« Les peuples qui habitent les climats froids, les peuples d’Europe sont en général pleins de courage ; mais ils sont certainement inférieurs en intelligence et en industrie ; et s’ils conservent leur liberté, ils sont politiquement indisciplinables, et n’ont jamais pu conquérir leurs voisins. En Asie, au contraire, les peuples ont plus d’intelligence, d’aptitude pour les arts, mais ils manquent de coeur, et ils restent sous le joug d’un esclavage perpétuel (…) »
Aristote, Politique, VII, VI.
« Ce sont les différents besoins dans les différents climats, qui ont formé les différentes manières de vivre ; et ces différentes manières de vivre ont formé les diverses sortes de lois »
Montesquieu, L’Esprit des lois, 3e partie, Livre XIV, chap. X
« L’homme utilise la nature pour ses fins, mais là où elle est trop puissante, elle ne se laisse pas réduire à l’état de moyen. La zone chaude et la zone froide ne sont donc pas le théâtre de l’histoire universelle. Sur ce plan, l’esprit libre a rejeté ces extrêmes. En somme, c’est la zone tempérée qui a servi de théâtre pour le spectac1e de l’histoire universelle. Parmi les zones tempérées, c’est à son tour la zone nordique qui est seule apte à remplir ce rôle (…) »
Hegel, La Raison dans l’histoire., IV- Le fondement géographique de l’histoire universelle.
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Dans son ouvrage – la condition tropicale – et au-delà d’une certaine réactualisation de la théorie des climats qu’il opère (l’influence de la variation de la longueur des jours sur le comportement humain ou photopériodisme), Francis Hallé nous présente les zones tropicales comme des « possibilités de réflexion sans limite ». Des possibilités de réflexion qui ne sont finalement pas autre chose que des possibilités de rencontres avec du non humain, de la différence … qui produit d’autres différences, soit la définition d’une idée pour suivre un Bateson.
Partant du constat que les milieux tropicaux proposent les écosystèmes les plus riches du globe en matière de diversité biologique, le botaniste s’interroge sur les effets qu’entrainent sur l’homme la proximité quotidienne d’avec cette formidable diversité du vivant non-humain. En ressort parfois des combinaisons ou rencontres positives, que ce soit en termes d’accès à la nourriture ou autres médecines, d’autres beaucoup moins, entre parasitages et empoisonnement.
Cette proposition d’étude de la condition tropicale nous invite à initier une réflexion connexe sur ces mêmes effets de rencontre avec le vivant non-humain dans nos milieux urbains. Effets de rencontre ou plutôt de non rencontre, dans la mesure où ces derniers se caractériseraient par une diversité non-humaine pour le coup réduite à sa plus simple expression. Tout du moins en surface, la rencontre avec le vivant étant essentiellement circonscrite à l’humain, à cet autre semblable.
La diversité aurait-elle alors tendance à trouver refuge dans le non-vivant ? Les formes et couleurs des objets dont on se pare et/ou qu’on habite ? Les puissances des machines avec lesquelles on se combine et fait système ?
Conséquences. Habitons-nous seuls la foule protectrice de nos semblables, cet entre-nous qui remplirait parfaitement sa fonction première : réduire le risque de la mauvaise rencontre. Mais question. Qu’est-ce que cet entre-nous produit comme espèces d’idées ?
Si l’on admettait, au titre de proposition, que les rencontres que nous faisons avec le monde extérieur nous affectent de sorte à produire un certain type d’idée, lui-même fonction de la nature des corps rencontrés (choc), alors posons nous la question – dans un milieu de vie donné – de la nature des interfaces de rencontre existantes, des combinaisons que celles-ci rendent possibles avec le vivant non-humain (virus, bactérie, insectes et autres différences qui font des différences) et pour quelles conséquences en termes de mode d’existence et d’écologie des idées ?
Pour le dire autrement, co-évoluer majoritairement avec du vivant – capturer et combiner des fragment de codes viraux dans son ADN par exemple - ou avec des artefacts sur des modalités qui restent à définir – par exemple en termes d’extension du système cognitif au sein des réseaux numériques - quelles espèces d’homme cela produit-il ?
Chemin faisant, nous avons pris le parti sur ce petit blog de ne plus s’attarder en façade sur les écologies et autres notions floues des uns et des autres, et pour ce faire, de recourir le plus souvent possible à des images montées (:) démontées dont les collages ne s’interprètent pas totalement à l’avance.
Hypothèse de travail : les questions dites écologiques, à bien des égards, demeurent très largement à formuler et à nommer. Alors, au delà des discours utiles trop utiles qui tâtonnent déjà peu, juste pointer dans un jeu des frontières mobiles un nouveau rapport de forces dans l’enfance. Une convergence, une attraction sans nom, une modification du terreau de nos idées, un symptôme qui chercherait à prendre ses formes, et qui dans l’attente, avance le plus souvent masquée derrières le voile de catégories de pensée inappropriées, (à) la traîne de mots pour le dire non encore constitués.
Dans ce contexte, la question de la présence du non-humain dans un espace urbain européen – qu’on pourrait qualifier (à haut risque) de micro-post-hygiéniste en devenir possible - les discours et les actions qui accompagnent cette évolution (mise en place de friches urbaines, de zones de gestion différenciées, etc.), illustrent et soulignent l’enfance de l’art.
Si les fonctionnalités récréatives et esthétiques sont encore les aspects les plus fréquemment débattues au sujet de ces p’tites bêtes qu’on accueille en bas de chez soi, les z‘ébats entre administrés et administreurs de la ville s’accompagnent aujourd’hui d’une réflexion sur le lien social. Ou comment des humains, par la médiation des non-humains, se recombinent avec de l’humain pour cohabiter plus joyeusement en milieux urbain.
De ces nouveaux outils de l’urbain dit-vert, l’objectif de l’entre-nous persiste. Mais pouvoir passer de la javel à l’anti-javel, tout en conservant peu ou prou ce même but du mieux vivre ensemble dans l’espace humain urbain, voilà qui est intéressant. Conserver cet objectif de co-existence de l’espèce dans sa modalité citadine, sans recourir pour ce faire à l’eau de javel et à l’enrobé bitumineux, voilà qui demande de penser un changement dans les agencement entre humains et non-humains.
Comment assurer la continuité d’une vie humaine en ville, lorsque celle-ci devient trop pleine de l’humain, de ses vitesses et de ses artefacts ? Situation paradoxale s’il en est, puisqu’il s’agit de faire plus de place au non-humain pour revenir à plus d’humain. Un paradoxe apparent dont la résolution ne se limitera pas à quelques délaissés urbains concédés au bon vouloir végétal, en guise de bons remerciements pour son aimable intermédiation dans la résolution de nos petits conflits quotidiens.
Au-delà des mots masqués de l’écologie urbaine, vouloir cohabiter avec plus de non-humains, d’accord, mais pour produire quoi ? De la bonne humeur ? De l’air pour aider les idées à circuler ? Mais des idées qui se disent à l’avance et programment nos humeurs, ou plutôt de celles qui se produisent à mesure que l’on jardine ? Ah, figure terrible de la terre mère en souffrance qui fait de moi son joyeux sauveur lorsque – tout puissant – j’accorde la vie à ce puceron pour clore aussi vite toute autre discussion.
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» Notre génome contient des séquences d’origine virale … (…) Marie-Claude Blatter, bioinformaticienne au SIB, dit que l’analyse du génome humain a révélé, entre autres, que 8 à 10 % de la séquence est d’origine virale ! … alors que seulement ~1.5 % de la séquence du génome ‘code’ pour des protéines ! C’est cette surprenante abondance de séquences étrangères qui fait dire de manière provocante au Prof. M. Strubin, chercheur du CMU : « Nous sommes 8% OGM et 1.25% humains » (…) source. Notre génome contient des séquences d’origine bactérienne … (…) Marie-Claude Blatter explique que selon la théorie endosymbiotique, (…) une cellule eucaryote primitive (ou une Archaea) aurait intégré un endosymbionte procaryote il y a environ 1,5 à 2 milliards d’années. Les études phylogénétiques indiquent que le plus proche parent de la mitochondrie connu actuellement est Rickettsia prowazekii, une alpha-proteobactérie parasite intracellulaire obligatoire (une cyanobactérie serait à l’origine du chloroplaste). Au cours de l’évolution, la majorité des gènes de l’endosymbionte originel auraient été perdus ou bien transférés vers le noyau de la cellule eucaryote hôte. » source.
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Point et boucle à la fois. Ces » possibilités de réflexion sans limite » dont nous parle Francis Hallé au sujet des tropiques, sans doute en trouverait-on de multiples occasions, ici et là, entre abondance et rareté, de la plante en pot au moustique en passant par un voyage au bureau de poste. Les fruits d’un étonnement au monde qui s’entretient et se nourrit de la diversité des formes de vie, de leurs stratégies de déploiement et des moyens d’expression qui se donnent à voir pour eux-même. Des micro-macro rencontres et des captures pour des combinaisons qui produisent certaines matières et idées, un jour, des mots pour le dire et quelques nouveaux paysages pliés dedans.
Bâtir des ponts plus que des asiles, la possibilité d’un point de départ nécessaire : savoir où, avec qui et quoi je cohabite, tisse des fils et coévolue. Se donner à voir ce qui se donne à voir et faire monter à la conscience le genre d’idées brutes et de connaissances élaborées que la poussée produit.
Dans ce passage du malgré moi (déterminisme géographique) vers le avec moi (nécessité bien comprise), il est bien possible que savoir libère. Et pourquoi pas un certain regard. De ceux qui nous permette de participer plus activement à cette danse qui se fait de(dans) l’étoffe des choses. Mais pour cela, encore faut-il avoir la possibilité de rencontrer ces vitesses et ses lenteurs autres, choix politique actuel entre gris et vert s’il en est.
