… nous n’avons toujours pas vu la couleur du premier billet !

µtimeUne petite vodka glace en fin de tournage ? 

Pingouin: Pas même le remboursement de la première semelle de marche ! Mais croyez-vous que nous soyons encore crédibles devant les sardines après ce genre de traitement ? Ne serait-ce que l’autre jour… je m’apprêtais à déjeuner tranquillement quand l’une d’elles se retourne dans mon assiette pour me dire: « tu ne tueras pas ton prochain ! » Et de continuer: « qui vole une sardine perd son oeuf ! » Alors je vous le demande bien… quitte à nous faire passer pour des andouilles devant l’ensemble des bêtes, pourquoi ne pas aller en retour jusqu’à nous payer les justes dédommagements que la situation exige ?

µtime: Sans doute parce que vous êtes des bêtes… c’est ça qui vous dérange ? Parce que vous me parlez des sardines, mais vous-même, n’auriez-vous pas développé certains problèmes identitaires suite à cet immense succès terrestre ? Après tout vos êtes plutôt des animaux marins, ça doit vous faire drôle Hollywwod, non?

Pingouin:  Soyons un peu sérieux et regardons les choses en face ! Nous ne sommes, et ne seront jamais que de pauvres acteurs instrumentalisés au service du syndrome de l’ours en peluche… Mais il est vrai que niveau charges sociales, nous n’avons pas beaucoup de concurrent sur le marché ! Alors dites moi, comment rentre-t-on dans l’écosystème économie ? Par cooptation des espèces ? Doit-on monter un dossier ou alors vient-on vous chercher directement à la maison ? Je discutais l’autre jour de mes droits avec un expert et il m’a dit: « mais voyons monsieur le pingouin, vous y êtes de plein pied dans la société du spectacle… précisément sur un segment très porteur: mon enfant est un animal, il ne parle pas ! »

µtime: Vous ne pouvez tout de même pas reprocher aux hommes d’avoir instinctivement une attitude affectueuse envers…

Pingouin: Ecoutez, votre espèce devrait aussi comprendre qu’il nous arrive également de manger du poisson, et que ça coûte cher ! Nous ne sommes pas que de simples tendres et fidèles pénitents… et si nous nous regroupons ce n’est pas tant par fraternité que par nécessité !

µtime: Qu’avez-vous justement à répondre à des personnes comme Jill S., opposante US à l’avortement qui affirme que « chacune de vos scènes permet de s’assurer de la beauté de la vie et du bien-fondé de sa protection ». Ou encore à Mari H., critique américaine qui voit dans votre comportement  »une indication exceptionnelle de l’existence et du rôle de Dieu ».

Pingouin: Dieu ? La marche des hébreux ? Les papas-mamans ? Mais que peut bien signifier ce concept de vie que vous nous mettez à toute les sauces ?  Tout ce qui n’est pas vous, où plutôt, partout où vous n’êtes pas ? Avec cette satanée mauvaise conscience qui habite votre espèce, on se demande bien comment vous avez pu arriver un jour en haut de la chaîne…  et comme le dit Platon le manchot, un ciel capable par sa vertu propre de demeurer en soi-même, mais se connaissant et s’aimant lui-même suffisamment.

µtime: Vous connaissez Platon ?!?

Pingouin: Je dirais même plus, nous connaissons aussi Zola! Et nous sommes dès maintenant pour un véritable Germinal du pinguoin ! Et plus généralement de toutes les espèces qu’on se permet d’accuser d’hominitude devant les autres ! Nous travaillons d’ailleurs actuellement à associer à notre combat toutes les victimes des documentaires antrop-occidentalo-morphes. Je viens de rencontrer en ce sens certains des freegurants du cauchemar de Darwin, ils sont tout à fait en accord avec nos thèses. Hommes animalisés et animaux humanisés, ceci est un message solennel à tous les manipulés gisants des mornes plaines audiovisuelles: unissez-vous, rejoignez-nous !

Vers une contre marche des pinguoins freegurants du spectacle ? dans -> ACTUS sfbforstbaumschulenpinguinewueste

µtime: A partir de ce point de vue, formulez-vous des revendications matérielles plus concrètes ?

