Archive pour la Catégorie 'Spinoza'

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En vrac pour y (re)venir

http://www.dailymotion.com/video/xbroqy Je pense donc je suis – Descartes. L’esprit c’est l’idée (des affections) du corps - Spinoza. Quelque chose pense - Nietzsche. Je est un autre – Rimbaud. Des choses pensent - Bateson —>

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A l’occasion de quelques vieux fragments-billets nous avions tenté d’esquisser quelques lignes autour d’un certain usage de Spinoza.  Un usage avant tout méthodologique pour ce qui est de nourrir nos discours sur l’écologie : nettoyer nos pensées, faire « place à circuler » à du nouveau. 
Le magazine littéraire de janvier 2010 nous proposant un dossier Spinoza, sautons donc joyeusement sur l’occasion d’un revenir par extraction de quelques fragments complémentaires.

La joie mode d’emploi, article de Maxime Rovere

« […] dans l’Ethique, Spinoza ne cherche absolument pas à décrire objectivement la réalité ; au contraire, il ne cesse jamais de déterminer des points de vue partiels. Fallait-il arriver à notre époque globalement relativiste pour s’en apercevoir ? Sans doute.  Car nous sommes plus sensibles que jamais au fait que la réalité ne se totalise pas, et quelle s’exprime en une infinité de modes […] 
[…] il s’agit en réalité [i.e. l’Ethique] d’un livre sans doctrine, qui ne vise à rien d’autre qu’à assurer une libre circulation entre les points de vue […] »

« […] la question n’est jamais de savoir ce qui est vrai ou faux, mais de comprendre pourquoi nous pensons ceci ou cela, et si nous désirons réellement continuer à l’affirmer ou à le nier. C’est ainsi que le problème de l’erreur se résorbe entièrement en une question éthique  qu’est-ce que nous désirons réellement promouvoir ?
 […] la raison n’est qu’une manière de rechercher ce que veut le désir. »

« […] il [i.e. Spinoza] permet de substituer à la philosophie comme conçue comme une pensée théorique (quel est le meilleur système ?) une certaine pratique de pensée destinée à amender nos idées, quelles qu’elles soient. Des lors peu importe qu’elles soient les miennes, les tiennes ou les siennes, pourvu qu’elles fassent leurs effets. »

Je varie, donc je suis, article de Françoise Barbaras

« […] L’ambition de Spinoza est de produire une science des conduites humaines, et d’abord une science des formes de compréhension, de représentation de soi et de toute chose. La science des hommes, ce n’est pas une simple question de forme apparente de discours. C’est une étude qui doit avoir comme objet, au recto, les productions intellectuelles imaginaires elles-mêmes, au verso, mener l’examen critique de ce qui y conduit et précisément les engendre. 
[…] l’entreprise de sape radicale de tout ce qui, dans la métaphysique ordinaire, entretien la maladie dans la pensée humaine et ruine la sagesse pratique […] pour aller à l’essentiel, ce qu’il faut faire sauter et remplacer dans l’ontologie ordinaire, c’est le couple clé de l’être et des propriétés d’un être.
[…] Cette perspective sur l’être de toute chose en fait un avoir, qui donne à l’appartenance, à la possessivité le rôle de catégorie fondamentale : un être quelconque est ce qu’il a […] l’idée de l’être est ici celle du  » soi  », de ce qui est à soi, et implique une clôture à l’égard d’un reste, et une stabilité dans cette clôture. […] Spinoza évacue tout cet échafaudage. »

« […] le mode d’être, c’est absolument cet être, et non une simple propriété possédée ; c’est cette être en tant qu’il est dans un certain état.
Mais les états sont variables, et chacun d’eux conservent pourtant la substance qui s’y exprime.
[…] Ce sont des variables fondamentales qui déterminent  l’état de quelque chose […] De plus ces caractéristiques d’état, ces variables d’état ne varient pas n’importe comment : elles sont liées, elles dépendent pour leur variation propre, d’autres variations dont elles sont absolument corrélatives. Le concept de mode d’une substance permet à Spinoza de mettre au centre de l’ontologie l’idée d’interdépendance des choses selon tout un système de loi. La consistance d’une chose, c’est sa relation à autre chose avec quoi elle entretien une relation réglée […]
Les être sont […] des « lieux » de variation et non des causes absolues […] les êtres ne sont pas des foyers d’action, mais il y a toujours un foyer, un pôle, un pivot entre eux, autour duquel s’établissent des variations en jeu dans l’action des uns et des autres. Exactement comme les divers points d’un cercle ne peuvent être définis que par rapport à un unique foyer centre qui n’appartient pourtant pas à la ligne circulaire, et autour de quoi s’organise la variation qui constitue le cercle. »

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« Chaque génération se moque de la mode précédente mais suit religieusement la nouvelle » Henry David Thoreau

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LA MÉTAMORPHOSE DES PLANTES et autres écrits botaniques, Goethe, Éd. Triades.

 » La parenté secrète des différentes parties externes de la plante, à savoir des feuilles, du calice, de la corolle, des étamines, qui se forment successivement et comme naissant les unes des autres, a été reconnue depuis longtemps par les savants. On a nommé métamorphose des plantes l’action par laquelle un seul et même organe se montre à nous diversement transformé (…)
Par le seul fait que nous disions du bourgeonnement qu’il est une reproduction successive, de la floraison et de la fructification qu’elles sont une reproduction simultanée, le mode de leurs manifestations est déjà caractérisé. Une plante qui bourgeonne s’étend plus ou moins, elle développe une tige ou un pied, les entre-nœuds sont généralement apparents, et ses feuilles caulinaires s’étendent de tous côtés. Au contraire, une plante qui fleurit s’est concentrée dans toutes ses parties, la longueur et la largeur sont en quel.que sorte supprimées, et tous ses organes se sont développés les uns au plus près des autres dans un état d’extrême concentration. Que la plante bourgeonne, fleurisse ou porte fruit, ce sont cependant toujours les mêmes organes qui, avec des destinations multiples et sous des formes souvent modifiées, obéissent à la prescription de la nature. Le même organe qui s’est étendu en tant que feuille sur la tige et a revêtu des formes très variées, se contracte maintenant pour donner un calice, s’étend à nouveau pour former un pétale, se contracte encore dans les organes sexuels, pour s’étendre une dernière fois dans le fruit.  » Goethe

 » Goethe se sentait habilité à considérer les idées qui se formaient en lui lorsqu’il regardait les choses de la nature comme un résultat de l’observation, au même titre que la couleur rouge d’une rose. Pour lui, la science était un résultat de l’observation empli d’esprit, et néanmoins objectif. Il se sentait vivre, avec son esprit, au sein même de la nature. Il n’a jamais douté du fait que c’est la nature elle-même qui exprime son essence en tant que contenu de l’esprit humain, pour peu que l’homme se place avec elle dans une juste relation. Pour Goethe, quand l’homme parvient à savoir, c’est alors l’être de la nature qui vit en lui. Dans le savoir humain, c’est donc l’être même de la nature qui se révèle. Le processus de la connaissance n’est pas, à ses yeux, la simple reproduction formelle d’une réalité qui se cacherait dans la nature. Non, connaître, c’est amener réellement à se manifester quelque chose qui, sans l’esprit humain, n’existerait pas. Et pourtant Goethe n’en conçoit pas moins l’esprit comme le véritable contenu de la nature, parce que la connaissance est pour lui une immersion de l’âme humaine dans la nature. Goethe voulait une science qui implique l’homme tout entier, comme l’art le fait aussi d’une autre manière.  »
Introduction et notes de
Rudolf Steiner

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Eau Paris

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*) Définition usuelle de la « nature » (et contre-définition) « La nature est considérée comme un milieu extérieur dont l’unique valeur est d’être un réservoir utile à l’homme. Or, si la nature est la source des ressources, elle n’est pas elle-même une ressource. » (Corine Pellucon, « L’homme et la nature, le moi et le non-moi : émoi, émoi, émoi… », in Libération, jeudi 19 novembre 2009, p. 16.) 

**) Définition logique de l’identité, et (définition) hétéro-logique de l’identité « Si l’on pense que l’identité est logique, le moi existe en s’opposant au non-moi. Le rapport à l’autre homme, au vivant et à la terre est un rapport de domination. Si l’identité renvoie à mon rapport aux autres et à la manière dont j’habite la Terre, l’autre n’est pas un ennemi et je partage avec lui une communauté de destin. Dire qui l’on est, c’est dire ce qu’impliquent nos devoirs spécifiques envers tous les autres. Cette identité est narrative et suppose que nous explicitons nos valeurs communes et les confrontations aux priorités écologiques. » (Corine Pellucon, « L’homme et la nature, le moi et le non-moi : émoi, émoi, émoi… », in Libération, jeudi 19 novembre 2009, p. 16.)

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L’écologie dans la pensée contemporaine : enjeux philosophiques et politiques 

Tous les idéaux de la modernité (le progrès, la croissance, la technique, la maîtrise de l’homme sur la Nature) ont contribué à imposer pendant plusieurs siècles un humanisme non écologique et un développement techno-économico-scientifique peu soucieux de la préservation des ressources naturelles de la planète. L’urgence environnementale et les débats autour du « développement durable » ont mis récemment l’écologie au cœur de l’actualité. Mais la question écologique ne peut se cantonner à la sphère restreinte des experts et des savants ni s’énoncer exclusivement dans un vocabulaire technocratique ; elle implique une nouvelle philosophie des rapports entre l’homme, la technique et la Nature, mais aussi de nouvelles orientations dans tous les champs de l’activité humaine (politique, économie et culture). Le séminaire se propose d’exposer les axes principaux de cette problématique transversale, à partir de l’analyse des travaux des philosophes (Félix Guattari, Edgar Morin, Bernard Stiegler, Peter Sloterdjik, Thierry Paquot), des économistes (Serge Latouche), des sociologues (Bruno Latour), des paysagistes (Gilles Clément) qui nous invitent depuis longtemps à bâtir une relation riche de sens avec toutes les composantes (naturelles, sociales, techniques, urbaines) de notre environnement.
Avec Manola Antonioli, philosophe – Enregistré le 9 novembre 2009.

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Ampoule, chou, fil à plomb [un geste pour la planète®], qui parle à qui et de quoi ?

Ampoule, chou, fil à plomb [un geste pour la planète®], qui parle à qui et de quoi ? dans Ecosysteme TV.fr image0012

Lampe à basse consommation: un geste pour la planète®
N’imprimer ce mail que si nécessaire : un geste pour la planète®
Regarder Michel Drucker en mode Xanax sur canapé : un geste pour la planète®
Connaissance par ouï-dire : un geste pour la planète®
Eteindre les Lumières : un geste pour la planète®

Plus on parle et moins on sait de quoi on parle. Que veulent dire les mots ? « Pour la planète », ça veut dire quoi ?

Première option : « pour la » = au nom de

Révolution de la pensée, il n’y aurait donc qu’une seule planète possible, mieux, celle-ci parlerait à des Jeanne d’Arc de l’« avant moi le déluge ». Heureuses élues de la voie et des voix, charge à elles de relayer quelques certitudes labélisées en batteries « au nom de la planète ».
Si l’on regardait dans le rétroviseur de l’histoire, sans doute serait-on surpris du parcours de toutes ces « avant-gardes » autoproclamées ayant tour à tour de passe-passe copyrightées leurs discours « au nom » du grand Un. De la planète, de Dieu, du peuple, etc., et hop, d’un lit de l’Un à l’autre pour de beaux draps.

Au nom de, ce mode de communication [un geste pour la planète®] devient alors l’exact inverse de ce à quoi devrait nous conduire l’écologie : la reconnaissance d’un ensemble monde incertain, complexe et multiple, duquel émerge un homme qui ne lui est pas nécessaire. Un monde humain qui se proposerait d’éduquer à attention et non d’étouffer les siens par la diffusion en boucle ouï-dire de notions prescriptives. Un monde humain de liaisons et non d’opposition entre des « avant moi le déluge » sans histoire et des « après moi le déluge » qui eux en ont fait leur deuil. Pile ou face choisissez votre camp, comme noir s’exprime comme blanc.

Seconde option : « pour la » = à la place de

Si les mots ont encore un sens, peut-être qu’une certaine rigueur commanderait d’oser avancer « parler à la place de la planète ». Chose qui relève d’une activité d’écriture et de traduction des mondes que l’homme pratique depuis un peu plus hier, à ses façons. Mais on devine que celui qui entend « parler à la place de la planète » n’engage pas une même responsabilité que celui qui prétend bavarder « en son nom ». Ce dernier n’étant après tout qu’un praticien du buzz-relais des idées courantes.

Si vous prétendez parlez « à la place » de la planète, vous avez beaucoup de talents, une joyeuse science de l’attention. Si vous prétendez parlez « au nom » de la planète, le principe de précaution « commanderait » de vous taire, urgemment si vous prétendez incarner un changement de drap.

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http://www.dailymotion.com/video/x31hn7 La joie de celui qui ne croit en rien

http://www.dailymotion.com/video/x3k70s Intégration de la partie, récits et représentation, etc.

http://www.dailymotion.com/video/x49ieh Rabattage des moi, d’émoi …

http://www.dailymotion.com/video/x3im00 A la place de …

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Questions de rythmes

Image de prévisualisation YouTube Configuration dynamique, modèle de danse.

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« Un environnement ? Une configuration dynamique, un organe sensoriel non localisé, un modèle de danse qui capture d’autres modèles de danse. » Gregory Bateson.

