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L’eau coule par le milieu

L'eau coule par le milieu dans Bateson image0016

« (…) le rôle que joue la nature en tant qu’objet dans les différents milieux est contradictoire (…) si l’on voulait rassembler ses caractères objectifs, on serait devant un chaos (…) [mais] tous ces milieux sont portés et conservés par la totalité qui transcende chaque milieu particulier : la nature ». Jakob von Uexküll

« C’est près de l’eau que j’ai le mieux compris que la rêverie est un univers en émanation, un souffle odorant qui sort des choses par l’intermédiaire d’un rêveur. Si je veux étudier la vie des images de l’eau, il me faut donc rendre leur rôle dominant à la rivière et aux sources de mon pays. Je suis né dans un pays de ruisseaux et de rivières, dans un coin de Champagne vallonnée, dans le Vallage, ainsi nommé à cause du grand nombre de ses vallons. La plus belle des demeures serait pour moi au creux d’un vallon, au bord d’une eau vive, dans l’ombre courte des saules et des osières (…) » Gaston Bachelard, l’eau et les rêves, essai sur l’imagination de la matière.

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La ripisylve (ripa, la rive, sylva, la forêt) est une forêt naturelle marquant la limite entre le milieu aquatique et le milieu terrestre. Riveraine d’un cours d’eau ou plus généralement d’un milieu humide (lacs, marais), elle peut correspondre à un liseré étroit comme à un corridor très large. Sa composition floristique et sa morphologie sont liées aux inondations plus ou moins fréquentes et/ou à la présence d’une nappe peu profonde. En bordure de cours d’eau, on distinguera la forêt alluviale ou forêt de lit majeur et le boisement de berge, situé à proximité immédiate du lit mineur.

Si l’on s’intéressait donc de plus près à la dynamique des ripisylve de cours d’eau, on pourrait noter ceci :
« (…) la dynamique hydro-morphologique (*) du chenal (**) est considérée comme le premier facteur de contrôle de la structuration de la mosaïque paysagère et de la diversité biologique (***) sensée découler de l’hétérogénéité spatiale créée par cette dynamique. De fait, toutes les altérations du régime de perturbation hydrosédimentaire, résultant de l’aménagement des chenaux (barrage, digue, seuil), des activités extractives ou de modifications de l’occupation du sol au sein des bassins versants, sont susceptibles de se répercuter sur l’organisation et la dynamique de la mosaïque. »

Extrait de : « Contrôles naturels et anthropiques de la structure et de la dynamique des forêts riveraines des cours d’eau du bassin rhodanien. » Thèse soutenue le 28 novembre 2005 par Simon Dufour.

(*) L’hydromorphologie d’un cours d’eau n’est rien d’autre que l’étude de sa morphologie et des variables hydrauliques qui la conditionnent. Autrement dit, son lit, ses berges, la géographie de son parcours, le style de son tracé (rectiligne ou sinueux…) et son rythme. Un courant rapide (lotique) est propice aux salmonidés, un écoulement lent (lentique) est plutôt favorable au brochet ou à la carpe.

(**) Une rivière est un courant d’eau qui s’écoule gravitairement dans un chenal naturel, son lit, en empruntant une suite de dépressions, sa vallée, et qui se jette par une embouchure dans une autre rivière, un lac ou un fleuve. En temps normal, le cours d’eau n’occupe qu’un étroit chenal, ou lit mineur, dans la vallée alluviale. Lors des crues, il peut déborder et occuper tout le fond de la vallée, ou lit majeur.

(***) La diversité biologique d’une ripisylves concerne les essences présentes (bois durs ou bois tendres en fonction de leur affection à l’eau), leur degré de maturation respectif (arbre, arbuste), les formes comme la position des individus (franc pied, taille en cépée ou en têtard, sommet ou pied de berge racinant dans l’eau, etc.)

A l’aide de ces quelques définitions, reprenons le chemin …

« (…) la dynamique hydro-morphologique du chenal est considérée comme le premier facteur de contrôle de la structuration de la mosaïque paysagère et de la diversité biologique sensée découler de l’hétérogénéité spatiale créée par cette dynamique (…) »

Un cours d’eau c’est une dynamique plurielle qui crée de l’hétérogénéité, des différences qui produisent d’autres différences.
Les pressions anthropiques exercées sur cette dynamique, endiguement, barrage, tendent à réduire la production d’hétérogénéité spatiale. L’eau est maintenu dans un chenal artificiel correspondant au lit mineur où les débordements sont maintenus.
En tant que partie intégrante de l’hydrosystème, la dynamique de la ripisylve dépend du gradient hydrologique, la fréquence des inondations qui détermine le dépôt des alluvions comme le lessivage et rajeunissement des sols, du gradient topographique qui détermine la saturation en eau des sols, et donc la répartition spatiale des différentes essences végétales (xérophile, mésophile et hydrophile).
Les aménagements humains introduisent dans le système des différences qui produisent d’autres différences : des perturbations de la dynamique plurielle en modifiant les flux d’eau et de matières entre milieu terrestre et aquatique. Si la dynamique naturelle introduit des différences qui produisent des différences et génèrent de l’hétérogénéité, de la diversité dans les espaces, les différences introduites par les aménagements humains produisent des différences qui génèrent de l’homogénéité dans les espaces et donc les essences végétales d’occupation.
Résulte ainsi de l’endiguement une accélération du développement des stades végétaux matures de bord de plaine, espèce postpionnières de xérophiles à méso-xérophiles, et un rétrécissement des bandes actives (hydrophyte, hélophyte).

 

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Sucession végétale des bords de cours d’eau

 

En limitant la dynamique fluviale et modifiant les conditions d’alimentation en eau, l’endiguement accélère le déroulement des successions, limite la régénération, diminue l’hétérogénéité spatiale et engendre des peuplements homogènes d’essences auparavant situées hors de la plaine alluviale, participant ainsi à une réduction des milieux ouverts et de la diversité végétale.

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Petit détour par ces différences qui produisent des différences, et des effets possiblement contradictoires.  La strate arborescente-arborée (8m) de la ripisylve joue plusieurs rôle, fonctions écologiques pour le dire vite, au sein de l’hydrosystème.
→ Stabilisation des berges par les systèmes racinaires (essences pionnières à base de salicacées).
→ Filtration et fixation des polluants venant du bassin versant et du lit (pouvoir auto-épurateur, voir schéma suivant).
→ Régulation thermique et lumineuse, par l’ombrage apporté au cours d’eau, limitant ainsi les phénomènes d’explosion végétale au niveau des hydrophytes.
→ Effet brise-vent.
→ Milieu de vie : des habitats flore-faune, corridor, refuge, gagnage pour la faune.

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Mais cependant … la présence de gros troncs dans le lit mineur, d’arbre ou groupe d’arbres penchés et/ou fr souches trop avancées dans la section du cours d’eau, sans une végétation périphérique buissonnante dont l’action permet de dissiper l’énergie hydraulique, cette présence peut créer des turbulences ayant un fort pouvoir érosif sur les berges.
Enfin, des arbres à enracinement superficiel comme le peuplier, très hauts et très proches du lit, peuvent lors de grands vents provoquer un effet de bras de levier sur la berge conduisant au déchaussement de la souche et à l’arrachement d’une partie de la berge.
D’où l’intérêt de répondre aux les effets possiblement contradictoires par la diversité, avec une ripisylve à deux strates (arborée et arbustive buissonante), notamment par rapport :
aux actions stabilisatrices complémentaires des deux strates (structure racinaire complexe et étagée);
à l’amélioration de la diversité.