Pingouin: Afin de contrebalancer les effets désastreux qu’ont vos caricatures animées sur nos sources d’approvisionnement, il doit dès à présent nous être assuré les moyens d’une large campagne de diffusion auprès des sardines. Sur la tranche des 0 à 18 jours, la plus sensible. Imaginez un peu une vache venir vous dire devant l’abattoir: « je vous ai vu à la télé hier soir, et vous étiez ridicule à glisser dans l’herbe derrière votre chien« . Comment voulez-vous manger un animal qui pense comme ça ? D’ici à ce que nos sardines soient polluées de vos religions et qu’elles en deviennent ascétiques jusqu’à oublier de se reproduire, je n’y vois qu’un pas ! Pourquoi vivre si c’est pour ce faire manger par un pingouin qu’elles commencent à se dire !

µtime: Et bien j’imagine qu’on pourrait envisager d’interdire la marche de l’empereur aux sardines de moins de 18 jours ?

Pingouin:  Ecoutez… dans un monde interconnecté où tout le monde nage librement, cessez  de croire que les sardines n’auraient pas accès à l’ensemble des bancs de diffusions ! Nous l’assumons, nous sommes pour la censure la plus stricte en la matière ! Et si nous ne sommes pas particulièrement légalistes, la prochaine fois nous n’hésiterons pas à aller devant les tribunaux faire valoir notre juste droit à l’image !

µtime: En quelque sorte, vous demandez qu’on vous foute la paix! Mais vous dites vous-mêmes que nous vivions tous sur une même planète. Ne pensez-vous pas alors que nous appartenions à une même communauté de destin ? Et si oui, en quoi une censure générale ne serait-elle pas une réaction fâcheuse et arbitraire ?

Pingouin: Mais vous voulez qu’on participe à quoi exactement ? Quelle est la place que vous nous proposez ? Ouvrez un peu les yeux, nous ne sommes que des têtes sur des tee-shirt ! J’en profite d’ailleurs pour rassurer ici l’amicale des ours en peluche, nous ne tenons absolument pas à prendre leur place dans le lit de vos imaginaires ! 

µtime: Si je vous ai bien lu, vous refusez également, et très fermement, de faire parti du NCBA (Natural Charity and Business Act). Les bébés phoques, le panda, la baleine bleue, et l’ours blanc semblent ne pas devoir partager votre opinion par exemple. Ne pensez-vous pas également que cette posture soit celle d’un autre âge ?

Pingouin:  Vous citez là quelques espèces chez qui la volonté de se donner à voir dans les médias n’est le fait que de très rares individus. Ceux qui ne sont pas encore éliminés, une poignée, ceux que vous avez pris soin de sélectionner au faciès, soit une autre poignée de la poignée. Je le dis d’ailleurs au passage afin d’éviter tout malentendu éventuel, comme bébé phoque devenu grand nous mangera tout naturellement, c’est avec la plus grande vigueur que nous soutiendrons toute politique d’extinction massive de cette espèce ! Alors oui, nous les pingouins demeurons dans un certain âge de glace et de pierre… sûrement… et alors ? Ce n’est pas ça qui vous fait rêver chez nous ?

µtimePour conclure sur une note disons plus positive, auriez-vous un conseil à donner aux humains dans les rapports que ceux-ci entretiennent avec le monde animal?

Pingouin: Humains idéalo-contemplatifs, suivez mon conseil et débarrassez vous au plus vite de cet encombrement de la pensée qui ne vous mène qu’à ce que les futuristes italiens appelaient en leur temps ce bien triste mimétisme sentimental d’une nature apparente. Les bras nous en tombent de devoir vous raconter des histoires à dormir debout ! Vous voulez nous aider ? Continuez plutôt à faire la peau des phoques et laissez les japonais tranquilles… Je vais même vous dire, parmi les plus vieux d’entre nous, certains préfèrent encore très nettement l’époque où vous nous chassiez, plus respectueux comme ils disent…