Questions de rythmes dans Bateson rythme

Questions de rythmes. Fragments de rencontres pour autant de représentations. Des vitesses et des lenteurs de Spinoza aux constructions rythmiques des territoires, des ritournelles de Deleuze et Guattari aux modèles de danse d’un Bateson, en passant par la biologie d’un Ameisen. Le rythme est variation, le rythme est construction, cohabitation et coévolution. 

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http://www.dailymotion.com/video/k49FhEt5eV9PMmVK22 Des vitesses et des lenteurs, machine territoriale et ritournelle. Extraits audios d’après : les nouveaux chemins de la connaissance, France Culture, émission du lundi 26 janvier 2009, le rythme (1/5).

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http://www.dailymotion.com/video/k3gQchNXHceuDPnh80 Rythme et notion commune, savoir nager.

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http://www.dailymotion.com/video/k2A00HcWoiSJhwVMaB Cohabitation et coévolution des vitesses et des lenteurs en biologie et sculpture du vivant. Extraits audios d’après : les nouveaux chemins de la connaissance, France Culture, émission du mercredi 28 janvier 2009, le rythme en biologie (3/5).

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http://www.dailymotion.com/video/k2NbiMQ9UZrli9UG33 Lecture de traces et territoire.

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Aventures urbaines et géographies forestières dans le roman canadien-français des années 1930, par Thomas Vauterin

«  L’auteur étudie la représentation de la forêt dans deux romans canadiens-français de la fin des années 1930: Menaud, maître-draveur et Les engagés du Grand Portage. Il montre d’abord comment la notion de territorialité, telle que développée plus tard par Deleuze et Guattari, a traditionnellement joué un rôle prépondérant dans l’interprétation de ces oeuvres. Cependant en considérant les descriptions de l’espace et les tendances idéologiques qui avaient cours au moment de leur parution, l’auteur montre que la forêt est aussi une figuration de la ville moderne, figuration portée par une volonté d’investir le monde mouvant du capitalisme. »

Environnements virtuels et nouvelles stratégies actantielles, par Valérie Morignat.

« Loin d’entraîner un phénomène de déréalisation, nous verrons que les environnements interactifs permettent l’appropriation de corporéités virtuelles qui enrichissent l’expérience du réel et impulsent de nouvelles modalités actantielles. Penser le fonds sémantique et symbolique de ces environnements artistiques fera apparaître leur fonction essentiellement « hiérophanique » dont le propre est de réenchanter notre rapport au réel en révélant sa multiplicité. »

Des ponts pour des chaussées : Spinoza pour l’écologie ? (partie 5)

http://www.dailymotion.com/video/k6zdSGzHZvIGpbASP1 « (…) Par gouvernement de Dieu j’entends l’ordre fixe et immuable de la nature, autrement dit l’enchaînement des choses naturelles ; en effet nous avons dit plus haut et montré ailleurs que les lois universelles de la nature suivant lesquelles tout se produit et tout est déterminé, ne sont pas autre chose que les décrets éternels de Dieu qui enveloppent toujours une vérité et une nécessité éternelles. Que nous disions donc que tout se fait suivant les lois de la nature ou s’ordonne par le décret ou le gouvernement de Dieu, cela revient au même. En second lieu la puissance de toutes les choses naturelles n’étant autre chose que la puissance même de Dieu, par laquelle tout se fait et tout est déterminé, il en suit que tout ce dont l’homme, partie de lui-même de la nature, tire par son travail un secours, pour la conservation de son être, et tout ce qui lui est en réalité offert par la seule puissance divine, en tant qu’elle agit soit par la nature même de l’homme, soit par des choses extérieures à cette nature (…) »
Spinoza, Traité théologico-politique, Chapitre III, 2

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Conclusion sélectives

Fin de notre brutalisation d’un Spinoza pour les verts, quelques rattrapages avant de bifurquer chemin faisant vers l’immanence d’un Bateson. Le mouvement d’un Spinoza ? Une ontologie (la Nature) qui nous permet de faire l’économie ou de repenser certaines frontières aujourd’hui non questionnées (naturel/artificiel, vivant/non-vivant, individu/collectivité, etc.) qui conduit à une déontologie (le comportement humain).

Sans passer par aucune des démonstrations que propose l’Ethique, notamment quant à l’articulation entre la substance (ce qui est en soi et est conçu par soi), Dieu (il est impossible que la substance ne soit pas unique) et la Nature (Dieu ou la Nature), nous avions très rapidement synthétisé la conclusion suivante : la Nature de Spinoza est une et unique.

Revenons donc un instant sur ce point de départ central, cause de bien des effets de la pensée de Spinoza qui nous interressent ici. La Nature est le tout du réel. La substance qui derrière les choses singulières, formes et apparences, les fait être et exister. Pour cette Nature exister et agir sont une seule et même chose. Elle n’est pas avant ce qu’elle produit, elle en est cause immanente et non transitive. La cause immanente, c’est une cause qui non seulement reste en soi pour produire, mais est telle que l’effet produit reste en elle.
La Nature se crée elle-même, il n’y a jamais de création ex-nihilo, tous les existants ne sont que des manières d’être, des modifications ou des affections de la Nature que chaque chose singulière exprime sous une forme qui lui est propre (un degré de puissance et un rapport constitutif).

Ne manquant de rien, rien n’étant en dehors d’elle-même, une telle Nature n’agit en vue d’aucune fin, ne poursuit aucun but. De ce fait, elle sans dessein particulier pour l’homme. L’anthropomorphisme sous toutes ses formes est toujours une représentation imaginaire qui prend sa source dans le fait que nous ne percevons la Nature qu’en tant que celle-ci est naturée.
La Nature est à la fois naturante, cause immanente elle ne cesse de produire en son sein, et naturée, de produire des modes ou modification d’elle-même : homme, table, pomme, etc … c’est-à-dire l’ensemble des effets visibles de son action. La nature est toujours naturante, mais l’homme ne la perçoit qu’en tant que naturée.

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« Les lois et règles de la Nature, suivant lesquelles tout arrive et passe d’une forme à l’autre, sont partout et toujours les mêmes. »
Ethique III, Préface.

« L’ordre des cause est donc un ordre de composition et de décomposition de rapport, qui affecte à l’infini la Nature entière. » 
Spinoza, philosophie pratique, Gilles Deleuze.

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La Nature est cause immanente de toutes ses modifications. Et si tous les modes sont bien causés de la sorte, co-présense de la Nature à toute chose, c’est donc que toutes les choses dans l’univers sont reliées entre elles par les mêmes lois et règles de la Nature. L’enchainement des causes et des effets parcourt ainsi à l’infinie la surface du plan d’immanence selon des lois de composition et de décomposition de rapports, lois qui sont partout et toujours les mêmes. 
Pour résumer : la Nature produit comme elle se comprend, la Nature comprend tout ce qu’elle produit, la Nature produit la forme dans laquelle elle se comprend et comprend toute chose.

Bien qu’il ne soit pas question ici dans les termes de rétroaction, d’effet papillon et autres gourmandises des systèmes complexes modernes, notons tout de même que les effets de rencontres entre les corps ou les idées s’enchainent à l’infinie, les corps s’affectant de proche en proche selon des lois de compositions et décompositions complexes.

Ce qu’un corps gagne ou perd dans une rencontre de corps (captures et sélections de parties) détermine les conditions des prochaines rencontres de ce corps, précisément en ce que son pouvoir d’affecter ou d’être affecté se voit diminué ou augmenté.
Par ailleurs, entre modes de commune nature (totale ou partielle), il existe au-delà des simples captures des possibilités de sociabilités. C’est-à-dire de mise en rapport avec préservation des rapports caractéristiques des corps mis en rapport. Ainsi l’éveil d’un homme à la raison, c’est à dire capable de former des notions communes, un tel éveil favorise la puissance de la communauté humaine dans son ensemble. Voilà l’effet retour de l’addition des gains de puissance, sorte de symphonie de composition naturelle qui prendrait de l’ampleur à mesure qu’elle se joue elle-même.

La Nature dans sa totalité est un seul Individu, dont les parties, c’est-à-dire tous les corps, varient d’une infinité de façons sans changement de l’Individu total. Il n’y a pas d’origine à ces mouvements de compositions et de décompositions autre que la Nature en tant qu’elle est. On se rapprocherait donc peut-être ici de notions modernes telles que  l’auto-organisation et l’émergence. 

Par ailleurs, il n’y a pas de frontière à ces mêmes mouvements de compositions et de décompositions dans la mesure où la Nature est le tout du réel. On comprend donc déjà que quand de l’huile se retrouve déversée dans une rivière, par effet domino des combinaisons de puissances, des compositions et décompositions de rapports, les particules de cette huile vont nécessairement se retrouver sous une forme ou une autre à tel ou tel endroit du globe.
Le modèle est celui d’une composition naturelle qui prend de l’ampleur lorsque les puissances s’additionnent, c’est à dire quand les corps conviennent dans leurs rapports. Mais c’est également celui de la contamination. De la cave d’un petit Napster viennent s’agréger des puissances individuelles qui s’en viennent à former un tout plus puissant qui va pouvoir décomposer jusqu’à même la puissance constituée de l’industrie du disque. Pollution diffuse, de gouttes d’eau en ruisseaux, des molécules de pesticides se combinent et viennent décomposer une partie de la puissance de l’eau (celle qui convient à l’homme, et vient à en faire de nourriture poison).

Evidement Spinoza ignore les apports de la théorie des systèmes complexes (auto-organisation, émergence, résilience, imprédictibilité, etc.), de la cybernétique (rétroactions, information, code, etc.) des contextes (type logique, etc.), du chaos (effet papillon, attracteur étrange, etc.), du quantique, de la biologie moléculaire, du génome, and so on …
Mais le rôle central de l’immanence, composition de rapport à l’infini d’une multitude de corps en intéraction sur un plan d’immanence naturel, tire Spinoza vers certains des prémisses de nos représentations scientifiques modernes. En sus de la critique des passions tristes, de l’homme en tant que désir, c’est sur ce point de l’immanence que pourrait nous intéresser une certaine lecture écologique de l’éthique. L’éthique est une éthologie des modes d’existence nous disait Deleuze, alors sans doute pourrait-on essayer de parler de prémisses d’une éco-éthologie à partir d’une modalité de lecture singulière, des apports des modernes sur les bases qu’elle propose.

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http://www.dailymotion.com/video/k6u8CHhPz7LYx7OuRv

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L’écologie moderne, sous son aspect scientifique, résulte pour beaucoup des avancées de la biologie, de la cybernétique, de la théorie des contextes et des systèmes complexes (immense toile de liens causaux entre des composantes interdépendantes qui s’influencent mutuellement de plusieurs façons). On pourrait donc s’arrêter là et dire que Spinoza ignorait tout cela. Après tout la taille du système n’est pas un critère de complexité, et finalement Spinoza nous donne des clés causales assez simples, des différentiels de mouvements et de repos qui déterminent des rapports de compositions et de décomposition entre les corps. Une sorte d’équation différentielle chimique aux résultats prévisibles, ce qui correspond aux  développements mathématiques de son temps. Seulement à côté du déterminisme causal des lois de la Nature, il y a aussi la contingence du mode mode fini non nécessaire qu’est l’homme, de ce qu’il perçoit des choses et de lui-même.
Cette réintégration de l’affectivité humaine dans l’équation fait ainsi que nous n’en connaissons jamais les conditions initiales. Nous nous glissons entre les choses pour épouser leur mouvement. Si rien ne pourra arriver dans son corps (affection) qui ne soit perçu par l’esprit (idée), encore faut-il que l’homme puissse connaître la nature de son corps pour comprendre le rapport de celui-ci à l’esprit. De la conscience limitée du corps, de l’ignorance de la Nature naturante et de ses lois (ce qui passe entre les choses comme fait les choses), naît donc la complexité du on ne sait jamais à l’avance ce que peut … Une ignorance dont le hasard et autres phénomènes complexes ne sont que la mesure. Au niveau de l’homme, le hasard n’est que le hasard de celui qui vit au hasard des rencontres, ignorant des rapports de convenance.

Spinoza nous précise ainsi que nous ne savons pas à l’avance ce que peut tel ou tel corps dans telle ou telle rencontre. Autrement dit qu’un observateur ne peut prévoir le comportement de son propre corps. Qu’il a besoin d’attendre la fin de l’expérience de la rencontre pour en mesurer des effets. Eventuellement prendre conscience d’un rapport, d’une mise en commun, pour ensuite en déduire certaines des règles de conduites à avoir au cours de ses prochaines rencontres. Il y a du déterminisme dans les lois de la Nature, mais il y a contingence locale dans les comportements humains, il y a nécessité d’expérimenter pour sortir de l’ignorance native que nous avons de notre nature comme de la Nature. 

Spinoza fait donc une place centrale à la connaissance des rapports entre les corps. Mais les corps ne sont eux-mêmes que des ensembles de rapports. Des rapports différentiels de vitesses et de lenteurs, de mouvements et de repos qui déterminent des formes et des fonctions, proposition cinétique, mais aussi des pouvoirs d’être affecté et d’affecter, c’est-à-dire des capacité d’affect, proposition dynamique.
Un individu composé peut être affecté de beaucoup de façons tout en conservant sa nature, c’est à dire ses rapports de repos et de mouvements entre les différents corps qui le compose. C’est une question de puissance, c’est à dire de capacité à affecter et être affecté dans l’extension de ses rapports. Pour l’homme, l’esprit humain est ainsi d’autant plus apte à percevoir que son corps peut être affecté d’un plus grand nombre de façons.
C’est ainsi que toute chose sur le plan d’immanence de la nature se définit par les agencements de mouvements et d’affects dans lesquels elle entre, se conserve sous ses rapports, compose de nouveau rapports plus étendus, ou se décompose. C’est ainsi que nous ne pouvons répondre à priori à la question suivante :  la faillite de l’industrie automobile américaine polluante aurait-elle été une bonne chose pour l’écologie ? 

