Archive pour la Catégorie 'Nietzsche'

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Conter et décloisonner

Conter et décloisonner dans Art et ecologie g

     C‘est avoir une vision bien limitée des problèmes de l’écologie que de croire que nous allons les identifier, pour y répondre, à travers les mesures physico-chimiques de machines qui après tout ne détectent que ce qu’on leur demande bien de detecter. Alors pour y arriver dans cette voie, sans doute devra-t-on nous démontrer que la solution existe en présupposant cette même solution…

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C’est encore avoir une vision bien limitée que de croire que les arbres et autres végétaux feront le travail pour nous. Collecteur de CO2, et bien plantons ces nouvelles biomachineries et laissons faire la nature. Elle a toujours raison, comme on dira à l’occasion! Reste qu’assez loin de l’idée d’un végétal que nous dominerions du haut de nos multiples savoirs, observons simplement que nos société tendent à opter pour des stratégies organisationnelles (de type) végétales (réseau, rhizome, voir les travaux de R. Bessis). De sorte que le « dominé » n’est sans doute pas du côté que l’on pense tant notre dépendance vis à vis de la plante croît chaque jour un peu plus (nourriture, production d’O2, absorbtion de CO2, lutte contre l’érosion et la désertification, régulation climatique et hydrique, bois énergie, biocarburant, médicament…). N’oublions pas que la forme de vie végétale est la seule capable de puiser son énergie directement à partir du soleil. Le producteur primaire est ainsi le seul à tiré son énergie hors de la terre, les pieds pourtant fermement immobilisés dedans.

Mais bref, et les hommes dans tout ça ? Un simple pilote au-dessus de la mêlée ? Mais parmi toutes ces « solution-machines », ont-ils encore leur mot à dire une fois dit que la question écologique implique certainement de travailler directement l’étoffe même des choses dont ils sont faits ?

http://www.dailymotion.com/video/x3wsaw

Il y a de la résistance dans l’écologie. Résistance au dualisme, résistance à la tentation de se penser comme « un empire dans un empire« , résistance aux machines de la science et aux sillons des professionnels par une écologie capable de penser contre elle-même, résistance à un certain type de rapport de production and so on… En un mot peut-être, une résistance à toute formulation de type: « moi, j’ai la solution« .

danse1 dans Biodiversité

Alors à la suite de Deleuze et de bien d’autres, on s’insèrera par le milieu les pieds dans l’herbe pour chanter que: « créer c’est résister« . Si les arbres collectent et machinent le CO2, nous collectons des histoires, des perceptions et composons des oeuvres, des récits… Soit autant de graines englobant des modes d’existence passés et à venir. Pour notre conte, mais pas uniquement pour notre compte. Pour d’autres hommes, mais aussi comme un pont tendu vers et à destination de nouvelles formes de vie à venir. Cartographe, historien, poète, musicien, écrivain, écologue, banquier… nous participons tous par nos collectes à la diversité du phénomène du vivant. Alors l’écologie c’est aussi protéger ces espèces immatérielles nées de nos perceptions, et qui témoignent pour la vie dans son ensemble. Avec et sans nous, aux armes…surmonter ! 

Il ne s’agit donc pas de planter mécaniquement, partout et en tout lieu, des arbres pour une même fonction. Ils savent le faire tout seul, sous reserve de leur garantir les territoires et conditions pour se faire. Mais planter des récits comme autant de graines des nouvelles diversités et modes d’existence à produire, voilà peut-être bien une action humaine à replacer très haut dans la hierarchie de ce que pourrait-être une écologie étendue (?!)

http://www.dailymotion.com/video/x3w9xv

Parmi les récits de l’écologie, restent encore à bien des choses à écrire, créer, englober… intégrer. Qui sont, que deviennent nos personnages, où sont nos mondes ? Savoir conter tout autant que compter.