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http://www.dailymotion.com/video/x762mg DELEUZE / SPINOZA – Cours Vincennes – 24/01/1978
« Lorsque je fais une rencontre telle que le rapport du corps qui me modifie, qui agit sur moi, se combine avec mon propre rapport, avec le rapport caractéristique de mon propre corps, qu’est-ce qui se passe? Je dirais que ma puissance d’agir est augmentée; elle est au moins augmentée sous ce rapport-là. »
« Lorsque, au contraire, je fais une rencontre telle que le rapport caractéristique du corps qui me modifie compromet ou détruit un de mes rapports, ou mon rapport caractéristique, je dirais que ma puissance d’agir est diminuée, ou même détruite. Nous retrouvons là nos deux affects – affectus –, fondamentaux: la tristesse et la joie. »
« Lorsque je suis empoisonné, mon pouvoir d’être affecté est absolument rempli, mais il est rempli de telle manière que ma puissance d’agir tend vers zéro, c’est-à-dire qu’elle est inhibée. Inversement, lorsque j’éprouve de la joie, c’est à dire lorsque je rencontre un corps qui compose son rapport avec le mien, mon pouvoir d’être affecté est rempli également et ma puissance d’agir augmente. »
> Living Under the Guidance of Reason: Arne Naess’s Interpretation of Spinoza (Espen Gamlund - University of Bergen, Norway – Online publication date: 20 January 2011)
Dans « Deepwater Horizon. Ethique de la nature et philosophie de la crise écologique », vous rappelez qu’Emmanuel Kant définissait l’homme comme le « seigneur de la nature » et que, pour lui, les êtres dénués de raison n’avaient aucune valeur. Selon vous, cette tradition de pensée est responsable de tous nos malheurs écologiques. Pourquoi ?
J’affirme que Kant se trompe. Pour cela, je m’appuie sur un argument classique de la philosophie analytique, qu’on appelle l’argument du dernier homme. Imaginons : l’espèce humaine est décimée, il ne reste plus qu’un homme, et celui-ci se met en tête de détruire tous les êtres de nature qui se trouvent à sa portée. Si on suit Kant à la lettre, on ne peut pas dire que cet homme commet un acte immoral, puisqu’il n’y a plus personne pour le blâmer. Il me semble pourtant qu’un tel comportement est immoral, car les êtres de nature sont porteurs d’une certaine valeur. Cette expérience de pensée permet de distinguer deux visions du monde, que j’appellevision H (humaniste) et vision non-H. La première, dans laquelle Kant s’inscrit, fait sienne la sentence de Protagoras, selon laquelle l’homme est la mesure de toute chose. Dans cette optique, il n’y a que deux types d’êtres : des sujets de droit et des objets de non-droit, les humains d’un côté et la totalité des non-humains de l’autre.
La seconde conception, qui est celle de Spinoza ou de Darwin, considère que l’homme est un fragment du monde, et qu’il est un être foncièrement naturel, y compris quand il accomplit un geste réputé « culturel », comme se laver les dents. De la même manière, l’écologisme, c’est-à-dire la philosophie de l’écologie, peut être déclinée en H et non-H. L’écologisme H est un environnementalisme, qui envisage la nature comme un moyen qu’il s’agit de préserver au nom de la survie de l’humanité. L’écologisme non-H considère pour sa part que les êtres de nature doivent être préservés pour eux-mêmes.
[µCommentaire : la puissance et la singularité de la pensée "oxymorique" de Spinoza nous semble être l'un des meilleur "médicament" de la pensée afin de dépasser et de concilier les "contraires", tel que nous les posons. Si l'homme n'est pas un empire dans un empire, dans le même temps, rien n'est plus utile à un home qu'un autre homme vivant sous la conduite de la raison. En ce sens, il parait bien difficile de classer Spinoza en tant que penseur H ou non H. Bien au contraire, sa philosophie nous permet de penser les deux options "à la fois". Cet "à la fois" que nous avons tenter de définir sur ce petit blog comme un possible fondement d'une pensée écologique, ce en quoi et pourquoi nous nous référons ici bien souvent à Spinoza.]
Vous défendez l’idée que les « existants non-humains » ont une valeur morale, et qu’il faut leur conférer des droits. Mais dans le même temps, vous refusez les thèses de l’écologie dite « profonde », qui va jusqu’à réclamer une -égalité de droits entre tous les vivants et bascule dans ce que vous nommez la « religion du Grand Tout »…
Ma thèse est que certains êtres de nature ont des droits, mais qu’ils n’ont pas tous les mêmes droits. L’écologisme non-H extrême défend le principe d’unégalitarisme biosphérique, où une panthère aurait les mêmes droits qu’un enfant. Je considère que cette thèse est à la fois toxique et contradictoire : un monde où tous les êtres ont la même valeur et un monde sans valeurs sont un seul et même monde. Il existe bien une hiérarchisation des êtres de nature. L’idée est la suivante : un être est susceptible d’avoir des droits s’il a une certaine valeur et il a une certaine valeur s’il a des intérêts. Cet intérêt n’est pas forcément conscient. Quelqu’un qui est dans le coma a des intérêts mais il n’en est pas conscient. Prenons l’exemple d’un arbre. Ce n’est pas un être conscient, mais il a intérêt à être, à déployer son être en fonction de son espèce, de sa nature. Maintenant, cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas couper de bois…
Il y a deux raisons qui me font rejeter la métaphysique H. La première est philosophique : je ne crois pas à un « équipement surnaturel » (âme, volonté libre…) qui ferait de l’homme un être hors du commun. La deuxième est empirique et historique : au regard de l’état de la planète, force est de reconnaître que cette métaphysique est à l’origine de notre crise écologique.
Parmi les êtres non-humains, il n’y a pas que des êtres de « nature ». Que faites-vous du monde des choses et des objets ? Dans votre livre, vous évoquez le destin du grille-pain. Mais quelle place donnez-vous à une oeuvre d’art, à une brebis clonée ?
Ces deux cas sont différents. Une oeuvre d’art, d’abord. La Joconde n’a aucun intérêt à être. C’est bien sûr un objet précieux, d’une valeur incommensurable, mais cette valeur est seulement instrumentale. Autrement dit, c’est nous, êtres humains, qui avons intérêt à sa conservation. Nous avons un devoir par rapport à un objet de ce type, mais eux n’ont aucun droit au sens strict. En revanche, nous pouvons imaginer un être à la fois vivant et synthétique, pas seulement une bactérie artificielle mais, par exemple, un androïde très perfectionné, doté de facultés cognitives, qui aurait un intérêt à être et en aurait conscience. Dans un tel cas de figure, il ne serait certainement pas absurde de dire de cet être qu’il puisse faire l’objet de considération morale et de droits. Une croyance se dégage : les êtres humains ne sont pas les seuls existants à être des fins en soi.
] … des affects, tisser des paysages, plier des forces dans des formes, lire, produire des affects … des affects, tisser des paysages, plier des forces dans des formes, lire, produire des affects … des affects, tisser des paysages, plier des forces dans des formes, lire, produire des affects … [
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De la nécessaire diversité des chocs et des rencontres :
Par où on se branche … flux, intensité et différences qui co-labo(u)rent :
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De la nécessaire diversité des chocs et des rencontres, qu’est-ce qu’on en fait…
Transformer la connaissance « générique » en affect ? Passer du « on » au « je », prendre avec soi (comprendre). Ou pour ce qui nous interresse ici, participer à faire prendre avec soi. La question de ce qui fait (force à) penser et agir. Expérience, la connaissance seule ne suffit pas.
Ce qui forcer à penser … rencontre (modification de l’etat du corps) ou reconnaisssance … connaître, ce qui fait connaître, rencontrer tel type de savoir (de corps) plutôt que celui-là.
Quelles articulations entre raison et émotion dans le processus. Pourquoi je suis sensible à ceci plutôt que cela, pourquoi je désire connaître plutôt ceci que cela ? Mystère des affinités qui rendent les choses visibles.
Infinité de propositions (choses) possibles, je sélectionne, extrais, forme et plie ce point là. Maille ou le nœud d’un filet dans lequel vient se déposer, s’incorporer et cristalliser, cette connaissance là, et non telle autre.
« Rien ne devient jamais réel tant qu’on ne l’a pas ressenti »John Keats
A partir de quoi initier une sélection ? Un corps, un nœud d’intensités, un espace de jeux, d’inscription et de circulation : émotions, affect, la perception d’une transition entre des états du corps.
Le jeu complet du je qui fait de la connaissance l’affect le plus puissant, ne serait-il pas de transformer la connaissance en affect, pour mieux la retourner à l’affect source ? Prendre avec soi, ressentir, composer l’idée de cet état singulier du corps, une idée de cette idée. Pour mieux s’en détacher… seul un affect peut vaincre un autre affect, sortir de la reconnaissance et revenir à la rencontre.
Voir – quelque chose devient perceptible – prendre avec soi – extraire – faire entrer dans son monde – plier dans des formes et tisser – production d’une biographie – bibliothèque singulière … Je de miroir / Rencontre / Affect / Extraction (point de vue) / (Re)construction (prendre dans un ensemble) / Perception / Tissage (lignes) / Monde (perspective) / Affect / Conscience (bourgeon terminal) / Connaissance / Affect (changement d’état du corps) – +/- puissance d’agir / Incorporation (rendre affectif) / Laisser tomber (pomme) / Émergence / Esprit (idée du corps)
« J’affirme que si vous voulez parler de choses vivantes, non seulement en tant que biologiste académique mais à titre personnel, pour vous-même, créature vivante parmi les créatures vivantes, il est indiqué d’utiliser un langage isomorphe au langage grâce auquel les créatures vivantes elles-mêmes sont organisées – un langage qui est en phase avec le langage du monde biologique ». Gregory Bateson
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Contradictions dans la sensibilisation
S’adresser à la raison de l’individu cartésien pour lui démontrer les méfaits de cette même raison sur le bon état de conservation de la planète … ou mobiliser les affects passions d’un corps spinoziste – seul un affect peut dépasser un autre affect. Guider les puissances d’agir, l’art de transformer la connaissance (générique) en affect.
