Archive pour la Catégorie 'Spinoza'

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Des figures, des visages : petites ritournelles de l’époque

Des figures, des visages : petites ritournelles de l'époque dans Deleuze greensun

Avec la révolution industrielle s’opère l’accomplissement de l’individu moderne, maître et possesseur de la nature, empire dans un empire. Les chemins d’une révolution écologique encapsulés dedans ? Si tant est que cette formule ait un sens, quelles nouvelles productions pour quels nouveaux types d’individus ? Du retour d’un certain paganisme à un individu fragment de la nature.

Avant de penser la chose, encore faudrait-il dresser quelques petits portraits des différentes formes de l’individu actuel, des formes forcément déjà dépassés. On pense à Nietzsche dans son Zaratoustra : le dernier pape, les deux rois, le plus hideux des hommes, l’homme à la sangsue, le mendiant volontaire, l’enchanteur, l’ombre voyageuse, le dernier homme, l’homme qui veut périr, l’ane, le serpent, l’araignée, etc … toutes ces formes qui préparent et accomplissent le basculement d’un monde vers la mort de Dieu.

A notre minuscule niveau, laisser nous tenter à esquisser quelques portraits tentatives sonores de l’époque. Tiens, et pourquoi pas en détournant, tant qu’on y est, le concept de ritournelle cher à Deleuze et Guattari. On connait la chanson, mais qu’est-ce que je chante au juste quand je sorts de chez moi, quand je rencontre une femme, quand je vais travailler and so on.

En un sens général, on appelle ritournelle tout ensemble de matières d’expression qui trace un territoire, et qui se développe en motifs territoriaux, en paysages territoriaux (il y a des ritournelles motrices, gestuelles, optiques, etc.). En un sens restreint, on parle de ritournelle quand l’agencement est sonore ou ’’dominé’’ par le son » Gilles Deleuze et Félix Guattari, Capitalisme et schizophrénie, tome 2 : Mille plateaux, Ed. de Minuit, 1980, p. 397. Ritournelle : forme de retour ou de revenir, notamment musical, lié à la territorialité et à la déterritorialisation, et fabriquant du temps. » Arnaud Villani, Le vocabulaire de Gilles Deleuze, Les Cahiers de Noesis n° 3, Printemps 2003, p. 304.

Qui chante quoi appartient à quoi ?

On pourrait bien imaginer-imager quelques-unes de ces « espèces » qui peuplent la sphère de nos pensées. A chacune sa chanson, son éthologie propre, sa manière de coloniser et de composer un territoire. Ce serait alors l’ensemble des relations entre ces territoires qui constitueraient une certaine « écologie de la pensée ». Immanente, à tout moment infiniment variable dans le temps et l’espace.

territoires 

L’homme des va-leurs

L’homme de l’ici

L’homme d’un pro-grès

L’homme antico-pessimis-tique

Petit fragment, cliché instantané bruyant de notre époque…

Nature et finalité ? Point de vue spinoziste

Nature et finalité ? Point de vue spinoziste dans -> CAPTURE de CODES : munch

Extrait audio d’après Vendredi de la philosophie, France Culture, Le Dieu de Spinoza
Intervention de Chantal Jaquet

De l’éthique à l’éthologie, un portrait de Spinoza par Gilles Deleuze

Spinoza. : Philosophie pratique Extraits de Spinoza, Philosophie pratique.
Editeur : Editions de Minuit; Édition : [Nouv. éd.] (1 avril 2003) Collection : Reprise

http://www.dailymotion.com/video/x3x1a6 

Corps et Nature

     […] Si nous sommes spinozistes, nous ne définirons quelque chose ni par sa forme, ni par ses organes et ses fonctions, ni comme substance ou comme sujet. Pour emprunter des termes au Moyen Age, ou bien à la géographie, nous le définirons par longitude et latitude. Un corps peut être n’importe quoi, ce peut être un animal, ce peut être un corps sonore, ce peut être une âme ou une idée, ce peut être un corpus linguistique, ce peut être un corps social, une collectivité.

