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Spinoza, la plante et l’écologie

Spinoza, la plante et l’écologie dans Arne Naess spe1
«  […] une plante est un chant dont le rythme déploie une forme certaine, et dans l’espace expose un mystère du temps.  »
Paul Valéry

La cuisine de ce petit blog : confronter des univers, poser l’artifice d’un cadre commun qui ne prétend pas au vrai, laisser se produire des effets, ouvrir des pistes à l’attention, à la curiosité combinatoire de chacun. Dans cette optique, interférences et petits ponts pour des chaussées où cheminer, cette semaine marquait la conclusion du séminaire du collège international de philosophie sur les horizons de l’écologie politique, le botaniste Francis Hallé était l’invité de l’émission « A voix nue » sur France Culture. L’occasion pour nous d’un petit tissage, en marchant,  autour de Spinoza, la plante et l’écologie.

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First, les horizons de l’écologie politique, et l’opportunité qui nous est offerte de broder autour de l’intervention du spinoziste Pierre Zaoui. Lors d’un billet précédent, nous avions déjà retranscrit quelques uns des fragments introductifs d’une problématique que l’on pourrait rassembler comme suit : des promesses d’un gai savoir écologique à une nouvelle espérance politique ?

Suite donc. Si l’écologie politique est autre chose qu’un nouveau réalisme, à partir de quelle philosophie la penser ? Interférences communes avec les orientations qui nous animent ici, une pensée écologique sur un mode spinoziste (l’homme n’est pas un empire dans un empire) est-elle soutenable ?

La réponse de Pierre Zaoui à cette interrogation s’appuie ici sur les travaux d’Arne Næss, philosophe norvégien fondateur de la deep ecology. Une retranscription partielle et très synthétique de ce temps du séminaire est proposée ci-dessous.

Afin de constituer ce que l’on pourrait appeler une ontologie écologique, Næss s’inspire d’une lecture naturaliste de Spinoza. Quelques mots sur le projet de Næss. Celui-ci est d’abord un projet écosophique. C’est-à-dire qu’il vise à ce que tout individu, dans sa singularité, puisse articuler ses convictions, ses rapports au monde, avec ses pratiques quotidiennes. L’écosophie nous apparaît donc  ici comme une question de style de vie, un certain art de composer son mode d’existence à partir des relations que chacun peut établir dans la nature. En cela, cette approche qui englobe dans un même élan les différentes sphères de la vie humaine (psychique, sociale, biologique) diffère totalement du projet de l’écologie de surface : la gestion de l’environnement en tant qu’extériorité, la gestion des effets externes d’une crise écologique elle-même conçue comme extérieur à l’individu (qui la pense).

« Par une écosophie je veux dire une philosophie de l’harmonie écologique ou d’équilibre. Une philosophie comme une sorte de Sofia, ouvertement normative, elle contient à la fois des normes, des règles, des postulats, des annonces de priorités de valeur et les hypothèses concernant l’état des affaires dans notre univers. La sagesse est la sagesse politique, la prescription, non seulement la description scientifique et la prédiction. Les détails d’une écosophie montrent de nombreuses variations dues à des différences significatives concernant non seulement les faits de la pollution, des ressources, la population, etc, mais aussi les priorités de valeur. » Arne Næss

Pour toute singulière que soit la démarche écosophique, écosophie T voire utile propre, Næss prend néanmoins le soin de baliser le chemin de diverses normes communes et dérivées.

-> La norme n°1, la plus haute, consiste en la réalisation de Soi. Il s’agit là d’une certaine reformulation du conatus spinoziste. Pour Næss, chaque chose tend à se réaliser elle-même, quand pour Spinoza chaque chose tend à persévérer dans son être, c’est à dire à augmenter sa puissance d’agir. Ce conatus, cet effort d’exister, constitue l’essence intime de chaque chose. Trois hypothèses sous-tendent cette première norme posée par Næss .

H1/ Plus on atteint à une haute réalisation de Soi, plus l’identification avec les autres est grande et profonde. Cette première hypothèse fait écho au 3ème genre de connaissance de Spinoza. A savoir que, plus on persévère dans son être, plus on comprend Dieu, et surtout, plus on comprend Dieu à travers les choses singulières.

H2/ Plus on atteint à une haute réalisation de Soi, plus sa croissance à venir dépend de la réalisation des autres. Cette seconde hypothèse, que l’on pourrait également exprimer comme le développement des autres contribue au développement de Soi, permet à nouveau un retour partiel sur Spinoza. Pour ce dernier, et pour le dire vite, rien n’est plus utile à un homme qu’un autre homme vivant sous la conduite de la raison.
Ce qui est le plus utile à l’homme, ce qui s’accorde le plus directement à sa nature, c’est l’homme. Cette proposition nous renvoie au concept de notions communes, à savoir que ce qui est commun à toutes choses, se retrouve dans le tout et dans la partie, ne peut se concevoir que d’une façon adéquate. Or l’homme partage le plus de notions communes avec l’homme. C’est ainsi que dans tous les cas « de la société commune des hommes, on peut tirer beaucoup plus d’avantages que d’inconvénients » (Éthique IV, proposition XXXV Scholie).

« C’est lorsque chaque homme cherche avant tout l’utile propre qui est le sien que les hommes sont le plus utiles les uns aux autres. Car plus chacun cherche l’utile qui est le sien et s’efforce de se conserver, plus il est doué de vertu, ou ce qui revient au même, plus grande est la puissance dont il est doué pour agir selon les lois de sa nature, c’est-à-dire pour vivre sous la conduite de la Raison. Or c’est lorsque les hommes vivent sous la conduite de la Raison qu’ils s’accordent le mieux par nature. Donc les hommes sont les plus utiles les uns aux autres, lorsque chacun cherche avant tout l’utile qui est le sien. » Spinoza, Éthique IV, proposition XXXV, corollaire 2

H3/ Troisième hypothèse, la réalisation de Soi, complète et pour chacun, dépend de tout ça. Conclusion : j’ai donc besoin que les autres se développent pour me développer.

-> La norme 2 découle de la norme 1, il s’agit de la réalisation de Soi pour tous les êtres vivants. Autrement dit, la persévérance de mon être dépend de la persévérance de chaque chose singulière.

A partir de Spinoza, Næss nous propose donc une arme pour penser l’écologie. A sa base, une résistance profonde à tout catastrophisme éclairé, à sa pointe, il s’agit de pouvoir développer et multiplier des rapports de joie dans et avec la nature : « (…) le problème de la crise environnementale a pour origine le fait que les êtres humains n’ont pas encore pris conscience du potentiel qu’ils ont de vivre des expériences variées dans et de la nature », Arne Næss.

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Compléments sur la formule de l’homme est un Dieu pour l’homme chez Spinoza :

« Proposition XXXV
Dans la seule mesure où les hommes vivent sous la conduite de la Raison, ils s’accordent toujours nécessairement par nature. Démonstration En tant que les hommes sont dominés par des sentiments qui sont des passions, ils peuvent être différents par nature et opposés les uns aux autres. Au contraire, on dit que les hommes agissent dans la seule mesure où ils vivent sous la conduite de la Raison; et par conséquent tout ce qui suit de la nature humaine, en tant qu’elle est définie par la Raison, doit être compris par la seule nature humaine, comme par sa cause prochaine. Mais puisque chacun, d’après les lois de sa nature, désire ce qu’il juge être bon, et s’efforce d’écarter ce qu’il juge être mauvais, puisque en outre, ce que nous jugeons bon ou mauvais d’après le commandement de la Raison, est nécessairement bon ou mauvais, les hommes, dans la seule mesure où ils vivent sous la conduite de la Raison, font nécessairement ce qui est nécessairement bon pour la nature humaine et par conséquent pour chaque homme, c’est-à-dire qui s’accorde avec la nature de chaque homme. Et donc les hommes s’accordent nécessairement entre eux, en tant qu’ils vivent sous la conduite de la Raison.
- Corollaire I
Dans la nature, il n’y a rien de singulier qui soit plus utile à l’homme qu’un homme qui vit sous la conduite de la Raison. Car ce qui est le plus utile à l’homme, c’est ce qui s’accorde le mieux avec sa nature, c’est-à-dire l’homme. Or l’homme agit, absolument parlant, selon les lois de sa nature, quand il vit sous la conduite de la raison et dans cette seule mesure, il s’accorde toujours nécessairement avec la nature d’un autre homme. Donc parmi les choses singulières, rien n’est plus utile à l’homme qu’un homme, etc.
- Corollaire II
C’est lorsque chaque homme cherche avant tout l’utile propre qui est le sien que les hommes sont le plus utiles les uns aux autres. Car plus chacun cherche l’utile qui est le sien et s’efforce de se conserver, plus il est doué de vertu, ou ce qui revient au même, plus grande est la puissance dont il est doué pour agir selon les lois de sa nature, c’est-à-dire pour vivre sous la conduite de la Raison. Or c’est lorsque les hommes vivent sous la conduite de la Raison qu’ils s’accordent le mieux par nature. Donc les hommes sont les plus utiles les uns aux autres, lorsque chacun cherche avant tout l’utile qui est le sien.
- Scholie
Ce que nous venons de montrer, l’expérience même l’atteste chaque jour par de si clairs témoignages, que presque tout le monde dit que l’homme est un Dieu pour l’homme. Pourtant il est rare que les hommes vivent sous la conduite de la raison; mais c’est ainsi; la plupart se jalousent et sont insupportables les uns aux autres. Néanmoins ils ne peuvent guère mener une vie solitaire, de sorte que la plupart se plaisent à la définition que l’homme est un animal politique; et de fait, les choses sont telles que, de la société commune des hommes, on peut tirer beaucoup plus d’avantages que d’inconvénients.» Spinoza, Éthique IV, proposition XXXV

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spe0 dans Deleuze

Suite du séminaire. Pourquoi cette lecture que fait Næss de Spinoza ne fonctionne pas ? D’après Pierre Zaoui, Næss force beaucoup trop Spinoza, et cela sur plusieurs points clés.

-> Premier point de friction, la conception de la nature. La Natura chez Spinoza n’est ni la planète, ni l’environnement, ni l’ensemble des êtres vivants de la biosphère, etc. La Natura est un concept désincarné : une nature aveugle et mécaniste, régie par des lois causales qui engendrent nécessairement des effets, d’où la géométrie des affects, et qui de plus, ne différencie pas l’artificiel du naturel.

Il n’y a donc pas d’identification possible entre le concept de Natura chez Spinoza et celui de nature chez Naess, sauf à confondre la substance avec le mode infini médiat (la figure totale de l’univers ou l’ensemble de la biosphère par exemple). Le Deus sive Natura de Spinoza est une pensée « dénaturante » si l’on entend nature au sens de Naess.

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Compléments sur la distinction Nature naturante / naturée chez Spinoza :

« Avant d’aller plus loin, je veux expliquer ici ou plutôt faire remarquer ce qu’il faut entendre par Nature naturante et par Nature naturée. Car je suppose qu’on a suffisamment reconnu par ce qui précède, que par nature naturante, on doit entendre ce qui est en soi et est conçu par soi, ou bien les attributs de la substance qui expriment une essence éternelle et infinie, c’est-à-dire (par le Coroll. 1 de la Propos. 14 et le Coroll. 2 de la Propos. 16) (…) J’entends, au contraire, par nature naturée tout ce qui suit de la nécessité de la nature divine, ou de chacun des attributs de Dieu ; en d’autres termes, tous les modes des attributs de Dieu, en tant qu’on les considère comme des choses qui sont en Dieu et ne peuvent être ni être conçues sans Dieu. » Spinoza, Ethique 1, Proposition 29, Scholie.

Compléments sur le mode infini médiat chez Spinoza :

« Un mode donné doit son essence de mode à la substance et son existence à l’existence d’un attribut, si c’est un mode infini (E1P23) et à l’existence d’autres modes finis, si c’est un mode fini (E1P28). Il existe dans le système spinoziste un mode infini immédiat pour chaque attribut, l’entendement absolument infini pour la pensée et le mouvement/repos pour l’étendue. Il existe aussi un mode infini médiat (suivant non de l’infinité de l’attribut mais de l’infinité des modes) : la figure totale de l’univers pour l’étendue et probablement (Spinoza ne le précise pas explicitement) la compréhension infinie de cette figure pour la pensée. Cf. Lettre 64 à Schuller.
Pour exprimer le rapport de la substance à ses modes, on pourra tenter l’image de l’océan et de ses vagues… qui comme toute image a ses limites. L’océan serait la substance, les courants et les vagues ses modes finis. Chaque vague peut être considérée individuellement selon sa durée et son extension particulières, mais elle n’a d’existence et d’essence que par l’océan dont elle est une expression. L’océan et ses courants ou vagues ne peuvent être séparés qu’abstraitement. Le « mode infini immédiat » de cet océan-substance serait le rapport de mouvement et de repos qui caractérise la totalité de cet océan, s’exprimant donc de façon singulière en chaque vague. Le mode infini médiat serait le résultat global du mouvement et du repos des vagues de l’océan. Mais il ne faut pas voir là un processus, en fait tout cela s’imbrique en même temps, le « résultat » qu’est le mode infini médiat n’est pas chronologique mais seulement logique. » Source : Spinoza et nous.