« […] une plante est un chant dont le rythme déploie une forme certaine, et dans l’espace expose un mystère du temps. » Paul Valéry
La cuisine de ce petit blog : confronter des univers, poser l’artifice d’un cadre commun qui ne prétend pas au vrai, laisser se produire des effets, ouvrir des pistes à l’attention, à la curiosité combinatoire de chacun. Dans cette optique, interférences et petits ponts pour des chaussées où cheminer, cette semaine marquait la conclusion du séminaire du collège international de philosophie sur les horizons de l’écologie politique, le botaniste Francis Hallé était l’invité de l’émission « A voix nue » sur France Culture. L’occasion pour nous d’un petit tissage, en marchant, autour de Spinoza, la plante et l’écologie.
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First, les horizons de l’écologie politique, et l’opportunité qui nous est offerte de broder autour de l’intervention du spinoziste Pierre Zaoui. Lors d’un billet précédent, nous avions déjà retranscrit quelques uns des fragments introductifs d’une problématique que l’on pourrait rassembler comme suit : des promesses d’un gai savoir écologique à une nouvelle espérance politique ?
Suite donc. Si l’écologie politique est autre chose qu’un nouveau réalisme, à partir de quelle philosophie la penser ? Interférences communes avec les orientations qui nous animent ici, une pensée écologique sur un mode spinoziste (l’homme n’est pas un empire dans un empire) est-elle soutenable ?
La réponse de Pierre Zaoui à cette interrogation s’appuie ici sur les travaux d’Arne Næss, philosophe norvégien fondateur de la deep ecology. Une retranscription partielle et très synthétique de ce temps du séminaire est proposée ci-dessous.
Afin de constituer ce que l’on pourrait appeler une ontologie écologique, Næss s’inspire d’une lecture naturaliste de Spinoza. Quelques mots sur le projet de Næss. Celui-ci est d’abord un projet écosophique. C’est-à-dire qu’il vise à ce que tout individu, dans sa singularité, puisse articuler ses convictions, ses rapports au monde, avec ses pratiques quotidiennes. L’écosophie nous apparaît donc ici comme une question de style de vie, un certain art de composer son mode d’existence à partir des relations que chacun peut établir dans la nature. En cela, cette approche qui englobe dans un même élan les différentes sphères de la vie humaine (psychique, sociale, biologique) diffère totalement du projet de l’écologie de surface : la gestion de l’environnement en tant qu’extériorité, la gestion des effets externes d’une crise écologique elle-même conçue comme extérieur à l’individu (qui la pense).
« Par une écosophie je veux dire une philosophie de l’harmonie écologique ou d’équilibre. Une philosophie comme une sorte de Sofia, ouvertement normative, elle contient à la fois des normes, des règles, des postulats, des annonces de priorités de valeur et les hypothèses concernant l’état des affaires dans notre univers. La sagesse est la sagesse politique, la prescription, non seulement la description scientifique et la prédiction. Les détails d’une écosophie montrent de nombreuses variations dues à des différences significatives concernant non seulement les faits de la pollution, des ressources, la population, etc, mais aussi les priorités de valeur. » Arne Næss
Pour toute singulière que soit la démarche écosophique, écosophie T voire utile propre, Næss prend néanmoins le soin de baliser le chemin de diverses normes communes et dérivées.
-> La norme n°1, la plus haute, consiste en la réalisation de Soi. Il s’agit là d’une certaine reformulation du conatus spinoziste. Pour Næss, chaque chose tend à se réaliser elle-même, quand pour Spinoza chaque chose tend à persévérer dans son être, c’est à dire à augmenter sa puissance d’agir. Ce conatus, cet effort d’exister, constitue l’essence intime de chaque chose. Trois hypothèses sous-tendent cette première norme posée par Næss .
H1/ Plus on atteint à une haute réalisation de Soi, plus l’identification avec les autres est grande et profonde. Cette première hypothèse fait écho au 3ème genre de connaissance de Spinoza. A savoir que, plus on persévère dans son être, plus on comprend Dieu, et surtout, plus on comprend Dieu à travers les choses singulières.
H2/ Plus on atteint à une haute réalisation de Soi, plus sa croissance à venir dépend de la réalisation des autres. Cette seconde hypothèse, que l’on pourrait également exprimer comme le développement des autres contribue au développement de Soi, permet à nouveau un retour partiel sur Spinoza. Pour ce dernier, et pour le dire vite, rien n’est plus utile à un homme qu’un autre homme vivant sous la conduite de la raison.
Ce qui est le plus utile à l’homme, ce qui s’accorde le plus directement à sa nature, c’est l’homme. Cette proposition nous renvoie au concept de notions communes, à savoir que ce qui est commun à toutes choses, se retrouve dans le tout et dans la partie, ne peut se concevoir que d’une façon adéquate. Or l’homme partage le plus de notions communes avec l’homme. C’est ainsi que dans tous les cas « de la société commune des hommes, on peut tirer beaucoup plus d’avantages que d’inconvénients » (Éthique IV, proposition XXXV Scholie).
« C’est lorsque chaque homme cherche avant tout l’utile propre qui est le sien que les hommes sont le plus utiles les uns aux autres. Car plus chacun cherche l’utile qui est le sien et s’efforce de se conserver, plus il est doué de vertu, ou ce qui revient au même, plus grande est la puissance dont il est doué pour agir selon les lois de sa nature, c’est-à-dire pour vivre sous la conduite de la Raison. Or c’est lorsque les hommes vivent sous la conduite de la Raison qu’ils s’accordent le mieux par nature. Donc les hommes sont les plus utiles les uns aux autres, lorsque chacun cherche avant tout l’utile qui est le sien. » Spinoza, Éthique IV, proposition XXXV, corollaire 2
H3/ Troisième hypothèse, la réalisation de Soi, complète et pour chacun, dépend de tout ça. Conclusion : j’ai donc besoin que les autres se développent pour me développer.
-> La norme 2 découle de la norme 1, il s’agit de la réalisation de Soi pour tous les êtres vivants. Autrement dit, la persévérance de mon être dépend de la persévérance de chaque chose singulière.
A partir de Spinoza, Næss nous propose donc une arme pour penser l’écologie. A sa base, une résistance profonde à tout catastrophisme éclairé, à sa pointe, il s’agit de pouvoir développer et multiplier des rapports de joie dans et avec la nature : « (…) le problème de la crise environnementale a pour origine le fait que les êtres humains n’ont pas encore pris conscience du potentiel qu’ils ont de vivre des expériences variées dans et de la nature », Arne Næss.
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Compléments sur la formule de l’homme est un Dieu pour l’homme chez Spinoza :
« Proposition XXXV
Dans la seule mesure où les hommes vivent sous la conduite de la Raison, ils s’accordent toujours nécessairement par nature. Démonstration En tant que les hommes sont dominés par des sentiments qui sont des passions, ils peuvent être différents par nature et opposés les uns aux autres. Au contraire, on dit que les hommes agissent dans la seule mesure où ils vivent sous la conduite de la Raison; et par conséquent tout ce qui suit de la nature humaine, en tant qu’elle est définie par la Raison, doit être compris par la seule nature humaine, comme par sa cause prochaine. Mais puisque chacun, d’après les lois de sa nature, désire ce qu’il juge être bon, et s’efforce d’écarter ce qu’il juge être mauvais, puisque en outre, ce que nous jugeons bon ou mauvais d’après le commandement de la Raison, est nécessairement bon ou mauvais, les hommes, dans la seule mesure où ils vivent sous la conduite de la Raison, font nécessairement ce qui est nécessairement bon pour la nature humaine et par conséquent pour chaque homme, c’est-à-dire qui s’accorde avec la nature de chaque homme. Et donc les hommes s’accordent nécessairement entre eux, en tant qu’ils vivent sous la conduite de la Raison.
- Corollaire I
Dans la nature, il n’y a rien de singulier qui soit plus utile à l’homme qu’un homme qui vit sous la conduite de la Raison. Car ce qui est le plus utile à l’homme, c’est ce qui s’accorde le mieux avec sa nature, c’est-à-dire l’homme. Or l’homme agit, absolument parlant, selon les lois de sa nature, quand il vit sous la conduite de la raison et dans cette seule mesure, il s’accorde toujours nécessairement avec la nature d’un autre homme. Donc parmi les choses singulières, rien n’est plus utile à l’homme qu’un homme, etc.
- Corollaire II
C’est lorsque chaque homme cherche avant tout l’utile propre qui est le sien que les hommes sont le plus utiles les uns aux autres. Car plus chacun cherche l’utile qui est le sien et s’efforce de se conserver, plus il est doué de vertu, ou ce qui revient au même, plus grande est la puissance dont il est doué pour agir selon les lois de sa nature, c’est-à-dire pour vivre sous la conduite de la Raison. Or c’est lorsque les hommes vivent sous la conduite de la Raison qu’ils s’accordent le mieux par nature. Donc les hommes sont les plus utiles les uns aux autres, lorsque chacun cherche avant tout l’utile qui est le sien.
- Scholie
Ce que nous venons de montrer, l’expérience même l’atteste chaque jour par de si clairs témoignages, que presque tout le monde dit que l’homme est un Dieu pour l’homme. Pourtant il est rare que les hommes vivent sous la conduite de la raison; mais c’est ainsi; la plupart se jalousent et sont insupportables les uns aux autres. Néanmoins ils ne peuvent guère mener une vie solitaire, de sorte que la plupart se plaisent à la définition que l’homme est un animal politique; et de fait, les choses sont telles que, de la société commune des hommes, on peut tirer beaucoup plus d’avantages que d’inconvénients.» Spinoza, Éthique IV, proposition XXXV
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Suite du séminaire. Pourquoi cette lecture que fait Næss de Spinoza ne fonctionne pas ? D’après Pierre Zaoui, Næss force beaucoup trop Spinoza, et cela sur plusieurs points clés.