Nous appelons longitude d’un corps quelconque l’ensemble des rapports de vitesse et de lenteur, de repos et de mouvement, entre particules qui le composent de ce point de vue, c’est-à-dire entre éléments non formés.

De l’éthique à l’éthologie, un portrait de Spinoza par Gilles Deleuze dans -> CAPTURE de CODES : image0025

Nous appelons latitude l’ensemble des affects qui remplissent un corps à chaque moment, c’est-à-dire les états intensifs d’une force anonyme (force d’exister, pouvoir d’être affecté). Ainsi nous établissons la cartographie d’un corps.

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L’ensemble des longitudes et des latitudes constitue la Nature, le plan d’immanence, toujours variable, et qui ne cesse pas d’être remanié, composé, recomposé, par les individus et les collectivités.

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[…] Concrètement, si vous définissez les corps et les pensées comme des pouvoirs d’affecter et d’être affecté, beaucoup de choses changent. Vous allez définir un animal, ou un homme, non pas par sa forme, ses organes et ses fonctions, et pas non plus comme un sujet : vous allez le définir par les affects dont il est capable. Capacité d’affects, avec un seuil maximal et un seuil minimal, c’est une notion courante chez Spinoza.

[…] Par exemple : il y a de plus grandes différences entre un cheval de labour ou de trait, et un cheval de course, qu’entre un bœuf et un cheval de labour. C’est parce que le cheval de course et cheval de labour n’ont pas les mêmes affects ni le même pouvoir d’être affecté ; le cheval de labour a plutôt des affects communs avec le bœuf.

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On voit bien que le plan d’immanence, le plan de Nature qui distribue les affects, ne sépare pas du tout des choses qui seraient dites naturelles et des choses qui seraient dites artificielles. L’artifice fait complètement-partie de la Nature, puisque toute chose, sur le plan immanent de la Nature, se définit par des agencements de mouvements et d’affects dans lesquels elle entre, que ces agencements soient artificiels ou naturels.

Ethologie et mode d’existence

     […] Longtemps après Spinoza, des biologistes et des naturalistes essaieront de décrire des mondes animaux définis par les affects et les pouvoirs d’affecter ou d’être affecté. Par exemple, J. von Uexküll le fera pour la tique, animal qui suce le sang des mammifères. Il définira cet animal par trois affects : le premier, de lumière (grimper en haut d’une branche) ; le deuxième, olfactif (se laisser tomber sur le mammifère qui passe sous la branche) ; le troisième calorifique (chercher la région sans poil et plus chaude). Un monde avec trois affects seulement parmi tout ce qui se passe dans la forêt immense. Un seuil optimal et un seuil pessimal dans le pouvoir d’être affecté : la tique repue qui va mourir, et la tique capable de jeûner très longtemps.

De telles études, qui définissent les corps, les animaux ou les hommes, par les affects dont ils sont capables, ont fondé ce qu’on appelle aujourd’hui l’éthologie. Cela vaut pour nous, pour les hommes, pas moins que pour les animaux, parce que personne ne sait d’avance les affects dont il est capable, une longue affaire d’expérimentation, c’est une longue prudence, une sagesse spinoziste qui implique la construction d’un plan d’immanence ou de consistance.

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[…] L’Ethique de Spinoza n’a rien à voir avec une morale, il la conçoit comme une éthologie, c’est-à-dire comme une composition des vitesses et des lenteurs, des pouvoirs d’affecter et d’être affecté sur ce plan d’immanence. Voilà pourquoi Spinoza lance de véritables cris : vous ne savez pas ce dont vous êtes capables, en bon et en mauvais, vous ne savez pas d’avance ce que peut  un corps ou une âme, dans telle rencontre, dans tel agencement, dans telle combinaison.