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L’homme introduit dans le système des différences qui produisent d’autres différences. Ici par sélection végétale, ce qui tend à une diversification, ici par limitation d’un cours d’eau à un seul et même chenal, ce qui tend à une  homogénéisation.
Si l’on revenait un instant à l’élément N. L’homme opère à cet endroit une modification d’un arc de son circuit, introduisant par là-même des différences qui produisent d’autres différences dans le circuit homme-azote-environnement.
L’agriculture moderne démarre à partir de la capture du diazote de l’air et sa transformation en éléments minéraux NH4+ ou NO3- assimilables par les plantes dans les sols, puis et/ou par le bétail, et donc l’homme qui s’en nourrit. N2 devient donc NO3- et/ou NH4+ afin de produire les protéines nécessaires à l’alimentation humaine. On estime ainsi que de 20 à 25% de l’azote additionnel introduite dans le système sont effectivement consommés par l’homme, le reste demeurant en surplus dans les écosystèmes.
Surplus, c’est-à-dire des différences qui produisent d’autres différences : accélération de l’acidification et de l’appauvrissement des sols, surcharge nutritive dans les eaux, etc.
Modification les vitesses et les lenteurs, des rythmes de production et de reproduction, d’où il résulte ici et au final l’insertion d’une boucle négative dans le circuit : plus on enrichit de manière exogène les sols cultivés, plus ceux-ci on tendance à s’appauvrir en retour, et plus il faut enrichir en retour et à nouveau.
Au niveau global les différences émissent par l’homme dans les systèmes vont plutôt dans le sens de l’accélération, de la concentration et de l’homogénéisation. Au niveau local, il possible au contraire de voir un ralentissement avec diversification, ou l’inverse, par l’induction de coupures, espaces ou décalages crées dans les cycles pour appropriation d’un segment à monétariser.
Comme tout être vivant l’homme émet et reçoit de l’information dans et depuis les systèmes. Avec le surdéveloppement de sa niche écologique, l’espace auquel il est avant tout attentif en réception, la composante émission dans les systèmes naturels est aujourd’hui très largement amplifiée et très peu modifiée par les retours en réception.

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Pour Gregory Bateson, une unité d’information peut se définir comme une différence qui produit une autre différence. Une telle différence qui se déplace et subit des modifications successives dans un circuit constitue une idée élémentaire.
L’homme émet des idées, soit. Mais là où cela se complique, c’est que lui-même est une partie du système, et qu’ainsi ses idées sont immanentes au système dans son entier.
Si l’on prenait l’exemple d’un thermostat, puisque c’est finalement le but que nous assigne une certaine pensée écologique de l’homme régulateur pilote du vivant d’en haut, il convient de souligner ici l’aspect bancal d’une telle position. Précisément du fait que le comportement du régulateur est déterminé par le comportement de l’ensemble des autres parties du système, et indirectement par son propre comportement à un moment antérieur.
Bateson nous donne à voir plusieurs exemples de systèmes et des transmissions de différences dans leurs circuits.

« Prenons l’exemple d’un homme qui abat un arbre avec une cognée. Chaque coup de cognée sera modifié (ou corrigé) en fonction de la forme de l’entaille laissée sur le tronc par le coup précédent. Ce processus auto-correcteur (autrement dit, mental) est déterminé par un système global : arbre-yeux-cerveau-muscles-cognée-coup-arbre ; et c’est bien ce système global qui possède les caractéristiques de l’esprit immanent.
Plus exactement, nous devrions parler de (différences dans l’arbre) – (différences dans la rétine) – (différences dans le cerveau) – (différences dans les muscles) – (différences dans le mouvement de la cognée) – (différences dans l’arbre), etc. Ce qui est transmis tout au long du circuit, ce sont des conversions de différences ; et, comme nous l’avons dit plus haut, une différence qui produit une autre différence est une idée, ou une unité d’information. »

« Un aveugle avec sa canne. Où commence le « soi » de l’aveugle ? Au bout de la canne ? Ou bien à la poignée ? Ou encore, en quelque point intermédiaire ? Toutes ces questions sont absurdes, puisque la canne est tout simplement une voie, au long de laquelle sont transmises les différences transformées, de sorte que couper cette voie c’est supprimer une partie du circuit systémique qui détermine la possibilité de locomotion de l’aveugle.
De même, les organes sensoriels sont-ils des transducteurs ou des voies pour l’information, ainsi d’ailleurs que les axones, etc. ? Du point de vue de la théorie des systèmes, dire que ce qui se déplace dans un axone est une « impulsion » n’est qu’une métaphore trompeuse; il serait plus correct de dire que c’est une différence ou une transformation de différence. »

Aucune partie d’un tel système intérieurement (inter) actif ne peut donc exercer un contrôle unilatéral sur le reste, ou sur toute autre partie du système. Les caractéristiques « mentales » ou autocorrectives sont inhérentes ou immanentes à l’ensemble considéré comme une totalité. Autrement dit nos idées sont toujours immanentes à un système plus vaste homme plus environnement.
D’où les rôles apparemment contradictoires de la Nature pour le pilote que soulignait déjà en son temps Jakob von Uexküll « (…) le rôle que joue la nature en tant qu’objet dans les différents milieux est contradictoire (…) si l’on voulait rassembler ses caractères objectifs, on serait devant un chaos (…) »

L’homme reçoit des informations de l’environnement et en émet en retour et ainsi de suite. La boite noire se situe alors au niveau de nos transformations de ces mêmes informations. Si je vois une prairie bleue, une mer verte, quelles conversion de différences vais-je alors opérer ?

« Le système de la pensée consciente véhicule des informations sur la nature de l’homme et de son environnement. Ces informations sont déformées ou sélectionnées et nous ignorons la façon dont se produisent ces transformations. Comme ce système est couplé avec le système mental coévolutif plus vaste, il peut se produire un fâcheux déséquilibre entre les deux (…) les erreurs se reproduisent à chaque fois que la chaîne causales altérée (par la réalisation d’un but conscient) est une partie de la structure de circuit, vaste ou petit, d’un système (…) ainsi, si l’utilisation de DDT en venait à tuer les chiens par exemple, il y aurait dès lors lieu d’augmenter le nombre de policier pour faire faire face à la recrudescence des cambriolages. En réponse ces même cambrioleurs s’armeraient mieux et deviendraient plus malin, etc. »«  […] le système écomental appelé lac Erié est une partie de votre système écomental plus vaste, et que, si ce lac devient malade, sa maladie sera inoculée au système plus vaste de votre pensée et de votre expérience » Gregory Bateson, Vers une écologie de l’esprit, tome2 

Si de vastes parties du réseau de la pensée se trouvent bien situées à l’extérieur du corps, alors  la conception d’un sujet pensant de manière isolée est l’erreur épistémologique qui nous interdit tout accès la boite noire.

«  L’unité autocorrective qui transmet l’information ou qui, comme on dit, « pense », « agit » et « décide », est un système dont les limites ne coïncident ni avec celles du corps, ni avec celles de ce qu’on appelle communément « soi » ou « conscience » ; il est important d’autre part de remarquer qu’il existe des différences multiples entre le système «pensant» et le  « soi » tels qu’ils sont communément conçus :
1. Le système n’est pas une entité transcendante comme le « soi ».
2. Les idées sont immanentes dans un réseau de voies causales que suivent les conversions de différence. Dans tous les cas, les « idées » du système ont au moins une structure binaire. Ce ne sont pas des « impulsions », mais de « l’information ».
3. Ce réseau de voies ne s’arrête pas à la conscience. Il va jusqu’à inclure les voies de tous les processus inconscients, autonomes et refoulés, nerveux et hormonaux.
4. Le réseau n’est pas limité par la peau mais comprend toutes les voies externes par où circule l’information. Il comprend également ces différences effectives qui sont immanentes dans les « objets » d’une telle information ; il comprend aussi les voies lumineuses et sonores le long desquelles se déplacent les conversions de différences, à l’origine immanentes aux choses et aux individus et particulièrement à nos propres actions. » Gregory Bateson, Vers une écologie de l’esprit, tome1

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Sur le système ordinateur-homme-environnement, Bateson remarquait ceci : « (…) l’ordinateur n’est qu’un arc dans un circuit plus grand, qui comprend toujours l’homme et l’environnement d’où proviennent les informations (les différences) et sur qui se répercutent les messages efférents de l’ordinateur. On peut légitimement conclure que ce système global, ou ensemble, fait preuve de caractéristiques mentales. Il opère selon un processus essai-et-erreur et a un caractère créatif. »

Finalement voilà ici réuni ce que nous tentons péniblement de faire apparaître depuis le début de ce petit blog : l’écologie comme une nécessaire succession de tâtonnements créatifs.
Aucune différence ne peut-être dite bonne ou mauvaise à l’avance, et sauf à vouloir se faire comptable du chaos, il s’agirait en premier lieu de pouvoir développer une grille de lecture, ou d’écoute, des mauvaises et des bonnes rencontres pour tel ou tel corps ou groupe de corps dans tel ou tel contexte. Ou comme le dit la chanson, reconnaître toutes ces choses avec lesquelles il [était] [est] bon d’aller.
Il s’agirait concomitamment de pouvoir révéler, rendre perceptible des relations inévidentes, par où la science retrouverait les arts et la littérature pour donner à sentir de ces mouvements qui passent entre les choses.
Il ne s’agirait donc en aucun cas de s’auto-instituer sauveur de planète d’en haut, mais d’améliorer du dedans, en tâtonnant, notre connaissance de l’humain, la compréhension de cette boîte noire qui traduit des différences qui font d’autres différences : de l’hétérogénéité, des espaces-temps, des biotopes dans lesquels on peut aussi imaginer, avec la rivière, glisser de nouveaux modes d’existence. D’où un juste périmètre pour la régulation : prévenir les conditions d’impossibilité.