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-> Second point de divergence, la conception même du conatus. La persévérance dans l’être, au sens de conservation radicale chez Spinoza, celle-ci diffère de la réalisation de Soi. Naess entend par Soi l’ensemble des êtres vivants, puis par extension l’ensemble de la biosphère. Outre le fait que chez Spinoza la différence entre l’artificiel et le naturel, le vivant et le non-vivant, ne fassent pas sens, le conatus, persévérance dans l’être au sens d’une recherche de toujours plus de puissance en acte, celui-ci permet, s’actualise à travers le développement technique, la prédation, la captation.

-> Troisième point, la notion d’identification (avec les autres, les non-humains ou les choses singulières) pose un problème d’ordre conceptuel. Chez Spinoza, il y a une essence de l’homme. C’est en ce sens que rien n’est plus utile à un homme que la communauté des hommes raisonnables. Soit là où se partage le plus de notions communes, et où peut donc se former le plus d’idées adéquates sur lois de la Nature. C’est-à-dire sur les causes qui nous déterminent à agir. Notons ici qu’avant d’atteindre le 3ème genre, notre connaissance de la Nature ne nous conduit qu’à la connaissance de nous-mêmes en tant que mode (modification), la connaissance de notre place dans la Nature, de nos rapports, et non à la connaissance de la Nature en elle-même à travers les choses singulières.

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Complément sur les notions communes :

« Ce qui est commun à toutes choses et se trouve également dans le tout et dans la partie, ne se peut concevoir que d’une façon adéquate. (…) Il suit de là qu’il y a un certain nombre d’idées ou notions communes à tous les hommes. Car tous les corps se ressemblent en certaines choses, lesquelles doivent être aperçues par tous d’une façon adéquate, c’est-à-dire claire et distincte. » Spinoza, Ethique II, proposition 38« Ce qui est commun au corps humain et à quelques corps extérieurs par lesquels le corps humain est ordinairement modifié, et ce qui est également dans chacune de leurs parties et dans leur ensemble, l’âme humaine en a une idée adéquate. (…) Il suit de là que l’âme est propre à percevoir d’une manière adéquate un plus grand nombre de choses, suivant que son corps a plus de points communs avec les corps extérieurs. » Spinoza, Ethique II, proposition 39

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Conclusion de Pierre Zaoui, Arne Naess nous propose une conception trop optimiste de l’unité-pluralité et des joies de et dans la nature. Or chez Spinoza, la nature, entendue cette fois au sens le plus proche de la biosphère de Naess, celle-ci est oppressive, le lieu de la mortalité et de la servitude native, d’où l’obligation faite à l’homme, au nom de son conatus, de développer des techniques d’émancipation et de transformation en contradiction avec les objectifs de préservation. Au final, l’écosophie de Naess ne peut assurer le passage d’une éthique à une politique. Cette réalisation de Soi dans la nature n’est pas possible, si Spinoza a raison.

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sp2 dans Ecosophie ici et la

Spinoza pour penser l’écologie de ce point de vue, non. Soit. Face à cette proposition, opposons quelques intuitions. Des intuitions, c’est-à-dire quelques rencontres. La figure végétale, une occasion de penser l’écologie, Spinoza, une occasion de penser la figure végétale ? 

L’Ethique pour chacun, une lecture partielle et singulière de laquelle se dégage un climat, un complexe d’affinités. Alors voici la petite histoire d’un lecteur idiot qui remonte les images, expérimente le climat de l’Éthique comme celui d’un grand corps végétal et recherche des correspondances. Si l’Ethique n’est pas un manuel de botanique, un regard plus végétal sur le conatus pourrait-il nous permettre de penser une certaine formule écologique, après et à partir de Spinoza  ?

Le conatus, l’effort vers un gain de puissance indéfini. Reconnaissons qu’il est assez tentant de rapprocher cette formule d’un toujours plus de l’ubris qui semble caractériser les sociétés occidentales modernes. Le conatus, ou en quelque sorte la formule de la démesure spinoziste. Captation, usages et transformation indéfinies de la nature afin d’émancipation, le manque de sobriété s’inscrit au cœur même du système du philosophe.

Je capture et gagne en puissance donc je pollue. Il flotte à l’endroit de cette proposition comme une vraie difficulté de notre mode de penser. Pour l’exprimer, sans doute est-il utile de revenir à l’énoncé suivant : parler d’écologie, c’est parler de l’homme, un animal biologique et politique. Or si nous demeurons relativement vigilent vis-à-vis de nos  diverses projections anthropocentriques dans la nature, notre résidu de zoocentrisme semble quant à lui incompressible. Nous pensons, et nous représentons le monde, sur un mode essentiellement animal. Cette prédominance du paradigme zoologique révèle notre difficulté à penser l’altérité radicale, par exemple celle d’un mode d’existence tel que le végétal, c’est à dire une manière autre de gérer le temps et de capter l’énergie. A l’animal transcendant, le végétal immanent nous dit Francis Hallé, à l’animal la parole, au végétal l’écrit, pour Francis Ponge.

« Nous sommes face à une altérité totale. Et c’est précisément ce qui me touche tant. Ces plantes, si fondamentalement différentes, forment des poches de résistance à la volonté de contrôle de l’homme. Moi, ça me rassure, ça me permet de respirer (…). » Francis Hallé in « Les arbres peuvent-être immortels et ça fait peur »

Quel(s) drôle(s) de rapport(s) entre le mode d’existence végétal et la pensée de Spinoza ?
Des correspondances et des interférences. L’expérience d’une musique aux vitesses et lenteurs communes, le commun restant ici un point flottant. Une attraction sans mot, quand bien même se questionnent derrière les notions d’individu et de frontière, le type de composition – appropriation, marquage et pollution – d’avec le dehors qu’implique une certaine immobilité.
Les végétaux, ces grandes surfaces d’inscription parcourue d’intensités multiples, ces grands corps décentralisés sans organes vitaux, qui opèrent par différence de potentiel (hydrique, chimique, etc.) et dont la croissance indéfinie n’épuise pas leur environnement.
Notre intuition donc, pour penser l’écologie avec et après Spinoza, serait donc d’imaginer les effets d’un conatus hybride de type végétal, voire plus loin, d’une communauté humaine fonctionnant, à une certaine échelle, à l’image d’un méta-organisme végétal. Quelques pistes à développer.

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sp4 dans Francis Halle

Piste n°1 : un conatus végétal

« Ils [les arbres] ne sont qu’une volonté d’expression. Ils n’ont rien de caché pour eux-mêmes, ils ne peuvent garder aucune idée secrète, ils se déploient entièrement, honnêtement, sans restriction […], ils ne s’occupent qu’à accomplir leur expression : ils se préparent, ils s’ornent, ils attendent qu’on vienne les lire. » Francis Ponge

Penser l’écologie avec et après Spinoza, ce serait tout d’abord s’intéresser à quelque chose de l’ordre d’un conatus végétal. Une certaine figure de la maîtrise de sa propre maîtrise. Le mode d’existence végétal, celui d’une croissance indéfinie (conatus) qui s’il transforme son environnement, ne l’épuise pas (sobriété). La plante synthétise et intègre quand l’animal capte et dissipe.

Une croissance indéfinie … (comment fait-on mourir un arbre ? on le cercle de fer) …

« Le plus vieil arbre que l’on ait identifié pour l’instant, le houx royal de Tasmanie, a 43 000 ans. Sa graine initiale aurait germé au Pléistocène, au moment de la coexistence entre Neandertal et l’homme moderne. Le premier arbre sorti de la graine est mort depuis longtemps, mais la plante, elle, ne meurt pas, plusieurs centaines de troncs se succèdent sur 1 200 mètres. » Francis Hallé in « Les arbres peuvent-être immortels et ça fait peur »

« Je pense que ces deux règnes [i.e. végétal et animal] se déploient dans des domaines différents. L’animal gère très bien l’utilisation de l’espace. Il est constamment en train de bouger. Le réflexe de fuite ou la pulsion de fuite dont vous parliez en témoigne. Les pulsions qui l’amènent à se nourrir ou à se reproduire correspondent toujours à des questions de gestion de l’espace. Leur adversaire, en l’occurrence la plante, n’a aucune gestion de l’espace, puisqu’elle est fixe. Mais par contre, elle a une croissance indéfinie, une longévité indéfinie, et est virtuellement immortelle ; ce qu’elle gère donc c’est le temps. » Francis Hallé in « L’Homme coloniaire et le devenir végétal de la société contemporaine »

… qui transforme son environnement sans l’épuiser

Art de la sélection et du recyclage, joyeuse chimie végétale des antidotes et des poisons qui transforme, sans  l’épuiser, son environnement. A partir des éléments présents, azote et eau notamment, la plante co-produit son sol et son climat. Lorsque Deleuze parle d’éthologie à propos de l’Ethique de Spinoza, cette science qui étudie le comportement animal en milieu naturel, notre hypothèse est justement que l’on pourrait tout aussi bien parler l’éco-éthologie végétale.

« (…) L’Ethique de Spinoza n’a rien à voir avec une morale, il la conçoit comme une éthologie, c’est-à-dire comme une composition des vitesses et des lenteurs, des pouvoirs d’affecter et d’être affecté sur ce plan d’immanence (…) L’éthologie, c’est d’abord l’étude des rapports de vitesse et de lenteur, des pouvoirs d’affecter et d’être affecté qui caractérisent chaque chose. Pour chaque chose, ces rapports et ces pouvoirs ont une amplitude, des seuils (minimum et maximum), des variations ou transformations propres. Et ils sélectionnent dans le monde ou la Nature ce qui correspond à la chose, c’est-à-dire ce qui affecte ou est affecté par la chose, ce qui meut ou est mû par la chose. (…) » Gilles Deleuze in « Spinoza, Philosophie pratique ».

« L’animal est mobile, la plante pas, et c’est un sacré changement de paradigme : les végétaux ont dû développer une astuce largement supérieure à la nôtre. Ils sont devenus des virtuoses de la biochimie. Pour communiquer. Pour se défendre. Prenons le haricot : quand il est attaqué par des pucerons, il émet des molécules volatiles destinées à un autre être vivant, un prédateur de pucerons. Voilà un insecticide parfait ! Pour se protéger des gazelles, un acacia, lui, change la composition chimique de ses feuilles en quelques secondes et les rend incroyablement astringentes. Plus fort encore, il émet des molécules d’éthylène pour prévenir ses voisins des attaques de gazelles. Enfin, des chercheurs de l’Institut national de recherche d’Amazonie (INPA) viennent de montrer que les molécules volatiles, émises par les arbres tropicaux, servent en fait de germes pour la condensation de la vapeur d’eau sous forme de gouttes de pluie. Autrement dit, les arbres sont capables de déclencher une pluie au-dessus d’eux parce qu’ils en ont besoin ! » Francis Hallé in « Les arbres peuvent-être immortels et ça fait peur »

« Toute machine, avec une entrée d’énergie, produit des déchets. Les thermodynamiciens, les physiciens l’ont démontré. Mais où passent les excréments des arbres ? On a dit que c’était peut-être l’oxygène, ou les feuilles mortes. Or il semblerait que ce soit le tronc, et plus précisément la lignine, qui constitue l’essentiel du bois. Il s’agit d’un produit très toxique que l’arbre dépose sur des cellules qui sont en train de mourir et qui vont se transformer en vaisseaux – ceux-là mêmes qui vont permettre la montée de l’eau dans le tronc. On peut donc dire que l’arbre repose sur la colonne de ses excréments : cette lignine qui donne aux plantes leur caractère érigé, qui leur permet de lutter contre la pesanteur et de s’élever au-dessus des végétations concurrentes. C’est très astucieux. Et c’est bien dans le style des plantes de tirer parti de façon positive de quelque chose de négatif. On dit souvent que l’arbre vient du sol. Mais en réalité, il est né d’un stock de polluants, puisqu’il est constitué à 40 % de molécules à base de carbone (le reste est de l’eau). L’arbre a cherché le carbone dans l’air, l’a épuré et transformé en bois. Alors, couper un arbre, c’est comme détruire une usine d’épuration. » Francis Hallé in « Les arbres peuvent-être immortels et ça fait peur »

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http://www.dailymotion.com/video/x1n730

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AMOUR n’est rien qu’il ne croisse à l’extrême :
Croître est sa loi ; il meurt d’être le même,
Et meurt en qui ne meure point d’amour.
Vivant de soif toujours inassouvie,
Arbre dans l’âme aux racines de chair
Qui vit de vivre au plus vif de la vie
Il vit de tout, du doux et de l’amer
Et du cruel, encor mieux que du tendre.
Grand Arbre Amour, qui ne cesse d’étendre
Dans ma faiblesse une étrange vigueur,
Mille moments que se garde le cœur
Te sont feuillage et flèches de lumière !
Mais cependant qu’au soleil du bonheur
Dans l’or du jour s’épanouit ta joie,
Ta même soif, qui gagne en profondeur,
Puise dans l’ombre, à la source des pleurs …

Paul Valery, dialogue de l’arbre

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sp3 dans Monde animal

Piste n°2 : la communauté ou le méta-organisme végétal

A travers la figure végétale, nous avons accès à un certain type de conatus : la recherche d’un utile propre et d’un développement de puissance qui n’épuise pas son environnement. Par ailleurs, le paradigme végétal doit également nous permettre de poser un regard sur le faire communauté, c’est à dire l’art de composer ou d’associer les puissances.