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Micro-tentative fantasmée d’auto-bio-récit-graphie sur lignes climatiques (:?! rassemblement de membres épars)

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Des figures, des visages : ritournelles de l’artiste et de l’artisme

     Les « hommes de l’art » habitent-ils tous sur un même territoire ? Si oui, certains habitants des parties les plus planes seraient-ils plus soumis que d’autre au vent de la bêtise ? Si non, comment identifier les différents territoire de toutes ces peuplades qui se revendiquent d’un même drapeau de l’art ? Les uns seraient-ils des joueurs capable de s’abandonner à la vie pour mieux capter un moment de ses forces et découvrir de nouvelles couleurs au risque d’y perdre la santé ? Vivant sur un territoire beaucoup moins hasardeux, les autres seraient-ils des calculateurs, des maîtres mots surtout très hypocondriaques ? Bien difficile à dire. Mais si cette distinction peut faire sens, alors à la vieille dichotomie art objectif /art subjectif, nous substituons joyeusement une frontière poreuse entre l’artiste et l’artisme. A chacun sa chanson, et voilà deux espèces « immatérielles » de plus dans notre petite arche des idées de l’époque…

Ritournelle de l’artiste joueur:

Ritournelle de l’artisme débutant:

Ritournelle de l’artisme finissant :

Des figures, des visages : le vent de la bêtise

     Dans une note précédante, nous nous étions demandés : qui chante quoi appartient à quoi ? Nous avions alors imaginé ce pourrait être les différentes “espèces” qui peupleraient une sphère de la pensée. Ce que je suis capable de dire révèle un mode d’existence. Ce que je suis capable de dire, je le peux en fonction des idées adéquates ou inadéquates que j’ai, et dont découle les affects qui me sont accessibles nous dit Deleuze en commentant Spinoza. Alors à chacun sa chanson, son éthologie propre, sa manière de coloniser, piller ou composer son territoire. 

Suivant cette ligne, nous avions donc tenté quelques portraits sonores comme autant de clichés, à tous les sens du terme, de notre époque. Il est évident qu’il ne s’agit nullement d’une forme de jugement de valeur, sans quoi nous trahirions la ligne qui nous inspire. Car sous quel fondement ? Et puis la vie se juge déjà elle-même. 

Donc pour continuer avec notre analogie, si ridicule soit-elle, nous dirons maintenant que ces territoires  »immatériels » dans lesquels nous vivons sont soumis à des forces. Ce quelque chose dans l’univers qui nous force justement à penser, à bouger ou à nous aplatir. Le phénomène conscient, nous dit Nietzsche, n’apparait d’habitude chez l’homme qu’en tant que symptôme de la rencontre d’une partie avec un ensemble ou puissance supérieure. Elle témoigne ainsi de la formation d’un corps, ou rapport de forces, supérieur :  »La conscience n’apparit d’habitude que lorsqu’un tout veut se subordonner à un tout supérieur [...] La conscience naît par rapport à un être dont nous pourrions être fonction. » La volonté de puissance, II, 227.

Extraits de Pourparlers, Gilles Deleuze : « […] C’est que les forces de l’homme ne suffisent pas à elles seules à constituer une forme dominante où l’homme peut se loger. II faut que les forces de l’homme (avoir un entendement, une volonté, une imagination, etc.) se combinent avec d’autres forces […] La forme qui en découlera ne sera donc pas nécessairement une forme humaine, ce pourra être une forme animale dont l’homme sera seulement un avatar, une forme divine dont il sera le reflet, la forme d’un Dieu unique dont l’homme ne sera que la limitation (ainsi, au XVIIe siècle, l’entendement humain comme limitation d’un entendement infini) […] C’est dire qu’une forme-Homme n’apparaît que dans des conditions très spéciales et précaires : c’est ce que Foucault analyse, dans Les mots et les choses, comme l’aventure du XIXe siècle, en fonction des nouvelles forces avec lesquelles celles de l’homme se combinent alors. Or tout le monde dit qu’aujourd’hui l’homme entre en rapport avec d’autres forces encore (le cosmos dans l’espace, les particules dans la matière, le silicium dans la machine…) : une nouvelle forme en naît, qui n’est déjà plus celle de l’homme […] »

Finallement, on ne sait jamais à l’avance comment on va devenir ceci ou apprendre cela. Construire un territoire ou s’implanter sur un existant dépend donc aussi de ces forces avec lesquelles on se combine.  Parmi ces « forces » ou « puissances » qui nous bousculent, glissons dès à présent une oreille sur le vent de la bêtise. Allons vite construire des moulins ! 

http://www.dailymotion.com/video/2ffSr31evcnUakAeo

Source illustration sonore :  David Rabouin, chercheur en Philosophie au CNRS et Chargé de cours à l’ENS, d’après extraits des nouveaux chemins de la connaissance - Trajectoires de la bêtise (3/5) - France Culture.

