D’après l’introduction de l’article de Michel Bitbol paru dans la Revue Internationale de Systémique, 11, 215-239, 1997 et autres compléments.
Introduction
« […] De la mécanique quantique Heisenberg soulignait la «rupture réelle dans la structure de la science», voire le «changement apporté au concept de réalité». »
Dans son article Michel Bitbol développe quatre conceptions de la rupture, en les considérants dans un ordre approximativement chronologique :
« […] Selon la première, la nouveauté revient à introduire des discontinuités dans l’espace des états des objets d’échelle atomique; elle consiste en d’autres termes en une quantification des variables pertinentes. »
« […] Selon la seconde conception, qui est née à peine plus tard avec les réflexions d’Einstein sur son concept de photon entre 1905 et 1911, mais qui a connu son plein développement au début des années 1920 avec de Broglie, le pas décisif consiste en l’indissoluble association de deux sortes de processus tenus pour mutuellement exclusifs en physique classique: les processus ondulatoires et les processus corpusculaires. »
Autrement dit on considère les particules de matière non pas seulement comme des corpuscules ponctuels, mais aussi comme des ondes, possédant une certaine étendue spatiale. Tout objet physique est bien à la fois une onde et un corpuscule, mais ces deux aspects, mutuellement exclusifs, ne peuvent être observés simultanément. Si l’on observe une propriété ondulatoire, l’aspect corpusculaire disparaît et réciproquement.
« La troisième conception, dont le moment fondateur a été la publication en 1927 de l’article de Heisenberg sur les relations dites d’«incertitude», est que la physique quantique signifie l’abandon de l’idéal laplacien du déterminisme. »
Très grossièrement, le principe d’indétermination énonce donc que pour une particule massive donnée, on ne peut pas connaître simultanément sa position et sa vitesse. Autrement dit certaines propriétés d’une particule sont mutuellement exclusives et donc que « les expériences destinées à la détermination d’une grandeur physique rendent illusoire la connaissance des autres grandeurs, car elles perturbent d’une manière incontrôlable le système en observation, et, par suite, modifient les valeurs des grandeurs antérieurement déterminées… Les relations d’indétermination se rapportent au degré de précision possible pour la connaissance présente des valeurs simultanées de diverses grandeurs de la théorie des quanta» (Heisenberg).
« Enfin, la quatrième conception, […], consiste à voir dans la mécanique quantique une incitation d’ampleur inégalée à ne pas se contenter de la conception précritique d’une objectivité déjà constituée dans la nature, mais à revenir en permanence aux conditions de l’objectivation. Heisenberg parle d’une perte de la coupure cartésienne entre objet et sujet; Bohr évoque plutôt la relativité des déterminations par rapport aux dispositifs expérimentaux qui contribuent à les définir ; et Schrödinger insiste sur la nécessité d’une refonte complète de l’«ontologie» au sens de Quine, c’est à dire du mode de découpage du champ des phénomènes en entités objectivées (individualisées, permanentes, et susceptibles de recevoir des prédicats) […]»
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Le développement de la théorie quantique s’est accompagné de débats philosophiques extrêmement riches. La nouveauté conceptuelle de la théorie, la nécessité de se débarrasser des modes de pensée qu’avaient imposés la mécanique classique, la difficulté de construire la nouvelle vision du monde posaient aux fondateurs de la théorie de graves problèmes épistémologiques : la question du rapport entre physique quantique et constitution de l’objectivité, le problème du déterminisme.
On sait que Laplace, via son démon, avait mis l’accent sur le strict déterminisme qui régit la mécanique classique : partant des lois de la dynamique d’un certain système classique (les forces qui s’y exercent), la connaissance de son état à un instant donné détermine de façon unique son état à tout instant ultérieur (et antérieur, d’ailleurs). On entend ici par état à un instant donné l’ensemble des valeurs à cet instant des positions et des vitesses de tous les éléments du système. Les relations de Heisenberg interdisent évidemment à cette assertion de garder un sens en mécanique quantique : suivant leur interprétation courante, la connaissance des positions à un certain instant suppose la méconnaissance des quantités de mouvement ou des vitesses, et empêche donc toute prévision rigoureuse, ruinant ainsi le déterminisme classique.
A titre d’exemple, imaginons une boite dans laquelle on enferme un chat avec un bol de lait empoisonné. En mécanique quantique, le chat est la superposition de 2 états : vivant et mort. Il est vivant à 50% et mort à 50%. Son état ne se détermine que lors d’une mesure (c’est-à-dire lorsqu’on ouvre la boite pour regarder). On peut constater qu’il est mort dans 50% des cas mais il est impossible de déterminer son état sans mesure. Il s’agit donc bien d’une théorie non déterministe.
Les discussions philosophiques se sont particulièrement concentrées sur cette théorie quantique de la mesure : quel est l’état du système physique après que la mesure a été effectuée ? Par le fait même qu’une mesure puisse donner lieu à divers résultats, mais que seul un de ces résultats soit, en définitive, obtenu, il est clair que l’opération de mesure modifie l’état du système. Autrement dit comment réussir à comprendre le comportement des particules quand les objets que nous manipulons sont constitués de plusieurs milliards de milliards de ces mêmes particules ?
Deux sites d’introduction (vulgarisée) à la mécanique quantique :
http://www.e-scio.net/mecaq/index.php3
http://www.futura-sciences.com/comprendre/d/dossier188-1.php