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ETHIQUE II

AXIOME III

SUIVANT QUE LES PARTIES D’UN INDIVIDU – AUTRE­MENT DIT D’UN CORPS COMPOSÉ – SONT APPLIQUÉES LES UNES CONTRE LES AUTRES SELON DES SURFACES PLUS OU MOINS GRANDES, ELLES PEUVENT PLUS OU MOINS FACILEMENT ÊTRE CONTRAINTES A CHANGER LEUR POSI­TION, ET PAR CONSÉQUENT, PLUS OU MOINS FACILE­MENT, CET INDIVIDU PEUT REVÊTIR UNE AUTRE FIGURE. AUSSI, LES CORPS DONT LES PARTIES SONT APPLIQUÉES LES UNES CONTRE LES AUTRES PAR DE GRANDES SUR­FACES, JE LES APPELLERAI DURS; MOUS, CEUX DONT LES PARTIES LE SONT PAR DE PETITES SURFACES; FLUIDES, ENFIN, CEUX DONT LES PARTIES SE MEUVENT LES UNES DANS LES AUTRES.

LEMME IV

Si d’un corps – autrement dit d’un individu – composé de plusieurs corps, certains sont séparés, mais qu’en même temps autant d’autres et de même nature les remplacent, l’individu conservera sa nature comme auparavant, sans aucun changement dans sa forme.

DÉMONSTRATION

Les corps, en effet (selon le lemme 1), ne se distinguent pas sous le rapport de la substance ; d’autre part, ce qui constitue la forme d’un individu consiste dans une union de corps (selon la définition précédente); or celle-ci est conservée (selon l’hypothèse) en dépit du changement continuel de corps ; donc l’individu conservera sa nature comme auparavant, tant sous le rapport de la substance que du mode.

LEMME V

Si les parties qui composent un individu deviennent plus grandes ou plus petites, mais dans une proportion telle que toutes conservent entre elles le même rapport de mouvement et de repos qu’auparavant, sans aucun changement de forme.

DÉMONSTRATION

La démonstration est la même que celle du lemme précédent.

LEMME VI

Si certains corps composant un individu sont contraints de détourner vers une partie leur mouvement vers une autre, mais de façon qu’ils puissent continuer leurs mouvements et se les communiquer les uns aux autres selon le même rapport qu’auparavant, l’individu conservera encore sa nature, sans aucun changement de forme.

DEMONSTRATION

Cela est évident de soi, car cet individu est supposé conserver tout ce que nous avons dit constituer sa forme, en le définissant.

LEMME VII

Un individu ainsi composé conserve en outre sa nature, soit qu’il se meuve en totalité, soit qu’il soit en repos, soit qu’il se meuve de tel ou tel côté, pourvu que chaque partie conserve son mouvement et le communique aux autres comme auparavant.

DEMONSTRATION

Cela est évident d’après la définition de l’individu, à laquelle on se reportera avant le lemme 4.

SCOLIE

Ainsi voyons-nous pourquoi un individu composé peut être affecté de beaucoup de façons, tout en conservant sa nature.
Or jusqu’ici nous n’avons conçu l’individu que comme composé de corps qui ne se distinguent entre eux que par le mouvement et le repos, la vitesse et la lenteur, c’est-à-dire de corps les plus simples.
Si maintenant nous en concevons un autre, composé de plusieurs individus de nature différente, nous trouverons qu’il peut être affecté de plusieurs autres façons, tout en conservant sa nature. Puisque, en effet, chaque partie est composée de plusieurs corps, elle pourra (selon le lemme précédent), sans aucun changement dans sa nature, se mouvoir tantôt plus lentement, tantôt plus rapidement, et donc communiquer plus rapidement ou plus lentement ses mouvements aux autres parties.
Si, de plus, nous concevons un troisième genre d’individus, composé des précédents du second genre, nous trouverons qu’il peut être affecté de beaucoup d’autres façons, sans aucun changement dans sa forme. Et si nous continuons de la sorte à l’infini, nous concevrons facilement que la Nature dans sa totalité est un seul Individu, dont les parties, c’est-à-dire tous les corps, varient d’une infinité de façons, sans changement de l’Individu total. Et, si mon intention avait été de traiter expressément du corps, j’aurais dû expliquer et démontrer ce fait plus amplement. Mais j’ai déjà dit que je me propose autre chose, et que je parle de cela uniquement pour pouvoir facilement déduire ce que j’ai résolu de démontrer.

POSTULATS

I. LE CORPS HUMAIN EST COMPOSÉ D’UN TRÈS GRAND NOMBRE D’INDIVIDUS (DE NATURE DIFFÉRENTE), DONT CHACUN EST LUI-MÊME TRÈS COMPOSÉ.
II. DES INDIVIDUS DONT LE CORPS HUMAIN EST COM­POSÉ, CERTAINS SONT FLUIDES, CERTAINS SONT MOUS, ET ENFIN CERTAINS SONT DURS.
III. LES INDIVIDUS COMPOSANT LE CORPS HUMAIN, ET PAR CONSÉQUENT LE CORPS HUMAIN LUI-MÊME, SONT AFFECTÉS PAR LES CORPS EXTÉRIEURS D’UN TRÈS GRAND NOMBRE DE FAÇONS.
IV. LE CORPS HUMAIN A BESOIN, POUR SE CONSERVER, D’UN TRÈS GRAND NOMBRE D’AUTRES CORPS, PAR LES­QUELS IL EST CONTINUELLEMENT COMME RÉGÉNÉRÉ.
V. QUAND UNE PARTIE FLUIDE DU CORPS HUMAIN EST DÉTERMINÉE PAR UN CORPS EXTÉRIEUR A HEURTER SOUVENT UNE PARTIE MOLLE, ELLE EN CHANGE LA SUR­FACE ET LUI IMPRIME POUR AINSI DIRE CERTAINES TRACES DU CORPS EXTÉRIEUR QUI LA POUSSE.
VI. LE CORPS HUMAIN PEUT MOUVOIR ET DISPOSER LES CORPS EXTÉRIEURS D’UN TRÈS GRAND NOMBRE DE FA­ÇONS.

PROPOSITION XIV

L’esprit humain est apte à percevoir un très grand nombre de choses, et d’autant plus apte que son corps peut être disposé d’un plus grand nombre de façons.

DÉMONSTRATION

Le corps humain, en effet (selon les postulats 3 et 6), est affecté d’un très grand nombre de façons par les corps extérieurs, et lui-même est disposé de manière à affecter les corps extérieurs d’un très grand nombre de façons. Or tout ce qui arrive dans le corps humain, l’esprit humain doit le percevoir (selon la proposition 12). Donc l’esprit humain est apte à percevoir un très grand nombre de choses, et d’autant plus apte, etc.
C. Q. F. D.

***

L’ontologie spinoziste, sa réponse à la question du comment tout cela tient-il ensemble, pose les bases d’une représentation moderne du tissu des relations qui se nouent à chaque instant entre tous les existants, l’homme dedans, de la Nature. Soit là où les rapports sont plus important que leurs termes (qui sont eux-mêmes des rapports). Règles de composition et de conservation, c’est à dire la découverte des réseaux de relations sur lesquels nous pouvons cheminer et avec lesquels nous tissons notre existence. Soit ce que tente de mettre en lumière aujourd’hui l’écologie moderne et les autres sciences de la complexité.

***

«  La deuxième dimension de l’individualité proposée par Spinoza est celle des rapports sous lesquelles nos parties nous appartiennent. On ne peut parler plus d’opposition lorsque l’on parle des rapports. Pour qu’il y ait opposition, il faut considérer les parties extensives qui leur appartiennent.
Le deuxième genre de connaissance propose justement de combiner des rapports qui nous composent et des rapports qui composent les autres choses. En composant les rapports on obtient des notions communes. En science de la complexité, cela reviendrait à analyser un système complexe (ou un réseau) non plus sous la forme de ses composants mais sous la forme des liens entre eux. Ces liens s’assemblent pour constituer un réseau de liens sur lesquels nous pouvons cheminer. On obtient alors une vue très différente, constituée de « routes » qui relient les parties.
Cette fois il ne s’agit plus de connaître l’effet des choses extérieures sur soi, mais de connaître comment les différents rapports se combinent entre eux. On trouve cela par exemple lors de l’acquisition d’un savoir-faire : lorsque l’on sait nager, on n’est plus à la merci de la rencontre avec la vague, mais on sait composer avec elle pour que l’ensemble donne un résultat. Dans ce genre de connaissance, il n’y a plus d’opposition, mais une compréhension des différentes compositions des rapports. »
Blog de Jean-Michel Cornu.

***

Contrairement à Spinoza pour qui l’étude de la Nature, cause immanente du tissu de toutes relations, était un moyen de comprendre la nature de l’homme afin de dévoiler ce que pouvait être sa recherche du bien véritable, l’écologie moderne exclut en grande partie la question de l’homme. Tout du moins ne l’actualise que trop peu à la lumière des connaissances nouvelles, de sorte qu’elle continue de nourrir bien des imaginaires passés sur sa nature, en ne proposant pas les idées qui permettraient d’en exclure la présence pour reprendre une logique spinoziste. Comme le dit Spinoza, l’esprit n’est pas dans l’erreur parce qu’il imagine, mais en tant seulement qu’il est considéré comme privé de l’idée qui exclut l’existence des choses qu’il imagine présentes.

Il en va ainsi du fumeur qui bien que voyant son paquet vide, vit le manque de la cigarette en tant qu’il a toujours présent à l’esprit l’affection de la nicotine sur son corps, et que cette affection ne correspond dans l’esprit à aucune idée de l’absence de son objet. L’affection de la nicotine restera donc comme présente jusqu’à ce son corps corps soit affecté de l’affection d’un corps extérieur qui exclut l’existence ou la présence de la nicotine (un patch, un bonbon, boire de l’eau, etc.).
Il en va de même pour toute imagination. Redonner un paquet plein au fumeur, nul besoin qu’il le fume pour calmer son manque, la seule vision du paquet assurera à son esprit que cette chose a toujours été présente, et que tout continue à fonctionner business as usual. Il aura même un affect de joie à la vue du paquet, l’idée exluant son absence se trouvant gagner en réalité.
C’est pourquoi l’esprit cherche, désire, s’efforce toujours de s’assurer de la présence de l’objet l’imaginaire tant qu’il n’en n’a pas formé l’idée possible de son absence. Cela simplement pour gagner en puissance de penser (réalité des idées). C’est là tout le schéma de la dépendence aux croyances, de cette recherche répétée de ce qui est imaginé comme présent dans le monde, mais qui ne revèle au final que d’une absence dans l’esprit, d’une fixation imaginaire dans les choses comme les idées. Il en va ainsi de notre analyse des phènomènes. La crise financière sera ainsi imaginée par les uns et les autres comme exprimant la réalité de leurs imaginaires propres, comme révelant enfin la présence au monde de corps qu’ils s’imaginent comme présents (le truand banquier, la brute pollueur, le bon gentil pingouins etc.)
Tant que nous sommes dans l’imagination en tant que telle, nous ne recherchons dans le monde que ce que nous y avons déjà mis à l’avance, à partir de ce que nous avons déjà cru en rencontrer. Ajoutons à celà l’imitation des affects, et nous voilà avec les bases suffisantes au développement de toutes les idéologies. Seule la recherche et la connaissance de son utile propre permettra à l’individu de ne pas tomber dans ce piège (perte d’autonomie ou de connaissance de sa nature, soit de son utile propre).

***

ETHIQUE III

PROPOSITION XVII

Si le corps humain est affecté d’une façon qui enveloppe la nature d’un corps extérieur, l’esprit humain considérera ce corps extérieur comme existant en acte, ou comme présent, jusqu’à ce que le corps soit affecté d’une affection (affectu) qui exclue l’existence ou la présence de ce même corps extérieur.

COROLLAIRE

Si le corps humain a été une fois affecté par des corps extérieurs, l’esprit pourra les considérer comme présents, même s’ils n’existent pas et ne sont pas présents.

SCOLIE

Nous voyons ainsi comment nous pouvons considérer comme présentes, des choses qui ne sont pas, comme il arrive souvent. Et cela peut provenir d’autres causes; mais il me suffit ici d’en avoir montré une seule qui me permette d’expliquer la chose, comme si je l’avais démontré par sa vraie cause. Je ne crois pas cependant m’être écarté beaucoup de la vraie, puisque tous les postulats que j’ai choisis ne contiennent quasi rien qui ne soit établi par l’expérience; et il ne nous est pas permis de douter de l’expérience après avoir montré que le corps humain existe, comme nous le sentons (voir le corollaire après la proposition 13).
En outre (d’après le corollaire précédent et le corollaire 2 de la proposition 16), nous comprenons clairement quelle différence il y a, par exemple, entre l’idée de Pierre qui constitue l’essence de l’esprit de ce Pierre, et l’idée de ce même Pierre qui est dans un autre homme, disons dans Paul. La première, en effet, explique directement l’essence du corps de ce Pierre, et n’enveloppe l’existence qu’aussi longtemps que Pierre existe ; la secondé, au contraire, indique plutôt la constitution du corps de Paul que la nature de Pierre, et ainsi, tant que dure cette constitution du corps de Paul l’esprit de Paul considérera Pierre – même s’il n’existe pas – comme s’il lui était cependant présent.
Aussi bien, pour conserver les termes en usage, les affections du corps humain dont les idées nous représentent les corps extérieurs comme présents, nous les appellerons images des choses 12, quoiqu’elles ne reproduisent pas les figures des choses. Et lorsque l’esprit considère les corps sous ce rapport, nous dirons qu’il imagine.
Et ceci, pour esquisser la théorie de l’erreur, je voudrais que l’on remarque que les imaginations de l’esprit, considérées en soi, ne contiennent pas d’erreur, autrement dit que l’esprit n’est pas dans l’erreur parce qu’il imagine, mais en tant seulement qu’il est considéré comme privé de l’idée qui exclut l’existence des choses qu’il imagine présentes. Car si l’esprit, en imaginant présentes des choses qui n’existent pas, savait en même temps que ces choses n’existent pas réellement, il regarderait cette puissance d’imaginer comme une vertu de sa nature, et non comme un vice ; surtout si cette faculté d’imaginer dépendait de sa nature seule, c’est-à-dire (selon la définition 7, partie I) si la faculté d’imaginer de l’esprit était libre.