30sec dans Ecosysteme TV.fr

[off] …. dites moi, il est à combien le cours de la sardine chez vous en ce moment ? En ce qui nous concerne on traverse une mauvaise passe avec cette nouvelle concurrence des phoques à moteur qui viennent râcler nos fonds de tiroir…  la sardine centrale tente bien de maintenir les cours, mais de plus en plus de pingoins vivent à crédit sur des frigidaires… bien sûr que la libéralisation des prix en basse mer a été une catastrophe… Vous dites ? Vous n’avez pas de solution non plus ? Décevant ! On se demande bien à quoi vous pouvez servir …  passer moi votre caméra, je voudrais faire une photo de vos lunettes pour ma femme !

untitled dans La contre marche du pingouin

Capable de dire ceci ou cela… pour, dans, à la place de…

On ne se bat pas pour la planète, pour l’environnement. On ne se bat peut-être même pas avec mais dans la planète, dans un environnement. Non à l’intention de la planète, mais à la place des non humains habitant la planète. Comme le disait Deleuze pour l’écrivain, on n’écrit pas pour les bêtes au sens de « à l’intention de », on écrit pour au sens de « à la place » des bêtes, des analphabètes…

http://www.dailymotion.com/video/2yfvENX3XLTZxoMIU « L’homme qui souffre est une bête, la bête qui souffre est un homme. C’est la réalité du devenir. Quel homme révolutionnaire en art, en politique, en religion ou en n’importe quoi, n’a pas senti ce moment extrême où il n’était rien qu’une bête, et devenait responsable non pas des veaux qui meurent, mais devant les veaux qui meurent. » Gilles Deleuze.

Interrogeons nous donc un instant sur ce que peut bien signifier des slogans tels que « 5mns pour la planète » , et toutes autres formes du « faisons ceci cela pour l’environnement »… Car de quoi on parle-t-on quand on dit ça ? Quelle information sur nous-mêmes dissimule le simple fait de pouvoir dire ça ? Faire pour… pourquoi, comment, ou plutôt pour qui ?

Au sens d’Uexküll, ce que nous appelons environnement ou planète n’est pas autre chose que la partie du monde accessible, visible, traductible par nos organes sensoriels. C’est à dire notre monde vécu, monde construit qui n’a rien à voir avec celui du singe, de la plante et du mollusque avec lesquels nous ne partageons pas les mêmes capacités sensorielles d’être affecté par.

http://www.dailymotion.com/video/BOjuohakUQJDPoMG8 « Un lointain successeur de Spinoza dira : voyez la tique, admirez cette bête, elle se définit par trois affects, c’est tout ce dont elle est capable en fonction des rapports dont elle est composée, un monde tripolaire et c’est tout! La lumière l’affecte, et elle se hisse jusqu’à la pointe d’une branche. L’odeur d’un mammifère l’affecte, et elle se laisse tomber sur lui. Les poils la gênent, et elle cherche une place dépourvue de poils pour s’enfoncer sous la peau et boire le sang chaud. Aveugle et sourde, la tique n’a que trois affects dans la forêt immense, et le reste du temps peut dormir des années en attendant la rencontre [...] » Gilles Deleuze.

Ajoutons que contrairement à la conscience animale, la conscience humaine est le siège de l’irruption de l’inconscient dans ses perceptions/représentations de la réalité. C’est à dire que toutes sortes de rêveries peuvent se brancher sur n’importe quelles de nos perceptions. Intentionnalité inconsciente et refoulement ne cessent donc de venir en contaminer le sens. Comme l’animal, l’action de l’homme a un but manifeste, mais dans le même temps, elle est aussi éclaireur de l’inconscient.

Sur ces points, consulter l’ouvrage de Gérard Pommier (Comment les neurosciences démontrent la psychanalyse), et plus précisément le chapitre consacré à la différence entre la conscience animale et humaine. L’homme habite le langage, et par là l’ordre symbolique. Ainsi, lorsque je lui parle, le chat ne perçoit qu’une musique. Un signifiant (part du signe qui peut devenir sensible) sans signifié (tout ce qui est lié à la signification).