« (…) Enfin, l’éthologie étudie les compositions de rapports ou de pouvoirs entre choses différentes. C’est encore un aspect distinct des précédents. Car, précédemment, il s’agissait seulement de savoir comment une chose considérée peut décomposer d’autres choses, en leur donnant un rapport conforme à l’un des siens, ou au contraire comment elle risque d’être décomposée par d’autres choses. Mais, maintenant, il s’agit de savoir si des rapports (et lesquels ?) peuvent se composer directement pour former un nouveau rapport plus « étendu », ou si des pouvoirs peuvent se composer directement pour constituer un pouvoir, une puissance plus « intense ». Il ne s’agit plus des utilisations ou des captures, mais des sociabilités et communautés (…) Comment des individus se composent-ils pour former un individu supérieur, à l’infini ? Comment un être peut-il en prendre un autre dans son monde, mais en en conservant ou respectant les rapports et le monde propres ? Et à cet égard, par exemple, quels sont les différents types de sociabilité ? Quelle est la différence entre la société des hommes et la communauté des êtres raisonnables ?… Il ne s’agit plus d’un rapport de point à contrepoint, ou de sélection d’un monde, mais d’une symphonie de la Nature, d’une constitution d’un monde de plus en plus large et intense. Dans quelle mesure et comment composer les puissances, les vitesses et les lenteurs ? » Gilles Deleuze in « Spinoza, Philosophie pratique ».

« Comprendre l’arbre suppose d’opérer une révolution intellectuelle. C’est un être à la fois unique et pluriel. L’homme possède un seul génome, stable. Chez l’arbre, on trouve de fortes différences génétiques selon les branches : chacune peut avoir son propre génome, ce qui conforte l’idée que l’arbre n’est pas un individu mais une colonie, un peu comme un récif de corail. » Francis Hallé in « Les arbres peuvent-être immortels et ça fait peur »

Un arbre c’est déjà une association de puissance. Rappelons que pour Spinoza, une chose, un corps est toujours le résultat d’un agencement singulier de parties. Une société, un livre, un son, tous sont des corps et relèvent comme tel d’une certaine composition de rapports de vitesses et de lenteurs entre les parties qui le composent.
L’arbre est une société de cellules très fluide (décentralisation, indépendance, redondance, totipotence, variabilité du génome, etc.) Une organisation coloniaire qui compose des puissances entre des parties très autonomes, chacune déployant son conatus, ce qui permet à l’ensemble une croissance indéfinie, la division ou reproduction asexuée. C’est ainsi que pour l’arbre, toute mort ne vient que du dehors.

« (…) qu’est-ce que ça veut dire aujourd’hui être spinoziste ? Il n’y a pas de réponse universelle. Mais je me sens, je me sens vraiment spinoziste, en 1980 – alors je peux répondre à la question, uniquement pour mon compte : qu’est-ce que ça veut dire pour moi me sentir spinoziste ? Et bien ça veut dire être prêt à admirer, à signer si je le pouvais, la phrase : la mort vient toujours du dehors. La mort vient toujours de dehors, c’est-à-dire la mort n’est pas un processus. » Source : La voix de Gilles Deleuze en ligne

« L’idée ici, en évoquant que les colonies sont virtuellement immortelles, signifie qu’il n’y a pas de sénescence. Il existe, bien sûr, au niveau de l’individu constitutif, une sénescence – par exemple l’abeille a une durée de vie assez courte – mais cette sénescence n’apparaît plus au niveau de la colonie elle-même. Si aucun événement extérieur massivement pathogène ne vient détruire la colonie, elle continuera à vivre indéfiniment : aucune raison biologique interne ne la fait acheminer vers la mort. Il en va ainsi de l’arbre : s’il se met à faire trop froid, il meurt, mais cela ne correspond pas à une sénescence interne. Tant que les conditions resteront bonnes, la vie va durer ; c’est en ce sens que j’emploie l’expression d’une potentielle ou virtuelle immortalité. » Francis Hallé in « L’Homme coloniaire et le devenir végétal de la société contemporaine »

Art de la composition des rapports et de la colonisation des milieux, le végétal est un être structurellement greffable, un être dont l’existence même consisterait à étendre l’espace possible des greffes infinies.
Des greffes, des symbioses et des imitations : la couille du diable, est-ce une plante ou une fourmilière, le corail, un animal aux formes de développement végétal, les transcodages qui s’opèrent dans la reproduction sexuée entre les plantes à fleur et les insectes. A une certaine échelle, fourmilière, essaim, ces groupes animaux optent pour des stratégies d’organisation qui nous apparaissent comme calquées sur le modèle du végétal fluide.
Du paradigme végétal, une certaine manière de tisser dans la nature la toile des relations qui porte son existence, de ses captures résulte des expressions, grille de lecture de formes itératives caractéristiques : coraux de l’architecture des humeurs, toile de l’internet ou des hyper-réseaux urbains, etc.

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Constatons donc à la suite Francis Hallé l’inspiration zoocentré de nos pensées : individu, volume, mobilité, pulsion de fuite, consommation et dissipation des forces, concurrence exclusive, etc. Conséquences, et avant même de penser toute politique, il nous est déja comme impensable d’imaginer le déploiement d’une puissance qui n’épuise pas son environnement, qui ne soit pas exclusive dans son occupation de l’espace, etc.
Or à l’aide du paradigme végétal, tout du moins de la lecture ou de l’image que nous pouvons nous en faire, il nous est pourtant possible d’avancer l’idée d’une maîtrise de notre propre maîtrise, de penser avec et après Spinoza une écologie des frontières mobiles et de l’autonomie.
Celle-ci implique une modification de notre utile propre, afin d’en conserver l’accès (un conatus qui n’épuise pas son environnement), mais également de continuer à gagner en autonomie dans la Nature, en composant de nouvelles organisations émancipatrices (associations de puissances fluides et décentralisées et modèle de la greffe).

L’arbre est une configuration d’interactions, dynamiques et singulières, appropriée aux conditions de vie de la forêt, la forêt est une association d’arbres dont les interactions produisent leurs propres niches écologiques, la forêt. Étrangeté, curiosité, altérité, les principes d’attention au monde et d’expérimentation sont vraissemblablement porteurs de plus de puissance que ses cousins de la responsabilité et autre précaution.

« (…) le problème de la crise environnementale a pour origine le fait que les êtres humains n’ont pas encore pris conscience du potentiel qu’ils ont de vivre des expériences variées dans et de la nature » Arne Næss

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spe dans Monde végétal

Rencontres botaniques …

- A voix nue avec Francis Hallé : partie 1; 2; 3; 4; 5
- Un documentaire d’Alain Devez et Francis Hallé :
le radeau des cimes 1/2le radeau des cimes 2/2 (dailymotion)
-
Interview de Francis Hallé : Mission Santo 2006 : La canopée ; La forêt ; La forêt menacée ; Le radeau des cimes ; Témoignages personnels.
-
Les arbres peuvent être immortels, et ça fait peur. (Entretien avec Télérama n° 3066)
-
Forêts tropicales humides, le film
-
Témoignage de Francis Hallé sur la biodiversité
- Vu du ciel – les arbres – Francis Hallé (un entretien vidéo, 3’43’’)
- Entrevue avec Francis Hallé, Radio Canada le 17/02/2006 (
fichier audio : 20’48’’)
-
L’Homme coloniaire et le devenir végétal de la société contemporaine, pour un dialogue entre la botanique et l’anthropologie des réseaux.
- Plaidoyer pour l’arbre – émission Terre à terre du 31 décembre 2005 – France culture.
- Aux origines des plantes
émission Terre à terre du 25 octobre 2008 – France culture.

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Docu-écrits-mont(r)és

Nénette

Suite à la sortie du documentaire « Nénette », entretien avec le réalisateur Nicolas Philibert sur France Culture.

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Légende science

Série documentaire la légende des sciences.
Un film de Robert Pansard-Besson
et Michel Serres.
Episode
« Brûler». 1997 – France – 52 minutes.
Voir l’ensemble de la série.

http://www.dailymotion.com/video/xbsvbq Partie 1

http://www.dailymotion.com/video/xbsvi7 Partie2

http://www.dailymotion.com/video/xbsvp5 Partie3

http://www.dailymotion.com/video/xbsvuh Partie4

http://www.dailymotion.com/video/xbsw0v  Partie5

http://www.dailymotion.com/video/xbsw6p  Partie6

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« La seule raison d’être d’un être, c’est d’être. C’est-à-dire, de maintenir sa structure. C’est de se maintenir en vie. Sans cela, il n’y aurait pas d’être (…) Un cerveau ça ne sert pas à penser, mais ça sert à agir. »
Henri Laborit in « Mon Oncle d’Amérique », un film d’Alain Resnais (1980)

Mon oncle

Image de prévisualisation YouTube Séquences d’Henri Laborit, « Mon Oncle d’Amérique », Alain Resnais (1980)

Image de prévisualisation YouTube Séquences d’Henri Laborit, « Mon Oncle d’Amérique », Alain Resnais (1980)

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Colloque.
Institut de Recherches Philosophiques de Lyon.
Nature, technologies, éthique. Regards croisés : Asie, Europe, Amérique.

Nature, technologies, éthique. Regards croisés : Asie, Europe, Amériques (1/5)
-> L’homme dans la nature et la nature dans l’homme
- Pour une anthropologie de la finitude avec Dominique Bourg, Université de Lausanne.
- Fûdo (le milieu humain) : des intuitions watsujiennes à une mésologie avec Augustin Berque, EHESS.
- Nature humaine et technologie médicale dans l’oeuvre de Nishi Amane avec Shin Abiko, Université de Hosei.
- La nature humaine: une aporie occidentale ? Avec Etienne Bimbenet, Université Lyon 3.
- La baleine, le cèdre et le singe, harmonie et irrespect de la nature au Japon avec Philippe Pelletier, Université Lyon 2.
- Sciences, valeurs et modèles de rapports à la nature avec Nicolas Lechopier, Université Lyon 1.

Nature, technologies, éthique. Regards croisés : Asie, Europe, Amériques (2/5)
-> La nature à la limite

- Technologies de l’hybridation entre éthique, pouvoir et contrôle avec Paolo Bellini, Université de L’Insubria.
- Quelle cosmopolitique aujourd’hui ? Avec Frédéric Worms, Université Lille 3.
- De la nature de nos confins: dualisme, holisme et autres perspectives avec Régis Defurnaux, Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix – Namur.
- À la recherche du Paradis Perdu avec Maria Inacia D´Avila, Chaire UNESCO, Universidade de Rio de Janeiro.
- A la frontière de l’humanité: le dilemme (éthique) des chimères génétiques avec Nicolae Morar, Université de Purdue, West Lafayette.

 

Promesses d’un gai savoir écologique …

gai savoir ecologique 

Fragments de rencontres urbaines, suite …

Séminaire, les horizons de l’écologie politique.
Réseau des correspondances.
Pierre Zaoui …
Un spinozisme mélancolique.
L’eau coule, circule entre tous les plans.
Une contrainte pensée devient puissance.
Ou trouver de la joie dans le renforcement des forces écologiques ?

***

Séminaire du Collège International de Philosophieles horizons de l’écologie politique, séance n°4, Pierre Zaoui, notes incomplètes.

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Un constat initial

L’émergence d’un tournant écologique, net, non orchestré, non idéologique. Un tournant qui emporte avec lui le politique.
Le sol de la politique, du local au global, se transforme, est travaillé par cette nouvelle nécessité : répondre aux enjeux écologiques.

Des questions

Peut-on faire pivoter ce sol pour qu’il devienne un horizon, une visée ? Si oui, est-il encore souhaitable de penser la politique en termes d’horizon, d’idéologie ?
Par ailleurs, afin de constituer un tel horizon, une nouvelle forme de subjectivation politique, peut-on partir des menaces relevées par l’écologie scientifique (destructions des habitats, dégradations et modifications irréversibles affectant nos conditions de vie présentes et futures) ?
Comment au coeur de l’annonce de ces catastrophes faire émerger un nouveau principe d’espérance politique ? Peut-on sortir de l’heuristique de la peur pour promouvoir un gai savoir écologique ? (c.f. TRE Spinoza, mieux vaut gouverner par l’espérance que par la crainte).

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Transformer l’annonce des catastrophes en principe d’espérance

Quelques exemples historiques

L’exode des Hébreux transformé/intégré par Moïse dans une nouvelle foi (c.f. TRE Spinoza). Un nouveau sol, le désert, sa transformation en une nouvelle espérance, l’horizon de la Loi.
La démocratie grecque, processus de transformation de la révolte de la plèbe, une construction sur le sol d’une guerre civile au sein de la Cité.
Le Christianisme, une transformation du texte de l’apocalypse, de la fin de l’empire romain et de l’état juif. L’articulation de la catastrophe annoncée et des décompositions en cours vers la constitution d’un message d’amour, l’annonce d’une bonne nouvelle (un sauveur).
Le tremblement de terre de Lisbonne, la saisie de la contingence et de la vulnérabilité de l’espèce humaine et leur transformation à travers la création de l’idée de progrès. La promesse d’un avenir fait de savoir, de paix et de fraternité (idée de perfectibilité de l’espèce humaine).
L’horizon communiste révolutionnaire qui pousse sur le terreau des catastrophes issues de la révolution industrielle, l’importante dégradation des conditions de vie conséquence de l’accumulation primitive (premier stade de développement du système capitalisme). De cela nait la promesse, l’horizon d’une société sans classe faite d’hommes désaliénés, hommes totaux libérés de la contrainte, du pouvoir, etc.