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C’est ici que l’apport de Spinoza nous semble avant tout méthodologique. L’homme fait partie de la nature, il convient de le réintégrer au tout en tant que partie spécifique ayant à s’y insérer sans renier sa propre nature, sans devoir l’attrister pour ce faire. L’essence de l’homme est le désir. Rien n’est plus utile à un autre homme que celui vivant sous la conduite de la raison. La raison ? La connaissance adéquate par les causes, c’est-à-dire la connaissance des rapports, des parties communes. Voilà sans doute un joli point de départ, déployer son désir à l’aune de la compréhension des relations affectant l’ensemble des existants. Mais des existants singuliers. Le monde commun n’est pas donné à l’avance, il est fait d’associations de forces singulières qui par expérimentations (rencontres) successives crées ce monde commun là, c’est à dire un équilibre dynamique parmi d’autres possibles.
De l’immanence découle donc l’expérimentation nécéssaire. Et bien qu’ayant tout aussi nécéssairement des effets globaux, celle-ci est locale et vise à l’autonomie de ses parties. Autonomie ou respect des singularités, c’est à dire des nécessités qui suivent de leur nature. Ce qui nous renvoie d’un point de vue très pratique et très actuel à la question des usages de l’eau, de la production des énergies, et ainsi de suite des accès possibles à tel ou tel territoire, tel ou tel environnement, telle ou telle machine.

Vers Bateson …

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   ETHIQUE III

PROPOSITION XVIII

SCOLIE

Par là nous comprenons clairement ce qu’est la Mémoire. Elle n’est, en effet, rien d’autre qu’un certain enchaînement d’idées enveloppant la nature de choses qui sont en dehors du corps humain, enchaînement qui se fait dans l’esprit selon l’ordre et l’enchaînement des affections du corps humain.
Je dis : 1° Que c’est un enchaînement des seules idées qui enveloppent la nature des choses qui sont en dehors du corps humain, mais non des idées qui expliquent la nature de ces choses ; car ce sont en réalité (selon la proposition 16) des idées des affections du corps humain, qui enveloppent autant la nature de celui-ci que celle des corps extérieurs.
Je dis : 2° Que cet enchaînement se fait selon l’ordre et l’enchaînement des affections du corps humain, afin de le distinguer de l’enchaînement des idées qui se fait selon l’ordre de l’entendement ; celui-ci permet à l’esprit de percevoir les choses par leurs causes premières et est le même dans tous les hommes.
Et par la nous comprenons clairement pourquoi l’esprit passe aussitôt de la pensée d’une chose à la pensée d’une autre qui n’a aucune ressemblance avec la première; ainsi, par exemple, de la pensée du mot pomum, un Romain passe aussitôt à la pensée d’un fruit qui n’a aucune ressemblance avec ce son articulé, et qui n’a rien de commun avec lui, sinon que le corps de cet homme a été souvent affecté par ces deux choses, c’est-à-dire que cet homme a souvent entendu le mot pomum pendant qu’il voyait le fruit même. Et ainsi chacun passe d’une pensée à une autre selon la façon dont l’habitude a ordonné les images des choses dans son corps. Un soldat, par exemple, en voyant sur le sable les traces d’un cheval, passera aussitôt de la pensée d’un cheval à la pensée d’un cavalier, et de là à la pensée de la guerre, etc. Mais un paysan passera de la pensée d’un cheval à la pensée d’une charrue, d’un champ, etc. ; et ainsi chacun, suivant son habitude d’enchaîner les images des choses d’une façon ou d’une autre, passera d’une pensée à telle ou à telle autre.

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A la question : « que diable entendez-vous par écologie de l’esprit ? », Bateson répondait : « ce que je veux dire, plus ou moins, c’est le genre de choses qui se passent dans la tête de quelqu’un, dans son comportement et dans ses interactions avec d’autres personnes lorsqu’il escalade ou descend une montagne, lorsqu’il tombe malade ou qu’il va mieux. Toutes ces choses s’entremêlent et forment un réseau [...] On y trouve à la base le principe d’une interdépendance des idées qui agissent les unes sur les autres, qui vivent et qui meurent. [...] Nous arrivons ainsi à l’image d’une sorte  d’enchevêtrement complexe, vivant, fait de luttes et d’entraides, exactement comme sur n’importe quelle montagne avec les arbres, les différentes plantes et les animaux qui y vivent – et qui forment, en fait, une écologie »[2].

Deux époques, des différences incompressibles. Mais deux penseurs des frontières mobiles. Deux penseurs des rapports et des relations. Immanence, conscience limitée, critique de la disjonction substantialiste entre sujet et objet, recomposition des frontières dedans – dehors ou du comment je porte en moi les autres (traces des affections pour l’un, extériorité de l’esprit dans des configurations dynamiques pour l’autre), recherche de la connaissance dans les rapports, etc.
Notre hypothèse sera donc que Bateson réactualise à sa manière, comme construit sur certaines des positions les plus importantes du système spinoziste. En y ajoutant notamment des apports venus de la cybernétique (théorie des systèmes) et la notion des types logiques (théorie des contextes), en traitant l’affectivité du côté de l’erreur (épistemologique) en ce qu’elle relève d’une méconnaissance, d’une mauvaise lecture du réseau des relations du monde duquel notre esprit est immanent.

« La monstrueuse pathologie atomiste que l’on rencontre aux niveaux individuel, familial, national et international – la pathologie du mode de pensée erroné dans lequel nous vivons tous – ne pourra être corrigée, en fin de compte, que par l’extraordinaire découverte des relations qui font la beauté de la nature. » Gregory Bateson.

« L’esprit est un « réseau cybernétique intégré » de propositions, d’images, de processus etc. etc…, réseau lui-même connecté à l’ensemble plus vaste qu’est l’environnement, de sorte que: « l’unité autocorrective qui transmet l’information ou qui, comme on dit, pense,  agit et  décide, est un système dont les limites ne coïncident ni avec celles du corps, ni avec celles de ce qu’on appelle communément soi ou conscience (…) de vastes parties du réseau de la pensée se trouvent situées à l’extérieur du corps. » Gregory Bateson, Vers une écologie de l’esprit, tome1. 

« L’esprit, [système mental], est une fonction nécessaire, inévitable, de la complexité approprié, partout où cette complexité apparaît. Une forêt ou un récif de coraux, avec leurs agrégats d’organismes s’entremêlant dans des relations réciproques, possèdent cette structure générale nécessaire. » Gregory Bateson, Vers une écologie de l’esprit, tome2

« A l’ancienne question de savoir si l’esprit est immanent ou transcendant, nous pouvons désormais répondre avec une certitude considérable en faveur de l’immanence (…) dans aucun système qui fait preuve de caractéristiques « mentales », n’est donc possible qu’une de ses parties exerce un contrôle unilatéral sur l’ensemble. Autrement dit : les caractéristiques « mentales » du système sont immanentes, non à quelque partie, mais au système entier.» Vers une écologie de l’esprit, tome1

« L’observateur appartient au champ même de l’observation et que, d’autre part, l’objet de l’observation n’est jamais une chose, mais toujours un rapport ou une série indéfinie de rapports. » Gregory Bateson.

A suivre …

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ETHIQUE II

PROPOSITION XV

L’idée qui constitue l’être formel de l’esprit humain n’est pas simple, mais composée d’un très grand nombre d’idées.

DÉMONSTRATION

L’idée qui constitue l’être formel de l’esprit humain est l’idée du corps (selon la proposition 13), qui (selon le postulat 1) est composé d’un très grand nombre d’individus eux-mêmes très composés. Or de chaque individu composant le corps, il y a nécessairement l’idée en Dieu (selon le corollaire de la proposition 8). Donc (selon la proposition 7) l’idée du corps humain est composée de ces très nombreuses idées des parties composantes.
C. Q. F. D.

PROPOSITION XVI

L’idée de chacune des façons dont le corps humain est affecté par les corps extérieurs doit envelopper à la fois la nature du corps humain et la nature du corps extérieur.

DEMONSTRATION

En effet, toutes les façons dont un corps est affecté découlent à la fois de la nature du corps affecté et de la nature du corps qui affecte (selon l’axiome 1 après le corollaire du lemme 3); aussi leur idée (selon l’axiome 4, partie I) enveloppera nécessairement la nature de l’un et de l’autre corps ; et par conséquent l’idée de chacune des façons dont le corps humain est affecté par un corps extérieur enveloppe la nature du corps humain et du corps extérieur.
C. Q. F. D.

COROLLAIRE I

Il s’ensuit : 1° Que l’esprit humain perçoit la nature d’un très grand nombre de corps en même temps que la nature de son propre corps.

COROLLAIRE II

Il s’ensuit : 2° Que les idées que nous avons des corps extérieurs indiquent plutôt la constitution de notre corps que la nature des corps extérieurs ; ce que j’ai expliqué par de nombreux exemples dans l’appendice de la première partie.

***

Einstein’s poem to Spinoza’s Ethics

To Spinoza’s Ethic

Wie lieb ich diesen edlen Mann
Mehr als ich mit Worten sagen kann.
Doch fuercht’ ich, dass er bleibt allein
Mit seinem strahlenden Heiligenschein.
So einem armen kleinen Wicht
Den fuehrst Du zu der Freiheit nicht[.]
Der amor dei laesst ihn kalt
Das Leben zieht ihn mit Gewalt[.]

Die Hoehe bringt ihm nichts als Frost
Vernunft ist fuer ihn schale Kost[.]
Besitz und Weib und Ehr’ und Haus
Das fuellt ihn vom oben bis unten aus[.]

Du musst schon guetig mir verzeihn
Wenn hier mir fellt Muenchhausen ein,
Dem als Einzigen das Kunststueck gediehn
Sich am eigenen Zopf aus dem Sumpf zu zieh’n.

Du denkst sein [replaces crossed out: ‘Spinozas'] Beispiel zeigt uns eben
Was diese Lehre den Menschen kann geben[.]
[crossed out original conclusion:
Mein lieben Sohn, was faellt dir ein?
Zum Nachtigall muss man geboren sein!]
Vertraue nicht dem troestlichen Schein:
Zum Erhabenen muss man geboren sein.

To Spinoza’s Ethic

How I love that noble man
More than I can say with words.
Though I’m afraid he’ll have to stay all alone
Him with his shining halo.

Thus a poor little dwarf
Whom you do not lead to Freedom.
Your ‘love of god’ leaves him cold
Life drags him around by force.

The high altitude brings him nothing but frostbite
Reason is stale bread to him.
Wealth & Women and Fame & Family
That’s what fills him up between dawn and dusk.

You must be good enough to forgive me
For I can’t help thinking of Munchhausen just now,
The only one ever to pull off the trick
Of hoisting himself out of the cesspool by his own hair.

You think his [Spinoza's] example shows us
What human teaching has to give.
[My dear son, what's gotten into you?
You have to be born a Nightingale!]
Don’t trust the comforting mirage:
You have to be born to the heights.

Des ponts pour des chaussées : Spinoza pour l’écologie ? (partie 4)

http://www.dailymotion.com/video/k5k6VSWXLVTq1zniEA

« Spinoza dans toute son œuvre ne cesse de dénoncer trois sortes de personnages : l’homme aux passions tristes ; l’homme  qui exploite ses passions tristes, qui a besoin d’elles pour asseoir son pouvoir ; enfin, l’homme qui s’attriste sur la condition humaine et les passions de l’homme en général » 
Spinoza, Philosophie pratique par Gilles Deleuze.
 

***

Faire barrage aux passions tristes

Qui répand la tristesse et pourquoi ? L’écologie, dans sa pratique, c’est-à-dire les gens qu’on y croise et les passions qui les animent, vous donnent souvent à entendre différente formes d’anthropologies simplistes, le plus souvent négatives. C’est bien connu, l’homo-ecologicus fait aussi l’économie de tout excès de pensée. Il faut agir et vite. A vrai dire peut importe les bases de l’action, après tout nous avons tout dépassé, et en premier lieu la politique. Merci aux autres d’avoir fait les conneries à notre place, nous qui parlons aujourd’hui à la place de la Terre. Rien de moins.

Mais si nous cherchions à comprendre à minima les diverses motivations psychologiques susceptibles de nous pousser vers une activité écologique, à pouvoir (en) dire ceci plutôt que cela, comment ne pas être consterné des ressentiments, idées inadéquates, qui se creusent dans le discours moyen ? L’homme imparfait, pêcheur parasite qui saccage tout sur son passage. Heureusement que les bêtes et les herbes sont bien gentilles, car malheureusement nos parents étaient des inconscients dont la nature se vengera à plaisir. Et mieux encore, et ainsi de suite pour tant de poésie dans les discours !
Mais comment en vient-on à pouvoir dire cela ? Par quel genre de connaissance ? Par quels medias ?
Ici, la lecture de Spinoza est un véritable médicament.