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Mais nous poussons, hommes et animaux, dans un environnement que nous participons à modifier et dont les modifications nous modifient en retour. L’arbre participe ainsi à créer la forêt dans laquelle il se développe. Ce sont donc les interactions entre les vivants qui tout à la fois composent un milieu et s’y construisent. Si bien que même si nous ne sommes pas capables des mêmes affects, représentations et actions, il existe des passerelles entre les différents mondes des vivants. Ce que démontrent les travaux de Boris Cyrulnik (neuropsychiatre et éthologue) sur l’attachement, l’empreinte, la matérialisation de pensée…etc, etc…

Les éclairages suivants de Boris Cyrulnik sont tirés de l’ouvrage de Karine Lou Matignon « Sans les animaux, le monde ne serait pas humain » (éd. Clés / Albin Michel.)

« Le fait d’étudier la phylogenèse, qui est la comparaison entre les espèces, permet de mieux comprendre l’ontogenèse et la place de l’homme. On comprend mieux aussi la fonction et l’importance de la parole dans le monde humain. Il existe une première gestualité universelle, fondée sur le biologique, proche de l’animalité. Dès que le langage apparaît, une deuxième gestualité imprégnée de modèles culturels prend place. Là, la première gestuelle s’enfouit, les sécrétions d’hormones dans le cerveau changent. Donc, on comprend mieux comment le langage se prépare, comment le choix des mots pour raconter un fait révèle l’interprétation qu’on peut en faire, comment la parole peut changer la biologie en changeant les émotions. »

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« Lorsqu’un bébé humain pleure, cela nous trouble profondément. Si l’on enregistre ces cris et qu’on les fait écouter à des animaux domestiques, on assiste à des réactions intéressantes : les chiennes gémissent aussitôt, couchent leurs oreilles. Elles manifestent des comportements d’inquiétude, orientés vers le magnétophone. Les chattes, elles, se dressent, explorent la pièce et poussent des miaulements d’appel en se dirigeant alternativement vers la source sonore et les humains. Il semble exister un langage universel entre toutes les espèces, une sorte de bande passante sensorielle qui nous associe aux bêtes [...] Le chien qui vit dans un monde de sympathie est hypersensible au moindre indice émis par le corps du propriétaire adoré. C’est donc bien une matérialisation de la pensée humaine transmise au chien qui façonne ce dernier. »

« Première certitude à abandonner : les animaux ne sont pas des machines. J’insiste beaucoup là-dessus : le jour où l’on comprendra qu’une pensée sans langage existe chez les animaux, nous mourrons de honte de les avoir enfermés dans des zoos et de les avoir humiliés par nos rires. Nous avons peut-être une âme, mais le fait d’habiter le monde du sens et des mots ne nous empêchent pas d’habiter le monde des sens. Il faut habiter les deux si l’on veut être un être humain à part entière. Il n’y a pas l’âme d’un côté et de l’autre la machine. C’est là tout le problème de la coupure. »

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« Les animaux ne sont pas des machines, ils vivent dans un monde d’émotions, de représentations sensorielles, sont capables d’affection et de souffrances, mais ce ne sont pas pour autant des hommes. Le paradoxe, c’est qu’ils nous enseignent l’origine de nos propres comportements, l’animalité qui reste en nous… En observant les animaux, j’ai compris à quel point le langage, la symbolique, le social nous permettent de fonctionner ensemble. »

Le choix des mots n’est jamais neutre. Ainsi, dire se se battre pour l’environnement ou la planète telle que nous la percevons ne veut pas dire autre chose que de rabattre le reste des habitants de la biosphère sur notre propre vision, soit revient à dire la-même chose que ce que nous disons déjà depuis très longtemps dans un cadre humain. A contrario, dire qu’on se bat dedans revient à reconnaître son appartenance à un tout, son insertion dans un ensemble plus vaste où une partie de soi est hors de soi, précisément dans son environnement. Dire qu’on se bat à la place de revient à reconnaître (situer) la place de l’homme, responsable devant la biosphère.