Une nouvelle bonne nouvelle ?

Un processus commun à l’œuvre : (se) saisir d’une catastrophe particulière, la transformer en une nouvelle espérance.
Une double problèmatique avec les catastrophes écologiques : celles-ci sont hyperboliques (disparition tendancielle de l’espèce humaine) et leur lecture n’est pas directement, n’est pas immédiatement donnée en tant que position politique. L’écologie politique regroupe des forces diverses et opposées.
Des problèmes et des promesses. Comment une autre politique (une nouvelle bonne nouvelle) est-elle possible dans ce cadre ?
Un gai savoir écologique, l’ivresse du convalescent, les puissances de libération dans la débâcle, où trouver de la joie (augmentation de ses capacités à affecter et être affecté, c.f. Spinoza) dans le renforcement des forces écologiques ?

6 nouvelles bonnes nouvelles ?

Après-vous le déluge ?

Il s’agirait d’inverser le principe de responsabilité proposée par Jonas. Jonas développe une responsabilité tournée vers l’avenir, pouvoir léguer aux générations à venir un monde encore vivable. Son option politique, faire de la loi une obligation de transmission (c.f. le Talmud).
Le problème de la position de Jonas ? Au final quelle différence entre culpabilité et responsabilité ? Il y a identité entre une responsabilité hyperbolique et une culpabilité infinie dans la mesure où celle-ci porte sur l’indéfinité des générations à venir.
Or le but de l’écologie politique n’est pas de prendre en charge cette nouvelle responsabilité, au contraire, il s’agit de nous en libérer au présent de l’action politique. A condition de sortir des horizons religieux et redonner du sens à la politique, précisément au sens de l’action collective, la politique peut agir positivement sur les menaces actuelles.

L’écologie politique visant à transmuer l’action individuelle en un horizon de l’action collective, son objectif est justement de faire sortir l’individu du poids de la responsabilité/culpabilité individuelle.
Les problèmes écologiques ne se règleront pas à travers la prise de conscience individuelle de chacun, contrairement aux modèles du christianisme ou du marxisme, mais par des accords collectifs ici et maintenant.
Il s’agit de ne surtout pas produire de la morale à partir de l’écologie scientifique. De ne pas fliquer les conduites individuelles, promouvoir le contrôle social et une écologie totalitaire.
La formulation d’un après-vous le déluge souligne ainsi la nécessité de sortir l’individu de la culpabilité. Celui-ci aura participé, se sera assumé pleinement comme actant politique.

Première bonne nouvelle : on n’a pas à se sentir coupable.

Une prise en compte effective du multiple ?

Le concept de multitude prend (enfin ?) un sens effectif avec l’écologie politique.
Le concept de multiplicité, la distribution sur un espace lisse d’éléments radicalement hétérogènes et sans identité (unité) préalable. Ici le un est produit par le multiple et non l’inverse.
Le concept de peuple, par exemple chez Machiavel, un ensemble homogène dans ses humeurs. Idem chez Marx, Lacan, voire même chez Deleuze avec son devenir imperceptible.

L’écologie politique, en tant qu’elle se fait d’une conjonction singulière de positions antagonistes, sans rapport et sans origine commune, travaille dans et avec le concept de  multiplicité.
L’écologie politique, c’est un certain rapport à la science, la croyance dans la sphère technico-scientifique, son consensus climatique par exemple, et simultanément, une critique des effets de la sphère technico-scientifique sur la biosphère.
L’écologie politique réunit des multiplicités, sans position initiale requise, articule des positions. Elle part d’une multiplicité des pratiques sans promettre de synthèse finale. Elle est radicalement non programmatique, propose des rapports ouverts et contingents avec le dehors sur la base d’une réunion de singularités qui s’articulent pour agir, sans outils pensés à l’avance pour ce faire.

Seconde bonne nouvelle : un respect des singularités.

Une promesse d’abondance ?

La question de la frugalité. Dans nos sociétés de l’accumulation, c’est le productivisme qui produit le sentiment de rareté. Il s’agit donc de faire passer l’organisation économique au second plan, précisément parce qu’il n’y a pas de bonne organisation économique. L’économie se doit d’être soumise à un principe d’abondance en se débarrassant de la rareté.

Troisième bonne nouvelle : il n’y a pas de bonne organisation économique à rechercher.

Un nouveau cosmopolitisme ?

Quelques grandes formes de cosmopolitismes dans l’histoire. Celui des stoïciens, Épictète et la notion de citoyen du monde sous la condition de l’existence de l’empire romain. Suivent le cosmopolitisme des lumières, de l’internationalisme socialiste, du communisme et du tiers-mondisme. Les cosmopolitismes économiques, celui de la première mondialisation entre la fin du XIXème et le début XXème, aujourd’hui, celui de la seconde mondialisation.  

L’écologie politique transforme le cosmopolitisme en faisant de cet horizon un sol. La terre espace clos, l’actualisation du « nous sommes embarqués » de Pascal. Soit un rêve qui peut se passer d’horizon, un rêve dans et sur le réel.
- Le rêve d’un cosmopolitisme expert. Un individu expert (partiel) de son environnement et qui témoigne pour tous et devant tous des modifications de son environnement.
- Le rêve d’un cosmopolitisme immobile. Des lenteurs dans les déplacements (c.f. Beckett, Kafka), un devenir végétal dans les stratégies d’occupation de l’espace.
- Le rêve d’un cosmopolitisme non-humain. Repenser une politique du lieu commun, l’ouvrir aux non-humains.

Quatrième bonne nouvelle : un rêve les deux pieds dans le réel.

Une nouvelle esthétique ?

Repenser l’art sous l’horizon écologique. Un nouveau sens et/ou rapport à la nature ? De nouvelles formes de représentation ou de non représentation (c.f. l’expérience des romantiques allemands).
Une esthétique du quotidien, un art brut, de nouvelles interactivités pour un nouveau spectateur.

Cinquième bonne nouvelle : de nouvelles formes de représentation à naître.

De nouvelles formes de conflictualité ?

Flottantes, transversales, à construire sur les ruines (recyclage) des anciennes formes de conflictualité  (le syndicalisme, l’associatif, etc.)

Sixième bonne nouvelle : de nouvelles formes d’organisation à composer.

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Pour éviter une dérive religieuse à partir de ces différentes promesses, il est nécessaire de produire une philosophie.

gai savoir ecologique

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http://www.dailymotion.com/video/xct3sg Nenette

Horizons divers [dits-verts] de l’écologie politique

http://video.google.com/videoplay?docid=8810721411965290622 « Gregory Bateson et l’épistémologie du vivant. Ou comment l’esprit émerge des circuits qui relient les organismes en co-évolution dans leur environnement » par Jacques Miermont.

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Un modèle fécond pour penser une écologie étendue: la danse.
Modèle de (la) danse qui capture d’autres modèles de danse : assurer la cohabitation des rythmes – intégrer différents langages – faire circuler des corps – ramasser des fragments éphémères - souplesse – laisser retomber – coups de dés, etc.

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 Horizons divers [dits-verts] de l'écologie politique dans André Gorz image0011

Fragments de rencontre urbaine
Séminaire du Collège International de Philosophie
les horizons de l’écologie politique, séance n°1, notes sommaires incomplètes.

« Prendre au sérieux l’idée d’« écologie politique », c’est reconnaître que le sens de cette expression ne peut se réduire ni à une collection de problèmes environnementaux, qu’il reviendrait au pouvoir politique de prendre en charge, ni à une doctrine susceptible d’être rangée aux côtés d’autres conceptions du monde et de la société, dans l’espace homogène et neutralisé d’une « histoire des idées politiques » dont les coordonnées, au fond, n’auraient guère changé. Tout au contraire, le propre des questions écologiques contemporaines comme des élaborations théoriques qui entendent les prendre en charge, est de ne laisser intact aucun des grands repères qui organisent l’horizon même de l’action et de la pensée politique : alors même que les problèmes posés par le dérèglement climatique, l’épuisement des ressources ou la réduction de la biodiversité donnent une urgence neuve au souci de l’intérêt général et du bien commun, ils dessinent un horizon dans lequel la définition de la citoyenneté, les échelles de temps et d’espace, le rapport au possible, la place conférée au savoir, l’articulation entre consensus et conflit prennent des formes largement inédites. Paradoxe de cette métamorphose : si, en un sens, toute la pensée politique moderne s’est située dans l’horizon du changement (de la transformation par l’homme de ses propres conditions d’existence, du progrès sous ses acceptions réformiste ou révolutionnaire, de la croissance comme vecteur de paix et de prospérité), l’écologie politique redouble cet impératif, nous enjoignant collectivement de changer tout en mettant en cause les formes jusqu’ici prises par cette dynamique transformatrice.« 

Introduction générale

-> Mathieu Potte-Bonneville.
Les problèmes et les mots de l’énoncé : l’horizon, l’écologie et politique.
- L’horizon ? Ce vers quoi il s’agit de fuir, de déborder.

- L’écologie ? Un concept intégrateur face  la simultanéité et l’horizontalité des problèmes liés.
Articulation ? Comment produire des horizons alternatifs à partir de l’écologie. dans un contexte d’effritements général des horizons idéologiques? L’urgence, les discours catastrophistes sont-ils compatibles avec les temps de production d’horizons alternatifs ?

- La politique ? L’horizon commun et le conflit.
Avec et pour quelle communauté écologique ? Immédiate mais introuvable (le lieu commun, « une autre planète est possible », les slogans).

Questions : l’écologie, lieu de la formulation d’un nouvel horizon ? Cet horizon vient-il se superposer à des schèmes politiques existants ? Quelles redéfinitions du politique à partir de l’écologie ? Vers une écologie politique productrice de zones d’horizons temporaires et hétérogènes ?

-> Pierre Zaoui.
L’écologie, des mouvements de conversions successifs ?
Quelles sont les forces de déplacement de l’écologie?
Quel(s) principe(s) d’espérance porté(s) hors heuristique de la peur ?
Une écologie-symptôme ? Le premier sentiment d’appartenance à un ensemble monde hétérogène, multiple et incoordonné.

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* Pierre Lauret. L’écologie peut-elle être une politique ? (références chez Gorz et Guattari)

L’objectif historique premier de l’écologie : une gestion rationnelle des écosystèmes (biotope + biocénose).
Un constat qui en découle : d
es états de fragilité dans les écosystèmes impliquant des menaces sur la durabilité de la vie humaine.
Conséquences : la question des interventions étatique et inter-étatique au regard de l’échelle des problèmes. La politique, in fine, l’élaboration de ce qui est commun, par arbitrage.
Une politique des conflits et des consensus. L‘écologie, une perspective englobante (des luttes) avec reconfiguration des forces politiques ?

La modernité : l’impératif du changement (la croissance).
L’écologie porteuse d’une double contrainte : ‘impératif de changer en changeant la manière de changer (la croissance).
La nécessité de repenser la signification du progrès.
Or si la simple technicisation des problèmes environnementaux n’est pas tenable, aujourd’hui on ne peut pas plus répondre avec le stock théorique d’écologie politique disponible (de Morin à Guattari).

* Écologie = politique = non
L’écologie n’est pas une politique.
Écologie = contrainte supplémentaire pour le système = ralentisseur de croissance.
Réponse aux problèmes environnementaux à travers la recherche de solutions technologiques dans une stratégie économique  (internalisation, partage et réduction du coût global).
Question posée au financement (arbitrage) public: quelle(s) technologie(s) financer.

* Écologie = politique = oui
Des points de conflit.
La question de la gestion des b
iens communs : exemple, la gestion climatique de l’atmosphère, un grand nombre d’acteur-usagers totalement hétérogènes et dont il faut garantir à tous l’accès.
Gérer un bien commun : mettre en place des stratégies coopératives.
Trois conditions pour mettre en place des solutions coopératives : confiance, efficacité socio-économique et équité.
Idem, question du financement étatique des solutions technologique (arbitrage entre les énergies : nucléaire, renouvelable, etc.)
Question de l’équité (pollueur/payeur), de la dette écologique des pays développés versus la dette financière des PVD.

Deux thèses :
Théorie de la justice appliquée à l’environnement.
Faire de la sphère publique (politique, conflit) une instance de la gestion (rationalité) bureaucratique  des affaires publiques.

Des thèses des fondateurs de l’écologie politique en France, de Morin, Gorz à Guattari, un point de convergence : l’écologie est politique, des points communs :
- l’écologie n’est pas réductible à sa composante environnementale (écologie généralisée);
- une critique radicale et originale au système capitaliste;
- un axe de mobilisation politique : une articulation entre la critique du système et la substitution de valeurs alternatives à la méritocratie (éthique).

Ces fondateurs admettent la prémice suivante : la capacité d’auto-régénération des écosystèmes est grandement endommagée par les techniques d’exploitation industrielle des ressources. Ceci implique un impératif écologique.
Un impératif écologique qui diffère de l’interprétation environnementale de l’écologie (= croissance verte, développement durable).
L’interprétation environnementale de l’écologie vise à rendre compatible la croissance et le mode de développement avec la finitude des ressources naturelles, par une détermination scientifique des capacités de résilience des écosystèmes (évaluation), la recherche et financement de solutions technologiques. Soit in fine le pari suivant : le système peut à nouveau intégrer/dépasser la crise en renouvelant les solutions technologiques (accès, production, consommation d’énergie) et la gestion régulée des ressources.
Solution irréaliste.