***

CHAPITRE XII de l’appendice de l’Ethique IV (Traduction Roland Caillois, Gallimard, 1954)

Il est avant tout utile aux hommes de nouer des relations entre eux, de se forger ces liens qui les rendent plus aptes à constituer tous ensemble un seul tout, et de faire sans restriction ce qui contribue à affermir les amitiés.

CHAPITRE XIII de l’appendice de l’Ethique IV (Traduction Roland Caillois, Gallimard, 1954)

Mais, pour cela, il faut habileté et vigilance. Car les hommes sont divers (ils sont rares, en effet, ceux qui vivent selon les préceptes de la Raison), et cependant envieux pour la plupart, et plus enclins à la vengeance qu’au pardon. Aussi, pour les supporter tous, chacun avec son naturel propre, et se retenir d’imiter leurs sentiments [affect], il faut une singulière puissance d’âme [esprit]. Et ceux qui, au contraire, savent blâmer les hommes et leur reprocher leurs vices plutôt qu’enseigner les vertus, briser les âmes des hommes et non les rendre forts, ceux-là sont insupportables à eux-mêmes et aux autres. C’est pourquoi, beaucoup, à l’âme trop impatiente et animés d’un faux zèle de religion, ont préféré vivre parmi les bêtes que parmi les hommes ; de même des enfants, des jeunes gens, incapables de supporter d’une âme égale les réprimandes de leurs parents, se réfugient dans le métier de soldat et choisissent les inconvénients de la guerre et l’autorité d’un chef de préférence aux avantages de la famille et aux remontrances paternelles, et acceptent n’importe quel fardeau, pourvu qu’ils se vengent de leurs parents.

***

Voilà bien un texte qui n’a malheureusement que trop peu perdu de son actualité, et que de nombreux soldats verts semblent curieusement devoir réactualiser point par point.

Et pourtant ! Quelle bien malheureuse condition nous condamne à ne pouvoir travailler qu’avec et sur le matériel humain. Un matériel qu’il ne s’agit pas de juger dans sa nature, mais bien de comprendre. Celui qui parle, celui qui observe. Quand un Spinoza étudie la Nature, c’est pour montrer que l’homme est Nature, car de l’étude de la Nature naturée, il ne peut tirer qu’une connaissance supplémentaire de sa propre nature. Tout comme l’auteur de ces quelques lignes propose d’avantage un symptôme de ses sélections que la connaissance d’un Spinoza, soyons cohérent. Alors avec quoi l’homme peut et pourquoi il se combine ? Avec quoi et comment il entre en rapport avec pour devenir plus puissant, participe à de nouvelle machines pour déployer son désir.

« L’illusion des valeurs ne fait qu’un avec l’illusion de la conscience: parce que la conscience est essentiellement ignorante, parce qu’elle ignore l’ordre des causes et des lois, des rapports et de leurs compositions, parce qu’elle se contente d’en attendre et d’en recueillir l’effet, elle méconnaît toute la Nature. Or il suffit  de ne, pas comprendre pour moraliser. Il est clair qu’une loi, dès que nous ne la comprenons pas, nous apparaît sous l’espèce morale d’un Il faut. »
Spinoza, Philosophie pratique par Gilles Deleuze.

Une perception de ce qui passe entre les choses

Dans un monde fait de circuits contingents qui s’entremêlent, comment répondre a un problème ici sans en créer un autre là-bas ? Prudence et sagesse dans les compositions et décompositions du tissu de la Nature. Tout en dénonçant la vitesse des techniques, la pensée écologique moyenne réclame l’urgence, tout comme autrefois il y avait urgence à paver les routes. Il ne suffit pas de vouloir (libre décret) faire autrement que ses parents. L’enfer est pavé de bonnes intentions comme dit la maxime des biocarburants. Planter des arbres participe ici à la reconduction d’un équilibre, là-bas, à l’accentuation d’un déséquilibre. A une autre échelle de temps et d’espace, en fonction de boucles entrelacées de rétroactions qui débordent très largement la capacité d’analyse de nos modèles, sans même parler de notre conscience. Heureusement que nous avons les machines à calcul pour calculer. De tout cela découle surtout l’impérieuse nécessité de l’expérimentation à petite échelle, et quoi qu’il en soit, de l’agir local à partir de notions communes.

De la pensée de Spinoza nous parvient aujourd’hui un autre point très important. La valeur que nous portons à telle ou telle chose n’est pas tant dans la chose elle-même que dans les relations dont nous sommes capables avec cette chose. De quels affects sommes-nous capable dans telle ou telle rencontre ? Gagner en puissance, c’est gagner en capacité d’affect, c’est-à-dire en capacité de lecture et d’écriture des intensités du monde, pour de nouvelles idées, de nouvelles perspectives, et donc pratiques et usages. Nul besoin de multiplier la consommation d’objets, ce sont les rapports avec ces mêmes objets qu’il convient de multiplier et de faire cohabiter. Cohabitation des usages et des pratiques, soit une possible définition de l’écologie au sens large.

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http://www.dailymotion.com/video/k7GJ9bO6wxCDWOymWu

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L’écologie est un chemin qui passe par l’éveil d’une conscience individuelle, une micropolitique de soi dont l’action collective demeure cependant la référence en acte. Ce qui importe, c’est bien de pouvoir donner au plus grand nombre d’individus possibles l’accès aux territoires, aux machines, aux ressources et matières qui leur permettront de réaliser leur utile propre, de pouvoir s’affirmer, c’est à dire de déployer leur joie. L’important c’est de nourrir à sa façon le terreau collectif dans lequel tout un chacun pousse et puise sa nourriture. De ce qu’il gagne, nous gagnons. C’est donc aussi s’assurer de la diversité des images et des représentations, comme de l’accès aux territoires et aux matières (eau, air, …).

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http://www.dailymotion.com/video/k3vMBZnoOe4fnymiHh

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Eveil de la conscience individuelle et nourriture du terreau collectif sur un chemin parallèle, mais pas uniquement par la connaissance des phénomènes, que celle-ci soit d’ailleurs mutilée ou pas. La trajectoire de la sagesse se distingue de celle du savoir. Ou chez Spinoza, cette alchimie de la transformation de la connaissance en affect actif pour un devenir cause de soi. La connaissance seule ne suffit pas, seul un désir peut vaincre un autre désir.
Alors comment participer à créer un désir d’écologie ? Surement pas en multipliant ad libitum les peurs et angoisses, mais dès maintenant, une fois la prise de conscience d’un changement validée dans et par les medias, par l’incitation à l’expérimentation, à la recombinaison individuelle des différents savoirs que l’écologie englobe. Expérimentation et durabilité marchent main dans la main.

La question du mal

S’il n’y a pas de mal à manger de la viande en soi, à couper un arbre en soi, et ainsi de suite, se pose malgré tout la question du du mal ou de l’excès dans un tel système. Après tout l’utile propre de tel individu peut bien être de couper des arbres, tuer les vaches à coup de pied et ainsi soit-il. De l’utile propre, on pourrait déjà dire que voilà bien exprimé la nécessité de ne pas en rester à une seule morale du tu ne dois pas. Seulement, où celui-ci s’arrête-t-il ? Deleuze nous apporte ici un éclairage assez décisif.

«  Qu’est-ce qui est positif ou bon dans l’acte de frapper, demande Spinoza[1] ? C’est que cet acte (lever le bras, serrer le poing, agir avec vitesse et force) exprime un pouvoir de mon corps, ce que mon corps peut sous un certain rapport. Qu’est-ce qui est mauvais dans cet acte ? Le mauvais apparaît lorsque cet acte est associé à l’image d’une chose dont le rapport est par là même décomposé (je tue quelqu’un en le frappant). Le même acte aurait été bon s’il avait été associé à l’image d’une chose dont le rapport se serait composé avec le sien (par exemple, battre du fer). Ce qui veut dire qu’un acte est mauvais chaque fois qu’il décompose directement un rapport, tandis qu’il est bon lorsqu’il compose directement son rapport avec d’autres rapports[2]. On objecte que, de toute manière, il y a à la fois composition et décomposition, décomposition de certains rapports et composition de certains autres. Mais, ce qui compte, c’est de savoir si l’acte est associé à l’image d’une chose en tant que composable avec lui, ou au contraire en tant que décomposée par lui. Revenons aux deux matricides : Oreste tue Clytemnestre, mais celle-ci a tué Agamemnon, son mari, le père d’Oreste ; si bien que l’acte d’Oreste est précisément et directement associé à l’image d’Agamemnon, au rapport caractéristique d’Agamemnon comme vérité éternelle avec laquelle il se compose. Tandis que, quand Néron tue Agrippine, son acte n’est associé qu’à cette image de mère qu’il décompose directement. C’est en ce sens qu’il se montre « ingrat, impitoyable et insoumis ». De même, quand je donne un coup  » avec colère ou haine », je joins mon action à une image de chose qui ne se compose plus avec elle, mais au contraire est décomposée par elle. Bref, il y a certainement une distinction du vice et de la vertu, de la mauvaise et de la bonne action. Mais cette distinction ne porte pas sur l’acte même ou son image (aucune action considérée en soi seule n’est bonne ou mauvaise). Elle ne porte pas davantage sur l’intention, c’est-à-dire sur l’image des conséquences de l’action. Elle porte uniquement sur la détermination, c’est-à-dire sur l’image de chose à laquelle est associée l’image de l’acte, ou plus exactement sur la relation de deux rapports, l’image de l’acte sous son propre rapport et l’image de chose sous le sien. L’acte est-il associé à une image de chose dont il décompose le rapport, ou avec laquelle il compose son propre rapport ?
Si c’est bien là le point de distinction, on comprend en quel sens le mal n’est rien. Car, du point de vue de la nature ou de Dieu, il y a toujours des rapports qui se composent, et il n’y a rien d’autre que des rapports qui se composent suivant des lois éternelles. Chaque fois qu’une idée est adéquate, elle saisit précisément deux corps au moins, le mien et un autre, sous l’aspect d’après lequel ils composent leurs rapports (« notion commune »). Au contraire, il n’y a pas d’idée adéquate de corps qui disconviennent, pas d’idée adéquate d’un corps qui disconvient avec le mien, en tant qu’il disconvient. C’est en ce sens que le mal, ou plutôt le mauvais, n’existent que dans l’idée inadéquate et dans les affections de tristesse qui en découlent (haine, colère, etc
[3]). »
Spinoza, Philosophie pratique par Gilles Deleuze.

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Libéré des passions imaginaires, l’homme raisonnable comprend que rien ne lui est plus utile que l’homme vivant sous la conduite de la raison. Il ne peut donc vouloir la destruction de ses moyens de reproduction et de croissance, comme il ne peut vouloir l’excès de ses propres passions. Gagner en puissance, oui, mais sûrement pas en détruisant les rapports, les relations, les flux qui constituent le support de son existence. Les idées adéquates source de joie sont en elles-mêmes la compréhension du commun entre les corps dans leurs rapports.

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ETHIQUE V, PROPOSITION III

SCOLIE

Puisqu’il n’y a rien d’où ne suive quelque effet (selon proposition 36, partie I), et que tout ce qui suit d’une idée qui est adéquate en nous, nous le comprenons clairement et distinctement (selon la proposition 40, partie II), chacun a le pouvoir de se comprendre, soi-même et ses sentiments, clairement et distinctement, sinon absolument, du moins en partie, et par conséquent de faire qu’il soit moins passif dans ces sentiments. C’est donc à cela surtout que nous devons apporter nos soins, à connaître chaque sentiment, autant qu’il est possible, clairement et distinctement, afin qu’ainsi l’esprit soit déterminé par le sentiment à penser ce qu’il perçoit clairement et distinctement et en quoi il trouve pleine satisfaction ; et par conséquent, afin que le sentiment même soit séparé de la pensée d’une cause extérieure et associé à des pensées vraies. Alors non seulement l’amour, la haine, etc., seront détruits (selon la proposition 2), mais aussi l’appétit ou les désirs, qui naissent d’ordinaire d’un tel sentiment, ne pourront plus être excessifs (selon la proposition 61, partie IV). Il faut, en effet, remarquer, avant tout, qu’il n’y a qu’un seul et même appétit qui fait que l’on dit l’homme actif aussi bien que passif. Par exemple, nous avons montré que la nature humaine est disposée de telle sorte que chacun désire (appétit) que les autres vivent selon son naturel propre (voir le scolie de la proposition 31, partie III). Or cet appétit, cher un homme qui n’est pas conduit par la Raison, est une passion, qu’on appelle l’ambition et qui ne diffère pas beaucoup de l’orgueil. Au contraire, chez un homme qui vit selon le commandement de la Raison, c’est une action ou (seu) une vertu, qu’on appelle moralité (pietas) (voir le scolie 1 de la proposition 37, partie IV, et la seconde démonstration de cette même proposition). Et ainsi tous les appétits ou désirs sont des passions dans la seule mesure où ils naissent d’idées inadéquates, et ils sont assimilés à la vertu quand ils sont provoqués ou engendrés par des idées adéquates. Car tous les désirs par lesquels nous sommes détermines à faire quelque chose peuvent naître aussi bien d’idées adéquates que d’idées inadéquates (voir la proposition 59, partie IV). Et (pour en` revenir à mon point de départ), en dehors de ce remède aux sentiments, qui consiste dans leur connaissance vraie, on n’en peut concevoir aucun autre qui soit supérieur et dépende de notre pouvoir, puisqu’il n’y a aucune autre puissance de l’esprit que celle de penser et former des idées adéquates, comme nous l’avons montré plus haut selon la proposition 3, partie III).