+ voir le dossier du CERPHI consacré à l’animal : http://www.cerphi.net/lec/animal.htm

La danse des abeilles est-elle un langage ?

http://www.dailymotion.com/video/k5sBsDE6t7TPGdqsuz

Cette petite note est une combinaison et synthèse des articles suivants :
http://ecrits-vains.com/doxa/doucet1.htm
http://www.philocours.com/cours/cours-langageanimal.htm
http://philonnet.free.fr/reference.htm

 ***

     Les recherches de Karl von Frisch (éthologue autrichien et professeur de zoologie à l’Université de Munich) nous ont fait connaître les processus de communication existant chez les abeilles. Son mode opératoire fut le suivant : observer à travers une ruche transparente le comportement de l’abeille qui rentre après une découverte de nourriture. Ses conclusions : les abeilles possèdent bien un système de communication visuel permettant des actions concertées.

Les abeilles d’une ruche exécutent deux types de danse pour communiquer les informations relatives à la présence, la distance et la direction d’une aire de butinage :

  • La danse circulaire: l’abeille décrit des cercles horizontaux successivement de droite à gauche puis de gauche à droite. Cette danse signale la présence de nourriture à une faible distance, moins de 100 m de la ruche. Cette danse en cercle indique simplement la présence de nourriture à faible distance, elle est fondée sur le principe mécanique du « tout ou rien».

  • La wagging dance: dans un frétillement continu de l’abdomen, l’abeille court droit, puis décrit un tour complet vers la gauche, de nouveau court droit, recommence un tour complet sur la droite, et ainsi de suite de sorte à décrire une sorte de « 8 », comme sur l’image ci-dessous. Cette deuxième danse indique la présence de nourriture, sa direction et sa distance à la ruche. Distance cette fois comprise entre 100 m et 6 km de la ruche. Plus précisément, l’inclinaison de l’axe de la danse par rapport au soleil indique la direction, et la rapidité du nombre de figures de la danse précise la distance. Celle-ci varie toujours en raison inverse de la fréquence du le nombre de figures dessinées par la danse. Ainsi, l’abeille décrira neuf à dix « 8 » complets en quinze secondes quand la distance est de cent mètres, sept pour deux cent mètres, quatre et demi pour un kilomètre, et deux seulement pour six kilomètres. Plus la distance est grande, plus la danse est lente. Cette danse formule vraiment une communication. Contrairement à la première, ici, c’est l’existence de la nourriture qui est implicite dans les deux données (distance, direction) énoncées.

wagging danse

Danse en cercles et danse en « 8 » apparaissent donc comme de véritables messages par lesquels la découverte de nourriture par une abeille est signalée aux autres abeilles. Le message transmis contient trois données extraites de l’environnement : l’existence d’une source de nourriture, sa distance, sa direction.

Les abeilles apparaissent donc capables de produire/formuler et de comprendre/interpréter un véritable message. Elles peuvent donc enregistrer des relations de position et de distance, les conserver en mémoire pour les communiquer/décomposer à travers l’expression de symboles comportementaux. Sur ce dernier point, on peut dire qu’il y a donc un rapport « conventionnel » entre le comportement de l’abeille et la donnée qu’il traduit. Ce rapport est ensuite perçu par les autres abeilles et devient moteur d’action.

guerre abeille

     Question : retrouverait-on chez les abeilles les caractéristiques d’un langage ? Résumons-nous. La communication des abeilles telle que décrite par Karl von Frisch pourrait donner à voir plusieurs points de « ressemblance » : appartenance à une même espèce, usage d’un même code et existence :

  • d’un symbolisme rudimentaire : la forme et la fréquence de la danse formalisent gestuellement une réalité objective constante et d’une autre nature: la nourriture;

  • d’un système : dans le cas de la wagging-danse, 3 données variables de signification constante sont combinées;

  • de l’exercice d’une relation : le message organisé est destiné aux individus de la collectivité qui tous possèdent ce qui est nécessaire pour le comprendre dans les mêmes termes et le transformer en acte.

Nous avons donc un système de communication efficace, toutes les butineuses étant capables, en dansant, à la fois d’émettre un signal et d’en recevoir de semblables compréhensibles par les autres abeilles de la communauté. Ce système établit donc une convention signifiante stable entre un signal et une  réalité.