-> Premier point de friction, la conception de la nature. La Natura chez Spinoza n’est ni la planète, ni l’environnement, ni l’ensemble des êtres vivants de la biosphère, etc. La Natura est un concept désincarné : une nature aveugle et mécaniste, régie par des lois causales qui engendrent nécessairement des effets, d’où la géométrie des affects, et qui de plus, ne différencie pas l’artificiel du naturel.
Il n’y a donc pas d’identification possible entre le concept de Natura chez Spinoza et celui de nature chez Naess, sauf à confondre la substance avec le mode infini médiat (la figure totale de l’univers ou l’ensemble de la biosphère par exemple). Le Deus sive Natura de Spinoza est une pensée « dénaturante » si l’on entend nature au sens de Naess.
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Compléments sur la distinction Nature naturante / naturée chez Spinoza :
« Avant d’aller plus loin, je veux expliquer ici ou plutôt faire remarquer ce qu’il faut entendre par Nature naturante et par Nature naturée. Car je suppose qu’on a suffisamment reconnu par ce qui précède, que par nature naturante, on doit entendre ce qui est en soi et est conçu par soi, ou bien les attributs de la substance qui expriment une essence éternelle et infinie, c’est-à-dire (par le Coroll. 1 de la Propos. 14 et le Coroll. 2 de la Propos. 16) (…) J’entends, au contraire, par nature naturée tout ce qui suit de la nécessité de la nature divine, ou de chacun des attributs de Dieu ; en d’autres termes, tous les modes des attributs de Dieu, en tant qu’on les considère comme des choses qui sont en Dieu et ne peuvent être ni être conçues sans Dieu. » Spinoza, Ethique 1, Proposition 29, Scholie.
Compléments sur le mode infini médiat chez Spinoza :
« Un mode donné doit son essence de mode à la substance et son existence à l’existence d’un attribut, si c’est un mode infini (E1P23) et à l’existence d’autres modes finis, si c’est un mode fini (E1P28). Il existe dans le système spinoziste un mode infini immédiat pour chaque attribut, l’entendement absolument infini pour la pensée et le mouvement/repos pour l’étendue. Il existe aussi un mode infini médiat (suivant non de l’infinité de l’attribut mais de l’infinité des modes) : la figure totale de l’univers pour l’étendue et probablement (Spinoza ne le précise pas explicitement) la compréhension infinie de cette figure pour la pensée. Cf. Lettre 64 à Schuller.
Pour exprimer le rapport de la substance à ses modes, on pourra tenter l’image de l’océan et de ses vagues… qui comme toute image a ses limites. L’océan serait la substance, les courants et les vagues ses modes finis. Chaque vague peut être considérée individuellement selon sa durée et son extension particulières, mais elle n’a d’existence et d’essence que par l’océan dont elle est une expression. L’océan et ses courants ou vagues ne peuvent être séparés qu’abstraitement. Le « mode infini immédiat » de cet océan-substance serait le rapport de mouvement et de repos qui caractérise la totalité de cet océan, s’exprimant donc de façon singulière en chaque vague. Le mode infini médiat serait le résultat global du mouvement et du repos des vagues de l’océan. Mais il ne faut pas voir là un processus, en fait tout cela s’imbrique en même temps, le « résultat » qu’est le mode infini médiat n’est pas chronologique mais seulement logique. » Source : Spinoza et nous.
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-> Second point de divergence, la conception même du conatus. La persévérance dans l’être, au sens de conservation radicale chez Spinoza, celle-ci diffère de la réalisation de Soi. Naess entend par Soi l’ensemble des êtres vivants, puis par extension l’ensemble de la biosphère. Outre le fait que chez Spinoza la différence entre l’artificiel et le naturel, le vivant et le non-vivant, ne fassent pas sens, le conatus, persévérance dans l’être au sens d’une recherche de toujours plus de puissance en acte, celui-ci permet, s’actualise à travers le développement technique, la prédation, la captation.
-> Troisième point, la notion d’identification (avec les autres, les non-humains ou les choses singulières) pose un problème d’ordre conceptuel. Chez Spinoza, il y a une essence de l’homme. C’est en ce sens que rien n’est plus utile à un homme que la communauté des hommes raisonnables. Soit là où se partage le plus de notions communes, et où peut donc se former le plus d’idées adéquates sur lois de la Nature. C’est-à-dire sur les causes qui nous déterminent à agir. Notons ici qu’avant d’atteindre le 3ème genre, notre connaissance de la Nature ne nous conduit qu’à la connaissance de nous-mêmes en tant que mode (modification), la connaissance de notre place dans la Nature, de nos rapports, et non à la connaissance de la Nature en elle-même à travers les choses singulières.
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Complément sur les notions communes :
« Ce qui est commun à toutes choses et se trouve également dans le tout et dans la partie, ne se peut concevoir que d’une façon adéquate. (…) Il suit de là qu’il y a un certain nombre d’idées ou notions communes à tous les hommes. Car tous les corps se ressemblent en certaines choses, lesquelles doivent être aperçues par tous d’une façon adéquate, c’est-à-dire claire et distincte. » Spinoza, Ethique II, proposition 38« Ce qui est commun au corps humain et à quelques corps extérieurs par lesquels le corps humain est ordinairement modifié, et ce qui est également dans chacune de leurs parties et dans leur ensemble, l’âme humaine en a une idée adéquate. (…) Il suit de là que l’âme est propre à percevoir d’une manière adéquate un plus grand nombre de choses, suivant que son corps a plus de points communs avec les corps extérieurs. » Spinoza, Ethique II, proposition 39
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Conclusion de Pierre Zaoui, Arne Naess nous propose une conception trop optimiste de l’unité-pluralité et des joies de et dans la nature. Or chez Spinoza, la nature, entendue cette fois au sens le plus proche de la biosphère de Naess, celle-ci est oppressive, le lieu de la mortalité et de la servitude native, d’où l’obligation faite à l’homme, au nom de son conatus, de développer des techniques d’émancipation et de transformation en contradiction avec les objectifs de préservation. Au final, l’écosophie de Naess ne peut assurer le passage d’une éthique à une politique. Cette réalisation de Soi dans la nature n’est pas possible, si Spinoza a raison.
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Spinoza pour penser l’écologie de ce point de vue, non. Soit. Face à cette proposition, opposons quelques intuitions. Des intuitions, c’est-à-dire quelques rencontres. La figure végétale, une occasion de penser l’écologie, Spinoza, une occasion de penser la figure végétale ?
L’Ethique pour chacun, une lecture partielle et singulière de laquelle se dégage un climat, un complexe d’affinités. Alors voici la petite histoire d’un lecteur idiot qui remonte les images, expérimente le climat de l’Éthique comme celui d’un grand corps végétal et recherche des correspondances. Si l’Ethique n’est pas un manuel de botanique, un regard plus végétal sur le conatus pourrait-il nous permettre de penser une certaine formule écologique, après et à partir de Spinoza ?
Le conatus, l’effort vers un gain de puissance indéfini. Reconnaissons qu’il est assez tentant de rapprocher cette formule d’un toujours plus de l’ubris qui semble caractériser les sociétés occidentales modernes. Le conatus, ou en quelque sorte la formule de la démesure spinoziste. Captation, usages et transformation indéfinies de la nature afin d’émancipation, le manque de sobriété s’inscrit au cœur même du système du philosophe.
Je capture et gagne en puissance donc je pollue. Il flotte à l’endroit de cette proposition comme une vraie difficulté de notre mode de penser. Pour l’exprimer, sans doute est-il utile de revenir à l’énoncé suivant : parler d’écologie, c’est parler de l’homme, un animal biologique et politique. Or si nous demeurons relativement vigilent vis-à-vis de nos diverses projections anthropocentriques dans la nature, notre résidu de zoocentrisme semble quant à lui incompressible. Nous pensons, et nous représentons le monde, sur un mode essentiellement animal. Cette prédominance du paradigme zoologique révèle notre difficulté à penser l’altérité radicale, par exemple celle d’un mode d’existence tel que le végétal, c’est à dire une manière autre de gérer le temps et de capter l’énergie. A l’animal transcendant, le végétal immanent nous dit Francis Hallé, à l’animal la parole, au végétal l’écrit, pour Francis Ponge.
« Nous sommes face à une altérité totale. Et c’est précisément ce qui me touche tant. Ces plantes, si fondamentalement différentes, forment des poches de résistance à la volonté de contrôle de l’homme. Moi, ça me rassure, ça me permet de respirer (…). » Francis Hallé in « Les arbres peuvent-être immortels et ça fait peur »
Quel(s) drôle(s) de rapport(s) entre le mode d’existence végétal et la pensée de Spinoza ?
Des correspondances et des interférences. L’expérience d’une musique aux vitesses et lenteurs communes, le commun restant ici un point flottant. Une attraction sans mot, quand bien même se questionnent derrière les notions d’individu et de frontière, le type de composition – appropriation, marquage et pollution – d’avec le dehors qu’implique une certaine immobilité.
Les végétaux, ces grandes surfaces d’inscription parcourue d’intensités multiples, ces grands corps décentralisés sans organes vitaux, qui opèrent par différence de potentiel (hydrique, chimique, etc.) et dont la croissance indéfinie n’épuise pas leur environnement. Notre intuition donc, pour penser l’écologie avec et après Spinoza, serait donc d’imaginer les effets d’un conatus hybride de type végétal, voire plus loin, d’une communauté humaine fonctionnant, à une certaine échelle, à l’image d’un méta-organisme végétal. Quelques pistes à développer.