Des figures, des visages : petites ritournelles de l’époque

Des figures, des visages : petites ritournelles de l'époque dans Deleuze greensun

Avec la révolution industrielle s’opère l’accomplissement de l’individu moderne, maître et possesseur de la nature, empire dans un empire. Les chemins d’une révolution écologique encapsulés dedans ? Si tant est que cette formule ait un sens, quelles nouvelles productions pour quels nouveaux types d’individus ? Du retour d’un certain paganisme à un individu fragment de la nature.

Avant de penser la chose, encore faudrait-il dresser quelques petits portraits des différentes formes de l’individu actuel, des formes forcément déjà dépassés. On pense à Nietzsche dans son Zaratoustra : le dernier pape, les deux rois, le plus hideux des hommes, l’homme à la sangsue, le mendiant volontaire, l’enchanteur, l’ombre voyageuse, le dernier homme, l’homme qui veut périr, l’ane, le serpent, l’araignée, etc … toutes ces formes qui préparent et accomplissent le basculement d’un monde vers la mort de Dieu.

A notre minuscule niveau, laisser nous tenter à esquisser quelques portraits tentatives sonores de l’époque. Tiens, et pourquoi pas en détournant, tant qu’on y est, le concept de ritournelle cher à Deleuze et Guattari. On connait la chanson, mais qu’est-ce que je chante au juste quand je sorts de chez moi, quand je rencontre une femme, quand je vais travailler and so on.

En un sens général, on appelle ritournelle tout ensemble de matières d’expression qui trace un territoire, et qui se développe en motifs territoriaux, en paysages territoriaux (il y a des ritournelles motrices, gestuelles, optiques, etc.). En un sens restreint, on parle de ritournelle quand l’agencement est sonore ou ’’dominé’’ par le son » Gilles Deleuze et Félix Guattari, Capitalisme et schizophrénie, tome 2 : Mille plateaux, Ed. de Minuit, 1980, p. 397. Ritournelle : forme de retour ou de revenir, notamment musical, lié à la territorialité et à la déterritorialisation, et fabriquant du temps. » Arnaud Villani, Le vocabulaire de Gilles Deleuze, Les Cahiers de Noesis n° 3, Printemps 2003, p. 304.

Qui chante quoi appartient à quoi ?

On pourrait bien imaginer-imager quelques-unes de ces « espèces » qui peuplent la sphère de nos pensées. A chacune sa chanson, son éthologie propre, sa manière de coloniser et de composer un territoire. Ce serait alors l’ensemble des relations entre ces territoires qui constitueraient une certaine « écologie de la pensée ». Immanente, à tout moment infiniment variable dans le temps et l’espace.

territoires 

L’homme des va-leurs

L’homme de l’ici

L’homme d’un pro-grès

L’homme antico-pessimis-tique

Petit fragment, cliché instantané bruyant de notre époque…

Nature et finalité ? Un point de vue nietzschéen moraliné

Entendu dans l’air du temps… 

http://www.dailymotion.com/video/1q2Ty3f7g72tri1UY

Tout jugement sur la vie n’est rien d’autre qu’un symptôme de l’état vital de celui qui le porte.

D’après extraits audio : « Le savoir de la vie » – Questions d’éthique - par Monique Canto-Sperber – France culture 2007 – intervention de Luc Ferry (moralinien : de la persistance des valeurs, ie transcendantes).

Histoire de…Nietzsche

“ Plus le sentiment de l’unité avec nos contemporains augmente, plus les hommes s’uniformisent, plus aussi ils ressentent sévèrement la moindre différence comme immorale. C’est ainsi que se forme nécessairement le sable humain : tous très semblables, très petits, très arrondis, très accommodants, très ennuyeux […] Un petit sentiment faible et obscur de bien-être médiocre uniformément répandu, une chinoiserie générale améliorée et poussée au bout – serait-ce là l’ultime image de l’humanité ? Inévitablement, si elle persévère dans les voies de la moralité antérieure. Il faut y réfléchir à fond : peut-être faudra-t-il que l’humanité tire un trait sous son passé, peut-être faudra-t-il appliquer à tout homme ce canon nouveau : soit différent de tous les autres et sois heureux que chacun diffère de son voisin. ” Nietzsche 187 La volonté de puissance II

« Friedrich Nietzsche, un voyage philosophique », documentaire d’ Alain Jaubert, France, 2001-1h39mn, coproduction : ARTE France, Palette Production.

http://www.dailymotion.com/video/x90qnw

http://www.dailymotion.com/video/x90soh

http://www.dailymotion.com/video/x910kh

http://www.dailymotion.com/video/x916ue

http://www.dailymotion.com/video/x917ed

« Il faut qu’il y ait un chaos en soi pour accoucher d’une étoile qui danse » Nietzsche.