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L’art de composer ses rapports

     […] L‘éthologie, c’est d’abord l’étude des rapports de vitesse et de lenteur, des pouvoirs d’affecter et d’être affecté qui caractérisent chaque chose. Pour chaque chose, ces rapports et ces pouvoirs ont une amplitude, des seuils (minimum et maximum), des variations ou transformations propres. Et ils sélectionnent dans le monde ou la Nature ce qui correspond à la chose, c’est-à-dire ce qui affecte ou est affecté par la chose, ce qui meut ou est mû par la chose. Par exemple, un animal étant donné, à quoi cet animal est-il indifférent dans le monde infini, à quoi réagit-il positivement ou négativement, quels sont ses aliments, quels sont ses poisons, qu’est-ce qu’il « prend » dans son monde ?

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Tout point a ses contrepoints: la plante et la pluie, l’araignée et la mouche. Jamais donc un animal, une chose, n’est séparable de ses rapports avec le monde : l’intérieur est seulement un extérieur sélectionné, l’extérieur, un intérieur projeté ; la vitesse ou la lenteur des métabolismes, des perceptions, actions et réactions s’enchaînent pour constituer tel individu dans le monde. Et, en second lieu, il y a la manière dont ces rapports de vitesse et de lenteur sont effectués suivant les circonstances, ou ces pouvoirs d’être affecté, remplis. Car ils le sont toujours, mais de manière très différente, suivant que les affects présents menacent la chose (diminuent sa puissance, la ralentissent, la réduisent au minimum), ou la confirment, l’accélèrent et l’augmentent : poison ou nourriture ?

Enfin, l’éthologie étudie les compositions de rapports ou de pouvoirs entre choses différentes. C’est encore un aspect distinct des précédents. Car, précédemment, il s’agissait seulement de savoir comment une chose considérée peut décomposer d’autres choses, en leur donnant un rapport conforme à l’un des siens, ou au contraire comment elle risque d’être décomposée par d’autres choses.

Mais, maintenant, il s’agit de savoir si des rapports (et lesquels ?) peuvent se composer directement pour former un nouveau rapport plus « étendu », ou si des pouvoirs peuvent se composer directement pour constituer un pouvoir, une puissance plus « intense ». Il ne s’agit plus des utilisations ou des captures, mais des sociabilités et communautés.

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Comment des individus se composent-ils pour former un individu supérieur, à l’infini ? Comment un être peut-il en prendre un autre dans son monde, mais en en conservant ou respectant les rapports et le monde propres ? Et à cet égard, par exemple, quels sont les différents types de sociabilité ? Quelle est la différence entre la société des hommes et la communauté des êtres raisonnables ?… Il ne s’agit plus d’un rapport de point à contrepoint, ou de sélection d’un monde, mais d’une symphonie de la Nature, d’une constitution d’un monde de plus en plus large et intense. Dans quel et comment composer les puissances, les vitesses et les lenteurs ?

[…] Plan de composition musicale, plan de la Nature, en tant que celle-ci est l’Individu les plus intenses et le plus ample dont les parties varient d’une infinité de façons. Uexküll un des principaux fondateurs de l’éthologie, est spinoziste lorsqu’il définit d’abord les lignes mélodiques ou les rapports contrapuntiques qui correspondent à chaque chose, puis quand il décrit une symphonie comme unité supérieure immanente qui prend de l’ampleur (« composition naturelle »). Comme le dit Uexküll : « tout organisme est une mélodie qui se chante elle-même ».

Un agencement Spinoza-Deleuze-Ecologie ?

     A ceux qui pourraient s’étonner de retrouver les traces de Spinoza disséminées un peu partout sur un blog consacré à l’écologie, il est peut-être utile de préciser le point de vue. A la lecture de l’Ethique, tout homme s’étant amusé à pratiquer quelque peu la chimie amusante ne pourra que sentir les résonnances avec cet « art des antidotes et des poisons » qu’est là chimie selon Nietzsche.