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Piste n°1 : un conatus végétal
« Ils [les arbres] ne sont qu’une volonté d’expression. Ils n’ont rien de caché pour eux-mêmes, ils ne peuvent garder aucune idée secrète, ils se déploient entièrement, honnêtement, sans restriction […], ils ne s’occupent qu’à accomplir leur expression : ils se préparent, ils s’ornent, ils attendent qu’on vienne les lire. »Francis Ponge
Penser l’écologie avec et après Spinoza, ce serait tout d’abord s’intéresser à quelque chose de l’ordre d’un conatus végétal. Une certaine figure de la maîtrise de sa propre maîtrise. Le mode d’existence végétal, celui d’une croissance indéfinie (conatus) qui s’il transforme son environnement, ne l’épuise pas (sobriété). La plante synthétise et intègre quand l’animal capte et dissipe.
Une croissance indéfinie … (comment fait-on mourir un arbre ? on le cercle de fer) …
« Le plus vieil arbre que l’on ait identifié pour l’instant, le houx royal de Tasmanie, a 43 000 ans. Sa graine initiale aurait germé au Pléistocène, au moment de la coexistence entre Neandertal et l’homme moderne. Le premier arbre sorti de la graine est mort depuis longtemps, mais la plante, elle, ne meurt pas, plusieurs centaines de troncs se succèdent sur 1 200 mètres. » Francis Hallé in « Les arbres peuvent-être immortels et ça fait peur »
« Je pense que ces deux règnes [i.e. végétal et animal] se déploient dans des domaines différents. L’animal gère très bien l’utilisation de l’espace. Il est constamment en train de bouger. Le réflexe de fuite ou la pulsion de fuite dont vous parliez en témoigne. Les pulsions qui l’amènent à se nourrir ou à se reproduire correspondent toujours à des questions de gestion de l’espace. Leur adversaire, en l’occurrence la plante, n’a aucune gestion de l’espace, puisqu’elle est fixe. Mais par contre, elle a une croissance indéfinie, une longévité indéfinie, et est virtuellement immortelle ; ce qu’elle gère donc c’est le temps. » Francis Hallé in « L’Homme coloniaire et le devenir végétal de la société contemporaine »
… qui transforme son environnementsans l’épuiser
Art de la sélection et du recyclage, joyeuse chimie végétale des antidotes et des poisons qui transforme, sans l’épuiser, son environnement. A partir des éléments présents, azote et eau notamment, la plante co-produit son sol et son climat. Lorsque Deleuze parle d’éthologie à propos de l’Ethique de Spinoza, cette science qui étudie le comportement animal en milieu naturel, notre hypothèse est justement que l’on pourrait tout aussi bien parler l’éco-éthologie végétale.
« (…) L’Ethique de Spinoza n’a rien à voir avec une morale, il la conçoit comme une éthologie, c’est-à-dire comme une composition des vitesses et des lenteurs, des pouvoirs d’affecter et d’être affecté sur ce plan d’immanence (…) L’éthologie, c’est d’abord l’étude des rapports de vitesse et de lenteur, des pouvoirs d’affecter et d’être affecté qui caractérisent chaque chose. Pour chaque chose, ces rapports et ces pouvoirs ont une amplitude, des seuils (minimum et maximum), des variations ou transformations propres. Et ils sélectionnent dans le monde ou la Nature ce qui correspond à la chose, c’est-à-dire ce qui affecte ou est affecté par la chose, ce qui meut ou est mû par la chose. (…) » Gilles Deleuze in « Spinoza, Philosophie pratique ».
« L’animal est mobile, la plante pas, et c’est un sacré changement de paradigme : les végétaux ont dû développer une astuce largement supérieure à la nôtre. Ils sont devenus des virtuoses de la biochimie. Pour communiquer. Pour se défendre. Prenons le haricot : quand il est attaqué par des pucerons, il émet des molécules volatiles destinées à un autre être vivant, un prédateur de pucerons. Voilà un insecticide parfait ! Pour se protéger des gazelles, un acacia, lui, change la composition chimique de ses feuilles en quelques secondes et les rend incroyablement astringentes. Plus fort encore, il émet des molécules d’éthylène pour prévenir ses voisins des attaques de gazelles. Enfin, des chercheurs de l’Institut national de recherche d’Amazonie (INPA) viennent de montrer que les molécules volatiles, émises par les arbres tropicaux, servent en fait de germes pour la condensation de la vapeur d’eau sous forme de gouttes de pluie. Autrement dit, les arbres sont capables de déclencher une pluie au-dessus d’eux parce qu’ils en ont besoin ! » Francis Hallé in « Les arbres peuvent-être immortels et ça fait peur »
« Toute machine, avec une entrée d’énergie, produit des déchets. Les thermodynamiciens, les physiciens l’ont démontré. Mais où passent les excréments des arbres ? On a dit que c’était peut-être l’oxygène, ou les feuilles mortes. Or il semblerait que ce soit le tronc, et plus précisément la lignine, qui constitue l’essentiel du bois. Il s’agit d’un produit très toxique que l’arbre dépose sur des cellules qui sont en train de mourir et qui vont se transformer en vaisseaux – ceux-là mêmes qui vont permettre la montée de l’eau dans le tronc. On peut donc dire que l’arbre repose sur la colonne de ses excréments : cette lignine qui donne aux plantes leur caractère érigé, qui leur permet de lutter contre la pesanteur et de s’élever au-dessus des végétations concurrentes. C’est très astucieux. Et c’est bien dans le style des plantes de tirer parti de façon positive de quelque chose de négatif. On dit souvent que l’arbre vient du sol. Mais en réalité, il est né d’un stock de polluants, puisqu’il est constitué à 40 % de molécules à base de carbone (le reste est de l’eau). L’arbre a cherché le carbone dans l’air, l’a épuré et transformé en bois. Alors, couper un arbre, c’est comme détruire une usine d’épuration. » Francis Hallé in « Les arbres peuvent-être immortels et ça fait peur »
AMOUR n’est rien qu’il ne croisse à l’extrême : Croître est sa loi ; il meurt d’être le même, Et meurt en qui ne meure point d’amour. Vivant de soif toujours inassouvie, Arbre dans l’âme aux racines de chair Qui vit de vivre au plus vif de la vie Il vit de tout, du doux et de l’amer Et du cruel, encor mieux que du tendre. Grand Arbre Amour, qui ne cesse d’étendre Dans ma faiblesse une étrange vigueur, Mille moments que se garde le cœur Te sont feuillage et flèches de lumière ! Mais cependant qu’au soleil du bonheur Dans l’or du jour s’épanouit ta joie, Ta même soif, qui gagne en profondeur,
Puise dans l’ombre, à la source des pleurs …
Piste n°2 : la communauté ou le méta-organisme végétal
A travers la figure végétale, nous avons accès à un certain type de conatus : la recherche d’un utile propre et d’un développement de puissance qui n’épuise pas son environnement. Par ailleurs, le paradigme végétal doit également nous permettre de poser un regard sur le faire communauté, c’est à dire l’art de composer ou d’associer les puissances.
« (…) Enfin, l’éthologie étudie les compositions de rapports ou de pouvoirs entre choses différentes. C’est encore un aspect distinct des précédents. Car, précédemment, il s’agissait seulement de savoir comment une chose considérée peut décomposer d’autres choses, en leur donnant un rapport conforme à l’un des siens, ou au contraire comment elle risque d’être décomposée par d’autres choses. Mais, maintenant, il s’agit de savoir si des rapports (et lesquels ?) peuvent se composer directement pour former un nouveau rapport plus « étendu », ou si des pouvoirs peuvent se composer directement pour constituer un pouvoir, une puissance plus « intense ». Il ne s’agit plus des utilisations ou des captures, mais des sociabilités et communautés (…) Comment des individus se composent-ils pour former un individu supérieur, à l’infini ? Comment un être peut-il en prendre un autre dans son monde, mais en en conservant ou respectant les rapports et le monde propres ? Et à cet égard, par exemple, quels sont les différents types de sociabilité ? Quelle est la différence entre la société des hommes et la communauté des êtres raisonnables ?… Il ne s’agit plus d’un rapport de point à contrepoint, ou de sélection d’un monde, mais d’une symphonie de la Nature, d’une constitution d’un monde de plus en plus large et intense. Dans quelle mesure et comment composer les puissances, les vitesses et les lenteurs ? » Gilles Deleuze in « Spinoza, Philosophie pratique ».
« Comprendre l’arbre suppose d’opérer une révolution intellectuelle. C’est un être à la fois unique et pluriel. L’homme possède un seul génome, stable. Chez l’arbre, on trouve de fortes différences génétiques selon les branches : chacune peut avoir son propre génome, ce qui conforte l’idée que l’arbre n’est pas un individu mais une colonie, un peu comme un récif de corail. » Francis Hallé in « Les arbres peuvent-être immortels et ça fait peur »
Un arbre c’est déjà une association de puissance. Rappelons que pour Spinoza, une chose, un corps est toujours le résultat d’un agencement singulier de parties. Une société, un livre, un son, tous sont des corps et relèvent comme tel d’une certaine composition de rapports de vitesses et de lenteurs entre les parties qui le composent.
L’arbre est une société de cellules très fluide (décentralisation, indépendance, redondance, totipotence, variabilité du génome, etc.) Une organisation coloniaire qui compose des puissances entre des parties très autonomes, chacune déployant son conatus, ce qui permet à l’ensemble une croissance indéfinie, la division ou reproduction asexuée. C’est ainsi que pour l’arbre, toute mort ne vient que du dehors.