Suite.

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Une combinaison avec Bergson ? Deleuze en passeur … vers un Bateson ?
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[1] Ethique, IV, 59, sc.

[2] Sur « direct » et « indirect », Ethique, IV, 63, cor. et sc.

[3] Ethique, IV, 64.

Des ponts pour des chaussées : Spinoza pour l’écologie ? (partie 3)

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Retour sur les affects

Des notes précédentes, nous voilà donc avec un homme dans la Nature en tant que partie spécifique non suffisante à elle-même, et par là-même déterminée à agir ou pâtir selon des lois de composition et de décomposition de la Nature. Tel corps est ainsi déterminé à agir par tel autre dans l’Etendue, telle idée est déterminée par telle autre dans la Pensée, et ainsi s’enchainent les modes par causalité successives, cela de manière parallèle dans chaque attribut.

L’homme ne vivant pas dans une cloche sous vide, son corps se combine avec les corps qu’il rencontre dans la Nature, de sorte que sa puissance d’agir ne cesse d’être entièrement remplie des affections du dehors, sa puissance de penser, des idées plus ou moins adéquates qu’il se fait de ces mêmes affections.

Tout en sachant que Spinoza ne parle pas de force autrement que de la force du désir, des passions etc., c’est-à-dire au sens d’un degré d’intensité, du rapport de puissance entre la cause extérieure et ma puissance qui détermine la force de ma passion, on trouve peut-être une variation nietzschéenne de cette proposition combinatoire d’un homme en devenir, aux frontières mobiles dans la mesure où il ne se suffit pas à lui-même, notamment chez un Deleuze commentant Foucault à propos du thème de la mort de l’homme.

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« [...] c’est que les forces de l’homme ne suffisent pas à elles seules à constituer une forme dominante où l’homme peut se loger. II faut que les forces de l’homme (avoir un entendement, une volonté, une imagination, etc.) se combinent avec d’autres forces [...] »
Deleuze, Pourparlers.

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Pour revenir plus directement à Spinoza, l’homme ne cesse donc de rencontrer d’autres corps dont les effets s’inscrivent (intensités) sur le sien, les affections, de sorte que de l’idée qu’il se forme de celles-ci, il devient plus ou moins capable ou incapable selon que ces rencontres se composent tantôt avec son corps (affect de joie du gain de puissance), ou le décompose (affect de tristesse de la perte de puissance).

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« (…) lorsque nous rencontrons un corps extérieur qui ne convient pas avec le nôtre (c’est-à-dire dont le rapport ne se compose pas avec le nôtre), tout se passe comme si la puissance de ce corps s’opposait à notre puissance, opérant une soustraction, une fixation : on dit que notre puissance d’agir est diminuée ou empêchée, et que les passions correspondantes sont de tristesse. Au contraire, lorsque nous rencontrons un corps qui convient avec notre nature, et dont le rapport se compose avec le nôtre, on dirait que sa puissance s’additionne à la nôtre: les passions qui nous affectent sont de joie, notre puissance d’agir est augmentée ou aidée. Cette joie est encore une passion, puisqu’elle a une cause extérieure ; nous restons encore séparés de notre puissance d’agir, nous ne la possédons pas formellement. Cette puissance d’agir n’en est pas moins augmentée proportionnellement, nous nous « rapprochons » du point de conversion, du point de transmutation qui nous en rendra maître, et par là dignes d’action, de joies actives[1]. »
Spinoza, Philosophie pratique par Gilles Deleuze.

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Pour se représenter les choses plus auditivement parlant, peut-être est-il possible de proposer ceci. L’insertion dans une combinaison, affections et inscriptions dont tel ou tel corps est capable dans une machine à x corps, celle-ci s’exprime dans l’esprit par un affect. Un affect, c’est-à-dire le sentiment qu’enveloppe l’idée de l’affection du corps extérieur sur le mien. C’est-à-dire la musique qui nous alerte qu’une conscience est en train de naître, une conscience de la transition entre deux états intensifs du corps, précisément du fait d’une ou x connexions et inscriptions. L’affect ou le sentiment conscient d’une transition vécue entre plusieurs inscriptions, impressions d’un corps extérieur sur le mien.

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« (…) comme les affections ne sont pas séparables d’un mouvement par lequel elles nous font passer à une perfection plus grande ou moindre (joie et tristesse), suivant que la chose rencontrée se compose avec nous, ou bien au contraire tend à nous décomposer, la conscience apparaît comme le sentiment d’un tel passage, du plus au moins, du moins au plus, témoin des variations et déterminations du conatus en fonction des autres corps ou des autres idées. L’objet qui convient avec ma nature me détermine à former une totalité supérieure qui nous comprend, lui-même et moi. Celui qui ne me convient pas compromet ma cohésion, et tend à me diviser en sous-ensembles qui, à la limite, entrent sous des rapports inconciliables avec mon rapport constitutif (mort). La conscience est comme le passage, ou plutôt le sentiment du passage de ces totalités moins puissantes à des totalités plus puissantes, et inversement. Elle est purement transitive. Mais elle n’est pas une propriété du Tout, ni d’aucun tout en particulier; elle n’a qu’une valeur d’information, et encore d’une information nécessairement confuse et mutilée. »
Spinoza, Philosophie pratique par Gilles Deleuze.

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De cette conscience transitive et partielle, voir le cinéma de Lynch pour illustration. Là où il y a toujours une musique qui flotte dans l’air. La variation intensive des lumières ou des sons quand tel ou tel personnage se connecte à un autre monde, à une autre machine, où à l’être dont nous pourrions être fonction comme le dit Nietzsche.

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« (…) la conscience n’apparaît d’habitude que lorsque le tout veut se subordonner à un tout supérieur, elle est d’abord la conscience de ce tout supérieur, de la réalité extérieure au moi ; la conscience naît par rapport à l’être dont nous pourrions être fonction, elle est le moyen de nous y incorporer. »
Nietzche, cité sans source dans Spinoza, Philosophie pratique par Gilles Deleuze, p. 33, Ed de Minuit.

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Mais voir également n’importe quelle transition sonore entre deux plans cinématographique. Voir aussi le concept de ritournelle tel que développé par Deleuze et Guattari en lien avec le processus de déterritorialisation. Quand tel ou tel individu change de territoire, et donc la nature de ses branchements, quelles musiques chante-t-il ?

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La communauté des hommes raisonnables

L’Ethique de Spinoza consistera donc à atteindre à la compréhension de sa nature, c’est-à-dire à la compréhension intuitive de la relation de cette partie spécifique qu’est l’homme au tout de la Nature. Nous faisons partis d’un tout, mais nous avons à construire cette partie, ce qui ne contredira pas le tout. L’autonomie des parties dans un tout, le degré de liberté des composants d’un système complexe, des questions que pose l’écologie moderne en bonne fille de la biologie et de la cybernétique.

On comprend donc que l’objectif de Spinoza ne peut être la cherche d’une quelconque fusion de l’homme, mode fini et partie de la Nature, dans le tout unique qu’elle constitue. Il s’agit d’une insertion, de la compréhension intuitive de l’intégration du mode fini dans l’attribut, corps dans l’Etendue, idées dans la Pensée. Je forme alors des idées adéquates, j’accède à des joies actives, c’est-à-dire à l’amour (joie accompagnée de l’idée d’une cause extérieure) de soi pour soi-même, c’est-à-dire à l’amour de la Nature (dont je suis partie) pour elle-même. Un amour dont nous dit Spinoza qu’il est entretenu en nous avec d’autant plus de force que nous nous représentons un plus grand nombre d’hommes comme unis avec la Nature dans de ce même lien d’amour.

Ici, point de communauté de destin entre les différents existants. Hommes, animaux, plantes vertes différent non en ce qu’ils sont fait de la même Nature, mais en tant que modification de cette Nature (mode fini), par leur degré de puissance sur une échelle quantitative des êtres. Selon leurs rapports constitutifs, rapports de vitesses et lenteurs entre les particules qui composent leurs corps, ils ne sont pas capable des mêmes actions et passions, et n’ont pas ainsi les mêmes utiles propres. L’apparition de propriétés et de fonctions nouvelles se fait ici par combinaison de puissance entre des éléments de même Nature, combinaison dont les nouvelles capacités à affecter et être affecté font apparaître des puissances nouvelles.
Konrad Lorentz disait que chaque étape de l’évolution faisait apparaître quelque chose qui n’avait jamais été et engendrait donc une différence de nature. Chez Spinoza, l’idée de toute chose existe de toute éternité dans la Nature. Dès lors il n’y a juste que des actualisations de combinaisons de puissance sur une échelle quantitative, sans différence de Nature, mais produisant des natures caractéristiques (le corps humain par exemple). Dans ce qui nous apparaît à nous comme l’émergence de puissances nouvelles, un tout peut davantage que ses parties réunies.

Découle de ces différences de degré de puissance entre les existants que l’homme ne vit jamais mieux que dans le monde des hommes avec lesquels il partage les capacités d’affection comme le pouvoir de former des idées de ses idées. Une collectivité humaine qu’il perçoit d’abord comme le résultat des effets des autres corps et idées sur le sien et les siennes, mais une collectivité où il peut trouver les meilleurs nourritures, ses meilleures convenances, les jeux de puissances combinatoires qui lui permettront de découvrir et d’exercer son utile propre : ce qui est bon pour lui en fonction de sa puissance, des affects dont il est capable.

« (…) De toute manière, il y a toujours des rapports qui se composent dans leur ordre, conformément aux lois éternelles de la nature entière. Il n’y a pas de Bien ni de Mal, mais il y a du bon et du mauvais.
(…) Le bon, c’est lorsqu’un corps compose directement son rapport avec le nôtre, et, de tout ou partie de sa puissance, augmente la nôtre. Par exemple, un aliment. Le mauvais pour nous, c’est lorsqu’un corps décompose le rapport du nôtre, bien qu’il se compose encore avec nos parties, mais sous d’autres rapports que ceux qui correspondent à notre essence : tel un poison qui décompose le sang. Bon et mauvais ont donc un premier sens, objectif, mais relatif et partiel : ce qui convient avec notre nature, ce qui ne convient pas. Et, par voie de conséquence, bon et mauvais ont un second sens, subjectif et modal, qualifiant deux types, deux modes d’existence de l’homme : sera dit bon (ou libre, ou raisonnable, ou fort) celui qui s’efforce, autant qu’il est en lui, d’organiser les rencontres, de s’unir à ce qui convient avec sa nature, de composer son rapport avec des rapports combinable et, par là, d’augmenter sa puissance. Car la bonté est affaire de dynamisme, de puissance, et de composition de puissances. Sera dit mauvais, ou esclave, ou faible, ou insensé, celui qui vit au hasard des rencontres, se contente d’en subir les effets, quitte à gémir et à accuser chaque fois que l’effet subi se montre contraire et lui révèle sa propre impuissance (…) » 
Spinoza, Philosophie pratique par Gilles Deleuze.

Nuançons, car l’homme peut tout aussi bien être le pire des ennemis pour l’homme. Une bien mauvaise combinaison. Spinoza dit ainsi que rien n’est plus utile à l’homme qu’un autre homme vivant sous la conduite de la raison. La raison ? L’homme ne naît pas raisonnable, il le devient. Il le devient en apprenant à sélectionner et organiser ses bonnes rencontres dans la Nature, celles qui conviennent à sa nature (utile propre) et lui procurent de la joie (gain de puissance d’agir et de penser).

A partir de là, reste pour lui à comprendre les rapports qui entrent en jeu dans cette composition joyeuse. Une joie n’est pas encore une action ou affect actif. Elle le deviendra quand l’individu comprendra ce qu’il y a de commun entre son corps et ce corps extérieur qui l’affecte de joie. Ce que Spinoza appelle notion commune, ou second genre de connaissance, c’est-à-dire la connaissance des rapports ou des causes. D’un tel raisonnement sur une notion commune, il pourra alors déduire d’autres rapports à partir desquels il sera capable d’éprouver de nouveaux sentiments actifs. Les sentiments ou affects actifs naissent donc d’une raison qui est d’abord sélection.

Mais l’objectif, c’est bien d’éprouver des affects actifs. La connaissance seule ne suffit pas. Je peux voir le bon et continuer à faire le pire tant que je suis fixée dans des images, des affects qui ne conviennent pas à ma nature et qui viennent diminuer ou empêcher ma puissance. Or Spinoza nous dit que seul un désir peut vaincre un autre désir. La connaissance intellectuelle seule ne peut venir à bout d’une fixation dans un affect et son imagerie.

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PROPOSITION XXI, ETHIQUE IV

« Personne ne peut désirer être heureux, bien agir et bien vivre, s’il ne désire en même temps être, agir et vivre, c’est-à-dire exister en acte (actu). »

C’est là toute la nécessite de l’activation désirante des connaissances que nous prenons du monde, cet art ou cette alchimie spinoziste de la transformation d’une connaissance en affect actif. Tout commence par désirer sortir de la tristesse née des idées inadéquates pour chasser les faux désirs qui en découlent. Seul un désir peut vaincre un autre désir. A partir delà, je pourrais former des joies locales (sur une notion commune) afin de gagner en puissance. Dès lors il conviendra de surfer dessus et de contaminer mon corps et mon esprit par la joie.