De la nature des corps en tant que composition caractéristique de rapport de décomposition et de recomposition entre parties, de la bonne à la mauvaise rencontre, tout cela sonne véritablement très chimique. Or cette chimie de base devient sous la plume de Spinoza l’occasion de constituer de véritables modes d’existence.

http://www.dailymotion.com/video/69JVCErySjVnobAuw 
Extraits audios d’après la voix de Gilles Deleuze en ligne, cours sur Spinoza

     Par la connaissance du bon (un corps dont les rapports se composent avec le mien me procure de la joie) et du mauvais (un corps dont les rapports décomposent les miens me procure de la tristesse), je suis capable d’organiser raisonnablement, selon ma convenance ou utile propre, mes rencontres de sorte à ne plus vivre au hasard de celles-ci. La connaissance des rapports, voilà ce que Spinoza appelle le second genre de connaissance.

Or cet art véritable de la composition des rapports, c’est précisément ce qui pourrait faire de Spinoza un formidable précurseur de notre écologie contemporaine. Tout du moins une source d’inspiration de la plus grande importance, une fois dit que cette dernière prétend bien à la connaissance des rapports reliant les différents éléments de la nature.

Pour Spinoza, la nature est à chaque instant un ensemble infini de capture de particules, de recomposition et décomposition de rapport entre différentes parties dont l’homme constitue un ensemble tendant à persévérer dans son être. Du fait que ce dernier ne soit pas un empire dans un empire, toute distinction entre naturel et artificiel ne peut relever que de l’ordre de l’imaginaire et des idées confuses.

L’esprit humain n’étant que la perception finie de son corps, une idée confuse de l’esprit correspond à une connaissance, séparée de sa cause réelle, de l’effet d’un corps étranger sur le mien. C’est-à-dire qu’une idée confuse ne m’apprend rien sur les rapports caractéristiques du corps qui se compose au mien. Ainsi privé de cette connaissance, je ne peux organiser mes rencontres de sorte à augmenter mon sentiment vécu (affect) de joie.

Scholie de la proposition  XXXV, Ethique 2 : « De même, quand nous contemplons le soleil, nous nous imaginons qu’il est éloigné de nous d’environ deux cents pieds. Or, cette erreur ne consiste point dans le seul fait d’imaginer une pareille distance ; elle consiste en ce que, au moment où nous l’imaginons, nous ignorons la distance véritable et la cause de celle que nous imaginons. Plus tard, en effet, quoique nous sachions que le soleil est éloigné de nous de plus de six cents diamètres terrestres, nous n’en continuons pas moins à l’imaginer tout près de nous, parce que la cause qui nous fait imaginer cette proximité, ce n’est point que nous ignorions la véritable distance du soleil, mais c’est que l’affection de notre corps n’enveloppe l’essence du soleil qu’en tant que notre corps lui-même est affecté par le soleil. »

     « Ah maman la vague m’a battu ! » Deleuze résumait ainsi le cri du premier genre de connaissance, le cri de l’idée inadéquate empêchant la composition des rapports de son corps d’avec ceux de la vague. A contrario, le bon nageur est quant à lui dans le second genre de connaissance, connaissance des rapports caractéristiques de la vague avec lesquels il se combine, pleine cause des affections de son corps.  Il est ainsi capable de former une idée adéquate, donc de l’ordre des causes dans l’action de nager.

Au final, on est toujours capable de ceci ou de cela (mode d’existence) en fonction des idées qu’on a. Or les idées qu’on a impliquent et enveloppent des affects de joie ou de tristesse. Lorsque vous formez l’idée adéquate de l’effet d’un corps sur le votre, ce qui ne cesse d’être la règle dans la Nature, vous êtes capable de composer avec ce corps de sorte à gagner de la puissance (à persister dans votre être, affect de joie) ou à éviter ce corps de sorte à éviter de perdre de la puissance (affect tristesse), si ce corps est un poison. C’est la connaissance de d’utile propre, de la convenance des corps avec le mien.