« (…) la dynamique hydro-morphologique du chenal est considérée comme le premier facteur de contrôle (…) de la diversité biologique sensée découler de l’hétérogénéité spatiale créée par cette dynamique (…) »

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http://www.dailymotion.com/video/x4moyl Décentrement successifs du « lit » du sujet, des différences qui produisent d’autres différences.

 

Essai(µ)rbaiN

http://www.dailymotion.com/video/xk1bap Sources audio d’après : Sur les épaules de Darwin du 18/06/2011 « Transmettre en dansant, enseigner en courant, décider en votant » (Jean-Claude Ameisen - France Inter) et Les matins de France Culture du 20/07/2011 : en compagnie d’Olivier Mongin.
Source vidéo : Danse des cadences –
les7sages.fr

http://www.dailymotion.com/video/x6xjdt Promenade urbaine avec l’écrivain et phénoménologue Pierre Sansot, conté par Benoît Chantre. Source audio : Métropolitains, France Culture par François Chaslin, émission du 01/10/2008. 

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+ A propos du vide avec Paul Virilio, les Jeudis de l’architecture du 02.06.2011 par François Chaslin.

+ Vers une informatique contemplative ?
 » Avant toute chose il faut redéfinir notre esprit de manière adéquate. Nous ne sommes pas limités à notre corps, nous avons des cerveaux élargis : nous sommes profondément couplés au monde extérieur via nos sens, les objets de notre environnement, les systèmes technologiques que nous utilisons, etc. Ce modèle du cerveau étendu est utile parce qu’il nous permet de mieux comprendre notre relation avec la technologie, en dehors du manichéisme propre à ce genre de discussion. Comme le dit le philosophe Andy Clarke “nous sommes des cybergénies naturels”, autrement dit nous cherchons constamment à étendre nos capacités mentales. » (voir doc).

 

Métabolisme territorial

Métabolisme territorial dans Ecosophie ici et la image001

« Les ordinateurs pensent-ils ? Je dirai tout de suite : non. Ce qui « pense », c’est l’homme plus l’ordinateur plus l’environnement. Les lignes de séparation entre homme, ordinateur et environnement sont complètement artificielles et fictives. Ce sont des lignes qui coupent les voies le long desquelles sont transmises l’information et la différence. Elles ne sauraient constituer les frontières du système pensant. Je le répète : ce qui pense, c’est le système entier… ». Gregory Bateson, 1972, Vers une écologie de l’esprit 2,  Éditions du Seuil.

« Un hologramme est une image où chaque point contient la presque totalité de l’information sur l’objet représenté. Le principe hologrammique signifie que non seulement la partie est dans le tout, mais que le tout est inscrit d’une certaine façon dans la partie. Ainsi la cellule contient en elle la totalité de l’information génétique, ce qui permet en principe le clonage ; la société en tant que tout, via sa culture, est présente en l’esprit de chaque individu. » E. Morin, La Méthode, tome 5, « L’Humanité de l’humanité », Le Seuil, 2001, p. 282.

« Son “écosophie” [Guattari] fait aussi écho à une tendance dans l’écologie scientifique, à tranversaliser de plus en plus l’analyse des “milieux” associant des éléments naturels et artificiels, des espèces animales ou végétales et des modes de vie humains […] la question pratique la plus urgente pour la politique écologiste pourrait donc être de travailler, plus que les leviers du pouvoir au sens restreint, ceux de la micropolitique des valeurs, des affects et des façons de vivre […] produire des milieux vivables et vivants […] une nouvelle productivité des subjectivités doit être soutenue par des dispositifs concrets, nouveaux territoires d’existence producteurs d’univers de valeurs […] » Valérie Marange, écosophie ou barbarie.

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Première étape  de notre petit chantier dédié à l’écosophie, à la manière dont certains de ses éclats ont pu venir, partiellement et sans accord, contaminer pensées et pratiques: lmétabolisme territorial, concept anglo-saxon importé en France par Angenius.

Note composée d’après extraits [annotés] de l’article publié par la DATAR dans la revue « Territoires 2030″ de décembre 20005, page 35 et suivantes. A signaler également l’article consacré à cette « écologie territoriale empirique » paru dans la revue durable de juin 2007.  

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Principes du métabolisme[1] territorial

image002 dans Ecosystemique

Alliant diverses disciplines scientifiques (écologie scientifique, sciences naturelles, analyse systémique, sciences de l’ingénieur, économie, sociologie…) et au croisement de domaines tels que la prospective territoriale et l’intelligence collective, l’étude du métabolisme territorial est à comprendre dans le cadre plus global de la révision du mode de fonctionnement de nos sociétés dans un objectif de développement durable.

Le métabolisme territorial n’est pas une science exacte, mais plutôt un « art ». Il repose sur deux compétences distinctes :

 programmer des solutions qui rendent possible et attrayant un mode de vie durable pour les usagers (angle sociologie, « marketing ») ;

 programmer des solutions qui optimisent les systèmes pour « refermer la boucle » ([angle scientifique] flux de matières, énergie, eau), et privilégier les boucles locales.

L’approche du métabolisme territorial considère un territoire, avec la société humaine qui l’habite et l’économie selon laquelle celle-ci fonctionne, comme un écosystème doté d’un métabolisme : « [L’économie] est semblable à une vache dans un pré. [Elle] a besoin de manger des ressources et, finalement, toute cette consommation deviendra déchet et devra quitter l’organisme – l’économie »[2].

La démarche repose sur l’analyse des flux reliant les entités vivantes à leur environnement. Soit une démarche visant à identifier, évaluer et maîtriser les impacts environnementaux – au sens biophysique du terme – des modes de vie et de production d’un territoire donné. Remonter des impacts à leurs causes, c’est donc identifier et comprendre les mécanismes productifs, mais aussi sociaux et culturels, par lesquels s’organise la vie d’un territoire, de ses acteurs et de ses habitants, dans l’espace et dans le temps. C’est, en définitive, ouvrir la voie au changement durable, celui qui intègre pleinement les variables écologiques, sociales et économiques de l’équilibre dudit territoire et de la planète.

[En passant. Qu'in fine les objectifs sociaux et économiques puissent être relativement indépendants est une chose, reste à démontrer l'existence de variables sociales et économiques véritablement autonomes. Il n'en irait pas de même pour les variables écologiques, dans la mesure où celles-ci viseraient à inclure les besoins des non-humains dans l'équation de la cité. Alors disons que cette fragmentation qu'opère la notion de dévelopement durable a sans doute pour objectif de noyer la question de l'individu (de sa production, de ses désirs...) dans une sorte fourre-tout situé à mi-chemin de ces deux pôles du social et de l'économie. En ce sens, l'articulation écosophique (environnement, social, mental) nous apparaît comme plus opérante.]

L’analyse du métabolisme territorial vise à modéliser quantitativement et qualitativement, à l’échelle d’un territoire donné, la dimension biophysique des liens entre l’homme et l’environnement, en s’appuyant sur des méthodologies comme les analyses de flux de matières. Celles-ci consistent à réaliser des bilans de masse et d’énergie, c’est-à-dire à effectuer une comptabilité analytique sur une période de temps donnée des quantités entrantes et sortantes et des variations de stocks de matières premières, de produits finis, d’énergie et de déchets d’un système donné, et ce à n’importe quelle échelle : entreprise, filière, ville, région, pays… « Cette démarche, essentiellement analytique et descriptive, vise à comprendre la dynamique des flux et des stocks de matière et d’énergie liés aux activités humaines, depuis l’extraction et la production des ressources jusqu’à leur retour inévitable, tôt ou tard, dans les grands cycles de la biosphère.  »[3]En découlent des solutions qui optimisent les systèmes pour « refermer la boucle » (flux de matières, énergie, eau) et privilégient les boucles locales.