Scolie, Proposition XVIII, Ethique IV

(…) la Raison ne demande rien contre la Nature; elle demande donc que chacun s’aime soi-même, qu’il cherche l’utile qui est sien (suum utile), c’est-à-dire ce qui lui est réellement utile, et qu’il désire (appetat) tout ce qui conduit réellement l’homme à une plus grande perfection ; et, absolument parlant, que chacun s’efforce, selon sa puissance d’être, de conserver son être. Et cela est vrai aussi nécessairement qu’il est vrai que le tout est plus grand que sa partie (voir la proposition 4, partie III).
Ensuite, puisque la vertu (selon la définition 8 ) n’est rien d’autre qu’agir selon les lois de sa propre nature, et que personne (selon la proposition 7, partie III) ne s’efforce de conserver son être, sinon selon les lois de sa propre nature, il suit de là :
1° Que le fondement de la vertu est l’effort même pour conserver son être propre, et que le bonheur consiste pour l’homme à pouvoir conserver son être ;
2° Que la vertu doit être désirée (appetendam) pour elle-même, et qu’il n’y a rien qui l’emporte sur elle ou qui nous soit plus utile, ce pourquoi on devrait la désirer;
3° Enfin, que ceux qui se donnent la mort ont l’âme impuissante et sont entièrement vaincus par des causes extérieures qui sont contraires à leur propre nature.
De plus, il résulte du postulat 4 de la deuxième partie qu’il nous est impossible de n’avoir besoin de rien d’extérieur nous pour conserver notre être et de vivre de façon à n’avoir aucun commerce avec les choses qui sont hors de nous. Et si, en outre, nous considérons notre esprit, notre entendement serait certes plus imparfait si l’esprit était seul et ne comprenait rien que lui-même. Beaucoup de choses existent donc hors de nous qui nous sont utiles et qu’il faut désirer pour cette raison. Parmi elles, on n’en peut trouver de meilleures que celles qui s’accordent (conveniunt) tout à fait avec notre nature. En effet, si, par exemple, deux individus tout à fait de même nature sont unis l’un à l’autre, ils composent un individu deux fois plus puissant que chacun d’eux en particulier. A l’homme, rien de plus utile que l’homme ; les hommes, dis-je, ne peuvent rien souhaiter de supérieur pour conserver leur être que d’être tous d’accord en toutes choses, de façon que les esprits et les corps de tous composent pour ainsi dire un seul esprit et un seul corps, et qu’ils s’efforcent tous en même temps, autant qu’ils peuvent, de conserver leur être, et qu’ils cherchent tous en même temps ce qui est utile à tous. D’où suit que les hommes qui sont gouvernés par la Raison, c’est-à-dire les hommes qui cherchent sous la conduite de la Raison ce qui leur est utile, ne désirent (appetere) rien pour eux-mêmes qu’ils ne désirent (cupiant) pour les autres hommes, et par conséquent sont justes, de bonne foi (fidos) et honnêtes.
Tels sont les commandements de la Raison que je m’étais proposé de montrer ici en peu de mots, avant de commencer à les démontrer selon une méthode plus développée. Et j’ai ainsi procédé afin de capter, si possible, l’attention de ceux qui croient que ce principe – que chacun est tenu de chercher l’utile qui est sien – est le fondement de l’immoralité (impietas), et non celui de la vertu et de la moralité (pietas). Donc, après avoir montré brièvement que c’est le contraire, je continue ma démonstration par la même voie que nous avons suivie jusqu’ici. 

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L’Ethique de Spinoza est donc un chemin individuel qui consiste dans un premier temps à lutter contre les passions tristes pour découvrir son utile propre. Mais ce chemin individuel est comme encadré en ces deux extrémités temporelles par le collectif. Tout d’abord parce que l’individu pousse dans le terreau du collectif, y puise ses nourritures et ses poisons, mais également parce qu’une fois que tel ou tel individu accède à de vraie joies, c’est tout ce terreau du collectif qu’il contribue à nourrir ou faire pousser en retour. Les tristesses s’imitent et s’additionnent dans la soustraction, les joies donnent à comprendre et s’additionnent dans les puissances, alors tout pousse et gagne en puissance de concert. La distinction entre l’individu et le collectif s’efface. Elle est ici à rapprocher du parallélisme plus que de la causalité, à l’image de l’arbre et de la forêt. Il n’y a pas dichotomie entre éthique individuelle d’un côté et morale collective de l’autre.

L’arbre est une configuration d’interactions appropriée aux conditions de vie de la forêt, elle-même association d’arbres dont les interactions produisent leur lieu de vie qu’est la forêt.
L’homme est une configuration d’interactions appropriée aux conditions de vie de la société humaine, elle-même association d’homme dont les interactions produisent leur lieu de vie qu’est la société humaine.

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«  (…) chez Spinoza (…) l’aliénation ne se laisse pas penser comme un écart à une origine perdue, comme un écart à soi, mais par l’incorporation d’une puissance extérieure due à l’activité même du désir qui contribue à distraire l’individu de la recherche de son utile propre. L’imitation des affects est le concept clé qui, chez Spinoza, rend compte de cette contrariété par laquelle chacun se fait impuissant (…) 
La vie commune est une construction des sujets dans laquelle prennent sens les expériences de chacun, elle n’est pas simplement une coopération, mais un effort collectif. C’est le principe d’imitation des affects qui permet aux individus tout en affirmant leur ingenium propre de composer un ingenium collectif. L’action collective précède donc l’action individuelle, non en la causant, mais en constituant constamment sa référence en acte. »
Pascal et Spinoza – Pensée du contraste : de la géométrie du hasard à la nécessité de la liberté par Laurent BOVE, Gérard BRAS, Éric MÉCHOULAN. Extraits de la préface de l’ouvrage : L’Ethique, un chemin d’éveil individuel dont la dont l’action collective demeure la référence en acte. On notera ici le rôle donné à l’exemplarité et de l’expérimentation par rapport à la prescription.

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PROPOSITION XXVII, ETHIQUE III

SCOLIE

Si nous imaginons qu’une chose semblable à nous et pour laquelle nous n’avons éprouvé aucun sentiment [affect] est affectée de quelque sentiment [affect], nous sommes par cela même affectés d’un sentiment semblable.

DÉMONSTRATION

Les images des choses sont des affections (affectiones) du corps humain, dont les idées nous représentent les corps extérieurs comme étant présents (selon le scolie  de la proposition 17, partie II), c’est-à-dire (selon la proposition 16, partie II) dont les idées enveloppent à la fois la nature de notre corps et la nature présente d’un corps extérieur. Si donc la nature d’un corps extérieur est semblable à la nature de notre corps, l’idée du corps extérieur que nous imaginons enveloppera une affection de notre corps semblable à l’affection du corps extérieur; et par conséquent, si nous imaginons quelqu’un de semblable à nous comme affecté de quelque sentiment, cette imagination exprimera une affection de notre corps semblable à ce sentiment ; et par suite le fait d’imaginer qu’une chose semblable à nous est affectée de quelque sentiment, nous affecte avec elle d’un sentiment semblable. Si nous haïssons une chose semblable à nous, dans la même mesure (selon la proposition 23) nous serons affectés avec elle d’un sentiment contraire, et non pas semblable. C. Q. F. D.

SCOLIE

Cette imitation  des sentiments [affect] quand elle concerne la Tristesse, s’appelle Pitié (au sujet de laquelle voir le scolie dg la proposition 22) ; mais, si elle concerne le Désir, elle s’appelle Émulation, qui donc n’est rien d’autre que le Désir d’une chose qui naît en nous parce que nous imaginons que d’autres êtres semblables à nous ont le même Désir.

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Retenons à ce stade que la joie additionne, et que la tristesse soustrait. Or l’endroit le plus propice à la joie est la citée, la communauté des hommes pour peut que celle-ci soit animée par la raison du plus grand nombre, c’est-à-dire par des individus qui savent sélectionner leurs rencontres.

Ce n’est donc pas en voulant fusionner ou se refugier avec les plantes et les animaux que l’homme pourra déployer réellement son désir. Tout comme ce n’est pas en propageant craintes et angoisses aux hommes que ceux-ci pourront gagner en autonomie, s’approprier les connaissances et accéder à de vraies joies.
Voilà bien un dernier point qui se devrait d’être méditer par les professionnels de la communication, de l’éducation et de la sensibilisation à l’écologie et autres environnements. Affliger de tristesse, c’est rendre impuissant à agir, corps et esprit.  

Suite.

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http://www.dailymotion.com/video/k6ZsVhXvEwm5fcm6SL



[1] Sur les deux sortes de passions, cf. Ethique, III, définition générale des sentiments.

Des ponts pour des chaussées : Spinoza pour l’écologie ? (partie 2)

http://www.dailymotion.com/video/k4cuscFpd2zwv9wAn9 «  L’expérience nous apprend assez qu’il n’est rien dont les hommes soient moins capables que de modérer leurs passions, et que, souvent, aux prises avec des passions contraires, ils voient le meilleur et font le pire : ils se croient libres cependant, et cela parce qu’ils n’ont pour un objet qu’une faible passion, à laquelle ils peuvent facilement s’opposer par le fréquent rappel du souvenir d’un autre objet. »
Correspondance, Spinoza à G.H. Schuller.

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La Nature

Suite aux quelques propos liminaires de la note précédente, rentrons maintenant un peu plus en avant dans la pensée du philosophe pour éviter tant que possible trop de confusion. La Nature  pour Spinoza n’a pas grand-chose à voir avec ce que nous appelons aujourd’hui très communément nature, à savoir ce reliquat du monde où ne sont pas les hommes et leurs techniques.

La Nature de Spinoza, celle-ci est une et unique. Il n’y a rien derrière, elle est sa propre cause, la cause de tout existant (table, pierre, éléphant, etc.). L’homme étant fait de cette Nature, on notera donc tout de suite que la différence entre l’artificiel et le naturel ne peut faire sens pour Spinoza, tout se composant et se décomposant sur le seul et unique plan d’immanence qu’est la Nature.

Sur un tel plan d’immanence, un corps constitué est aussi bien une langue, un cheval, un autobus, une société humaine, etc., soit des ensembles de parties qui se combinent sous un certain rapport.
C’est-à-dire des agencements de parties plus où moins autonomes, branchements qui forment des compositions plus ou moins durables en fonction de la puissance de l’ensemble dans ses rencontres sur le plan de Nature.
Soit quelque chose d’assez proche de ce que nous avions appelé des machines. Captures partielles de code des parties, mise en commun, articulations entre des vitesses et lenteurs, des capacités d’affecter et d’être affecté qui forment dans ce cas un tout dont la puissance est supérieure à celle de ses parties.
Sur cette notion de machine, idée qui n’est pas exprimée de la sorte chez Spinoza, les propos de Samuel Butler semblent pouvoir cependant éclairer notre représentation d’un tel plan de composition.

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« Chacun de nous est sorti d’animalcules indéfiniment petits dont l’identité était entièrement distincte de la notre ; et qui font partis de notre système reproducteur ; pourquoi ne ferions-nous pas partie de celui des machines ? Ce qui nous trompe c’est que nous considérons toute machine compliquée comme un objet unique. En réalité, c’est une cité ou une société dont chaque membre est procrée directement selon son espèce. Nous voyons une machine comme un tout, nous lui donnons un nom et l’individualisons ; nous regardons nos propres membres et nous pensons que leur combinaison forme un individu qui est sorti d’un unique centre d’action reproductrice. Mais cette conclusion est anti-scientifique, et le simple fait qu’une machine à vapeur n’a été faite par une autre ou par deux autres machines de sa propre espèce ne nous autorise nullement à dire que les machines à vapeur n’ont pas de système reproducteur. En réalité, chaque partie de quelque machine à vapeur que ce soit est procrée par ses procréateurs particuliers et spéciaux, dont la fonction est de procréer cette partie là, et celle-là seule, tandis que la combinaison des partie en un tout forme un autre département du système reproducteur mécanique … » Samuel Butler « le livre des machines » citation extraite de l’Anti-Œdipe par Deleuze (:) Guattari.

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Ces incessantes combinaisons entre particules pourraient également nous faire penser à une certaine chimie, celle des cycles de transformation des matières comme l’azote ou le carbone par exemple. Mais tout comme il n’y a pas de notion de machines, il n’y a pas plus de notion explicite de cycle chez Spinoza. Sauf peut-être pour les particules libres qui passent d’un corps constitué à un autre, d’un rapport à un autre.

Retenons donc que les corps composés (air, arbres, hommes, …) s’efforcent de s’approprier des particules sous leurs propres rapports. L’air capture le carbone sous la forme de CO2, l’arbre sous la forme de matière organique (cellulose, …), les sols et les eaux sous la forme de sédiments (calcaires, …) et ainsi de suite. Il n’y a pas ici de cycle à proprement parler, mais accroissement dynamique des puissances. Les corps composés capturent en fonction de leur puissance, se combinent dans la limite de leur puissance, afin d’augmenter leur puissance.

Au niveau de ces corps, nous avons donc comme une science spinoziste des poisons et des nourritures. Le corps arsenic détruit (poison) le rapport caractéristique du corps sang, rapport qui s’inscrit lui-même dans le rapport constitutif homme. L’homme mange, c’est-à-dire qu’il incorpore (nourriture) des particules de viande sous son propre rapport. C’est-à-dire qu’il casse les liaisons qui font que la viande est viande, de sorte que cette viande prenne le rapport caractéristique de la chair humaine.

La Nature ? Des mouvements infinis de composition, de décomposition et de recomposition entre des corps aux frontières mobiles. Il est ainsi que rien ne se perd et rien ne se crée hors de la Nature, tout se transforme dedans : capture de parties communes ou destruction de rapport.