Chez Spinoza, toute mort vient du dehors. C’est-à-dire que tôt ou tard votre corps est confronté à une puissance supérieure qui va décomposer son rapport caractéristique, l’organisation de ses parties, ou ce que Spinoza appelle l’ensemble des rapports de vitesse et de lenteur qui composent un corps, ici sous la forme homme. Cette puissance du dehors va capturer certaines de vos parties (extrinsèques dira Deleuze) pour les combiner aux siennes. C’est le fameux exemple de l’arsenic où ce dernier détruit certains des rapports caractéristiques du sang pour les recomposer selon ses propres lois. Le sang étant l’un de mes rapports caractéristique en tant que mammifère homme, si l’arsenic est joyeux, moi je suis infiniment triste, je suis mort.

La lettre 5 de la correspondance entre Spinoza et Henri Oldenburg illustre assez bien cette joyeuse « chimie » spinoziste.

     « Monsieur,

[…] Vous me demandez mon sentiment sur cette question : Comment chaque partie de la nature s’accorde-t-elle avec le tout, et quel est le lien qui l’unit aux autres parties ? Je suppose que vous entendez par là me demander les raisons qui nous assurent en général que chaque partie de la nature est d’accord avec le tout et unie avec les autres parties. Car pour dire de quelle façon précise sont unies les parties de l’univers et comment chaque partie s’accorde avec le tout, c’est ce dont je suis incapable, comme je vous le disais tout récemment, vu qu’il faudrait pour cela connaître toute la nature et toutes ses parties. Je me bornerai donc à vous dire la raison qui m’a forcé d’admettre l’accord des parties de l’univers ; mais je vous préviens d’avance que je n’attribue à la nature ni beauté ni laideur, ni ordre ni confusion, convaincu que je suis que les choses ne sont belles ou laides, ordonnées ou confuses, qu’au regard de notre imagination.

Par l’union des parties de l’univers, je n’entends donc rien autre chose sinon que les lois ou la nature d’une certaine partie s’accordent avec les lois ou la nature d’une autre partie, de telle façon qu’elles se contrarient le moins possible. Voici maintenant ce que j’entends par le tout et les parties : je dis qu’un certain nombre de choses sont les parties d’un tout, en tant que la nature de chacune d’elles s’accommode à celle des autres, de façon à ce qu’elles s’accordent toutes ensemble, autant que possible. Au contraire, en tant qu’elles ne s’accordent pas, chacune d’elles forme dans notre âme une idée distincte, et dès lors elle n’est plus une partie, mais un tout. Par exemple, quand les mouvements des parties de la lymphe, du chyle, etc., se combinent, suivant les rapports de grandeur et de figure de ces parties, de façon qu’elles s’accordent ensemble parfaitement, et constituent par leur union un seul et même fluide, le chyle, la lymphe, etc., considérés sous ce point de vue, sont des parties du sang. Mais si l’on vient à concevoir les particules de la lymphe comme différant de celles du chyle sous le rapport du mouvement et de la figure, alors la lymphe n’est plus une partie du sang, mais un tout.

Imaginez, je vous prie, qu’un petit ver vive dans le sang, que sa vue soit assez perçante pour discerner les particules du sang, de la lymphe, etc., et son intelligence assez subtile pour observer suivant quelle loi chaque particule, à la rencontre d’une autre particule, rebrousse chemin ou lui communique une partie de son mouvement, etc., ce petit ver vivrait dans le sang comme nous vivons dans une certaine partie de l’univers ; il considérerait chaque particule du sang, non comme une partie, mais comme un tout, et il ne pourrait savoir par quelle loi la nature universelle du sang en règle toutes les parties et les force, en vertu d’une nécessité inhérente à son être, de se combiner entre elles de façon à ce qu’elles s’accordent toutes ensemble suivant un rapport déterminé. Car, si nous supposons qu’il n’existe hors de ce petit univers aucune cause capable de communiquer au sang des mouvements nouveaux, ni aucun autre espace, ni aucun autre corps auquel le sang puisse communiquer son mouvement, il est certain que le sang restera toujours dans le même état et que ses particules ne souffriront aucun autre changement que ceux qui se peuvent concevoir par les rapports de mouvement qui existent entre la lymphe, le chyle, etc., et de cette façon le sang devra toujours être considéré, non comme une partie, mais comme un tout. Mais comme il existe en réalité beaucoup d’autres causes qui modifient les lois de la nature du sang et sont à leur tour modifiées par elles, il arrive que d’autres mouvements, d’autres changements se produisent dans le sang, lesquels résultent, non pas du seul rapport du mouvement de ses parties entre elles, mais du rapport du mouvement du sang au mouvement des choses extérieures ; et de cette façon, le sang joue le rôle d’une partie et non celui d’un tout.