Une telle démarche s’inscrit dans une approche écologique de la durabilité radicalement différente de la vision économique néoclassique de l’interaction entre l’homme et la nature. L’analyse monétaire y est en effet remplacée par une vision scientifique privilégiant les mesures biophysiques visant à réduire les inefficiences de système (« fermer la boucle ») [soit la définition d'une économie élargie]. Dans cette approche, toute activité est analysée en fonction de ses impacts en amont et en aval : ainsi un déchet [objets partiels et sujets résiduels] est une étape dans un cycle de transformation de la matière, et non une fin en soi.

Afin de satisfaire un niveau de bien-être acceptable[4] pour la société, l’objectif économique de maximisation du niveau d’utilité doit être remplacé par l’objectif [également économique] de minimisation des flux de prélèvements et de rejets. [Soulignons donc qu'il n'y a aucune raison de penser que ces différents objectifs soient dans tous les cas auto-exclusifs]

Un appareillage écosystémique

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Basée sur la prémisse que « le modèle simpliste actuel d’activité industrielle doit être remplacé par un modèle plus intégré : un écosystème industriel. L’écologie industrielle est une vision globale et intégrée de tous les composants des activités industrielles humaines et de leurs interactions avec la biosphère[5]. La notion de biosphère est ici mobilisée en tant que  système vaste et complexe mais néanmoins fini, dépassent ainsi la vision [plus] anthropocentrique de l’environnement comme une externalité.

C’est sur cette vision « écosystémique » que repose la philosophie du métabolisme territorial. Dans la mesure où il concerne les activités économiques et industrielles, le métabolisme territorial s’appuie sur les outils de l’écologie industrielle.

L’écologie industrielle a pour objectif l’optimisation des flux de ressources via une « écorestructuration » du système industriel, et non le simple traitement des pollutions en fin de circuit. Par la création de schémas organisationnels innovants reposant sur une dynamique de coopération des acteurs d’un territoire, elle vise à une stratégie d’innovation élargie reposant sur quatre piliers : la revalorisation systématique des déchets, la minimisation des pertes par dissipation, la dématérialisation de l’économie (minimisation des flux de ressources) et la décarbonisation de l’énergie (limitation de la consommation d’énergie fossile).

Des formes participatives

Au-delà des enjeux de planification technique et administrative, la discipline du métabolisme territorial est une porte d’entrée vers une économie de la connaissance [processus apprenant], basée sur l’accès libre aux réseaux et à un processus de coproduction et d’intelligence collective mêlant usagers, acteurs et techniciens du territoire.

À la croisée de l’écologie industrielle[6] et de l’aménagement du territoire, le métabolisme territorial complète de la dimension territoriale l’analyse de la première, en analysant les interactions entre les acteurs et les choix d’aménagement du territoire. In fine, le métabolisme territorial analyse le fonctionnement et la durabilité d’un territoire et de ses acteurs comme un « écosystème humain » [analogie, hologrammie, une fois dit que l’homme ne forme pas « un empire dans un empire« , la théorie des systèmes peut-elle pour autant s’appliquer très directement à l’ensemble de ses actions, et si oui sous quelles conditions de principe, le rôle de l’observateur… ?]

Outre la restructuration du système industriel, c’est donc également à des enjeux de renouvellement urbain et d’aménagement du territoire que cette approche tente de répondre, afin de transformer nos sociétés en écosystèmes ouverts et stabilisés [soit un écosystème mature].

Les comportements sont au cœur des processus métaboliques : non seulement par leur contribution aux quantités consommées et rejetées, mais aussi par les possibles répercussions de leur changement sur les processus et les structures organisés autour des besoins des habitants.

Les approches sociologiques, pédagogiques et culturelles, voire « marketing » sont donc essentielles dans la compréhension des mécanismes du métabolisme territorial. Quant aux politiques visant à le modifier, elles sont vouées à l’échec si elles font abstraction de la culture, des habitus et de la volonté des habitants.

L’étude du métabolisme territorial permet de modéliser et de programmer des fonctionnements efficaces à l’interface entre usagers et services techniques et/ou aménageurs : amélioration de l’éco-efficacité des modes de production (réduction des pertes de matière et d’énergie, éco conception des produits, recyclage/récupération…), rationalisation des modes de vie (boucles locales d’alimentation, mutualisation des transports, utilisation d’énergies renouvelables, économie de fonctionnalité…).

Le développement de métabolismes durables repose sur une intégration des besoins en amont : on injecte en effet des critères « mous » (sociologie, modélisation d’usages) dans des spécifications techniques « dures » (cahier des charges des aménageurs et constructeurs). Cette opération n’est pas une science exacte, elle demande de se pencher sur l’identité d’un site, les composantes qui seront de nature à attirer des populations cibles : pour ce faire, une interaction forte avec le tissu social est nécessaire (associations, chercheurs, sociologues, acteurs relais ou chefs de file…), ainsi qu’une capacité de modélisation. L’enjeu est d’identifier les agents « fertilisants » qui préfigurent le métabolisme du site [principe hologrammique?] et alimenteront la réflexion prospective ; ils attireront de par leur engagement et leur présence les acteurs de leur réseau.

Des périmètres d’application

http://www.millenniumassessment.org

Le métabolisme territorial met en évidence l’importance des interrelations et la nécessité de remonter aux causes premières pour modifier l’efficacité d’un « écosystème humain » dans son ensemble :

– au sein du territoire, interactions entre agents fertilisants, usagers et territoire ;

– dans l’espace, gestion des flux et externalités entre les territoires ;

– dans le temps, relation entre développement et mémoire collective, patrimoine historique, naturel, industriel ou culturel.

L’échelle de territoire adaptée pour établir un métabolisme durable est donc celle d’un collectif cohérent : cette maille peut être différente de la maille administrative, puisqu’elle reflète des modes de vie et des habitudes de groupes humains comme dans un écosystème naturel.

Le métabolisme peut ensuite être approché à plus grande échelle de manière « fractale », c’est-à-dire en respectant les équilibres des sous-ensembles qui constituent le maillon initial et en développant les échanges par subsidiarité (concept d’écosystème ouvert et suffisant). Il importe alors de veiller à l’équilibre des échanges entre les maillons, notamment d’éviter les « égoïsmes » locaux (externalisation des nuisances sur le territoire voisin) ou les implantations « hors sol », non-intégrées dans leur milieu.

Des applications pratiques

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Au delà de son aspect marketing et théorie, différent projets pilote tentent à l’heure actuelle de mettre en évidence la pertinence de cette approche, les expérimentations en cours étant relayées par différents sites internet.

Citons le cas de Bedzed, quartier pilote situé à 20 minutes de Londres (82 habitations sur 2 hectares, 250 habitants) : http://angenius.net/tiki-index.php?page=Bedzed , http://www.bioregional.com/

« Ce quartier, achevé en 2000, a été entièrement conçu pour réduire l’empreinte écologique du site et de ses habitants de 50 %. Trois ans après sa mise sur le marché, il parvient à réduire les besoins d’énergie pour le chauffage et la climatisation de 90 % ; 98 % des matériaux de construction proviennent de sites déconstruits dans les 30 km à la ronde ; une grande part de l’alimentation est produite en boucle locale et livrée chaque jour sur le site. Le quartier offre une bonne qualité de vie et une réelle mixité sociale (un tiers de cadres supérieurs et professions libérales, un tiers de professions intermédiaires avec aides de la collectivité, un tiers de logement social). Les habitants échangent des services et se sont progressivement sensibilisés à la maintenance et à l’évolution du site. Au-delà de Bedzed en lui-même, il faut voir le site comme une sorte de gros « laboratoire vivant » dont l’objet premier était de démontrer qu’on peut vivre de manière durable sans retourner à l’âge de pierre. Tout y est conçu avec une pointe ludique, voire « marketing », afin de donner envie aux gens de vivre de manière durable. Le concepteur du site ne revendique d’ailleurs pas d’inventions géniales ni de « percées » technologiques : l’enjeu est d’éduquer et de mobiliser. » 

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Signalons également :

- divers projets urbains : http://angenius.net/tiki-index.php?page=Projets+urbains

- un projet vivant de Ferme durable : http://laquinarderie.org/tiki-index.php

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***


[1] Métabolisme : processus de transformation de la matière et de l’énergie par des organismes vivants. 