« (…) qu’est-ce que ça veut dire aujourd’hui être spinoziste ? Il n’y a pas de réponse universelle. Mais je me sens, je me sens vraiment spinoziste, en 1980 – alors je peux répondre à la question, uniquement pour mon compte : qu’est-ce que ça veut dire pour moi me sentir spinoziste ? Et bien ça veut dire être prêt à admirer, à signer si je le pouvais, la phrase : la mort vient toujours du dehors. La mort vient toujours de dehors, c’est-à-dire la mort n’est pas un processus. » Source : La voix de Gilles Deleuze en ligne
« L’idée ici, en évoquant que les colonies sont virtuellement immortelles, signifie qu’il n’y a pas de sénescence. Il existe, bien sûr, au niveau de l’individu constitutif, une sénescence – par exemple l’abeille a une durée de vie assez courte – mais cette sénescence n’apparaît plus au niveau de la colonie elle-même. Si aucun événement extérieur massivement pathogène ne vient détruire la colonie, elle continuera à vivre indéfiniment : aucune raison biologique interne ne la fait acheminer vers la mort. Il en va ainsi de l’arbre : s’il se met à faire trop froid, il meurt, mais cela ne correspond pas à une sénescence interne. Tant que les conditions resteront bonnes, la vie va durer ; c’est en ce sens que j’emploie l’expression d’une potentielle ou virtuelle immortalité. » Francis Hallé in « L’Homme coloniaire et le devenir végétal de la société contemporaine »
Art de la composition des rapports et de la colonisation des milieux, le végétal est un être structurellement greffable, un être dont l’existence même consisterait à étendre l’espace possible des greffes infinies.
Des greffes, des symbioses et des imitations : la couille du diable, est-ce une plante ou une fourmilière, le corail, un animal aux formes de développement végétal, les transcodages qui s’opèrent dans la reproduction sexuée entre les plantes à fleur et les insectes. A une certaine échelle, fourmilière, essaim, ces groupes animaux optent pour des stratégies d’organisation qui nous apparaissent comme calquées sur le modèle du végétal fluide.
Du paradigme végétal, une certaine manière de tisser dans la nature la toile des relations qui porte son existence, de ses captures résulte des expressions, grille de lecture de formes itératives caractéristiques : coraux de l’architecture des humeurs, toile de l’internet ou des hyper-réseaux urbains, etc.
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Constatons donc à la suite Francis Hallé l’inspiration zoocentré de nos pensées : individu, volume, mobilité, pulsion de fuite, consommation et dissipation des forces, concurrence exclusive, etc. Conséquences, et avant même de penser toute politique, il nous est déja comme impensable d’imaginer le déploiement d’une puissance qui n’épuise pas son environnement, qui ne soit pas exclusive dans son occupation de l’espace, etc.
Or à l’aide du paradigme végétal, tout du moins de la lecture ou de l’image que nous pouvons nous en faire, il nous est pourtant possible d’avancer l’idée d’une maîtrise de notre propre maîtrise, de penser avec et après Spinoza une écologie des frontières mobiles et de l’autonomie.
Celle-ci implique une modification de notre utile propre, afin d’en conserver l’accès (un conatus qui n’épuise pas son environnement), mais également de continuer à gagner en autonomie dans la Nature, en composant de nouvelles organisations émancipatrices (associations de puissances fluides et décentralisées et modèle de la greffe).
L’arbre est une configuration d’interactions, dynamiques et singulières, appropriée aux conditions de vie de la forêt, la forêt est une association d’arbres dont les interactions produisent leurs propres niches écologiques, la forêt. Étrangeté, curiosité, altérité, les principes d’attention au monde et d’expérimentation sont vraissemblablement porteurs de plus de puissance que ses cousins de la responsabilité et autre précaution.
« (…) le problème de la crise environnementale a pour origine le fait que les êtres humains n’ont pas encore pris conscience du potentiel qu’ils ont de vivre des expériences variées dans et de la nature » Arne Næss
Séminaire, les horizons de l’écologie politique.
Réseau des correspondances. Pierre Zaoui …
Un spinozismemélancolique.
L’eau coule, circule entre tous les plans.
Une contrainte pensée devient puissance.
Ou trouver de la joie dans le renforcement des forces écologiques ?
L’émergence d’un tournant écologique, net, non orchestré, non idéologique. Un tournant qui emporte avec lui le politique.
Le sol de la politique, du local au global, se transforme, est travaillé par cette nouvelle nécessité : répondre aux enjeux écologiques.
Des questions …
Peut-on faire pivoter ce sol pour qu’il devienne un horizon, une visée ? Si oui, est-il encore souhaitable de penser la politique en termes d’horizon, d’idéologie ?
Par ailleurs, afin de constituer un tel horizon, une nouvelle forme de subjectivation politique, peut-on partir des menaces relevées par l’écologie scientifique (destructions des habitats, dégradations et modifications irréversibles affectant nos conditions de vie présentes et futures) ?
Comment au coeur de l’annonce de ces catastrophes faire émerger un nouveau principe d’espérance politique ? Peut-on sortir de l’heuristique de la peur pour promouvoir un gai savoir écologique ? (c.f. TRE Spinoza, mieux vaut gouverner par l’espérance que par la crainte).
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Transformer l’annonce des catastrophes en principe d’espérance
Quelques exemples historiques …
L’exode des Hébreux transformé/intégré par Moïse dans une nouvelle foi (c.f. TRE Spinoza). Un nouveau sol, le désert, sa transformation en une nouvelle espérance, l’horizon de la Loi.
La démocratie grecque, processus de transformation de la révolte de la plèbe, une construction sur le sol d’une guerre civile au sein de la Cité.
Le Christianisme, une transformation du texte de l’apocalypse, de la fin de l’empire romain et de l’état juif. L’articulation de la catastrophe annoncée et des décompositions en cours vers la constitution d’un message d’amour, l’annonce d’une bonne nouvelle (un sauveur).
Le tremblement de terre de Lisbonne, la saisie de la contingence et de la vulnérabilité de l’espèce humaine et leur transformation à travers la création de l’idée de progrès. La promesse d’un avenir fait de savoir, de paix et de fraternité (idée de perfectibilité de l’espèce humaine).
L’horizon communiste révolutionnaire qui pousse sur le terreau des catastrophes issues de la révolution industrielle, l’importante dégradation des conditions de vie conséquence de l’accumulation primitive (premier stade de développement du système capitalisme). De cela nait la promesse, l’horizon d’une société sans classe faite d’hommes désaliénés, hommes totaux libérés de la contrainte, du pouvoir, etc.
Une nouvelle bonne nouvelle ?
Un processus commun à l’œuvre : (se) saisir d’une catastrophe particulière, la transformer en une nouvelle espérance.
Une double problèmatique avec les catastrophes écologiques : celles-ci sont hyperboliques (disparition tendancielle de l’espèce humaine) et leur lecture n’est pas directement, n’est pas immédiatement donnée en tant que position politique. L’écologie politique regroupe des forces diverses et opposées.
Des problèmes et des promesses. Comment une autre politique (une nouvelle bonne nouvelle) est-elle possible dans ce cadre ?
Un gai savoir écologique, l’ivresse du convalescent, les puissances de libération dans la débâcle, où trouver de la joie (augmentation de ses capacités à affecter et être affecté, c.f. Spinoza) dans le renforcement des forces écologiques ?
6 nouvelles bonnes nouvelles ?
Après-vous le déluge ?
Il s’agirait d’inverser le principe de responsabilité proposée par Jonas. Jonas développe une responsabilité tournée vers l’avenir, pouvoir léguer aux générations à venir un monde encore vivable. Son option politique, faire de la loi une obligation de transmission (c.f. le Talmud).
Le problème de la position de Jonas ? Au final quelle différence entre culpabilité et responsabilité ? Il y a identité entre une responsabilité hyperbolique et une culpabilité infinie dans la mesure où celle-ci porte sur l’indéfinité des générations à venir.
Or le but de l’écologie politique n’est pas de prendre en charge cette nouvelle responsabilité, au contraire, il s’agit de nous en libérer au présent de l’action politique. A condition de sortir des horizons religieux et redonner du sens à la politique, précisément au sens de l’action collective, la politique peut agir positivement sur les menaces actuelles.
L’écologie politique visant à transmuer l’action individuelle en un horizon de l’action collective, son objectif est justement de faire sortir l’individu du poids de la responsabilité/culpabilité individuelle.
Les problèmes écologiques ne se règleront pas à travers la prise de conscience individuelle de chacun, contrairement aux modèles du christianisme ou du marxisme, mais par des accords collectifs ici et maintenant.
Il s’agit de ne surtout pas produire de la morale à partir de l’écologie scientifique. De ne pas fliquer les conduites individuelles, promouvoir le contrôle social et une écologie totalitaire.
La formulation d’un après-vous le déluge souligne ainsi la nécessité de sortir l’individu de la culpabilité. Celui-ci aura participé, se sera assumé pleinement comme actant politique.
Première bonne nouvelle : on n’a pas à se sentir coupable.
Une prise en compte effective du multiple ?
Le concept de multitude prend (enfin ?) un sens effectif avec l’écologie politique.
Le concept de multiplicité, la distribution sur un espace lisse d’éléments radicalement hétérogènes et sans identité (unité) préalable. Ici le un est produit par le multiple et non l’inverse.
Le concept de peuple, par exemple chez Machiavel, un ensemble homogène dans ses humeurs. Idem chez Marx, Lacan, voire même chez Deleuze avec son devenir imperceptible.
L’écologie politique, en tant qu’elle se fait d’une conjonction singulière de positions antagonistes, sans rapport et sans origine commune, travaille dans et avec le concept de multiplicité.
L’écologie politique, c’est un certain rapport à la science, la croyance dans la sphère technico-scientifique, son consensus climatique par exemple, et simultanément, une critique des effets de la sphère technico-scientifique sur la biosphère.
L’écologie politique réunit des multiplicités, sans position initiale requise, articule des positions. Elle part d’une multiplicité des pratiques sans promettre de synthèse finale. Elle est radicalement non programmatique, propose des rapports ouverts et contingents avec le dehors sur la base d’une réunion de singularités qui s’articulent pour agir, sans outils pensés à l’avance pour ce faire.