Andre Gorz : autonomie existentielle et critique des besoins.
La critique de Gorz de l’interprétation environnementale de l’écologie: une menace sur les libertés doublée d’une critique interne des modes de consommation et de production. Menace d’une expertocratie et d’une dépolitisation (hétéro-régulation).
L’écologie politique, la réunification des luttes traditionnelles, celles de 68 (chaque mouvement social est porteur de conflictualité, désir, politique).
L’écologie permet une double opération de réunification :
- une i
nterprétation de l’ensemble de ces luttes : ce qui se joue, le désir d’autonomie;
- le désir d’autonomie, ce qui peut le prendre en charge, c’est l’écologie politique.

* Réaction de Manola Antonioli à l’intervention de Pierre Lauret
Une perspective autre de la politique. La politique n’est pas que ce qui est commun, c.f. les agencements collectifs d’énonciation. Il faut sortir de l’idée de la perspective englobante. Savoir articuler les plans, en finir avec les barrières dans une écologie généralisée . A titre d’exemple, les ressources mentales sont tout autant menacées que les ressources naturelles.

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Face à la crise : développement durable et mondialisation
par
Luc Ferry
Conférence du cycle « La croissance verte, comment ? »

Les Lumières, un projet d’autonomie vis-à-vis de la nature (les sciences des Lumières, le tremblement de terre de Lisbonne, un projet de civilisation, le progrès).
L’autonomie, autrefois un p
rojet d’autonomisation vis à vis de la nature, aujourd’hui vis-à-vis de l’infrastructure capitaliste (couple concurrence-innovation) dans lequel est tombé (la chute) le projet d’autonomie des Lumières.
Infrastructure capitaliste : la fin du projet, le couple concurrence-innovation, l’impératif de la révolution permanente. Sélection naturelle, s’adapter à la concurrence, compétiter ou mourir, multiplier des foyers de compétition multiples et mondialisés.
Objectif actuel : r
écupérer des marges de manœuvre au sein de ce mécanisme anonymiste.

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Écologie et démocratie : Pour une politique de la nature
par Bruno Latour
Les conférences d’AGORA
Extraits d’après notes prises par Huguette Déchamp et Serge Tziboulsky

« (…) nous appliquons à ces objets [i.e. non-humains] une version pédagogique de la certitude savante.
Par exemple Nicolas Hulot, pour mobiliser les énergies politiques sur les questions écologiques, utilise le répertoire rationaliste le plus rassis : « regardons les faits tels qu’ils sont », « nous savons », « la raison exige », « ceux qui discutent sont des obscurantistes ».
Ce faisant il dépolitise les questions écologiques. En effet dire « sur les faits nous sommes d’accord ; nous ne sommes divisés que par nos préjugés ; soyons donc rationnels et nous serons tous d’accord », c’est défendre une position proprement réactionnaire8, puisque l’accord est déjà fait ! Il n’est pas vrai (d’ailleurs, l’a-t-il jamais été ?) que « la raison nous unit et [que ce sont seulement] les passions [qui] nous désunissent ». On utilise la référence à la nature pour dépolitiser une question. Ted Nordhaus et Michaël Schellenberger nous proposent l’expérience de pensée suivante : mettons en regard un discours de Churchill sur la reconstruction de l’Europe prononcé pendant la guerre froide et un discours de Blair sur le changement climatique, suite au rapport Stern. Le discours de Churchill est « churchillien », mobilisateur d’énergies ; celui de Blair est purement informatif et ne nous « écologise » pas. Inversons les deux types de discours : si Churchill avait parlé comme Blair, nous n’aurions rien fait et nous serions toujours dans une Europe en ruine ; si Blair avait parlé comme Churchill, nous aurions l’énergie nécessaire pour agir. »

 « (…) L’urgence peut être mauvaise conseillère. Les campagnes des écologistes peuvent avoir des effets contraires, décourageants. A l’époque de Churchill la menace était grave, mais classique et Churchill a trouvé la formule pour transformer une urgence démobilisatrice en volonté d’y faire face. Jared Diamond pense même qu’on pourrait avoir des guerres écologiques. La situation climatique est sans doute au même niveau d’intensité dramatique que la Guerre froide. Churchill refusa de parler en termes de décroître ou d’être effrayés, mais produisit par le discours politique une volonté politique. Le 18 juin 1940 de Gaulle dit : « Nous avons perdu une bataille, mais nous n’avons pas perdu la guerre. ». S’il avait dit : « Nous avons perdu la bataille et nous allons sûrement perdre la guerre [au nom de la vérité historique c’était, en effet, probable], alors nous l’aurions sûrement perdue…Donc l’énergie ajustée à la question écologique, c’est cela l’intéressant. Le discours de Churchill n’était pas un discours pédagogique à la Hulot (« les faits sont établis ; il n’y a plus qu’à agir. ») : celui-ci ne produit pas de la volonté, ni du monde commun, mais de l’acceptation et de l’inaction. La notion d’évidence naturelle a quelque chose de délétère, de contreproductif : ce n’est pas parce que c’est naturel, vrai, exact que cela produit de la politique. Être terrorisé, ce n’est pas non plus une position politique. L’intensité de la menace peut être complètement démobilisatrice ; d’où le danger des discours apocalyptiques concernant l’écologie. D’où l’exhortation de Nordhaus : gardons les énergies grâce auxquelles nous avons créé ce monde artificiel ; c’est très bien de vivre dans un monde artificiel. Mais il faut maintenant pouvoir prolonger cet artifice plus loin. L’écologie politique s’est construite, un peu comme le marxisme, sur l’idée que nous avons la science (la science de l’histoire et la science économique, pour le marxisme ; la science écologique pour l’écologie politique). Mais cela dépolitise la question. »

« (…)  La politique a toujours été la politique des choses.
Saint-Simon parlait déjà au 19ème siècle du « gouvernement (ou de l’administration) des choses ». La politique grecque a toujours été cosmopolitique (pour reprendre l’expression d’Isabelle Stengers). Ce n’est donc pas cela qui est nouveau. A Sienne on peut admirer les magnifiques fresques d’Ambrogio Lorenzetti sur Le Bon et le Mauvais gouvernement … elles datent du début de la Renaissance, époque où les hommes avaient leur prolongement dans un cosmos et où la pensée était englobante, où les choses et les hommes étaient en résonance, en correspondance. Pour faire une nouvelle politique et repenser les choses, ne faut-il pas aussi repenser les mots et notre perception ? Par conséquent quelque chose de l’ordre d’un jugement désintéressé ne pourrait-il pas entrer en politique ? »

« Plutôt que de prôner la décroissance, il faut, au contraire, se développer et inventer en « modernisant la modernisation », selon la formule d’Ulrich Beck (auteur de La Société du risque). Beck, dans Reflexive Modernization, montre que la modernité ne devient réflexive que maintenant. La grande question de l’écologie politique est : pouvons-nous faire entrer les sujets de débat – qui ne seront jamais stabilisés – dans des institutions politiques faites pour les accueillir ? Peut-on construire les institutions qui prennent les anciens objets « naturels » et faire de la politique avec ces êtres bizarres : les objets naturels avec leurs humains associés ?
Peter Sloterdijk remarque qu’avant les crises écologiques, on ne savait pas vraiment que la Terre était ronde, alors qu’aujourd’hui, on le sent, parce que les conséquences de nos actions nous retombent dessus. Par exemple les oiseaux sauvages de l’Arctique et de l’Antarctique assimilent les résistances aux antibiotiques des animaux domestiques : ils sont entièrement mondialisés ! »

« Conclusion : repolitiser l’écologie.
Résumons :
- nous nous habituons aux objets controversés et détaillés ;
- nous avons l’inventivité nécessaire pour créer les assemblées représentatives
correspondant à ces objets ;
- mais faire de la politique avec ça, c’est plus délicat.
Notre habitude de faire de la politique en France consiste à dire : « soyons rationnels et
nous allons nous entendre. » Or nous ne nous entendons pas, au sens où l’entente, c’est la construction d’un monde commun. L’écologie politique officielle dépolitise la question de l’écologie : il faut la repolitiser, c’est-à-dire produire les énergies capables de construire le monde commun. La politique est donc redevenue intéressante. Nous sommes aujourd’hui dans la seule époque d’invention politique depuis le 18ème siècle, où la grande question était celle de la représentation des humains. Après le 18ème siècle les controverses en philosophie politique n’ont porté que sur des questions mineures, du genre : sur quelle science fonder la philosophie politique (l’histoire ? l’économie ?…). Aujourd’hui il s’agit d’inventer la représentation politique des humains avec leurs non humains associés. »

image0022 dans Bateson

Fragments de rencontres urbaines

       Si nous ne devions garder qu’une chose à dire ici, un truc comme ça. Aborder les questions écologiques, étendues et non entendues, c’est avant tout se confronter à l’abondance des objets du monde, la co-production des relations qui passent entre, les usages input/output qu’on en (co)fait.
C’est donc la mobilisation tout azimut de l’ensemble de nos ressources (sciences, littérature, cinéma, poésie, etc.), la mise en place de dispositifs de rencontre et de de capture champ/hors-champ pour auto-co-productions d’assemblages à plier dans des images, le tissage d’un réseau de correspondances inévidentes, à donner à voir, à donner pour se voir dans ce que je prends, ce à quoi je suis indifferent, faire percevoir de la toile qui porte tel ou tel existant.
Deux petites flâneries urbaines dans cette direction.

http://www.dailymotion.com/video/x345rs Reconquête de … l’étonnement.

Ce que peut un récit …
le (re)montage d’Yves Citton,
à la jointure des Arts et de la Politique

http://www.dailymotion.com/video/xcjxgh

Jeudi 4 mars à 20h00, librairie le genre urbain, rencontre – débat avec Yves Citton et Laurent Bove autour du livre d’Yves Citton : Mythocratie. Storytelling et imaginaire de gauche (Ed. Amsterdam
« Comment comprendre le soft power que mobilisent nos sociétés mass-médiatiques pour conduire nos conduites, pour nous gouverner ? Comment en infléchir les opérations pour en faire des instruments d’émancipation ? Cet ouvrage tente de répondre à ces questions en croisant trois approches. Il synthétise d’abord le nouvel imaginaire du pouvoir qui fait de la circulation des flux de désirs et de croyances la substance propre du pouvoir. Il se demande ensuite ce que peut un récit, et en quoi les ressources du storytelling, qui ont été récemment accaparées par des idéologies réactionnaires, peuvent être réappropriées pour des politiques émancipatrices. Au carrefour des pratiques de narration et des dispositifs de pouvoir, il essaie surtout de définir un type d’activité très particulier : la scénarisation. Mettre en scène une histoire, articuler certaines représentations d’actions selon certains types d’enchaînements, c’est s’efforcer de conduire la conduite de celui qui nous écoute – c’est tenter de scénariser son comportement à venir. »

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* Capture partielle de signaux – Yves Citton

- Un livre résultant d’un travail de « montage ».
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L’imaginaire du pouvoir, pouvoir versus puissance, des dispositifs de captation de l’attention. Pouvoir = captation, canalisation (partielle, située) des flux de désirs et de croyances de la multitude (=> puissance de la multitude).
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Imaginaire, récit du pouvoir => artefact, dispositif de coagulation des désirs de la multitude => soft power conducteur de conduite. Le soft power comme résultant du mouvement ascendant qui transforme la puissance de la multitude en institutions politiques dont l’autorité retombe sur la multitude.
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Toute action dans le monde présuppose un schème narratif (pas d’histoires, pas d’actions). Perspective d’encapacitation qui fait de la structure narrative la forme même de toute pensée de l’action. La scénarisation désigne le fait qu’on ne (se) raconte jamais une histoire sans se projeter dans un certain scénario d’enchaînement d’actions.
-
Expérimentation (montage/démontage/remontage des récits) versus expertise (récits indémontables). C’est de chacun de nous, de nos formes de vie, de désirs et de résistances quotidiennes qu’émerge la puissance de raconter les histoires nouvelles qui amélioreront notre devenir commun.
- Objectif : restructurer les canaux de distribution du pouvoir de scénarisation qui assurent la circulation des histoires au sein de la multitude, gagner en autonomie.

* Capture partielle de signaux – Laurent Bove

- Un récit <=> un corps <=> une organisation singulière d’images. Des images organisées qui nous affectent, produisent des effets (modifications) sur les corps, et qu’on affecte (image <=> modification des corps <=> réel en action).
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Écriture du multiple et puissance de la diversité. La multitude est producteur et produit de ses récits <=> auto-affection de la multitude => auto-organisation => auto-institution (imaginaire constituant, des institutions, des pratiques, etc.)
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Contexte d’effondrement des récits ? Incrédulité vis-à-vis des métarécits, la question centrale de la scénarisation (processus), de l’organisation des images (corps).
- Objectif : comment faire circuler, inventer, fluidifier, laisser du, le(s) désir(s) disponible(s). Question de la disponibilité des désirs en rapport à leur fixation, à leur capture par des dispositifs d’objets, gagner en autonomie.

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Image de prévisualisation YouTube Un homme qui dort, (Queysanne, Perec – 1974) passage.