[2] M. Wackernagel, W. Rees, Notre empreinte écologique, éditions Ecosociété, 1999.

[3] S. Erkman, Vers une écologie industrielle, Paris, éditions Charles Léopold Mayer, 2e édition, mars 2004.

[4] « Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre ». Hans Jonas, Le principe responsabilité : une éthique pour la civilisation technologique, éditions du Cerf, 1990.

[5] « Système écologique global intégrant tous les êtres vivants et les relations qu’ils tissent entre eux, avec les éléments chimiques de la lithosphère (les roches), de l’hydrosphère (l’eau) et de l’atmosphère (l’air), dans un métabolisme global qui transforme sans cesse la surface de la Terre ». J. Grinevald, « Biodiversité et Biosphère », L’état de la planète, 2002

[6] Le terme « écologie » renvoie ici à l’écologie scientifique, à l’étude des écosystèmes, et non à l’écologie politique. L’adjectif « industriel » est quant à lui à comprendre dans son acception anglo-saxonne, qui désigne l’ensemble des activités humaines, et non selon son sens restrictif en français (le système de production industriel).

Aménagement du territoire et environnement : mesurer des « effets » et évaluer des « impacts »

Nous venons de discuter très théoriquement des relations entre l’économie et l’environnement, balayons à présent quelques-unes de leurs applications les plus quotidiennes.

(c) Stephan Barron 

Cadre légal

Parmi les obligations légales liées au respect de l’environnement, certains travaux et projets d’aménagement sont soumis à la procédure d’étude d’impact.

Les principes généraux et la finalité d’une telle étude sont définis par l’article L122-1 du code de l’environnement : « Les études préalables à la réalisation d’aménagements ou d’ouvrages qui, par l’importance de leurs dimensions ou leurs incidences sur le milieu naturel, peuvent porter atteinte à ce dernier, doivent comporter une étude d’impact permettant d’en apprécier les conséquences. » 

Le contenu de l’étude est quant à lui défini au niveau de l’article R122-3 (décret en conseil d’Etat) : « Le contenu de l’étude d’impact doit être en relation avec l’importance des travaux et aménagements projetés et avec leurs incidences prévisibles sur l’environnement. » 

L’étude d’impact présente ainsi successivement :

1º) Une analyse de l’état initial du site et de son environnement, portant notamment sur les richesses naturelles et les espaces naturels agricoles, forestiers, maritimes ou de loisirs, affectés par les aménagements ou ouvrages ;

2º)
 Une analyse des effets directs et indirects, temporaires et permanents du projet sur l’environnement, et en particulier sur la faune et la flore, les sites et paysages, le sol, l’eau, l’air, le climat, les milieux naturels et les équilibres biologiques, sur la protection des biens et du patrimoine culturel et, le cas échéant, sur la commodité du voisinage (bruits, vibrations, odeurs, émissions lumineuses) ou sur l’hygiène, la santé, la sécurité et la salubrité publique ;

3º) Les raisons pour lesquelles, notamment du point de vue des préoccupations d’environnement, parmi les partis envisagés qui font l’objet d’une description, le projet présenté a été retenu ;

4º) Les mesures envisagées par le maître de l’ouvrage ou le pétitionnaire pour supprimer, réduire et, si possible, compenser les conséquences dommageables du projet sur l’environnement et la santé, ainsi que l’estimation des dépenses correspondantes ;

5º) Une analyse des méthodes utilisées pour évaluer les effets du projet sur l’environnement mentionnant les difficultés éventuelles de nature technique ou scientifique rencontrées pour établir cette évaluation.

Mesurer des effets

Toute étude d’impact doit donc présenter une analyse des effets directs et indirects, temporaires et permanents du projet sur l’environnement.

Il existe une multitude d’effets possibles, comme le montre le tableau suivant. Chaque type d’effet se distingue d’un autre tout d’abord selon des critères de distance et de temporalité, par suite, en ce qui concerne ses conséquences possibles sur les écosystèmes. Par ailleurs tout effet peut plus ou moins se combiner à un autre de sorte à créer de nouvelles puissances impactantes.

Enfin ni la nature, ni l’intensité d’un effet ne détermine à elle seule la puissance de son impact. Celle-ci dépend de la sensibilité du milieu affecté par tel où tel effet. En d’autre termes les effets sont absolus, les impacts sont relatifs.

Aménagement du territoire et environnement : mesurer des « effets » et évaluer des « impacts » dans Oikos image001

Source : « L’étude d’impact sur l’environnement » – Patrick Michel -  BCEOM – Ministère de l’aménagement du territoire et de l’environnement – 2001

On pourrait se demander à raison se que peut bien signifier le terme de milieu. Nous savons que tout organisme est en relation avec son milieu par un complexe d’échanges qui contribuent à maintenir des équilibres dynamiques. Ainsi le milieu influence toute forme de vie sous un principe d’action-réaction permanent. Cependant la notion de milieu ne constitue pas un tout homogène ou une unité fonctionnelle autonome comme celle d’écosystème pourrait l’être. En effet le milieu se compose de nombreux éléments hétérogènes regroupant milieu physique, biologique, cadre de vie humain… L’utilité de cette notion floue réside cependant dans le fait qu’il est possible de classer/découper ces différents éléments sous la forme de thèmes environnementaux, et de constituer ainsi la grille de lecture classique largement utilisée dans l’ensemble des  études.

 

Ainsi, et d’un point de vue pratique, il est d’usage de classer les différents milieux en commençant par l’environnement physique, lequel détermine (faussement de manière causale) les caractéristiques de l’environnement biologique. Ces deux éléments forment alors l’environnement naturel au sens large.  Les différents éléments du milieu humain sont quant à eux agencés sous le thème générique et fourre-tout de « vie quotidienne » ou de « cadre de vie ».

Dès lors, la liaison entre milieu humain et milieu naturel s’effectue sous la forme des atouts et faiblesse (thématiques des « ressources naturelles ») et  des opportunités et menaces (thématiques des « pollutions et nuisance») affectant le milieu naturel. Deux types de grille de lecture (découpage type) sont présentés ci dessous.

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Source: DIREN Bretagne


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Source: DIREN Limousin

 

Périmètre d’étude 

Dans le cadre d’un projet ponctuel, évaluer les effets nécessite la détermination d’un périmètre d’étude, c’est-à-dire d’une zone d’influence en charge de délimiter l’étendue des effets prévisibles. Le tableau ci-dessous propose une typologie des zones d’influence applicable à certains projets d’aménagement courant.

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Source : « L’étude d’impact sur l’environnement » – Patrick Michel -  BCEOM – Ministère de l’aménagement du territoire et de l’environnement – 2001

Evaluer les impacts

Nous avons vu que l’impact d’un effet correspond aux effets de cet effet sur un environnement donné (humain, naturel…). Le tableau suivant décrit quelques unes des méthodes d’évaluation des impacts utilisées dans les analyses économiques de type coûts/avantages qui accompagnent l’étude de faisabilité d’un projet. On retrouve ici le lien entre économie et environnement tel que nous avons tenté de le décrire à l’occasion des deux notes précédentes.