Seconde bonne nouvelle : un respect des singularités.
Une promesse d’abondance ?
La question de la frugalité. Dans nos sociétés de l’accumulation, c’est le productivisme qui produit le sentiment de rareté. Il s’agit donc de faire passer l’organisation économique au second plan, précisément parce qu’il n’y a pas de bonne organisation économique. L’économie se doit d’être soumise à un principe d’abondance en se débarrassant de la rareté.
Troisième bonne nouvelle : il n’y a pas de bonne organisation économique à rechercher.
Un nouveau cosmopolitisme ?
Quelques grandes formes de cosmopolitismes dans l’histoire. Celui des stoïciens, Épictète et la notion de citoyen du monde sous la condition de l’existence de l’empire romain. Suivent le cosmopolitisme des lumières, de l’internationalisme socialiste, du communisme et du tiers-mondisme. Les cosmopolitismes économiques, celui de la première mondialisation entre la fin du XIXème et le début XXème, aujourd’hui, celui de la seconde mondialisation.
L’écologie politique transforme le cosmopolitisme en faisant de cet horizon un sol. La terre espace clos, l’actualisation du « nous sommes embarqués » de Pascal. Soit un rêve qui peut se passer d’horizon, un rêve dans et sur le réel.
- Le rêve d’un cosmopolitisme expert. Un individu expert (partiel) de son environnement et qui témoigne pour tous et devant tous des modifications de son environnement.
- Le rêve d’un cosmopolitisme immobile. Des lenteurs dans les déplacements (c.f. Beckett, Kafka), un devenir végétal dans les stratégies d’occupation de l’espace.
- Le rêve d’un cosmopolitisme non-humain. Repenser une politique du lieu commun, l’ouvrir aux non-humains.
Quatrième bonne nouvelle : un rêve les deux pieds dans le réel.
Une nouvelle esthétique ?
Repenser l’art sous l’horizon écologique. Un nouveau sens et/ou rapport à la nature ? De nouvelles formes de représentation ou de non représentation (c.f. l’expérience des romantiques allemands).
Une esthétique du quotidien, un art brut, de nouvelles interactivités pour un nouveau spectateur.
Cinquième bonne nouvelle : de nouvelles formes de représentation à naître.
De nouvelles formes de conflictualité ?
Flottantes, transversales, à construire sur les ruines (recyclage) des anciennes formes de conflictualité (le syndicalisme, l’associatif, etc.)
Sixième bonne nouvelle : de nouvelles formes d’organisation à composer.
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Pour éviter une dérive religieuse à partir de ces différentes promesses, il est nécessaire de produire une philosophie.
Si nous ne devions garder qu’une chose à dire ici, un truc comme ça. Aborder les questions écologiques, étendues et non entendues, c’est avant tout se confronter à l’abondance des objets du monde, la co-production des relations qui passent entre, les usages input/output qu’on en (co)fait.
C’est donc la mobilisation tout azimut de l’ensemble de nos ressources (sciences, littérature, cinéma, poésie, etc.), la mise en place de dispositifs de rencontre et de de capture champ/hors-champ pour auto-co-productions d’assemblages à plier dans des images, le tissage d’un réseau de correspondances inévidentes, à donner à voir, à donner pour se voir dans ce que je prends, ce à quoi je suis indifferent, faire percevoir de la toile qui porte tel ou tel existant.
Deux petites flâneries urbaines dans cette direction.
Jeudi 4 mars à 20h00, librairie le genre urbain, rencontre – débat avec Yves Citton et Laurent Bove autour du livre d’Yves Citton : Mythocratie. Storytelling et imaginaire de gauche (Ed. Amsterdam) « Comment comprendre le soft power que mobilisent nos sociétés mass-médiatiques pour conduire nos conduites, pour nous gouverner ? Comment en infléchir les opérations pour en faire des instruments d’émancipation ? Cet ouvrage tente de répondre à ces questions en croisant trois approches. Il synthétise d’abord le nouvel imaginaire du pouvoir qui fait de la circulation des flux de désirs et de croyances la substance propre du pouvoir. Il se demande ensuite ce que peut un récit, et en quoi les ressources du storytelling, qui ont été récemment accaparées par des idéologies réactionnaires, peuvent être réappropriées pour des politiques émancipatrices. Au carrefour des pratiques de narration et des dispositifs de pouvoir, il essaie surtout de définir un type d’activité très particulier : la scénarisation. Mettre en scène une histoire, articuler certaines représentations d’actions selon certains types d’enchaînements, c’est s’efforcer de conduire la conduite de celui qui nous écoute – c’est tenter de scénariser son comportement à venir. »
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* Capture partielle de signaux – Yves Citton
- Un livre résultant d’un travail de « montage ».
- L’imaginaire du pouvoir, pouvoir versus puissance, des dispositifs de captation de l’attention. Pouvoir = captation, canalisation (partielle, située) des flux de désirs et de croyances de la multitude (=> puissance de la multitude).
- Imaginaire, récit du pouvoir => artefact, dispositif de coagulation des désirs de la multitude => soft power conducteur de conduite. Le soft power comme résultant du mouvement ascendant qui transforme la puissance de la multitude en institutions politiques dont l’autorité retombe sur la multitude.
- Toute action dans le monde présuppose un schème narratif (pas d’histoires, pas d’actions). Perspective d’encapacitation qui fait de la structure narrative la forme même de toute pensée de l’action. La scénarisation désigne le fait qu’on ne (se) raconte jamais une histoire sans se projeter dans un certain scénario d’enchaînement d’actions.
- Expérimentation (montage/démontage/remontage des récits) versus expertise (récits indémontables). C’est de chacun de nous, de nos formes de vie, de désirs et de résistances quotidiennes qu’émerge la puissance de raconter les histoires nouvelles qui amélioreront notre devenir commun.
- Objectif : restructurer les canaux de distribution du pouvoir de scénarisation qui assurent la circulation des histoires au sein de la multitude, gagner en autonomie.
* Capture partielle de signaux – Laurent Bove
- Un récit <=> un corps <=> une organisation singulière d’images. Des images organisées qui nous affectent, produisent des effets (modifications) sur les corps, et qu’on affecte (image <=> modification des corps <=> réel en action).
- Écriture du multiple et puissance de la diversité. La multitude est producteur et produit de ses récits <=> auto-affection de la multitude => auto-organisation => auto-institution (imaginaire constituant, des institutions, des pratiques, etc.)
- Contexte d’effondrement des récits ? Incrédulité vis-à-vis des métarécits, la question centrale de la scénarisation (processus), de l’organisation des images (corps).
- Objectif : comment faire circuler, inventer, fluidifier, laisser du, le(s) désir(s) disponible(s). Question de la disponibilité des désirs en rapport à leur fixation, à leur capture par des dispositifs d’objets, gagner en autonomie.
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Un homme qui dort, (Queysanne, Perec – 1974) passage.
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* Digestion et rebranchement partiels de signaux
Face à la complexité, multiplicité et hétérogénéité qui émergent des connaissances-branchements-combinaisons de l’air d’un temps, incertitudes plus que certitudes – les questions écologiques, l’hyper-ville et les réseaux complexes, des stratégies d’occupation réticulaires de l’espace et du temps à une échelle globale – entre auto-production et co-production, quels rôles et quels types de récits (re)monter-(re)produire ?
Dans une note précédente nous avions souligné, à partir du travail d’Isabelle Stengers sur le mythe de Gaïa, l’importance qu’il y aurait à produire de nouvelles figures instauratrices pour l’écologie. Se raconter des histoires qui ne prétendent pas dire le vrai, mais qui aident à saisir, ressentir ce qui est encore hors-champ des mots pour le dire : le nouveau.
Une scénarisation, soit un enchainement d’images singulières dont l’organisation porte en elle l’information sur les relations entre les choses, articule et encapsule certaines représentations d’actions. Retour ici en écho sur notre petite notion de photo-synthèse, auto mise en image pour gain en autonomie, pliage de ses affects et de leur terreau de croissance afin de nourrir la banque d’image collective de nouvelles potentialités de dépliages et détricotages qui ne se pensent/disent pas à l’avance.
Pour Yves Citton, il s’agit de pouvoir participer à l’émergence d’un imaginaire « (…) bricolage hétéroclite d’images fragmentaires, de récits décadrés et de mythes interrompus, qui prennent ensemble la consistance d’un imaginaire, moins du fait de leur cohérence logique que de par le jeu de résonances communes qui traversent leur hétérogénéité pour affermir leur fragilité singulière (…) » Donner une force collective de participation partagée à ses (micro-auto)-récits, c’est le passage de la narration à la scénarisation, c’est se raconter des histoires, contre-scénariser afin de produire de cette colle imaginaire qui permettra de faire tenir ensemble des subjectivités.
Mais quel type de colle ? Linéarité des récits et mythe interrompu, pour Yves Citton il y a toujours nécessité à poser des horizons de clôture pour agir. Au nom de l’intégration, il y a toujours une certaine nécessité à la simplification et aux slogans.
Contradictions ? Pour ne souscrire ici en aucun cas aux vertus supposées de la simplification, quels seraient les risques associés à un trop peu d’images pour le voir, de mots pour le dire ? Manque de matière et de relations à dé(re)monter, d’où freins, fixations et perte en autonomie ?
La puissance d’un récit, d’un corps singulier, réside dans sa capacité à affecter et à être affecté. Soit ses capacités de (re)branchements sur ses et d’autres images organisés (articulation de certaines représentations d’actions selon certains types d’enchaînements).
Quel type de branchements, de (re)combinaisons possibles à partir des image-slogans ? D’un autre monde est possible à urgence planète ça chauffe, ne se construit qu’une pancarte danoise « une autre planète est possible » qui produit quoi ? Du faux, sauf à penser son habitat lunaire, mais du faux qui ne donne aucune matière à sentir le nouveau, aucune matière pour le repenser, des comportements mécaniques, se rassembler pour se rassembler et le reste tombera du ciel comme prédigéré.