Je dis maintenant que tous les corps de la nature peuvent et doivent être conçus comme nous venons de concevoir cette masse de sang, puisque tous les corps sont environnés par d’autres corps, et se déterminent les uns les autres à l’existence et à l’action suivant une certaine loi 2, le même rapport du mouvement au repos se conservant toujours dans tous les corps pris ensemble, c’est-à-dire dans l’univers tout entier ; d’où il suit que tout corps, en tant qu’il existe d’une certaine façon déterminée, doit être considéré comme une partie de l’univers, s’accorder avec le tout et être uni à toutes les autres parties. Et comme la nature de l’univers n’est pas limitée comme celle du sang, mais absolument infinie, toutes ses parties doivent être modifiées d’une infinité de façons et souffrir une infinité de changements en vertu de la puissance infinie qui est en elle. Mais l’union la plus étroite que je conçoive entre les parties de l’univers, c’est leur union sous le rapport de la substance. Car j’ai essayé de démontrer, comme je vous l’ai dit autrefois dans la première lettre que je vous écrivais, me trouvant encore à Rheinburg, que la substance étant infinie de son essence, chaque partie de la substance corporelle appartient à la nature de cette substance et ne peut exister ni être conçue sans elle.

Vous voyez, Monsieur, pour quelle raison et dans quel sens je pense que le corps humain est une partie de la nature. Quant à l’âme humaine, je crois qu’elle en est aussi une partie ; car il existe, selon moi, dans la nature, une puissance de penser infinie, laquelle, en tant qu’infinie, contient en soi objectivement la nature tout entière et dont les différentes pensées s’ordonnent conformément à une loi générale, la loi de la pensée ou des idées. L’âme humaine, selon moi, c’est cette même puissance dont je viens de parler, non pas en tant qu’elle est infinie et perçoit toute la nature, mais en tant qu’elle est finie, c’est-à-dire en tant qu’elle perçoit seulement le corps humain ; et sous ce point de vue, je dis que l’âme humaine est une partie d’une intelligence infinie […] »

Ecologie, composition de rapports et agencement

Ecologie, composition de rapports et agencement dans -> CAPTURE de CODES : image00121

     Sous un certain angle, l’écologie pourrait être vue comme l’art de composer des rapports, des agencements. Une fois dit que ceux-ci acquièrent une certaine permanence ou durée, c’est alors également l’art de coloniser de la roche nue, comme de « contaminer » un système de pensée.

Si l’on souhaite explorer plus en avant les conséquences possibles d’une telle définition, il conviendrait donc dans un premier temps de se demander ce que l’on peut entendre par agencement.