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Source : « L’étude d’impact sur l’environnement » – Patrick Michel -  BCEOM – Ministère de l’aménagement du territoire et de l’environnement – 2001

(c) Isabelle Hayeur

Ecologie et approche systémique

      Pour Joël de Rosnay : « l‘écologie est un concept intégrateur, un mode de pensée global qui matérialise aujourd’hui l’irruption de la systémique dans l’éducation, l’industrie et la politique. »[1]

De quelle systémique parle-t-on ? L’auteur répond la fille de la cybernétique et de la biologie, précisant que : « la cybernétique peut se définir comme la science qui étudie les phénomènes de régulation au sein de machines. Régulations qui s’opèrent par un système de boucles d’informations placées à l’entrée et à la sortie de ces machines. » 

Ecologie et approche systémique dans -> CAPTURE de CODES : image00117

A cette cybernétique, « la biologie va y adjoindre le concept d’homéostasie [1er principe de dynamique du vivant], du grec homéos (le même) et stasie (rester) : demeurer le même tout en changeant et conserver tout en transformant. A travers la régulation, on recherche donc le maintien d’un équilibre dynamique, compte tenu d’une multiplicité de paramètres, de flux d’énergie et d’informations. »

Ainsi : « l’approche systémique intègre ces deux notions [de régulation et d’homéostasie]. Elle nous enseigne que les systèmes naturels sont « ouverts » : les flux d’énergie, de matériaux et d’informations, qui les traversent sont intégrés et transformés, puis les déchets sont rejetés par le système dans l’environnement. Régulations, aménagement et équilibre dynamique appellent non des actions ponctuelles mais multiples et coordonnées dans le temps » 

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En conséquence : « l’atmosphère, l’hydrosphère, la lithosphère, la biosphère, les quatre domaines fondamentaux de l’écosystème Terre sont traversés par des flux d’énergie, d’information, de matériaux. Leur composition, la proportion des éléments qui les constituent sont régulés par les grands cycles biogéochimiques. L’atmosphère et les océans agissent comme des mémoires, des réservoirs à effets « tampons », amortissant les variations trop brutales et permettant à la planète de maintenir son homéostasie. »

      Ce qu’on appelle biocybernétique aujourd’hui correspond à la science des échanges d’information entre systèmes vivants ou composants de ces systèmes complexes, à toutes les échelles: du moléculaire au social. Il conviendrait donc d’adjoindre aux concepts de régulation et d’homéostasie, celui d’auto-organisation. Cela afin de concevoir qu’il puisse exister, au sein de tout système biologique complexe, une certaine « créativité », tout en se rapprochant d’une systémique plus globale. En effet, les variations trop brutales ne sont pas seulement absorbées par des méta-tampons externes, mais également par la propriété intrinsèque aux systèmes complexes de créer de l’ordre à partir du désordre (bruit).

Système complexe et écosystèmes

     Un écosystème est un système complexe. Il se compose donc d’un grand nombre d’entités en interaction locale et simultanée. Ici ce n’est pas simplement tout le monde qui interagit avec tout le monde, car il existe au moins des liens privilégiés (insecte et flore, symbiose, parasitisme). De fait, les interactions et informations sont majoritairement locales, il y a peu d’organisation centrale. Les interactions sont soumises à des boucles de rétroaction (cybernétique) : l’état d’une entité a une influence sur son état futur via l’état d’autres entités (information). Ces entités étant elles-mêmes des systèmes complexes d’individus, eux-mêmes composés de systèmes cellulaires. Enfin, l’écosystème est ouvert et soumis à un extérieur, il y a des flux d’énergie et d’information sur une frontière plus ou moins « poreuse ». De ces caractéristiques découlent le potentiel comportemental suivant :

·         auto-organisation et émergence de propriétés ou de structures cohérentes

     L’auto-organisation correspond au principe de création « d’ordre à partir du bruit » issu de la théorie de l’information. Pour Henri Atlan l’auto-organisation est la propriété de tout système ayant « la capacité d’utiliser les phénomènes aléatoires pour les intégrer dans le système et les faire fonctionner comme des facteurs positifs, créateurs d’ordre, de structures, de fonctions ». L’ordre ou la complexité par le bruit constitue le principe même de l’auto-organisation dans la mesure où, pour se maintenir à un état d’équilibre, un système ouvert doit nécessairement s’adapter aux perturbations de l’extérieur (le bruit) en se désorganisant pour mieux se réorganiser, élevant en cela son degré de complexité interne.

·         robustesse locale et fragilité à moyenne échelle

     Du fait des nombreuses interactions existantes, si un élément est affecté par un événement extérieur, ses voisins le seront aussi. Il s’ensuit que le système est souvent plus robuste à une petite perturbation locale. Mais inversement, modifier ou fragiliser globalement le système peut être fait grâce à une perturbation moins grande que dans un système connaissant moins de liens (effet domino, papillon).

·         brisure de symétrie

     La connaissance d’une partie d’un écosystème ne permet pas d’affirmer que le reste du système est en moyenne dans le même état. Plus globalement, les systèmes complexes sont un contre-exemple au réductionnisme. Malgré une connaissance parfaite des composants élémentaires d’un système, il est impossible de prévoir son comportement, autrement que par l’expérience ou la simulation. Difficulté de mesure, de paramétrage de tels systèmes sans oublié que lorsque Léon Brillouin  tentait de faire le lien entre son principe de néguentropie (information = entropie négative) et les relations d’indétermination d’Heisenberg (on ne peut pas connaître simultanément la position et la vitesse d’un particule), il arrivait à la conclusion suivante : « un des résultats les plus importants de la théorie de l’information appliquée à la physique est la preuve selon laquelle il est impossible de déterminer l’état d’un système avec une précision infinie [puisqu'alors il faudrait une énergie infinie] »

·         plusieurs comportements possibles en compétition (alternatives)

      Cependant, malgré cette incertitude fondamentale concernant l’évolution de tout système complexe, des régularités « stratégiques » s’observent dans les écosystèmes et d’abord les alternances entre complexification et simplifications dans une stratégie qui commence par une « croissance juvénile » quantitative de production matérielle (stratégie de reproduction et durée de vie courte des populations) qui aboutit, en l’absence de perturbation au « développement de la maturité ». Un tel stade correspond au climax, soit à une économie d’énergie globale par l’accumulation d’information dans la structure, la différenciation, le recyclage, la protection, la réduction de la fertilité et l’allongement de la vie (stratégie de survie).

Autrement dit, et c’est là que les choses se rejoignent, plus les voies de circulation (information) de l’énergie sont nombreuses, plus l’écosystème est capable d’autorégulation. Un système est persistant si tout blocage du flux d’énergie/matière en tout point du réseau est compensé par la mise en fonction d’un autre cheminement. Ainsi, dans les écosystèmes matures, il y a stabilité sur une très grande échelle temporelle car il y a souvent redondance et donc possibilité de substitution, développement d’alternatives comportementales.

·         plusieurs échelles temporelles et spatiales, la hiérarchisation des structures.

      Un écosystème peut donc être défini comme une accumulation d’information dans le temps,  dans là mesure où celui-ci s’élève successivement à différents niveaux d’organisation. D’un niveau de départ où toutes les interactions sont nécessaires et où il n’existe que très peu d’alternative (le niveau cellulaire avec disparition pure et simple soit attente de conditions plus favorables avec formes de résistance ou de dissémination à longue distance), vers un niveau « baroque » avec redondance et stratégie de survie complexe d’organismes et populations diversifiées.

La fonction biologique de l’information est donc de résister à l’entropie (reproduction, croissance, différenciation, auto-organisation, complexification). Car le métabolisme de la cellule ou de l’écosystème correspond à ce torrent d’énergie constant qui doit traverser (entrer et sortir) un système vivant pour en assurer le maintien à long terme. Et ce flux d’énergie passe d’un niveau à l’autre sous forme de transfert d’information (message chimique, visuel, etc.) et/ou de matière, et il n’y a jamais un saut de niveau : on ne passe pas directement des cellules aux écosystèmes, mais les interactions se font entre niveaux d’organisation successifs.

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Lire l’article : Systémique, complexité et transdisciplinarités : Nouvelles méthodes, nouveaux outils

Lire l’article : Les risques de l’infopollution



[1] Source : http://csiweb2.cite-sciences.fr/derosnay/articles/EduEco.htm

Biens et services des écosystèmes: une tentative d’approche économique de l’environnement.

     Un écosystème est un complexe dynamique composé de communautés de plantes, d’animaux et de microorganismes (biocénose), de la nature inerte (biotope). Les êtres humains, en tant que partie intégrante des écosystèmes, tirent bénéfices des « biens et services » produit par leur fonctionnement. Si l’on devait tenter de cataloguer ceux-ci on obtiendrait quelque chose d’assez proche de la typologie suivante :

·         les services de prélèvement tels que celui de la nourriture et de l’eau;

·         les services de régulation vis à vis des inondations, de la sécheresse, de la dégradation des sols, des maladies ;

·         les services d’auto-entretien tels que la formation des sols, le développement du cycle nutritionnel;

·         les services culturels tels que les bénéfices d’agrément, les bénéfices d’ordre esthétiques et les autres avantages non matériels.