Mais cette convention liée à une situation donnée est indépendante des abeilles elles-mêmes. C’est-à-dire que celles-ci agissent sur la réalité  selon des schémas dont les buts sont fixés d’avance, et ces dernières ne peuvent dialoguer comme le feraient des êtres humains pour s’accorder sur un mode de désignation de la réalité réalité. Autrement dit, il n’y a pas ici de communication sur la communication, pas de métalangage.

A contrario, les êtres humains peuvent passer entre eux des conventions nouvelles, indépendantes des situations dans lesquelles elles ont été conçues, et les transmettre pour une utilisation dans d’autres situations. C’est-à-dire qu’ils sont capables de concevoir des signaux différents pour transmettre une même information. Ou autrement dit, pour une même action envisagée, ils peuvent passer un grand nombre de conventions pour émettre, recevoir, mémoriser et comprendre des actions à entreprendre. La relation est variable entre la réalité et les organisations signifiantes qui la représentent. A une même réalité correspond autant d’organisations signifiantes qu’il y a de langues naturelles ou artificielles, et réciproquement, une organisation signifiante ne désigne pas une réalité et une seule.

***

Emile Benveniste, linguiste français, va plus loin dans l’expression de ces « différences » lorsqu’il aborde le thème de la communication des abeilles dans son ouvrage « Problèmes de linguistique générale », pp. 57, 59-62, Éd. GALLIMARD.

« [...] les différences sont considérables et aident à prendre conscience de ce qui caractérise en propre le langage humain.

Celle-ci, d’abord, essentielle, que le message des abeilles consiste entièrement dans la danse, sans intervention d’un appareil « vocal », alors qu’il n’y a pas de langage sans voix. D’où une autre différence, qui est d’ordre physique. N’étant pas vocale mais gestuelle, la communication chez les abeilles s’effectue nécessairement dans des conditions qui permettent une perception visuelle, sous l’éclairage du jour; elle ne peut avoir lieu dans l’obscurité.

Une différence capitale apparaît aussi dans la situation où la communication a lieu. Le message des abeilles n’appelle aucune réponse de l’entourage, sinon une certaine conduite, qui n’est pas une réponse. Cela signifie que les abeilles ne connaissent pas le dialogue, qui est la condition du langage humain. Nous parlons à d’autres qui parlent, telle est la réalité humaine.

Parce qu’il n’y a pas dialogue pour les abeilles, la communication se réfère seulement à une certaine donnée objective. Il ne peut y avoir de communication relative à une donnée « linguistique ». Déjà parce qu’il n’y a pas de réponse, la réponse étant une réaction linguistique à une manifestation linguistique, mais aussi en ce sens que le message d’une abeille ne peut être reproduit par une autre qui n’aurait pas vu elle-même les choses que la première annonce. On n’a pas constaté qu’une abeille aille par exemple porter dans une autre ruche le message qu’elle a reçu dans la sienne, ce qui serait une manière de transmission ou de relais.

On voit la différence avec le langage humain, où, dans le dialogue, la référence à l’expérience objective et la réaction à la manifestation linguistique s’entremêlent librement et à l’infini. L’abeille ne construit pas de message à partir d’un autre message. Chacune de celles qui, alertées par la danse de la butineuse, sortent et vont se nourrir à l’endroit indiqué, reproduit quand elle rentre la même information, non d’après le message premier, mais d’après la réalité qu’elle vient de constater. Or, le caractère du langage est de procurer un substitut de l’expérience apte à être transmis sans fin dans le temps et l’espace, ce qui est le propre de notre symbolisme et le fondement de la tradition linguistique.

Si nous considérons maintenant le contenu du message, il sera facile d’observer qu’il se rapporte toujours et seulement à une donnée, la nourriture, et que les seules variantes qu’il comporte sont relatives à des données spatiales. Le contraste est évident avec l’illimité des contenus du langage humain.

De plus, la conduite qui signifie le message des abeilles dénote un symbolisme particulier qui consiste en un décalque de la situation objective, de la seule situation qui donne lieu à un message, sans variation ni transposition possible. Or, dans le langage humain, le symbole en général ne configure pas les données de l’expérience, en ce sens qu’il n’y a pas de rapport nécessaire entre la référence objective et la forme linguistique.