Hasard et nécessité

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« Tout ce qui existe dans l’univers est le fruit du hasard et de la nécessité » Démocrite

« Le code (génétique) n’a pas de sens à moins d’être traduit […] La machine à traduire de la cellule moderne comporte environ 150 constituants macromoléculaires qui sont eux-mêmes codés dans l’ADN : le code ne peut-être traduit que par des produits de traduction. Quand et comment cette boucle s’est elle refermée sur elle-même ? » Jacques Monod [1]

Les moteurs de l’évolution : le hasard et nécessité

     Toute réflexion sur l’écologie et les milieux humains ne peut faire l’économie d’un détour, même succinct, sur les thèmes du hasard et de la nécessité, de l’ordre et du désordre. D’un côté nous reconnaissons que la vie est caractérisée par l’ordre : le métabolisme des cellules nécessitant la coordination d’une multitude de réactions chimiques (ordre fonctionnel) et le code génétique déterminant l’arrangement, la spécialisation des molécules (ordre architectural). De l’autre côté, le second principe de la thermodynamique affirme que l’état d’évolution le plus probable de tout système isolé est l’état d’équilibre désordonné (entropie). Ici et là, nous pouvons constater que la vie comprend à la fois des structures régulières (les biorythmes du métabolisme) et des structures chaotiques (processus neurologiques).

A notre niveau, la question n’est pas de chercher à définir le hasard ou la nécessité, bien plus de proposer un regard sur quelques relations et articulations possibles entre ces deux « concepts » : hasard et nécessité, hasard ou nécessité, nécessité du hasard, le hasard en tant que nécessité inconscience ou inconnaissable etc. etc.…

En effet, le « hasard », entendu au sens de contingence (croisement entre deux chaînes causales indépendantes pour Cournot, i.e. la tuile qui tombe du toit sur la tête du passant[2]), reste malgré tout compatible avec la vision d’un univers déterministe. A titre d’exemple, citons le concept implicite de contingence locale chez Spinoza, sans lequel il n’y aurait pas de parties 4 et 5 à l’Ethique. Celui-ci pourrait se résumer comme suit : il n’est pas nécessaire que j’existe, mais si j’existe je serais déterminé par l’ordre des causes et des effets. Plus généralement, lorsqu’il est question de l’existence humaine, à l’enchaînement causal ne s’oppose pas l’arbitraire mais les thèmes de la liberté et de la responsabilité. Enfin, hasard et prévisibilité ne s’entre-excluent pas. Comme le confirme la statistique (loi des grands nombres), un dé lancé au hasard tombera en moyenne autant de fois sur chacune de ses faces.

Hasard >> nécessité

     Pour un Darwiniste classique, la sélection naturelle est avant tout le fruit de mutations génétiques qui apparaissent au hasard et desquelles la nécessité sélectionne et conserve les caractères les plus adaptés à la survie de l’espèce. Ce mécanisme repose donc presque exclusivement sur le hasard des forces, ne résumant la nécessité qu’à la seule survie. Ce faisant il met de côté l’ensemble des techniques dites parfois « imaginatives » d’un sujet vivant (coévolution, conservation de la diversité génétique, lutte contre les prédateurs, communication, connotations d’activités au sens d’Uexküll…). Le rôle du hasard dans l’apparition de la vie est donc ici très important, le choix étant purement aléatoire comme le dira Jacques Monod : « […] l’ancienne alliance est rompue ; l’homme sait enfin qu’il est seul dans l’immensité indifférente de l’univers d’où il a émergé par hasard […] Nous n’avons, à l’heure actuelle, pas le droit d’affirmer, ni celui de nier que la vie soit apparue une seule fois sur terre, et que, par conséquent, avant qu’elle ne fut, ses chances d’être étaient quasiment nulles. Cette idée […] heurte notre tendance humaine à croire que toute chose réelle dans l’univers actuel était nécessaire, et de tout temps ».