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L’homme dans la Nature

« Pour ma part, je dis que cette chose est libre qui existe et agit par la seule nécessité de sa nature, et contrainte cette chose qui est déterminée par une autre à exister et à agir selon une modalité précise et déterminée (…) Vous voyez donc que je ne situe pas la liberté dans un libre décret, mais dans une libre nécessité. » Correspondance, Spinoza à G.H. Schuller.

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De cette Nature dont nous venons de dresser quelques-uns des traits caractéristique, relevons que celle-ci ne peut être que sourde et aveugle à l’existence de l’homme. Une existence pas même nécessaire au sens où elle n’est pas causée par elle-même. Ou pour le dire autrement, l’existence de l’homme ne suffit pas à l’expliquer. L’homme est contingent.

Dans le langage de Spinoza, on dira que l’homme est un mode fini, c’est-à-dire une modification de la Nature. Il est ainsi déterminé par des causes extérieures à exister et agir selon des modalités précises et déterminées. Il est non libre.
Par ailleurs, l’homme ne peut percevoir que certains des attributs infinis, aspects dirions-nous, de la Nature. Plus précisément l’Etendue et la Pensée, deux attributs dont les corps et les idées forment respectivement les modes.

Mais si l’homme n’est donc pas un empire dans un empire selon la formule, il n’en demeure pas moins une partie spécifique de cette Nature. Il est fait de cette Nature, mais possède un rapport caractéristique, c’est-à-dire un corps composé d’un ensemble de rapports de mouvements et de repos entre les particules qui le composent. A ce rapport correspond un certain degré de puissance, c’est-à-dire être capable d’affecter ceci, être affecté par cela, comme être sourd et aveugle au reste.
Je ne peux pas ce que peut un cheval ou un autobus, bien que je sois fait de la même Nature. Ou pour le dire autrement, ma surface d’inscription (lecture du monde et impression de traces) n’est pas la même, tout comme mes possibilités d’écriture (laisser les traces de mes captures).

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«  Un individu, c’est d’abord une essence singulière, c’est-à-dire un degré de puissance. A cette essence correspond un rapport caractéristique ; à ce degré de puissance correspond à un certain pouvoir d’être affecté. Ce rapport enfin subsume des parties, ce pouvoir d’être affecté se trouve nécessairement rempli par des affections. Ainsi les animaux se définissent moins par des notions abstraites de genre et d’espèce que par un pouvoir d’être affecté, par les affections dont ils sont « capables », par les excitations auxquelles ils réagissent dans les limites de leur puissance. »
Spinoza, Philosophie pratique par Gilles Deleuze.

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Sous l’un de ses aspects l’homme est corps humain, sous un autre, esprit humain. Mais cet esprit ne peut commander le corps, et inversement le corps de peut commander à l’esprit. Il n’y a pas de lien causal entre un mouvement du corps et un mouvement de l’esprit, il y a strict parallélisme entre ces deux attributs.

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« De ce qui augmente ou diminue, aide ou contrarie la puissance d’agir de notre corps, l’idée augmente ou diminue, aide ou contrarie la puissance de penser de notre esprit. »
Proposition XI, Ethique III.

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Qu’est-ce donc que l’esprit humain ? L’idée du corps humain. L’essence de l’esprit consiste à affirmer l’existence actuelle de son corps. Il n’y a pas de faculté de volonté dans l’esprit autre que la puissance de l’entendement. Il y a identité entre volonté et entendement. Je n’agis qu’à partir de ce que peux comprendre des affections qui m’arrivent du monde, et plus encore, je n’agis librement qu’à partir de ce que je peux rendre à mon désir.

A une affection du corps, effet d’un corps extérieur sur le mien, correspond une idée de cette affection dans l’esprit. Une idée qui enveloppe un affect, c’est-à-dire la conscience d’une affection du corps. La conscience est donc le sentiment d’un passage, d’une transition vécue d’une moindre puissantes (affect de tristesse) à une plus grande puissance (affect de joie), et inversement.
Moindre puissance d’agir dans le corps née d’une mauvaise composition avec un corps extérieur, moindre puissance de penser dans l’esprit du fait que celui-ci forme une idée de l’affection qui n’affirme qu’une réalité partielle ou mutilée de l’état son corps. Et inversement pour une plus grande puissance dans l’Etendue comme dans la Pensée.

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« (…) nous, comme êtres conscients, nous ne recueillons jamais que les effets de ces compositions et décompositions : nous éprouvons de la joie lorsqu’un corps rencontre le nôtre et se compose avec lui, lorsqu’une idée rencontre notre esprit et se compose avec elle, de la tristesse au contraire lorsqu’un corps ou une idée menacent notre propre cohérence. Nous sommes dans une telle situation que nous recueillons seulement « ce qui  arrive » à notre corps, « ce qui arrive » à notre esprit, c’est-à-dire l’effet d’un corps sur le nôtre, l’effet d’une idée sur la nôtre. Mais, ce qu’est notre corps sous son propre rapport, et notre âme sous son propre rapport, et les autres corps et les autres esprits ou idées sous leurs rapports respectifs, et les règles d’après lesquelles tous ces rapports se composent et se décomposent – tout cela, nous n’en savons rien dans l’ordre donné de notre connaissance et de notre conscience. Bref, les conditions dans lesquelles nous connaissons les choses et prenons conscience de nous-mêmes nous condamnent à n’avoir que des idées inadéquates, confuses et mutilées, effets séparés de leurs propres causes[1] (…) »
Spinoza, Philosophie pratique par Gilles Deleuze.

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L’idée que je forme d’une affection d’un corps extérieur est donc tout d’abord mutilée et partielle en ce qu’elle ne recueille que les effets séparés des causes de l’affection. C’est-à-dire qu’elle ne me renseigne au mieux que sur la nature de mon propre corps, non sur son rapport avec le corps extérieur, et encore moins sur la nature de ce dernier. C’est une idée inadéquate ou confuse source de passions et de fixations imaginaires.

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ETHIQUE III : DEFINITION GÉNÉRALE DES SENTIMENTS [Affects]

LE SENTIMENT [Affect] QU’ON APPELLE LA PASSIVITÉ (pathema) DE L’ÂME [Esprit] EST UNE IDÉE CONFUSE, PAR LAQUELLE L’ESPRIT AFFIRME UNE FORCE (vim) D’EXISTER DE SON CORPS OU D’UNE PARTIE DU CORPS, PLUS GRANDE OU PLUS PETITE QU’AUPARAVANT; CETTE FORCE ÉTANT DON­NÉE, L’ESPRIT LUI-MÊME EST DÉTERMINÉ A PENSER A TELLE CHOSE PLUTÔT QU’A TELLE AUTRE.

EXPLICATION

Je dis en premier lieu qu’un sentiment [affect] ou (seu) passion de l’âme est une idée confuse. Car nous avons montré (voir la proposition 3) que l’esprit est passif en tant seulement qu’il a des idées inadéquates ou confuses.
Je dis ensuite : par laquelle l’esprit affirme une force d’exister de son corps ou d’une partie du corps, plus grande ou plus petite qu’auparavant. En effet, toutes les idées que nous avons des corps révèlent (indiçant) plus l’état actuel de notre corps (selon le corollaire 2 de la proposition 16, partie II) que la nature du corps extérieur; et celle qui constitue la forme d’un sentiment doit révéler ou exprimer l’état du corps ou d’une de ses parties, état qu’ils possèdent du fait que sa puissance d’agir – autrement dit d’exister – est augmentée ou diminuée, aidée ou contrariée. Mais il faut remarquer que, lorsque je dis : une force d’exister plus grande ou plus petite qu’auparavant, je n’entends pas que l’esprit compare le présent état (constitutionem) du corps avec un état passé, mais que l’idée qui constitue la forme du sentiment [affect] affirme du corps quelque chose qui enveloppe réellement (revera) plus ou moins de réalité (realitatis) qu’auparavant. Et comme l’essence de l’esprit consiste (selon les propositions 11 et 13, partie II) à affirmer l’existence actuelle de son corps, et que par perfection nous entendons l’essence même d’une chose, il suit donc que l’esprit passe à une perfection plus grande ou plus petite, quand il lui arrive d’affirmer de son corps ou d’une partie du corps quelque chose qui enveloppe plus ou moins de réalité qu’auparavant. Donc, en disant plus haut que la puissance de penser de l’esprit est augmentée ou diminuée, je n’ai voulu dire rien d’autre que ceci : l’esprit s’est formé de son corps ou d’une partie du corps une idée qui exprime plus ou moins de réalité (realitatis) qu’il n’en avait affirmé de son corps. Car on estime l’excellence des idées et la puissance actuelle de penser d’après l’excellence de l’objet.
J’ai ajouté enfin : cette force étant donnée, l’esprit lui-même est déterminé à penser à telle chose plutôt qu’à telle autre, afin d’exprimer aussi, outre la nature de la Joie et de la Tristesse qu’explique la première partie de la définition, la nature du Désir.

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La nature de l’homme

Continuons d’avancer très vite. Comme le rappelle Deleuze, la critique des passions tristes de Spinoza est profondément enracinée dans la théorie des affections que nous venons de survoler, théorie qui découle elle-même de la définition de la Nature. Et c’est bien vers cette critique des passions tristes que nous nous dirigions petit à petit.

Pourquoi Spinoza n’est pas de ceux qui pensent qu’une passion triste ait quelque chose de bon ? Comme nous venons de le voir, les passions tristes ne sont que des consciences partielles de soustractions de puissance : diminution des intensités dans le corps, de la réalité des affirmations de l’état du corps dans l’esprit. Les passions tristes nous séparent de notre puissance d’agir, nous laissent comme remplis et fixées dans des images qui ne correspondent pas à notre nature.

Notre nature ? C’est-à-dire la nature des modes finis. Comme un possible écho à notre notion floue de durabilité, pour Spinoza, chaque chose dans la Nature s’efforce de persévérer dans son être (conatus). Il en va ainsi pour l’homme.
Ce n’est donc ni un être supérieur, ni une quelconque faculté de volonté (libre décret de l’esprit) qui fait courir l’homme, c’est le désir. L’homme, comme tous les corps constitués de la Nature, poursuit l’effort pour persévérer dans son être. Il s’efforce d’augmenter sa puissance d’agir et de penser.

L’homme ne recherche (appétit) que l’accroissement dynamique sa puissance d’agir dans la Nature. Mais par rapport aux autres corps ou degrés de puissance de la Nature, l’essence de l’homme, en tant qu’il perçoit les effets des corps sur le sien et est capable de se former des idées de ses idées (réflexivité de l’attribut Pensée) est le désir. C’est-à-dire l’appétit avec conscience de lui-même.

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ETHIQUE Partie III, PROPOSITION VI

Toute chose, autant qu’il est en elle, s’efforce de persévérer dans son être.

ETHIQUE Partie III, PROPOSITION VII

L’effort par lequel toute chose tend à persévérer dans son être n’est rien de plus que l’essence actuelle de cette chose.

ETHIQUE Partie III, PROPOSITION IX, SCOLIE

Cet effort, en tant qu’il a rapport à l’âme seule, s’appelle : Volonté. Mais lorsqu’il a rapport en même temps à l’Ame et au Corps, il se nomme : Appétit. L’appétit, par conséquence, n’est pas autre chose que l’essence même de l’homme, de la nature de laquelle les choses qui servent à sa propre conservation résultent nécessairement; et par conséquent, ces mêmes choses, l’homme est déterminé à les accomplir. 
D’ailleurs, entre l’Appétit et le Désir, il n’y a aucune différence, sinon que le désir se rapporte généralement aux hommes en tant qu’ils sont conscients de leur appétit (…)

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Nous désirons donc d’abord ce qui nous est utile pour gagner en puissance, et nous posons les valeurs du désirable en suite. Ainsi, ce que nous disons bon ou mauvais traduit d’abord l’histoire de nos combinaisons avec le monde, joies ou tristesses des rencontres, et non les propriétés de celui-ci.

De part la conscience que l’homme a de son conatus, celui-ci est désir, appétit avec conscience de lui-même. Déployer son désir, voilà qui commande chacun à la recherche de son utile propre. Autrement dit, à découvrir et construire son autonomie par la connaissance vraie de sa nature. Ce qui consistera précisément pour celui qui devient raisonnable à rechercher la joie par la sélection des bonnes rencontres, pour arriver au final à produire des joies actives.

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« (…) Il arrive à Spinoza de définir le désir comme « l’appétit avec conscience de lui-même ». Mais il précise qu’il s’agit seulement d’une définition nominale du désir, et que la conscience n’ajoute rien à l’appétit (« nous ne tendons pas vers une chose parce que nous la jugeons bonne, mais au contraire nous jugeons qu’elle est bonne parce que nous tendons vers elle[2] »). Il faut donc que nous arrivions à une définition réelle du désir, qui montre du même coup la « cause » par laquelle la conscience est comme creusée dans le processus de l’appétit. Or, l’appétit n’est rien d’autre que l’effort par lequel chaque chose s’efforce de persévérer dans son être, chaque corps dans l’étendue, chaque âme ou chaque idée dans la pensée (conatus). Mais, parce que cet effort nous pousse à agir différemment suivant les objets rencontrés, nous devons dire qu’il est, à chaque instant, déterminé par les affections qui nous viennent des objets. Ce sont ces affections déterminantes qui sont nécessairement cause de la conscience du conatus[3] ».
Spinoza, Philosophie pratique par Gilles Deleuze.
 

Suite.

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[1] Ethique, II, 28, 29.

[2] Ethique, III, 9, sc.

[3] Ethique, III, déf. du Désir (a pour que la cause de la conscience fût enveloppée dans ma définition… »).

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