Un dernier caractère de la communication chez les abeilles l’oppose fortement aux langues humaines. Le message des abeilles ne se laisse pas analyser. Nous n’y pouvons voir qu’un contenu global, la seule différence étant liée à la position spatiale de l’objet relaté. Mais il est impossible de décomposer ce contenu en ses éléments formateurs, en ses «morphèmes », de manière à faire correspondre chacun de ces morphèmes à un élément de l’énoncé. Le langage humain se caractérise justement par là. Chaque énoncé se ramène à des éléments qui, se laissent combiner librement selon des règles définies, de sorte qu’un nombre assez réduit de morphèmes permet un nombre considérable de combinaisons, d’où naît la variété du langage humain, qui est capacité de tout dire. Une analyse plus approfondie du langage montre que ces morphèmes, éléments de signification se résolvent à leur tour en phonèmes, éléments d’articulation dénués de signification, moins nombreux encore, dont l’assemblage sélectif et distinctif fournit les unités signifiantes. Ces phonèmes « vides », organisés en systèmes, forment la base de toute langue. Il est manifeste que le langage des abeilles ne laisse pas isoler de pareils constituants; il ne se ramène pas à des éléments identifiables et distinctifs. »

Suivez les abeilles…suite

A la suite de notre note intitulée suivez les abeilles…, est ici reproduit l’article du journaliste et écrivain PAUL MOLGA paru dans les Echos en date du 20/08/07.

Suivez les abeilles...suite dans -> ACTUS abeille3

Les abeilles s’éteignent par milliards depuis quelques mois 

     C‘est une incroyable épidémie, d’une violence et d’une ampleur faramineuse, qui est en train de se propager de ruche en ruche sur la planète. Partie d’un élevage de Floride l’automne dernier, elle a d’abord gagné la plupart des Etats américains, puis le Canada et l’Europe jusqu’à contaminer Taiwan en avril dernier. Partout, le même scénario se répète : par milliards, les abeilles quittent les ruches pour ne plus y revenir. Aucun cadavre à proximité. Aucun prédateur visible, pas plus que de squatter pourtant prompt à occuper les habitats abandonnés.En quelques mois, entre 60 % et 90 % des abeilles se sont ainsi volatilisées aux Etats-Unis où les dernières estimations chiffrent à 1,5 million (sur 2,4 millions de ruches au total) le nombre de colonies qui ont disparu dans 27 Etats.

Au Québec, 40 % des ruches sont portées manquantes. En Allemagne, selon l’association nationale des apiculteurs, le quart des colonies a été décimé avec des pertes jusqu’à 80 % dans certains élevages. Même chose en Suisse, en Italie, au Portugal, en Grèce, en Autriche, en Pologne, en Angleterre où le syndrome a été baptisé « phénomène «Marie-Céleste» », du nom du navire dont l’équipage s’est volatilisé en 1872. En France, où les apiculteurs ont connu de lourdes pertes depuis 1995 (entre 300.000 et 400.000 abeilles chaque année) jusqu’à l’interdiction du pesticide incriminé, le Gaucho, sur les champs de maïs et de tournesol, l’épidémie a également repris de plus belle, avec des pertes allant de 15 % à 95 % selon les cheptels.

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Syndrome d’effondrement

Légitimement inquiets, les scientifiques ont trouvé un nom à la mesure de ces désertions massives : le « syndrome d’effondrement » – ou « colony collapse disorder ». Ils ont de quoi être préoccupés : 80 % des espèces végétales ont besoin des abeilles pour être fécondées. Sans elles, ni pollinisation, et pratiquement ni fruits, ni légumes. « Trois quart des cultures qui nourrissent l’humanité en dépendent », résume Bernard Vaissière, spécialiste des pollinisateurs à l’Inra (Institut national de recherche agronomique). Arrivée sur Terre 60 millions d’année avant l’homme, Apis mellifera (l’abeille à miel) est aussi indispensable à son économie qu’à sa survie. Aux Etats-Unis, où 90 plantes alimentaires sont pollinisées par les butineuses, les récoltes qui en dépendent sont évaluées à 14 milliards de dollars.Faut-il incriminer les pesticides ? Un nouveau microbe ? La multiplication des émissions électromagnétiques perturbant les nanoparticules de magnétite présentes dans l’abdomen des abeilles ? « Plutôt une combinaison de tous ces agents », assure le professeur Joe Cummins de l’université d’Ontario.