Jacques Monod tente là de répondre à la question suivante : comment dans un monde de nécessité (les lois de la physique), concevoir que certaines coalitions de particules en soient venues à constituer des êtres vivants. En effet, l’apparition de la vie sur terre ne peut être déduites des seules lois de la physique, celles-ci ne traduisant aucune capacité que l’on pourrait attribuer à la matière de s’organiser. « Mais il se fait que, sur la Terre, un événement d’une très haute improbabilité a eu lieu. La singularité de cet événement est précisément d’avoir fait exister un nouveau type de nécessité, se dessinant sur fond de hasard : des mutations aléatoires affectent « ce qui » se reproduit, et les différences entre les taux de reproduction de ces divers « ce qui » entraînent nécessairement l’histoire sélective, seule « raison » tant de l’organisation d’un vivant individuel que de l’histoire des vivants.[3] »

Comprendre la vie à l’aide des seules lois de la physique revient donc à s’initier au calcul des probabilités. C’est précisément la probabilité de reproduction qui constitue la question nouvelle posée par le vivant : « […] à partir de là, on peut concevoir comment, dans la trame universelle des interactions, des êtres peuvent donner l’impression qu’ils poursuivent leurs propres fins, une fin dont la seule raison est de survivre et de se reproduire à travers un processus de sélection.[4] » Dans un tel modèle le hasard est créateur, la nécessité, exprimée sous forme de déterminisme génétique, le moteur sélectif de l’histoire.

Hasard et nécessité

     La théorie de l’évolution des « systèmes auto-organisés critiques » peut nous aider à voir plus clair dans le type de relation [et], duale et complémentaire. Imaginons un instant l’ensemble des espèces sous la forme d’un immense tas de sable. Ce dernier serait soumis à deux « forces », deux dynamiques opposées. D’un côté l’attraction de grains de sable nouveaux venant consolider la structure d’ensemble du tas, de l’autre, l’effondrement qui en emporte de grosses parties. Tandis que s’ajoutent les grains de sable la structure se tient, c’est la nécessité, cependant il peut se produire des avalanches, c’est le hasard. Cette hypothèse retient donc que :

  • s’il n’y avait pas de hasard, le tas de sable ne s’effondrerait jamais et continuerait à croître vers l’inconnue ;

  • s’il n’y avait pas des grains de sable qui toujours viennent s’ajouter, le tas de sable ne recommencerait continuellement à se restructurer, cela malgré les avalanches ;

Dans un tel modèle, une perturbation mineure suffit donc à transformer à grande échelle, autrement dit rien n’est indifférent. Ici hasard et nécessité fonctionnent donc dans une relation dialectique, la nécessité créant en quelque sorte ce que le hasard défait. Hasard et nécessité manifesteraient donc la dualité de la vie, si le hasard est un frein, la nécessité serait un accélérateur. Deux exemples de techniques « imaginatives » sont proposés ici pour illustrer ce que pourrait être cette relation duale : celui de la guêpe et de l’orchidée, celui de l’acacia et du kudu.

La guêpe et l’orchidée

Hasard et nécessité dans -> CAPTURE de CODES : image0011

      Malgré leur caractère souvent hermaphrodite et le rôle joué par le vent dans le transport du pollen, la fécondation des plantes nécessite la participation d’autres individus, principalement afin de brassage et de conservation de la diversité génétique. Pour ce faire, les orchidées sont capables d’imiter (leurre visuel et odeur) la guêpe femelle afin d’utiliser le mâle pour assurer le transport et la diffusion du pollen.