Biens et services des écosystèmes: une tentative d'approche économique de l'environnement. dans -> NOTIONS D'ECOLOGIE image001

Source : Millenium Ecosystem Assessment

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Station « d’essence » en libre service

     On serait tenté de dire que ces biens et services nous sont fournis gratuitement. Ceci est peut-être vrai jusqu’à un certain point. Car pour maintenir des écosystèmes « productifs », il est nécessaire de leur abandonner certaines des ressources dont nous aurions pu faire un autre usage. Par exemple limiter nos prélèvements en eau pour maintenir les zones humides, par exemple au détriment de l’agriculture irriguée . En ce sens, on peut parler de coût d’opportunité. Pour maintenir le service de pollinisation des abeilles, nous devons renoncer à utiliser certains pesticides et ce renoncement à un coût économique (stock de produit, adaptation à de nouvelles pratiques culturales…). Mais si ce service a un coût, comme tous croissants avec la pression démographiquee et l’urbanisation, il n’en demeure pas moins que 80% des plantes à fleur sont pollinisée par les abeilles et que pour les cultures, le travail de l’abeille assure en plus d’une qualité supérieure de la production, une meilleure aptitude germinative. Ainsi, d’après les travaux de Costanza et al. 1997, la valeur économique de la pollinisation par les abeilles est estimée au global à 117 milliards de $ (1994). Pour nous donner un ordre de grandeur,  le PIB de la France était de 1 700 milliards de $ en 2004.

Dans son article « la maladie de la disparition« , Jean Zin nous prècise :  »Yann Moulier-Boutang donne en exemple l’activité de pollinisation des abeilles comme illustration de la nouvelle richesse sociale qui se constitue dans une société de la connaissance où ce n’est pas la production directe de miel qui est la plus importante mais la contribution des abeilles à la dissémination de l’information génétique, activité « gratuite » dont le coût (plus de 50 milliards) s’avère bien plus considérable, lorsque la pollinisation vient à manquer, que le montant assez ridicule comparativement (quelques centaines de millions) des ventes de miel. »

Bien que l’homme ce soit considérablement détaché de ses écosystèmes « naturels », bon nombre de ses activités demeurent donc très fortement « subventionnées » par ceux-ci. Vraisemblablement à un point tel que de nombreuses activités ne seraient pas rentables sans cet apport.  L’exemple de la ville de New-York est souvent cité en exemple. Confrontée à la gestion de ses effluents urbains, la ville avait le choix entre la construction d’une couteuse centrale d’épuration et le fait de maintenir en l’état la forêt environnante afin de bénéficier de sa capacité de filtration naturel des eaux usées. Il a été choisi de valoriser l’écosystème forestier et de répondre au besoin en service de traitement des eaux par la voie « naturelle ». Economie d’argent, valorisation du service environnemental de la forêt, préservation des autres biens et service de l’écosystème (séquestration de carbone, biodiversité, apports récréatifs et culturels…)

Car tous ces différents biens et services résultent de la « bonne santé » des écosystèmes, santé qui permet la continuité des échanges de matière, d’énergie et d’information le long des différents cycles (eau, carbone, azote…), chaines alimentaires et de relations (coévolutions, symbiose…). Les interactions existantes entre les différents êtres vivants vont de pair avec un mixage et recyclage permanent avec des substances organiques et minérales. Celles-ci, absorbées par les organismes vivants pour leur croissance, reproduction, sont ensuite rejetées sous forme de déchet pour les uns, nouvelle matière première pour les autres. Le schéma ci-dessous reprend l’ensemble des biens et services fournis par chaque type d’écosystème.

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Les différents services fournis selon le type d’écosystème, source : Millenium Ecosystem Assessment

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Circuit touristique et échelle vers le grand air

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Literie parfumé

Fragments de cybernétique

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L’épistémologie de la cybernétique

Morceaux choisis de « Vers une écologie de l’esprit » tome 1, Grégory Bateson, éditions du Seuil 1977

[…] Des progrès extraordinaires ont été réalisés, au cours de ces vingt-cinq dernières années[1], dans la connaissance de ce qu’est l’environnement, de ce qu’est un organisme et surtout de ce qu’est l’esprit. Ces progrès sont dus précisément à la cybernétique, à la théorie des systèmes, à la théorie de l’information et aux sciences connexes.

A l’ancienne question de savoir si l’esprit est immanent ou transcendant, nous pouvons désormais répondre avec une certitude considérable en faveur de l’immanence, et cela puisque cette réponse économise plus d’entités explicatives que ne le ferait l’hypothèse de la transcendance […]

Pour ce qui est des arguments positifs, nous pouvons affirmer que tout système fondé d’événements et d’objets qui dispose d’une complexité de circuits causaux et d’une énergie relationnelle adéquate présente à coup sûr des caractéristiques «mentales ». Il compare, c’est-à-dire qu’il est sensible et qu’il répond aux différences (ce qui s’ajoute au fait qu’il est affecté par les causes physiques ordinaires telles que l’impulsion et la force). Un tel système « traitera l’information » et sera inévitablement auto correcteur, soit dans le sens d’un optimum homéostatique[2], soit dans celui de la maximisation de certaines variables.

Une unité d’information peut se définir comme une différence qui produit une autre différence. Une telle différence qui se déplace et subit des modifications successives dans un circuit constitue une idée élémentaire.

Mais ce qui, dans ce contexte, est encore plus révélateur, c’est qu’aucune partie de ce système intérieurement (inter) actif ne peut exercer un contrôle unilatéral sur le reste ou sur toute autre partie du système. Les caractéristiques « mentales » sont inhérentes ou immanentes à l’ensemble considéré comme totalité.

Cet aspect holistique est évident même dans des systèmes autocorrecteurs très simples. Dans la machine à vapeur à « régulateur » […] le comportement du régulateur est déterminé par le comportement des autres parties du système et indirectement par son propre comportement à un moment antérieur.

Le caractère holistique et mental du système est le mieux illustré par ce dernier fait, à savoir que le comportement du régulateur (et de toutes les parties du circuit causal) est partiellement déterminé par son propre comportement antérieur. Le matériel du message (les transformations successives de la différence) doit faire le tour complet du circuit : le temps nécessaire pour qu’il revienne à son point de départ est une caractéristique fondamentale de l’ensemble du système. Le comportement du régulateur (ou de toute autre partie du circuit) est donc, dans une certaine mesure, déterminé non seulement par son passé immédiat, mais par ce qu’il était à un moment donné du passé, moment séparé du présent par l’intervalle nécessaire au message pour parcourir un circuit complet. Il existe donc une certaine mémoire déterminative, même dans le plus simple des circuits cybernétiques.

La stabilité du système (lorsqu’il fonctionne de façon autocorrective, ou lorsqu’il oscille ou s’accélère) dépend de la relation entre le produit opératoire de toutes les transformations de différences, le long du circuit, et de ce temps caractéristique. Le régulateur n’exerce aucun contrôle sur ces facteurs. Même un régulateur humain, dans un système social, est soumis à ces limites : il est contrôlé à travers l’information fournie par le système et doit adapter ses propres actions à la caractéristique de temps et aux effets de sa propre action antérieure.

Ainsi, dans aucun système qui fait preuve de caractéristiques « mentales », n’est donc possible qu’une de ses parties exerce un contrôle unilatéral sur l’ensemble. Autrement dit : les caractéristiques « mentales » du système sont immanentes, non à quelque partie, mais au système entier.

La signification de cette conclusion apparaît lors des questions du type : « Un ordinateur peut-il penser? », ou encore :  » L’esprit se trouve-t-il dans le cerveau ? » La réponse sera négative, à moins que la question ne soit centrée sur l’une des quelques caractéristiques       « mentales » contenues dans l’ordinateur ou dans le cerveau.