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* Digestion et rebranchement partiels de signaux

Face à la complexité, multiplicité et hétérogénéité qui émergent des connaissances-branchements-combinaisons de l’air d’un temps, incertitudes plus que certitudes – les questions écologiques, l’hyper-ville et les réseaux complexes, des stratégies d’occupation réticulaires de l’espace et du temps à une échelle globale – entre auto-production et co-production, quels rôles et quels types de récits (re)monter-(re)produire ?
Dans une note précédente nous avions souligné, à partir du travail d’Isabelle Stengers sur le mythe de Gaïa, l’importance qu’il y aurait à produire de nouvelles figures instauratrices pour l’écologie. Se raconter des histoires qui ne prétendent pas dire le vrai, mais qui aident à saisir, ressentir ce qui est encore hors-champ des mots pour le dire : le nouveau.
Une scénarisation, soit un enchainement d’images singulières dont l’organisation porte en elle l’information sur les relations entre les choses, articule et encapsule certaines représentations d’actions. Retour ici en écho sur notre petite notion de photo-synthèse, auto mise en image pour gain en autonomie, pliage de ses affects et de leur terreau de croissance afin de nourrir la banque d’image collective de nouvelles potentialités de dépliages et détricotages qui ne se pensent/disent pas à l’avance.

Pour Yves Citton, il s’agit de pouvoir participer à l’émergence d’un imaginaire «  (…) bricolage hétéroclite d’images fragmentaires, de récits décadrés et de mythes interrompus, qui prennent ensemble la consistance d’un imaginaire, moins du fait de leur cohérence logique que de par le jeu de résonances communes qui traversent leur hétérogénéité pour affermir leur fragilité singulière (…) »
Donner une force collective de participation partagée à ses (micro-auto)-récits, c’est le passage de la narration à la scénarisation, c’est se raconter des histoires, contre-scénariser afin de produire de cette colle imaginaire qui permettra de faire tenir ensemble des subjectivités. 
Mais quel type de colle ? Linéarité des récits et mythe interrompu, pour Yves Citton il y a toujours nécessité à poser des horizons de clôture pour agir. Au nom de l’intégration, il y a toujours une certaine nécessité à la simplification et aux slogans.

Contradictions ? Pour ne souscrire ici en aucun cas aux vertus supposées de la simplification, quels seraient les risques associés à un trop peu d’images pour le voir, de mots pour le dire ? Manque de matière et de relations à dé(re)monter, d’où freins, fixations et perte en autonomie ?
La puissance d’un récit, d’un corps singulier, réside dans sa capacité à affecter et à être affecté. Soit ses capacités de (re)branchements sur ses et d’autres images organisés (articulation de certaines représentations d’actions selon certains types d’enchaînements).
Quel type de branchements, de (re)combinaisons possibles à partir des image-slogans ? D’un autre monde est possible à urgence planète ça chauffe, ne se construit qu’une pancarte danoise « une autre planète est possible » qui produit quoi ? Du faux, sauf à penser son habitat lunaire, mais du faux qui ne donne aucune matière à sentir le nouveau, aucune matière pour le repenser, des comportements mécaniques, se rassembler pour se rassembler et le reste tombera du ciel comme prédigéré.
Or
 pour les lombrics, individus frayeurs de possibles qui démontent, composent et recomposent, recyclent et aèrent le terreau de nos idées pour (se) donner à voir, mieux vaut de la matière sensible à travailler dans les énoncés. De l’espace d’activité, des interstices indéterminés entre les mots pour frayer entre, des images multiples afin de ne pas fixer les désirs sur quelques mots exclusifs et minéralisant.
Parlant d’écologie en son sens étendu, on parle de gestion de l’abondance et non de la rareté (économie). Simplifications et slogans induisent un appauvrissement qualitatif (en diversité et donc en capacité à photo-synthétiser) de la banque sociale des images.
[Fixation sur des comportements mécanique -> empêchements -> prétexte à être pensé et à penser à l’avance –> incompossibilités -> impossibilité à cohabiter avec des images porteuses d’affects étrangers à sa « nature » (nature au sens de capacité digestive, sa recombinaison singulière d’enchainement d’images et d’actions associées).]
Ne pas fermer à l’avance les récits sur le nouveau, ne pas y (re)produire des slogans, un point très délicat. Transition et interférences, rencontre avec la scénarisation suivante.

 « Je vais revenir sur un point très délicat, sur lequel nous sommes très peu outillés. Cette gestion de l’indétermination, qu’elle soit narrative, paramétrique et/ou entropique, ne peut se limiter à la compréhension, la codification de sa morphologie. L’hypothèse d’un inachèvement, d’une indétermination doit se contractualiser, au sens de Sacher Masoch, simultanément et intrinsèquement à la zone d’émission, à la gestation de l’émergence. Le scénario doit rester un scénario ouvert, pour que la forme émise ou en train d’être émise  puisent son indétermination de la contradiction des inputs qui la conditionnent. Ce n’est pas une méthodologie, l’inachèvement, l’indétermination ce ne peut être qu’un champ interstitiel, qui navigue entre des zones repérable, entre une géométrie générative, voir évolutionariste, une narration sociale et un protocole de construction. L’articulation de ces trois inputs, voir la contractualisation de leur non miscibilité est au creux des dispositifs que nous essayons de mettre en place. »
« … que faire de votre humanisme de salon. Comment va-t-il réagir face au protocole masochiste que l’individu met lui-même en œuvre contre lui-même, afin de vivre la dualité de son éros-thanatos, fait de pulsions contradictoires siamoises et contingentes. Cette narration ouvre les portes béantes des interprétations multiples, des champs entiers à défricher, des terra incognita sur lesquelles se cartographient des paysages que seul l’imaginaire sait articuler. Elle ne clôt pas les scenarios mais permet aux subjectivations individuelles de s’y infiltrer, de s’y entortiller afin de vivre comme l’Alice de Lewis Carroll la confusion entre projections paranoïaques et l’illusion des perceptions. La logique n’est pas à la surface des choses, elle n’est révélée que suite au retournement masochiste de la Machine barbare sur soi même par le risque d’une immersion fatale. » François Roche

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 Fragments de rencontres urbaines dans André Gorz image008

Vendredi 19 Mars 2010, de 11h30 à 13h00, Zones d’attraction recevra Yves Citton pour parler ensemble de son dernier livre, paru aux éditions Amsterdam : « Mythocratie. Storytelling et imaginaire de gauche ».

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Une architecture des humeurs …
partir du désir, une e
xpérience de scénarisation à la jointure des Arts et de la Science

http://www.dailymotion.com/video/x49ieh … partir du désir réel des gens … Felix Guattari.

Samedi 6 mars à 16h00, le laboratoire, exposition une architecture des humeurs.  
«  L’habitat décline vos pulsions (…) il en est lui-même le vecteur (…) Synchronisé à votre propre corps, à vos artères, à votre sang, à votre sexe, à votre organisme palpitant… et vous êtes une chose, un élément parmi tout cet ensemble, un élément fusionnel, poreux… qui respire et aspire à être son propre environnement… Ici tout se noue et s’entrecroise. Tout est là, en train de se faire, dans un mouvement en train de se faire … »

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image001 dans Deleuze

Architecture des humeurs : « Démarche associant les compétences de scientifiques de toutes disciplines (mathématiques, physique, neurobiologie, nanotechnologies…) pour tenter « d’articuler le lien réel et/ou fictionnel entre les situations géographiques et les structures narratives qui sont à même de les transformer. » François Roche 
« Au creux de ses indéterminations, on se plait à relire Spinoza par l’intermédiaire de Tony Negri, plus particulièrement dans son ouvrage écrit en prison, l’Anomalie Sauvage … On se plait à repenser les protocoles issues de procédures non déterministes, comme les équilibres instables et réactifs liés aux organisations sociales ou l’intelligence collective est le paramètre constitutif du vivre ensemble, où les multitudes ne sont pas kidnappées par les mécanismes de délégation de pouvoir, fussent-ils démocratiques. Que quelques architectes s’intéressent aux caractéristiques, aux identifiants, aux marqueurs de l’auto-organisation, pour dé-pathologiser ces protocoles d’incertitudes des fantasmes New-Age, communautaristes et alternatifs, semble une belle ligne de fuite, une ligne d’intensité, qui fissurent par la même tout le système de représentation. »
« L’architecture des humeurs, (…) un outil susceptible de faire émerger des Multitudes, et de leur palpitation, de leur hétérogénéité, les prémisses d’un protocole d’organisation relationnelle. »
François Roche

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Proposition : partir du désir des gens dans la co-construction (symbiotisme) d’un habitat collectif, zone habitable en train de se faire par agglutination des désirs individuels troubles et contradictoires. Ce tricotage itératif de formes communes passe par la mise en place d’un double dispositif de collectes : signaux verbalisés en réponse à d’autres signaux verbalisés, micro-signaux moléculaires symptômes de la modification de la composition chimique d’un corps.

 « Via l’architecture des humeurs, nous avons scénarisé une machine constructive et narrative qui soit réceptive à deux inputs contradictoires, entre l’ordre du désir codifié par le langage, et l’ordre de sa sécrétion chimique préalable, voire dissimulée. Nous avons souhaité que la relecture schizoïde d’une programmation en train de se faire puisse générer des protocoles d’incertitude. Un fragment urbain constitué sur ces procédures, vecteurs de variabilités et d’indéterminations, rend visible le potentiel de ces agrégations hétérogènes. L’un des sujets de cette recherche aura été de penser la structure portante de ces cellules habitables, et donc la forme finale du bâtiment, a posteriori. Le fait que la structure portante ne soit pas dessinée au préalable nécessite un calcul permanent des segments et des trajectoires de force qui portent ces noyaux habitables. »
« Chimie des corps envisagée comme un élément susceptible de perturber, d’altérer les logiques linéaires, les logiques d’autorité ; de processus éclairant la relation du corps à l’espace, mais plus encore des corps dans leur relation sociale, de relation à l’autre, au sein d’une même cellule mais aussi en osmose de voisinage. »

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Proposition : un dispositif de capture des désirs individuels. On part de la production de signaux désirant émis autour des questions de la zone habitable, à leur capture par une double stratégie de collecte :
- classique à travers un entretien (fabrique des mots et structure narrative);
physiologique via une interface d’échange moléculaire (sécrétions et modifications chimiques, émission de molécules).

« Collecte d’informations de l’ordre du corps chimique, basé sur les émissions neurobiologiques de chacun des futurs acquéreurs: jusqu’ici, la collecte des informations du protocole d’habitation s’appuyait exclusivement sur des données visibles et réductrices (superficie, nombre de pièces, mode d’accès et mitoyenneté de contact…). »
« L’architecture des humeurs se pose comme préliminaire de relire les contradictions de l’émission même de ces désirs ;  à la fois ceux, qui traversent l’espace public par la capacité à émettre un choix, véhiculé par le langage, à la surface des choses…, et ceux préalables et plus inquiétants peut-être, mais tout aussi valides, susceptibles de rendre compte du corps comme machine désirante et de sa chimie propre ; dopamine, cortisol, mélatonine, adrénaline et autres molécules sécrétées par le corps lui-même, imperceptiblement antérieur à la conscience que ces substances vont générer. La fabrication d’une architecture est ainsi infléchie d’une autre réalité, d’une autre complexité, de celle du corps acéphale, du corps animal … »

image002 dans Entendu-lu-web
Dispositif de capture de la chimie du corps désirant

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Proposition : à partir de cette double-capture, on évalue des zones de divergence, des différences schizoïdes entre les deux sources d’émission des désirs.
En ressort les coordonnées sources du travail architectural, coordonnées qui sont les input d’un logarithme complexe. Calcul local et global, charge au programme de prendre en compte le désir de chacun, le désir agglutiné de tous, chaque modification d’une coordonnée modifiant l’ensemble.

« L’architecture des humeurs c’est rentrer par effraction dans le mécanisme de dissimulation du langage afin d’en construire physiquement les malentendus. Une station de collecte de ces signaux est proposée. Elle permet de percevoir les variations chimiques, et de saisir ces changements d’état émotionnel afin qu’ils affectent les géométries émises et influencent le protocole constructif. »
« Cette expérience  est l’occasion d’interroger la zone trouble de l’émission des désirs, par la captation de ces signaux physiologiques basés sur les sécrétions neurobiologiques et d’implémenter la chimie des humeurs des futurs acquéreurs comme autant d’inputs générateurs de la diversité des morphologies habitables et de leur relation entre elles. »

Proposition : charge à un logarithme, process mathématique d’optimisation proposant un système complexe adaptatif fonctionnant par incrémentation successive des inputs, de produire les morphologies habitables. Des architectures qui nous rappellent le plus souvent le type corail, symbiose du végétal et de l’animal (cf. devenir végétal). Une fois l’implémentation des inputs terminée, une forme arrêtée, le logarithme programme alors les robots en charge de de sa construction.

« Process mathématique d’optimisation qui permet à l’architecture de réagir et de s’adapter aux contraintes préalables, aux conditions initiales et non l’inverse. »

image003 dans Felix Guattari
Robot constructeur

image004 dans Ilya Prigogine
Une forme habitable produite

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http://www.dailymotion.com/video/x48fxs Briqueter … Felix Guattari.

Interférences, plis et transversalité (1)

http://www.dailymotion.com/video/xc5ysl Cohabitation des natures, un documentaire qui donne à percevoir.

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Interférences nourricières et transversalités nécessaires. Fragments de Petites natures, une enquête publiée dans la revue Vacarme n°14 hiver 2001 réalisée par Rachel Easterman-Ulmann, avec Catherine Bonifassi, Frédérique Ildefonse et Jean-Philippe Renouard.

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Jean-Luc Nancy, philosophe

1. À quelle nature avez-vous à faire ?