Ainsi pendant que le mâle tente de copuler avec le leurre de la fleur, celle-ci lui accole le pollen qu’il ira déposer sur le leurre d’une prochaine orchidée. L’orchidée-marteau est encore plus spécifique dans son approche. En effet, celle-ci a dû répondre à un problème très particulier: la guêpe mâle utilisée pour le transport du pollen ne fait qu’atterrir sur la guêpe femelle pour repartir immédiatement copuler en vol. Impossible à résoudre ? Pas vraiment. Afin d’accoler son pollen, le végétal a inventé le mécanisme de marteau et d’enclume suivant : le leurre de la femelle est présenté au bout d’un bras élastique. Quand le mâle tente d’enlever le leurre, le bras élastique combiné aux efforts de la guêpe mâle font que celui-ci se met à décrire des cercles qui le font se frapper sur une « enclume ». Enclume où se trouve le pollen qui vient s’accrocher à la guêpe, mais aussi un organe femelle de la plante lui permettant de se féconder avec le pollen qui se trouve déjà accroché à la guêpe.

L’acacia et le koudou image002 dans -> PERSPECTIVES TRANSVERSES

     Les acacias d’Afrique du Sud, lorsqu’ils sont broutés par une antilope du genre Koudou, émettent un signal sous la forme d’éthylène. Ce signal volatil entraîne, chez les arbres voisins (même s’ils n’ont pas été eux-mêmes attaqués), l’accumulation de tanins particulièrement astringents, repoussant ainsi les antilopes. Ce poison est la solution de survie inventée par l’acacia et adoptée par tous.La coévolution plantes-agents biologiques sur des millions d’années a ainsi entraîné la multiplication de langages chimiques, qui permettent aux partenaires d’échanger et de créer des relations de symbiose, synergie, d’alliances mutuelles…

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Hasard ou effort d’imagination dans ces coévolutions ? Exceptions ou règle générale ? Ici il semble toujours y avoir une nécessité, toujours des grains de sable qui s’ajoutent pour poursuivre l’évolution. Le rôle du hasard devient alors de transformer par « déconstruction ». Dans le cas des orchidées, le hasard les a forcés à se réorganiser afin d’assurer leur reproduction (necessité).

Hasard << nécessité

« Avec la généralisation de la thermodynamique, on arrive à comprendre que la vie est la règle dans certaines conditions et que le dualisme de la nécessité et du hasard est dépassé.[5] »

     Jusqu’à présent, il semblait y avoir incompatibilité entre le principe d’entropie et l’apparition de la vie ordonnée. Or de récentes recherches nous montre au contraire que pour les systèmes vivants, ce serait bien le principe d’entropie qui rendrait possible les processus d’autostructuration. Selon Prigogine, les structures biologiques sont des états spécifiques de non-équilibre. Elles exigent une dissipation constante d’énergie et de matière, d’où leur nom de structures dissipatives : « c’est par une succession d’instabilités que la vie est apparue. C’est la nécessité, c’est-à-dire la constitution physicochimique du système et les contraintes que le milieu lui impose, qui détermine le seuil d’instabilité du système. Et c’est le hasard qui décide quelle fluctuation sera amplifiée après que le système a atteint ce seuil et vers quelle structure, quel type de fonctionnement il se dirige parmi tous ceux que rendent possibles les contraintes imposées par le milieu. »

Le rôle du hasard dans l’apparition de la vie est donc ici très restreint : il se réduit à un choix contraint entre diverses possibilités.

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Conclusion et perspective : la nécessité nietzschéenne d’affirmer le hasard

      Hasard et Nécessité, ce qu’ils sont exactement dépend sans doute du point d’observation. Une perspective différentes du même ? Car peut-être le hasard pourrait s’expliquer si on avait les moyens de percevoir l’ensemble de ce qui se passe (vision systémique de l’enchaînement des causes ou vision dionysiaque nietzschéenne). Mais ce n’est pas le cas, du fait de notre conscience limitée, de l’insoutenabilité d’une telle vision. Contingence locale spinoziste (il n’est pas nécessaire que j’existe), nécessité immanente et raison suffisante de Leibnitz, volonté divine unique de Newton, attardons-nous un instant sur l’approche « esthétique » du hasard chez Nietzsche.