     Deleuze nous renseignait sur la philosophie de Spinoza et sur la place de l’agencement vu comme la nécessaire rencontre, composition des corps : « l’artifice fait complètement-partie de la Nature, puisque toute chose, sur le plan immanent de la Nature, se définit par des agencements de mouvements et d’affects dans lesquels elle entre, que ces agencements soient artificiels ou naturels […] l’Ethique de Spinoza n’a rien à voir avec une morale, il la conçoit comme une éthologie, c’est-à-dire comme une composition des vitesses et des lenteurs, des pouvoirs d’affecter et d’être affecté sur ce plan d’immanence. Voilà pourquoi Spinoza lance de véritables cris : vous ne savez pas ce dont vous êtes capables, en bon et en mauvais, vous ne savez pas d’avance ce que peut  un corps ou une âme, dans telle rencontre, dans tel agencement, dans telle combinaison. »

Or il semble qu’une autre perspective éclairante de l’agencement (circuit de système) puisse être vue chez Bateson pour qui : « si nous voulons expliquer ou comprendre l’aspect « mental » de tout événement biologique, il nous faut, en principe, tenir compte du système, à savoir du réseau des circuits fermés, dans lequel cet événement biologique est déterminé. Cependant, si nous cherchons à expliquer le comportement d’un homme ou d’un tout autre organisme, ce « système » n’aura généralement pas les mêmes limites que le « soi » – dans les différentes acceptions habituelles de ce terme. »

image0029 dans -> PERSPECTIVES TRANSVERSES

     Bateson prend l’exemple d’un homme abattant un arbre avec une cognée. Chaque coup de cognée sera corrigé en fonction de la forme de l’entaille laissée sur le tronc par le coup précédent. Ce processus autocorrecteur (mental) est donc déterminé par un système global fait de l’agencement suivant : arbre-yeux-cerveau-muscles-cognée-coup-arbre.

Pour Bateson, ce n’est pas ainsi qu’un homme occidental moyen considérera la séquence événementielle de l’abattage de l’arbre. Selon son mode de pensée, il dira plutôt : «J’abats l’arbre» et ira même jusqu’à penser qu’il y a un agent déterminé, le « soi », qui accomplit une action déterminée, dans un but précis, sur un objet déterminé. Ce mode de pensée caractéristique aboutissant au final à renfermer l’esprit dans l’homme et à réifier l’arbre et « finalement, l’esprit se trouve réifié lui-même car, étant donné que le soi agit sur la hache qui agit sur l’arbre, le « soi » lui-même doit être une chose ».  

image00311 dans Art et ecologie

     Bateson prend un autre exemple d’agencement, celui de l’aveugle avec sa canne et se demande alors : « où commence le « soi » de l’aveugle ? Au bout de la canne ? Ou bien à la poignée ? Ou encore, en quelque point intermédiaire ? » Pour lui toutes ces questions sont absurdes, puisque la canne est tout simplement une voie, au long de laquelle sont transmises les différences transformées (sa définition de l’idée), de sorte que couper cette voie c’est supprimer une partie du circuit systémique qui détermine la possibilité de locomotion de l’aveugle. L’agencement est donc un facteur positif, créateurs d’ordre, de structures, de fonctions. Mais bien plus : « l’unité autocorrective qui transmet l’information ou qui, comme on dit, « pense »,   « agit » et  « décide », est un système dont les limites ne coïncident ni avec celles du corps, ni avec celles de ce qu’on appelle communément « soi » ou conscience ».

image0043 dans Bateson

     Pour Bateson les idées sont immanentes dans un réseau de voies causales que suivent les conversions de différence (i.e. des idées qui ne sont pas des « impulsions », mais de « l’information »). Celles-ci « coulent » dans des réseaux multiples, s’articulant ou s’agençant par delà les formes et contours :

  • « ce réseau de voies ne s’arrête pas à la conscience. Il va jusqu’à inclure les voies de tous les processus inconscients, autonomes et refoulés, nerveux et hormonaux »;

  • « le réseau n’est pas limité par la peau mais comprend toutes les voies externes par où circule l’information. Il comprend également ces différences effectives qui sont immanentes dans les « objets » d’une telle information ; il comprend aussi les voies lumineuses et sonores le long desquelles se déplacent les conversions de différences, à l’origine immanentes aux choses et aux individus et particulièrement à nos propres actions».

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Citations de Gregory Bateson d’après « Vers une écologie de l’esprit » – Tome 1

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