Pour répondre de manière irréfléchie, en sorte que « avoir à faire » me renvoie au plus proche, surgissent à la fois une image et un problème.

L’image, c’est celle de la végétation, prolifération et insistance végétale, puissance de persévérance intraitable, toujours recommencée, toujours prête à s’insinuer dans les moindres interstices de la matière la plus stérile. Cette image de la nature est moins celle de l’indemne et de l’innocence que celle d’une ténacité puissante et sourde, souterraine et toujours prête à réinvestir une surface où l’homme ne dépose que des vernis fragiles et des masses que leur pesanteur même finit par attirer et par enfouir au sein d’un terreau formidable qui les pulvérise, les digère et les restitue à une circulation de sèves et de fibres, à une poussée qui n’est rien d’autre que la poussée de la terre en elle-même, sur elle-même, comme une mastication et un dégorgement de soi.
C’est aussi l’ordre, l’espace-temps ou bien l’élément dans lequel se décompose le cadavre : se recomposent d’autres masses, d’autres organes… Cette nature n’est pas un ordre, ce n’est pas un règne ni une législation, c’est une puissance et un élan.

Mais en même temps, « nature » est un problème : le problème de son concept. D’une part ce dernier ne cesse d’occuper, dans le discours le plus courant — le plus « naturel » ! — une place difficile à éviter : comment ne pas dire que ceci ou cela est naturel, ou qu’il est « bien naturel de… », ou que quelqu’un(e) « manque de naturel », etc ?
Mais comment, aussitôt, pour peu qu’on réfléchisse, ne pas mettre en question ce qui est impliqué par là : l’idée de ce qui irait de soi et qui serait donné d’origine, l’idée de ce qui appartiendrait à l’essence propre d’une chose, alors précisément que nous savons à quel point l’« origine », l’ « essence » et la « propriété » sont des notions que les temps modernes ont soumises aux exigences les plus soupçonneuses. Il y a bien longtemps que nous savons combien l’or ou le diamant sont peu précieux par leur essence, combien le tigre est peu cruel de sa nature, ou combien il est malaisé de dire quelle est la propriété originelle qui constitue ce qu’on nomme, par exemple, « le Mozambique ». Il y a longtemps que nous savons combien sont fragiles, renversables, destructibles ou déconstructibles les oppositions telles que celle de l’art et de la nature, de l’histoire et de la nature, du divin et du naturel aussi bien que du naturel et de l’humain, ou de la nature et de la culture. Nous devrions savoir, précisément, que « nature » ne tient que pour autant que tient le jeu de ces oppositions.
Mais, très concrètement, les transformations de la planète, de la société et de nos consciences nous ont appris que s’il doit être question de « nature » en quelque façon (d’une terre, d’une socialité, d’une conduite plus « naturelle »), ce ne peut être que par les moyens de toujours plus de « technique », d’« art » et d’« histoire ».

2. Vous apparaît-il qu’existe quelque chose comme un ordre naturel ?

Non, d’abord, si l’on doit entendre par « ordre naturel » ce que l’on entend, de fait, par « nature » : un ordre selon lequel l’être procède de lui-même à partir de lui-même, c’est-à-dire s’engendre.
D’une part la génération est le modèle naturel par excellence : la conception, la naissance et la croissance, le développement, l’éclosion, la reproduction. Assurément, cet ordre existe : toute plante, tout animal nous l’expose. Mais il n’existe pas comme l’ordre d’un auto-engendrement absolu : précisément, l’origine de la vie n’est pas dans la vie, et la vie comme spontanéité, auto-production et auto-affection n’est pas un concept biologique strict. L’origine de la vie est dans la nature, ce qui d’une part n’est en rien auto-suffisant et d’autre part reporte vers l’origine de la nature, qui n’est donc pas dans la nature …
La dire en « Dieu », comme on l’a dit pendant quelques siècles, n’aura jamais été qu’une manière de cercle vicieux : « Dieu » fut le nom d’une auto-production manquant radicalement de son « auto », puisque Dieu était la puissance de la nature sans être la nature même. À cet égard, la « mort de Dieu » désigne bien la mort de … la vie comme auto-engendrement du monde et en elle se trouve pour nous la condition sine qua non d’une pensée de la « nature » et de la « vie ». Par exemple : penser la « nature » comme équilibre d’un ou de plusieurs écosystèmes et éthosystèmes suppose que nous définissions les mesures du dit « équilibre », ce qui certainement ne peut pas être fait par référence à une nature donnée, mais à une culture dont il nous incombe de penser la forme et l’enjeu.

Aujourd’hui rien n’est plus violemment clair que ceci : nous devons cultiver une nature qui ne nous est pas donnée, qui est toute à venir. C’est ce qui fait l’enjeu le plus général des questions de la justice (qu’est-ce qui est naturel ? la libre concurrence ? ou bien la dignité de tous ?) aussi bien que de celles de la technique (qu’est-ce qui est plus naturel ? de forger le fer, ou de synthétiser des molécules ?) et de l’éthique (qu’est-ce qui est naturel ? la mortalité infantile, ou le contrôle des naissances ?) : pour toutes ces questions, sans exception — et pour celles de la politique — on ne peut pas et on ne doit pas cesser de démonter et de déjouer les pièges redoutables qui sont tendus dans l’invocation de la « nature ».
Mais si on ne veut pas en rester aux approximations et aux ajustements circonstanciels, il nous faudra finir par repenser de fond en comble l’idée même de nature : cela veut dire, depuis la « création du monde » jusqu’à sa « fin ». Qu’est-ce qu’un monde qui sort de rien et par conséquent (re)tourne à rien ? Qui donc ne sort de nulle part et ne va nulle part ? Qu’est-ce donc qu’un monde qui d’abord est là et dont le sens n’est donné nulle part ailleurs qu’ici ? Voilà de vraies questions, et non des invocations de principes et de fins naturels ou surnaturels. Remarquez combien ce mot « surnaturel » évoque à la fois un ordre supérieur à la nature et une seconde nature ou une outre-nature ; on n’emploie plus guère ce mot : mais il a désigné longtemps l’ordre de la transcendance, ce qui veut dire qu’il a naturalisé la transcendance …

L’homme et sa technique appartient aussi à la nature. C’est elle qui rend possible l’hominisation, et qui rend ainsi possible mais problématique l’humanisation, et d’abord la technicisation — qui est aussi technicisation de la nature elle-même. Il faut revenir, encore, à considérer comment l’ordre « naturel » a été lui-même construit et distingué par une opération technique, qui est celle dont tout l’Occident procède.
Les dieux retirés on a produit l’idée ou la représentation de la « nature », c’est-à-dire d’un registre distinct de l’homme comme des dieux, auto-consistant, dont il s’est agi de déterminer la constitution (la structure ou l’essence ou… la nature !), par exemple en cherchant quel élément était fondamental, ou bien quelles relations mathématiques ordonnaient cette structure.
Ainsi on en est venu à des « lois de la nature ». Cette pensée de la nature comme ordre et comme substance ou substrat autonome va de pair avec la problématique de son auto-constitution.

3. Pouvez-vous donner des exemples, où l’utilisation de la nature comme argument vous a énervé ?

Nature ou surnature, ce sont les débats autour de l’avortement auxquels je pense tout de suite.
Je ne pense certainement pas que l’avortement soit, en lui-même, une pratique naturelle, ni même qu’il soit, en lui-même, souhaitable. Mais il m’est inconcevable qu’on puisse invoquer contre sa nécessité — dans des conditions claires, réfléchies et reconnues — l’autorité d’une nature ou d’une surnature : c’est un tel aveu d’impuissance à penser simultanément la condition des femmes, celle des enfants, celle des rapports de parenté et enfin la vérité même de ce qu’est un « sujet » que cet aveu involontaire laisse accablé : comment peut-on s’acharner à ce point dans la superstition du « (sur)naturel » ?

4. Y a-t-il des choses (inventions, pratiques sociales, technologies, discours) qui, parce qu’elles bousculeraient la nature, vous effraient ?

Non, dans cet ordre je ne peux pas être effrayé, mais perplexe, une inquiétude peut balancer mon intérêt — qu’il s’agisse de cyberespace ou de clonage, de parents homosexuels ou de semi-conducteurs.
Oui, le web est un espace chaotique, irresponsable, souvent naïf et inculte, grossier, etc. Oui, j’ai de la difficulté à penser que le partage des sexes, qui n’existe pas seulement comme configuration symbolique mais aussi biologique bien que les deux registres ne soient pas dissociables, ne soit pas à l’œuvre dans le devenir d’un enfant entre ou avec ses parents.
Mais l’essentiel pour moi serait qu’on en vienne en tous ces domaines à penser avant tout sous les axiomes combinés de la retenue devant toutes les formes de réflexes conditionnés et d’une remise en jeu constante de la question des fins : que veut-on ? Que peut-on vouloir ? N’y a-t-il qu’une humanité possible ? pensable ? qu’un monde ? Le monde a déjà connu tant de formes de vie, et tant de formes de mort, ou de parenté, ou de savoir…

Mon effroi est devant la possibilité que la « bousculade » tourne à la panique, non parce que la nature serait trop oubliée ou trop défoncée, mais parce que nous n’arriverions pas à nous défaire d’une fixation sur cette idée de nature, parce que nous ne serions pas à la hauteur de la dénaturation qui est notre fait, et peut-être notre définition, et dont la possibilité est inscrite dans la nature avec l’homme, comme une possibilité naturelle en somme. Nous n’arriverions pas à nous mesurer avec nous-mêmes comme avec ceux chez qui la nature aurait engouffré sa propre ruée démesurée, une ruée de néant aussi bien que de sève, et la décharge enfin de toute cette formidable ambivalence…Oui, la nature est terrifiante, aux prises avec cette panique qu’en fin de compte elle est. La rage de blâmer ou de louer est la faute majeure pour qui veut penser. Sommes-nous seulement capables de dire juste dans un état où nous n’avons pas de critère absolu et tout prêt pour une justesse ni pour une justice.

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http://video.google.com/videoplay?docid=2459111438622342949 Chris Marker, Sans Soleil, 1983, composition et montage, volonté de mise en rapport d’éléments a priori disparates.

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Nathalie Thèves, psychanalyste


1. À quelle nature avez-vous à faire ?

L’objet de la psychanalyse n’est pas l’observation de la nature humaine. Elle ne constitue pas non plus un corpus de connaissance sur les modes d’adaptation de l’humain corrélaires des variations naturelles. Ceci relève de la psychologie animale appliquée à l’humain. L’idée d’observer les manifestations de l’être parlant à l’état naturel reste hors de son champ. De même, elle renoncera à restaurer ou réparer un état naturel premier où règnerait une harmonie supposée entre l’homme et la nature.
L’expérience analytique se structure autour des effets de la parole et du langage sur les êtres parlants. Si la nature est muette comme les pierres, l’homme la fait parler grâce au pouvoir créateur de la langue. Un événement naturel n’est rien sans cette expérience du langage. Le ciel a longtemps été l’horizon vers lequel les hommes ont tourné leur regard. Dans les constellations, ils ont pu lire et déchiffrer les augures divins. C’était consacrer le pouvoir de la signification sur celui de la nature.
Avec la langue et l’écriture, la nature et ses phénomènes sont venus s’inscrire dans l’histoire humaine. La nomination l’emporte sur l’état naturel de la chose, qui est mise à distance. L’histoire de l’arche de Noé ne dit pas seulement qu’il s’agit de mettre à l’abri un exemplaire unique des espèces naturelles, elle est plutôt une interrogation sur le fondement de la génération, qui est fondée sur la nomination : elle illustre comment aucune nomination ne saurait s’engendrer elle-même. La génération part ainsi du zéro de fondement.

2. Vous apparaît-il qu’existe quelque chose comme un ordre naturel ?

Le modèle de l’ordre naturel par excellence se trouverait dans l’espèce animale dont la subsistance et la reproduction dépendent de l’instinct.
L’invention de l’inconscient a durablement modifié la conception d’un ordre naturel des instincts chez « l’animal » parlant. L’abord freudien de la pulsion en est responsable. Rien de plus éloigné de la pulsion que l’instinct. Leur économie ne se recouvre pas.
Tandis que dans le règne animal l’instinct est conçu comme une adaptation aux conditions naturelles, la pulsion pour l’être parlant introduit à une fiction qui relève de tout autre chose que de la pression d’un besoin. Elle est une fiction qui dénature l’idée d’une pure économie de la satisfaction. Ses manifestations sont constantes, à l’inverse d’une fonction biologique qui a, elle, un rythme. Ses manifestations vont au-delà des manifestations de conservation de la vie. Le lien entre la pulsion de mort et de vie inflitre toutes créations humaines et sociales. Elles engendrent autant de négatif que de positif, une série de contradictions dialectiques.
Dans le règne de l’être parlant, la pulsion participe tout entière du langage. L’objet de la pulsion est indifférent. Son investissement dépend des effets de la parole et du langage sur la structure de la satisfaction. Son but, lui-même lié à l’accomplissement de la satisfaction, passe par un montage dans les façons de l’atteindre. Ces dernières dérangent profondément le principe d’homéostase qui fonde l’harmonie entre l’homme et son milieu « naturel ». Si cette harmonie est identifiable à l’état naturel, force est de constater que la satisfaction passe par une perte au profit de la symbolisation qu’elle appelle dans l’artifice de son montage. Le cycle pulsionnel modifie les rapports de l’être parlant à la satisfaction, et ouvre une béance entre l’organe et la fonction.
L’expérience analytique met au jour les avatars de la pulsion liés à la façon dont le sujet se trouve devoir satisfaire à ses pulsions. Le symptôme apparaît comme un mode de satisfaction indirecte dont le sujet a dû se contenter jusqu’alors. La pulsion logée au cœur du symptôme nous éloigne de la pureté d’un ordre naturel pour privilégier le rapport du sujet à son désir ; elle ne suit aucune programmation naturelle.