Or pour les lombrics, individus frayeurs de possibles qui démontent, composent et recomposent, recyclent et aèrent le terreau de nos idées pour (se) donner à voir, mieux vaut de la matière sensible à travailler dans les énoncés. De l’espace d’activité, des interstices indéterminés entre les mots pour frayer entre, des images multiples afin de ne pas fixer les désirs sur quelques mots exclusifs et minéralisant.
Parlant d’écologie en son sens étendu, on parle de gestion de l’abondance et non de la rareté (économie). Simplifications et slogans induisent un appauvrissement qualitatif (en diversité et donc en capacité à photo-synthétiser) de la banque sociale des images.
[Fixation sur des comportements mécanique -> empêchements -> prétexte à être pensé et à penser à l’avance –> incompossibilités -> impossibilité à cohabiter avec des images porteuses d’affects étrangers à sa « nature » (nature au sens de capacité digestive, sa recombinaison singulière d’enchainement d’images et d’actions associées).]
Ne pas fermer à l’avance les récits sur le nouveau, ne pas y (re)produire des slogans, un point très délicat. Transition et interférences, rencontre avec la scénarisation suivante.
« Je vais revenir sur un point très délicat, sur lequel nous sommes très peu outillés. Cette gestion de l’indétermination, qu’elle soit narrative, paramétrique et/ou entropique, ne peut se limiter à la compréhension, la codification de sa morphologie. L’hypothèse d’un inachèvement, d’une indétermination doit se contractualiser, au sens de Sacher Masoch, simultanément et intrinsèquement à la zone d’émission, à la gestation de l’émergence. Le scénario doit rester un scénario ouvert, pour que la forme émise ou en train d’être émise puisent son indétermination de la contradiction des inputs qui la conditionnent. Ce n’est pas une méthodologie, l’inachèvement, l’indétermination ce ne peut être qu’un champ interstitiel, qui navigue entre des zones repérable, entre une géométrie générative, voir évolutionariste, une narration sociale et un protocole de construction. L’articulation de ces trois inputs, voir la contractualisation de leur non miscibilité est au creux des dispositifs que nous essayons de mettre en place. » « … que faire de votre humanisme de salon. Comment va-t-il réagir face au protocole masochiste que l’individu met lui-même en œuvre contre lui-même, afin de vivre la dualité de son éros-thanatos, fait de pulsions contradictoires siamoises et contingentes. Cette narration ouvre les portes béantes des interprétations multiples, des champs entiers à défricher, des terra incognita sur lesquelles se cartographient des paysages que seul l’imaginaire sait articuler. Elle ne clôt pas les scenarios mais permet aux subjectivations individuelles de s’y infiltrer, de s’y entortiller afin de vivre comme l’Alice de Lewis Carroll la confusion entre projections paranoïaques et l’illusion des perceptions. La logique n’est pas à la surface des choses, elle n’est révélée que suite au retournement masochiste de la Machine barbare sur soi même par le risque d’une immersion fatale. » François Roche
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Vendredi 19 Mars 2010, de 11h30 à 13h00, Zones d’attraction recevra Yves Citton pour parler ensemble de son dernier livre, paru aux éditions Amsterdam : « Mythocratie. Storytelling et imaginaire de gauche ».
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Une architecture des humeurs …
partir du désir, une expérience de scénarisation à la jointure des Arts et de la Science
Samedi 6 mars à 16h00, le laboratoire, exposition une architecture des humeurs. « L’habitat décline vos pulsions (…) il en est lui-même le vecteur (…) Synchronisé à votre propre corps, à vos artères, à votre sang, à votre sexe, à votre organisme palpitant… et vous êtes une chose, un élément parmi tout cet ensemble, un élément fusionnel, poreux… qui respire et aspire à être son propre environnement… Ici tout se noue et s’entrecroise. Tout est là, en train de se faire, dans un mouvement en train de se faire … »
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Architecture des humeurs : « Démarche associant les compétences de scientifiques de toutes disciplines (mathématiques, physique, neurobiologie, nanotechnologies…) pour tenter « d’articuler le lien réel et/ou fictionnel entre les situations géographiques et les structures narratives qui sont à même de les transformer. »François Roche « Au creux de ses indéterminations, on se plait à relire Spinoza par l’intermédiaire de Tony Negri, plus particulièrement dans son ouvrage écrit en prison, l’Anomalie Sauvage … On se plait à repenser les protocoles issues de procédures non déterministes, comme les équilibres instables et réactifs liés aux organisations sociales ou l’intelligence collective est le paramètre constitutif du vivre ensemble, où les multitudes ne sont pas kidnappées par les mécanismes de délégation de pouvoir, fussent-ils démocratiques. Que quelques architectes s’intéressent aux caractéristiques, aux identifiants, aux marqueurs de l’auto-organisation, pour dé-pathologiser ces protocoles d’incertitudes des fantasmes New-Age, communautaristes et alternatifs, semble une belle ligne de fuite, une ligne d’intensité, qui fissurent par la même tout le système de représentation. » « L’architecture des humeurs, (…) un outil susceptible de faire émerger des Multitudes, et de leur palpitation, de leur hétérogénéité, les prémisses d’un protocole d’organisation relationnelle. » François Roche
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Proposition : partir du désir des gens dans la co-construction (symbiotisme) d’un habitat collectif, zone habitable en train de se faire par agglutination des désirs individuels troubles et contradictoires. Ce tricotage itératif de formes communes passe par la mise en place d’un double dispositif de collectes : signaux verbalisés en réponse à d’autres signaux verbalisés, micro-signaux moléculaires symptômes de la modification de la composition chimique d’un corps.
« Via l’architecture des humeurs, nous avons scénarisé une machine constructive et narrative qui soit réceptive à deux inputs contradictoires, entre l’ordre du désir codifié par le langage, et l’ordre de sa sécrétion chimique préalable, voire dissimulée. Nous avons souhaité que la relecture schizoïde d’une programmation en train de se faire puisse générer des protocoles d’incertitude. Un fragment urbain constitué sur ces procédures, vecteurs de variabilités et d’indéterminations, rend visible le potentiel de ces agrégations hétérogènes. L’un des sujets de cette recherche aura été de penser la structure portante de ces cellules habitables, et donc la forme finale du bâtiment, a posteriori. Le fait que la structure portante ne soit pas dessinée au préalable nécessite un calcul permanent des segments et des trajectoires de force qui portent ces noyaux habitables. » « Chimie des corps envisagée comme un élément susceptible de perturber, d’altérer les logiques linéaires, les logiques d’autorité ; de processus éclairant la relation du corps à l’espace, mais plus encore des corps dans leur relation sociale, de relation à l’autre, au sein d’une même cellule mais aussi en osmose de voisinage. »
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Proposition : un dispositif de capture des désirs individuels. On part de la production de signaux désirant émis autour des questions de la zone habitable, à leur capture par une double stratégie de collecte : - classique à travers un entretien (fabrique des mots et structure narrative); - physiologique via une interface d’échange moléculaire (sécrétions et modifications chimiques, émission de molécules).
« Collecte d’informations de l’ordre du corps chimique, basé sur les émissions neurobiologiques de chacun des futurs acquéreurs: jusqu’ici, la collecte des informations du protocole d’habitation s’appuyait exclusivement sur des données visibles et réductrices (superficie, nombre de pièces, mode d’accès et mitoyenneté de contact…). » « L’architecture des humeurs se pose comme préliminaire de relire les contradictions de l’émission même de ces désirs ; à la fois ceux, qui traversent l’espace public par la capacité à émettre un choix, véhiculé par le langage, à la surface des choses…, et ceux préalables et plus inquiétants peut-être, mais tout aussi valides, susceptibles de rendre compte du corps comme machine désirante et de sa chimie propre ; dopamine, cortisol, mélatonine, adrénaline et autres molécules sécrétées par le corps lui-même, imperceptiblement antérieur à la conscience que ces substances vont générer. La fabrication d’une architecture est ainsi infléchie d’une autre réalité, d’une autre complexité, de celle du corps acéphale, du corps animal … »
Dispositif de capture de la chimie du corps désirant
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Proposition : à partir de cette double-capture, on évalue des zones de divergence, des différences schizoïdes entre les deux sources d’émission des désirs.
En ressort les coordonnées sources du travail architectural, coordonnées qui sont les input d’un logarithme complexe. Calcul local et global, charge au programme de prendre en compte le désir de chacun, le désir agglutiné de tous, chaque modification d’une coordonnée modifiant l’ensemble.
« L’architecture des humeurs c’est rentrer par effraction dans le mécanisme de dissimulation du langage afin d’en construire physiquement les malentendus. Une station de collecte de ces signaux est proposée. Elle permet de percevoir les variations chimiques, et de saisir ces changements d’état émotionnel afin qu’ils affectent les géométries émises et influencent le protocole constructif. » « Cette expérience est l’occasion d’interroger la zone trouble de l’émission des désirs, par la captation de ces signaux physiologiques basés sur les sécrétions neurobiologiques et d’implémenter la chimie des humeurs des futurs acquéreurs comme autant d’inputs générateurs de la diversité des morphologies habitables et de leur relation entre elles. »
Proposition : charge à un logarithme, process mathématique d’optimisation proposant un système complexe adaptatif fonctionnant par incrémentation successive des inputs, de produire les morphologies habitables. Des architectures qui nous rappellent le plus souvent le type corail, symbiose du végétal et de l’animal (cf. devenir végétal). Une fois l’implémentation des inputs terminée, une forme arrêtée, le logarithme programme alors les robots en charge de de sa construction.
« Process mathématique d’optimisation qui permet à l’architecture de réagir et de s’adapter aux contraintes préalables, aux conditions initiales et non l’inverse. »