L’ordinateur est autocorrecteur en ce qui concerne certaines de ses variables internes : il peut, par exemple, contenir des thermomètres ou d’autres organes sensibles qui sont affectés par sa température de travail ; la réponse de l’organe sensible à ces différences peut, par exemple, se répercuter sur celle d’un ventilateur qui, à son tour, modifiera la température. Nous pouvons donc dire que le système fait preuve de caractéristiques             « mentales » pour ce qui est de sa température interne. Mais il serait incorrect de dire que le travail spécifique de l’ordinateur – la transformation des différences d’entrée en différences de sortie – est un «processus mental ». L’ordinateur n’est qu’un arc dans un circuit plus grand, qui comprend toujours l’homme et l’environnement d’où proviennent les informations et sur qui se répercutent les messages efférents de l’ordinateur. On peut légitimement conclure que ce système global, ou ensemble, fait preuve de caractéristiques « mentales ». Il opère selon un processus «essai-et-erreur» et a un caractère créatif.

Nous pouvons dire, de même, que l’esprit est immanent dans ceux des circuits qui sont complets à l’intérieur du cerveau ou que l’esprit est immanent dans des circuits complets à l’intérieur du système : cerveau plus corps. Ou, finalement, que l’esprit est immanent au système plus vaste : homme plus environnement.

Si nous voulons expliquer ou comprendre l’aspect « mental » de tout événement biologique, il nous faut, en principe, tenir compte du système, à savoir du réseau des circuits fermés, dans lequel cet événement biologique est déterminé. Cependant, si nous cherchons à expliquer le comportement d’un homme ou d’un tout autre organisme, ce « système » n’aura généralement pas les mêmes limites que le « soi » – dans les différentes acceptions habituelles de ce terme.

Prenons l’exemple d’un homme qui abat un arbre avec une cognée. Chaque coup de cognée sera modifié (ou corrigé) en fonction de la forme de l’entaille laissée sur le tronc par le coup précédent. Ce processus autocorrecteur (autrement dit, mental) est déterminé par un système global : arbre-yeux-cerveau-muscles-cognée-coup-arbre ; et c’est bien ce système global qui possède les caractéristiques de l’esprit immanent.

Plus exactement, nous devrions parler de (différences dans l’arbre) – (différences dans la rétine) – (différences dans le cerveau) – (différences dans les muscles) – (différences dans le mouvement de la cognée) – (différences dans l’arbre), etc. Ce qui est transmis tout au long du circuit, ce sont des conversions de différences ; et, comme nous l’avons dit plus haut, une différence qui produit une autre différence est une idée, ou une unité d’information.

Mais ce n’est pas ainsi qu’un Occidental moyen considérera la séquence événementielle de l’abattage de l’arbre. Il dira plutôt : «J’abats l’arbre» et il ira même jusqu’à penser qu’il y a un agent déterminé, le « soi », qui accomplit une action déterminée, dans un but précis, sur un objet déterminé.

C’est très correct de dire : « La boule de billard A a touché la boule de billard B et l’a envoyée dans la blouse » ; et il serait peut-être bon (si tant est que nous puissions y arriver) de donner un exposé complet et rigoureux des événements qui se produisent tout le long du circuit qui comprend l’homme et l’arbre. Mais le parler courant exprime l’esprit (mind) à l’aide du pronom personnel, ce qui aboutit à un mélange de mentalisme et de physicalisme qui renferme l’esprit dans l’homme et réifie l’arbre.

Finalement, l’esprit se trouve réifié lui-même car, étant donné que le « soi » agit sur la hache qui agit sur l’arbre, le « soi » lui-même doit être une « chose ». Il n’y a donc rien de plus trompeur que le parallélisme syntaxique entre : « J’ai touché la boule de billard » et : « La boule a touché une autre boule. »

Si on interroge qui que ce soit sur la localisation et les limites du « soi », les confusions susmentionnées font tout de suite tache d’huile. Prenons un autre exemple : un aveugle avec sa canne. Où commence le « soi » de l’aveugle ? Au bout de la canne ? Ou bien à la poignée ? Ou encore, en quelque point intermédiaire ? Toutes ces questions sont absurdes, puisque la canne est tout simplement une voie, au long de laquelle sont transmises les différences transformées, de sorte que couper cette voie c’est supprimer une partie du circuit systémique qui détermine la possibilité de locomotion de l’aveugle.

De même, les organes sensoriels sont-ils des transducteurs ou des voies pour l’information, ainsi d’ailleurs que les axones, etc. ? Du point de vue de la théorie des systèmes, dire que ce qui se déplace dans un axone[3] est une « impulsion » n’est qu’une métaphore trompeuse; il serait plus correct de dire que c’est une différence ou une transformation de différence.

La métaphore de « l’impulsion » suggère une ligne de pensée « rigoureuse » (voire bornée), qui n’aura que trop tendance à virer vers l’absurdité de l’« énergie psychique » ; ceux qui parlent de la sorte ne tiennent aucun compte du contenu informatif de la quiescence[4]. La quiescence de l’axone diffère autant de l’activité que son activité diffère de la quiescence. Par conséquent, quiescence et activité ont des pertinences informatives égales. Le message de l’activité ne peut être accepté comme valable que si l’on peut également se fier au message de la quiescence.

Encore est-il inexact de parler de « message d’activité » et de « message de quiescence ». En effet, il ne faut jamais perdre de vue que l’information est une transformation de différences ; nous ferions donc mieux d’appeler tel message « activité-non-quiescence », et tel autre «quiescence-non-activité » […]

L’unité autocorrective qui transmet l’information ou qui, comme on dit, « pense », « agit » et   « décide », est un système dont les limites ne coïncident ni avec celles du corps, ni avec celles de ce qu’on appelle communément « soi » ou « conscience » ; il est important d’autre part de remarquer qu’il existe des différences multiples entre le système «pensant» et le       « soi » tels  qu’ils sont communément conçus :

1. Le système n’est pas une entité transcendante comme le « soi ».

2. Les idées sont immanentes dans un réseau de voies causales que suivent les conversions de différence. Dans tous les cas, les « idées » du système ont au moins une structure binaire. Ce ne sont pas des « impulsions », mais de « l’information ».

3. Ce réseau de voies ne s’arrête pas à la conscience. Il va jusqu’à inclure les voies de tous les processus inconscients, autonomes et refoulés, nerveux et hormonaux.

4. Le réseau n’est pas limité par la peau mais comprend toutes les voies externes par où circule l’information. Il comprend également ces différences effectives qui sont immanentes dans les « objets » d’une telle information ; il comprend aussi les voies lumineuses et sonores le long desquelles se déplacent les conversions de différences, à l’origine immanentes aux choses et aux individus et particulièrement à nos propres actions.

Il est important de noter que les dogmes fondamentaux – et à mon sens faux – de l’épistémologie courante se renforcent mutuellement. Si, par exemple, la prémisse habituelle de la transcendance est écartée, celle qui prendra aussitôt sa place sera l’idée de l’immanence dans le corps. Mais cette seconde possibilité est irrecevable, étant donné que de vastes parties du réseau de la pensée se trouvent situées à l’extérieur du corps. Le soi-disant problème « Corps-Esprit », comme on l’appelle d’ordinaire, est mal posé, dans des termes qui conduisent inévitablement vers le paradoxe : si l’esprit est supposé être immanent au corps, il doit alors lui être transcendant; s’il est supposé transcendant, il doit alors être immanent[5], etc.

De même, si nous excluons les processus inconscients du « soi » et les qualifions               d’« étrangers au moi », ceux-ci prennent alors une nuance subjective d’« incitations» et de    « forces » ; et cette qualité pseudo-dynamique est étendue au « soi » conscient qui essaie de « résister » aux « forces » de l’inconscient. C’est ainsi que le « soi » lui-même devient une organisation de « forces » apparentes. Par conséquent, selon la notion courante qui fait du    « soi » un synonyme de la conscience, les idées sont des « forces » ; cette erreur est à son tour renforcée lorsqu’on affirme que l’axone transmet des « impulsions ». Il n’est certes pas aisé de sortir de ce labyrinthe.




[1] Article publié pour la première fois en 1971.

[2] L’homéostasie est la capacité à conserver l’équilibre de fonctionnement en dépit des contraintes extérieures.

[3] Long prolongement fibreux du neurone, qui conduit l’influx nerveux.

[4] Arrêt du développement ou de l’activité provoqué par de mauvaises conditions du milieu (froid ou chaleur excessive). Celle-ci s’interrompt dès que les conditions redeviennent favorables à l’activité de l’espèce.

[5] R. G. Collingwood, the Idea of Nature, Oxford University Press, 1945.

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