3. Pouvez-vous donner des exemples, où l’utilisation de la nature comme argument vous a énervée ?

Pour moi, le rapport que les « verts » entretiennent à la nature est suspect. Que nous vaut le mot d’ordre « sus à la pollution » à l’heure où le discours de la science s’offre comme solution universelle ?
La lutte contre la pollution de la nature serait-elle identifiable aux droits de l’homme, comme le suggère la percée de l’écologie comme une nouvelle version politique ? Et ces derniers seraient-ils naturalisables ?
Dans les deux cas, il faudrait trouver une solution universelle : on réclame la réparation et on appelle à la protection de l’environnement. Derrière ces revendications légitimes, la nature, jadis louée comme le modèle distributeur des jouissances, puis déchantée par la révolution industrielle, voit son blason redoré dans un combat contre toutes atteintes faites à son ordre. Dans ce combat, il y a l’idée, mal dissimulée, d’un ordre universel en mesure d’offrir à tous et pour tous les mêmes sources et ressources de jouissance. Ce combat est louche. Une telle procédure d’universalisation engendre d’inévitables mesures de ségrégation. Un pas de plus et l’idéologie de la pureté de la race refait surface.

Il n’est guère plus rassurant de voir la biologie aux prises avec un discours qui n’a rien à envier à l’obscurantisme. La classification des êtres parlants à partir de la différence anatomique des sexes comme standard la cautionne.
Les découvertes plus récentes sur le génome humain attirent les vieux démons de la sélection naturelle. Là aussi, on veut croire que ce qui fait un homme ou une femme dépend entièrement du programme biologique.
De même, en dépit du démenti de scientifiques honnêtes, certaines affections psychiques sont mises sur le compte d’un déficit biologique quand elles ne sont pas ravalées au rang d’un déficit cognitif.
La psychanalyse n’identifie pas les êtres sexués en fonction de l’anatomie, mais elle verra plutôt dans la façon de se dire garçon ou fille, homme ou femme, ce qui détermine une position sexuée au regard de la façon d’habiter le langage.

4. Y a-t-il des choses (inventions, pratiques sociales, technologies, discours) qui, parce qu’elles bousculeraient la nature, vous effraient ?

Il y a, en effet, aujourd’hui des pratiques sociales, des technologies et des discours qui bousculent la nature. Les avancées du discours de la science y sont pour quelque chose. Doit-on s’en effrayer pour autant ? La réponse est délicate. Elle exige réserve et rigueur en raison de la fronde obscurantiste que les religions entretiennent plus ou moins ouvertement.
Les promesses d’un bien universalisable à l’échelle planétaire masquent mal la mondialisation galopante du capitalisme. La psychanalyse a déjà pris position : elle ne participe pas à l’ordre du bien dont se parent les causes « humanitaires ». On le lui reprochera assez. C’est pourtant cohérent avec la « cause » qu’elle abrite, car celle-ci n’offre aucune solution universelle.
Ses moyens ne sont ni ceux de la charité qui relève d’un pouvoir de jouissance sur le prochain, ni celui du discours de la science au service du maître moderne.
Pourtant, qui ne s’affolerait pas des applications futuristes de la génétique sur le génome humain et la nature ? Le discours qui soutient cette entreprise se présente comme la solution humanitaire susceptible de résorber la faim dans le monde.
En même temps, de grandes formes pharmaceutiques, un laboratoire mondialement connu comme « Monsanto » restent soucieux de leurs bénéfices en faisant valoir leurs produits et leurs inventions technologiques comme universellement planétarisables. Est-il besoin de démontrer comment la pauvreté dans le monde offre un terreau privilégié à une mise sous tutelle absolue ?

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Une écologie des formes d’expression ?

Une écologie des formes d'expression ? dans Bateson utime

« J’affirme que si vous voulez parler de choses vivantes, non seulement en tant que biologiste académique mais à titre personnel, pour vous-même, créature vivante parmi les créatures vivantes, il est indiqué d’utiliser un langage isomorphe au langage grâce auquel les créatures vivantes elles-mêmes sont organisées – un langage qui est en phase avec le langage du monde biologique ». Gregory Bateson

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Une écologie ?
Une montagne aux multiples versants.
Un environnement ?
Un montage.
Une configuration dynamique.
Un organe sensoriel décentralisé.
Un modèle de danse qui capture d’autres modèles de danse.

En communiquer ? Savoir capter l’attention autrement.
Par delà urgence, heuristique de la peur et autres vitesses médiatiques, faire circuler du désir de dans des espaces d’intercession encore largement à créer. Ouvrir à un principe d’attention au monde, voie d’accès douce à l’écologie, chemin nécessairement complémentaire des principes de précaution (monde interconnecté) et de responsabilité (pollueur/payeur).

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Petits points afin de se frotter au caractère éminemment substituable des discours de crise qu’entretiennent et qui entretiennent le prêt (vite à taux zéro) à penser, des visuels sur des mots en boucle.

Restituer et s’inspirer la complexité

L’écologie est à la fois cet art de la composition, du tissage des modes d’existence dans un environnement singulier. De la diversité des récits individuels et collectifs, des modes de vie qui inspirent des façons de penser, des modes de pensée qui créent des façons de vivre.
Notre inspiration, notre écriture est à nourrir des hommes, de leurs techniques et usages du monde, des végétaux, de leurs stratégies de développement et de colonisation des territoires, de l’étude des comportements animaux, de leur capacité à construire des mondes, du non-vivant, de son socle et ses terreaux de je(ux).

Dans le climat (lui aussi) changeant de nos pensées, là où complexité et incertitudes vont croissantes, il convient de souligner en réponse quelques uns des axes forts sur lesquels appuyer une communication sur le(s) écologie(s) : aider à s’élever pour mieux voir, à relier pour mieux comprendre, à situer pour mieux agir.
Soit donner à voir et à manipuler bien plus qu’imposer ou seulement relayer un déjà un prêt à penser/agir/répéter. Eclairer des briques de savoir et proposer quelques colles dans un pouvoir communiquer/transférer qui stimulerait avant tout les conditions de l’appropriation et de l’action, que celle-ci soit individuelle ou en réseau.

montagne dans Ecosysteme TV.fr
Les multiples versants d’un même fait

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L’homme cohabite et coévolue

L’homme moderne dans la nature, bien que de plus en plus détaché des contraintes de son milieu naturel, celui-ci n’en devient pas pour autant un empire dans un (em)pire. L’intermédiation qu’opèrent les combinaisons d’artefacts constitue un milieu singulier (un lieu de sélections, captations et montages pour productions, consommations et déjections) qui participe à produire l’homme à mesure que l’homme le produit.
Partie d’un système coévolutif plus vaste qui l’englobe lui, ses artefacts et ses actions, l’homme habite naturellement la technique et techniquement la nature.
Cette coévolution entre les hommes, les artefacts et les écosystèmes appelle en retour à un principe d’attention au monde, devenir écologiste médecin évaluant les symptômes de cette coévolution, autant que de précaution, écologiste législateur proposant des règles de bonne conduite dans cette coévolution.

Gérer l’abondance des usages

L’écologie est à la fois cet art de la gestion de l’abondance des usages du monde. Percevoir à la fois l’arbre et la forêt sans que l’un ne masque l’autre. Si c’est bien la dose qui fait le poison, il ne s’agit pas d’appeler ici et là à réduire définitivement l’ensemble de nos usages du monde, mais bien plus de pouvoir dégager les espaces, la souplesse apte à les faire cohabiter et coévoluer ensemble.

Ouvrir à des espaces de dialogues pluridisciplinaires

L’un des dangers qui guette cet ensemble de discours composites qu’on regroupera aujourd’hui sous la notion floue d’écologie, de son versant scientifique au politique, serait de rabattre toutes ses voix (voies) dans le but de constituer une discipline fermée, autonome à vocation transcendante.
La terre vue du ciel, voilà peut-être la définition du principe d’attention tel qu’appliqué à l’écologie elle-même.
Résister à la tentation isolationniste. A mesure que l’écologie s’auto-constitue et englobe des savoirs de plus en plus précis et multiples, celle-ci tend à refuser de se frotter à l’altérité, aux potentiels des autres disciplines, sciences humaines en premier lieu.
Que se passerait-il si vous n’aviez qu’un œil ? Votre champ de vision serait irrémédiablement rétréci. L’intercesseur n’oublie pas de faire appel aux multiples visions, sciences, arts, humanités, etc., qui toutes interférent pour nous permettre de rendre de son épaisseur au réel.
Toute communication/éducation à l’écologie ne devrait ainsi pouvoir faire l’économie d’un métissage entre les savoirs, tout comme elle ne saurait rester aveugle aux composantes artistiques, ses fonctions de contrôle et de correction des visions excessivement projectives, pas assez systémique.

Le fond et la forme, une exigence de cohérence

Un minimum de cohérence. Comment dénoncer la rupture entre l’homme maitre et possesseur et la nature, si c’est pour transformer cette frontière en une nouvelle boîte noire pleine de certitudes (les mêmes dans un miroir le plus souvent). Nouvelle boîte noire qui aspirerait toute les autres et se proclamerait religion, ou nouvelle boîte parmi les boîtes qui ne ferait que multiplier les gardes frontières.
L’écologie est à la fois une boîte à outils, à la fois une colle. Nos connaissances des sciences dures, de la chimie et des mesures, celles-ci se doivent d’être complétées et accompagnées de nouvelles pratiques sociales à même de les soutenir.
Savoir communiquer et échanger en pariant sur la lucidité de chacun, en respectant sa nature (cad lui permettre de déployer ses affects propres dans son parcours de connaissance), est l’une de ces pratiques.
Une pratique centrale une fois dit que le projet est bien de renforcer la capacité d’expérimentation de chacun sur ses différents branchements possibles (aménager, protéger, construire, réguler…) avec son environnement. Que ce dernier soit naturel ou artificiel. Individuellement et collectivement, devenir capable d’extraire et de formaliser des expériences qui donnent sens, qui activent nos connaissances.  

Repenser la chaîne de l’information

Rien se perd, rien ne se crée, tout se transforme dans la circulation des informations. Ecologie ou recyclage des idées, la qualité de l’information des uns est à évaluer en tant que matière première d’idée pour les autres. Réutiliser et recombiner c’est créer, par (dé)mon-tage, photo-synthèse, etc.

 chaine dans Education

Aux crises constatées dans le monde biophysique, se surajoutent grandement les pollutions nées de l’écologie défaillante de nos idées. Illettré dans la lecture comme l’écriture de son travail vivant, l’individu ne peut être conduit qu’à brutaliser sa nature, celle des autres, et l’ensemble plus vaste de la Nature qui l’englobe lui et les relations dont il est capable.
La crise de l’écologie de nos pensées précède ou accompagne à bien des égards celle que nous constatons dans le monde biophysique. Nous pourrons alors trier toujours plus de nos poubelle et prendre un bus à graminées, si nos stratégies de tête continuent à cloisonner et exclure comme avant, alors nous ne ferons que déplacer le problème dans des ailleurs, demain et autrement. 

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« [...] toute appréhension d’un problème environnemental postule le développement d’univers de valeurs et donc d’un engagement éthico-politique. Elle appelle aussi l’incarnation d’un système de modélisation, pour soutenir ces univers de valeurs, c’est-à-dire les pratiques sociales, de terrain, des pratiques analytiques quand il s’agit de production de subjectivité. » Félix Guattari

«  [...] L’erreur ne vient pas de l’autre, le savoir n’est pas donné, le monde n’est pas transparent. Il faut reconnaître ses erreurs, notre ignorance, la fragilité de notre identité, notre inhabileté fatale. Le principe de précaution est le principe d’une liberté sans certitude, principe d’insuffisance de l’individu et du savoir comme produit de son temps et sans que cela empêche le sujet de se rebeller contre le monde qui l’a créé. Cette liberté n’est possible qu’avec le support des institutions (des discours), une sécurité sociale et la puissance du pouvoir politique sans lequel nous courrons à la catastrophe. Il nous faut un pouvoir collectif qui ne soit pas autonome mais réfléchi et produise de l’autonomie. Telle est la question qu’il nous faut résoudre, devant la précarité du mode de subjectivation moderne : produire les conditions de la liberté. » Jean Zin

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> Des figures instauratrices et le rôle de la fiction dans la transmission douce des savoirs
La suite dans les idées,
émission du samedi 13 février 2010
Storytelling avec Yves Citton

> Une ontologie des images
Chaire d’anthropologie de la nature, c
ours au Collège de Frances,
2009
Philippe Descola

> Rencontre autour de la 4e année polaire internationale
L’homme est-il le maître de la nature ?
(1/5)
Avec les interventions de Jean-Claude Etienne, Philippe Descola et Bruno Goffé

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http://www.dailymotion.com/video/x461om A qui appartient la Nature ? Conférence de Philippe Descola. Il existe une pluralité de natures et de façons de les protéger (suite).

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