     « La philosophie de Nietzsche se veut notamment une métamorphose de l’idée de hasard. Elle précise en effet que la création n’est ni un absolu ni un mouvement téléologique. Et, sous sa forme positive, elle précise le caractère imprévisible, aventureux, de la morale à venir. » [6] Pour Nietzche, la nécessité est précisément d’affirmer le hasard. Le vrai joueur fait du hasard un objet d’affirmation : il affirme les fragments, les membres du hasard. De cette affirmation naît le nombre nécessaire, qui ramène le coup de dés.  On devine ici le jeu « sélectif » de l’éternel retour nietzschéen : « revenir est précisément l’être du devenir, l’un du multiple, la nécessité du hasard »[7]. Autrement dit, l’affirmation est l’interprétation active du chaos par l’homme, affirmation nécessaire qui lui permet d’assumer l’idée, de se préparer à la vision d’un monde en tant que totalité ouverte ou règne toujours l’indétermination, le hasard. L’affirmation ou « amor fati », c’est l’amour de la nécessité, mais ce qui est nécessaire, c’est le hasard lui-même, l’indétermination pénétrant tout.

     « Un peu de raison, il est vrai, une semence de sagesse dispersée d’étoile en étoile – ce levain est mêlé à toutes les choses : au nom de la folie, de la sagesse est mêlée à toute chose ! Un peu de sagesse est bien possible, mais je trouvai cette bienheureuse certitude en toute chose : qu’elles prétendent encore danser sur les pieds du hasard. »[8] Il s’agit d’affirmer à la fois la prééminence du hasard (la danse), et le fait que l’homme ne sait affirmer le hasard que par les voies d’un contrôle majoritairement rationaliste, repos des forces et schéma nécessaire à l’esprit humain : « un peu de sagesse est bien possible », cependant que « tout comprendre, ce serait supprimer tous les rapports de perspective, ce serait ne rien comprendre, méconnaître l’essence du connaître. »[9]

Point de vue autrement exprimé par Lorenz : « lorsqu’on pense que la mathématique est la seule source légitime de tout savoir, on doit logiquement fonder toute sa connaissance sur elle, autrement dit mener sa recherche sans utiliser les autres fonctions cognitives que l’homme a développé au cours de sa phylogénèse pour s’adapter à son environnement. »[10] Le hasard c’est ici l’indétermination affirmée du monde, la danse des forces ; la nécessité, le repos de celles-ci qui se laissent tomber un moment dans les filets de notre rationalité.

      Pour donner un sens à notre existence, oublier que notre vie elle-même pourrait n’être que contingente et continuer à penser que l’homme est dans la nature comme « un empire dans un empire », il est parfois bien utile d’exclure le hasard de notre champ de réflexion. Ce qui revient au final à exclure méthodologiquement toute indépendance des causes, comme le souligne la définition du destin chez les stoïciens : « le destin, c’est la solidarité des causes[11] ». Mais nous rejoindrons ici Nietzche bien volontiers, car le fait et l’existence du hasard reste encore à trouver. En tant que ce dernier est non directement accessible à la pensée humaine, il est l’objet d’une expérimentation, d’une perspective propre. Enfin peut-être et surtout l’objet d’une conviction (scientifique, philosophique), si l’on imagine que l’évolution d’un système dynamique n’est peut-être jamais donnée à l’avance.

Alors l’homme objet nécessaire de l’univers ou grand solitaire apparu au hasard ? On le voit, de ce « choix » dépend l’analyse que nous pourrons faire de la nature même de la responsabilité de l’espèce humaine dans l’altération des milieux biologiques.



[1] Jacques Monod, « Le hasard et la nécessité », édition du Seuil 1970.[2] Le hasard est ici la rencontre d’une série causale « sociologique » – la présence du passant – et d’une série causale « météorologique » – le vent, la pluie – rencontre qu’on ne peut justifier de quelque façon que ce soit.

[3] D’après source Encyclopédia Universalis 2004.

[4] D’après source Encyclopédia Universalis 2004.

[5] Ilya Prigogine (1917 – 2003) : physicien et chimiste belge d’origine russe. Prix Nobel de Chimie en 1977, il est surtout connu pour sa présentation sur les structures dissipatives et l’auto-organisation des systèmes.

[6] Georges Morel, Nietzsche III : création et métamorphoses, p103, Aubier-Montaigne, Paris, 1971.

[7] D’après « Nietzsche » par Gilles Deleuze, PUF, 1965

[8] Nietzsche, Ainsi Parlait Zarathoustra, III, « Avant le lever du soleil », p182, Au sans pareil, Paris, 1983.

[9] Nietzsche, La volonté de puissance II, p175, Gallimard, 1995, Paris.

[10] Konrad Lorenz « les fondements de l’éthologie » 1978, Flammarion.

[11] Définition d’après Gilles Deleuze.

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