Dans un communiqué publié cet été par l’institut Isis (Institute of Science in Society), une ONG basée à Londres, connue pour ses positions critiques sur la course au progrès scientifique, il affirme que « des indices suggèrent que des champignons parasites utilisés pour la lutte biologique, et certains pesticides du groupe des néonicotinoïdes, interagissent entre eux et en synergie pour provoquer la destruction des abeilles ». Pour éviter les épandages incontrôlables, les nouvelles générations d’insecticides enrobent les semences pour pénétrer de façon systémique dans toute la plante, jusqu’au pollen que les abeilles rapportent à la ruche, qu’elles empoisonnent. Même à faible concentration, affirme le professeur, l’emploi de ce type de pesticides détruit les défenses immunitaires des abeilles. Par effet de cascade, intoxiquées par le principal principe actif utilisé – l’imidaclopride (dédouané par l’Europe, mais largement contesté outre-Atlantique et en France, il est distribué par Bayer sous différentes marques : Gaucho, Merit, Admire, Confidore, Hachikusan, Premise, Advantage…) -, les butineuses deviendraient vulnérables à l’activité insecticide d’agents pathogènes fongiques pulvérisés en complément sur les cultures.

abeille

Butineuses apathiques

Pour preuve, estime le chercheur, des champignons parasites de la famille des Nosema sont présents dans quantités d’essaims en cours d’effondrement où les butineuses, apathiques, ont été retrouvées infectées par une demi-douzaine de virus et de microbes.La plupart du temps, ces champignons sont incorporés à des pesticides chimiques, pour combattre les criquets (Nosema locustae), certaines teignes (Nosema bombycis) ou la pyrale du maïs (Nosema pyrausta). Mais ils voyagent aussi le long des voies ouvertes par les échanges marchands, à l’image de Nosema ceranae, un parasite porté par les abeilles d’Asie qui a contaminé ses congénères occidentales tuées en quelques jours.C’est ce que vient de démontrer dans une étude conduite sur l’ADN de plusieurs abeilles l’équipe de recherche de Mariano Higes installée à Guadalajara, une province à l’est de Madrid réputée pour être le berceau de l’industrie du miel espagnol. « Ce parasite est le plus dangereux de la famille, explique-t-il. Il peut résister aussi bien à la chaleur qu’au froid et infecte un essaim en deux mois. Nous pensons que 50 % de nos ruches sont contaminées. » Or l’Espagne, qui compte 2,3 millions de ruches, est le foyer du quart des abeilles domestiques de l’Union européenne.

L’effet de cascade ne s’arrête pas là : il jouerait également entre ces champignons parasites et les biopesticides produits par les plantes génétiquement modifiées, assure le professeur Joe Cummins. Il vient ainsi de démontrer que des larves de pyrale infectées par Nosema pyrausta présentent une sensibilité quarante-cinq fois plus élevée à certaines toxines que les larves saines. « Les autorités chargées de la réglementation ont traité le déclin des abeilles avec une approche étroite et bornée, en ignorant l’évidence selon laquelle les pesticides agissent en synergie avec d’autres éléments dévastateurs », accuse-t-il pour conclure. Il n’est pas seul à sonner le tocsin. Sans interdiction massive des pesticides systémiques, la planète risque d’assister à un autre syndrome d’effondrement, craignent les scientifiques : celui de l’espèce humaine. Il y a cinquante ans, Einstein avait déjà insisté sur la relation de dépendance qui lie les butineuses à l’homme : « Si l’abeille disparaissait du globe, avait-il prédit, l’homme n’aurait plus que quatre années à vivre. »

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