« Longtemps on a considéré la pensée consciente comme la pensée par excellence : maintenant seulement nous commençons à entrevoir le vérité, c’est-à-dire que la plus grande partie de notre activité intellectuelle s’effectue d’une façon inconsciente. »Nietzsche
http://www.dailymotion.com/video/21nudjpLzGAzQ5WLP « Sauver la terre… », « Aimer-vous les uns les autres… » ….qu’est-ce que tout ça signifie, pourquoi est-on capable de dire ceci, comment est-on sensible à cela, d’où vient le désir de… ?
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Explorons très rapidement quelques unes des conceptions du désir susceptibles d’éclairer à leur manière notre désir d’écologie. Tout d’abord celle de Spinoza pour qui : « Le désir, c’est l’essence même de l’homme, en tant qu’elle est conçue comme déterminée à quelque action par une de ses affections quelconque ». Le désir, c’est-à-dire l’appétit avec conscience de lui-même, est inconscient des causes qui le déterminent, et non de son objet, effet confondu avec ses causes.
» Nous avons dit plus haut […] que le désir, c’est l’appétit avec conscience de lui-même, et que l’appétit, c’est l’essence même de l’homme, en tant que déterminée aux actions qui servent à sa conservation. Mais nous avons eu soin d’avertir […] que nous ne reconnaissions aucune différence entre l’appétit humain et le désir.
Que l’homme, en effet, ait ou nonconscience de son appétit, cet appétit reste une seule et même chose[i.e. puisque nous restons quoi qu’il arrive inconscient des causes qui le détermine] ; et c’est pour cela que je n’ai pas voulu, craignant de paraître tomber dans une tautologie, expliquer le désir par l’appétit ; je me suis appliqué, au contraire, à le définir de telle sorte que tous les efforts de la nature humaine que nous appelons appétit, volonté, désir, mouvement spontané, fussent compris ensemble dans une seule définition.
J’aurais pu dire, en effet, que le désir, c’est l’essence même de l’homme en tant qu’on la conçoit comme déterminée à quelque action ; mais de cette définition il ne résulterait pas que l’âme pût avoir conscience de son désir et de son appétit. C’est pourquoi, afin d’envelopper dans ma définition la cause de cette conscience[i.e. des effets et non des causes]que nous avons de nos désirs, il a été nécessaire d’ajouter : en tant qu’elle est déterminée par une de ses affections quelconque, etc.
En effet, par une affection de l’essence de l’homme, nous entendons un état quelconque de cette même essence, soit inné, soit conçu par son rapport au seul attribut de la pensée, ou par son rapport au seul attribut de l’étendue, soit enfin rapporté à la fois à l’un et l’autre de ces attributs. J’entendrai donc, par le mot désir, tous les efforts, mouvements, appétits, volitions qui varient avec les divers états d’un même homme, et souvent sont si opposés les uns aux autres que l’homme, tiré en mille sens divers, ne sait plus quelle direction il doit suivre. «
» Personne ne cesse donc de désirer ce qui lui est utile et ne néglige la conservation de son être que vaincu par les causes extérieures qui sont contraires à sa nature. Personne n’est donc déterminé par la nécessite de sa nature, mais seulement par les causes extérieures, à se priver d’aliments, ou à se donner lui-même la mort […] il peut arriver que des causes extérieures cachées disposent l’imagination d’une personne et affectent son corps de telle façon que ce corps revête une autre nature contraire à celle qu’il avait d’abord, et dont l’idée ne peut exister dans l’âme. Mais que l’homme fasse effort par la nécessité de sa nature pour ne pas exister ou pour changer d’essence, cela est aussi impossible que la formation d’une chose qui viendrait de rien; et il suffit d’une médiocre attention pour s’en convaincre. «
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Tout d’abord, précisons que nous confondons bien souvent l’inconscient avec le préconscient (ce qui pourrait devenir conscient), ou encore le non-conscient (les activités automatisées ou intégrées de l’organisme). Or l’activité de l’inconscient détermine la conscience sans jamais être consciente elle-même. C’est l’absence du sujet qui qualifie son inconscience. Certains processus restent inconscient parce qu’ils n’ont pas de sujet : ce dernier ne peut pas ou ne veut pas savoir ce qui demeure inconscient.
L’inconscient se caractérise donc par l’absence de subjectivation de certaines représentations, celles-ci demeurant par ailleurs perceptibles ou mémorisables. Les contenus inconscients sont inclus dans des contenants parfaitement lisibles et perceptibles, seule l’absence du sujet qui leur serait adéquat les rend inconscient. Inconscient veut donc dire qu’il n’y a pas de sujet conscient d’un processus de pensée ou d’un fait. Mais c’est aussi la pensée dont le sujet ne réalise pas qu’il la pense, n’en saisit qu’une dimension, n’en comprend pas la signification.
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L’inconscience n’est donc pas un lieu ou une essence. Elle n’a pas de localisation distincte, elle n’est pas organiquement ou géographiquement séparée de la conscience. Elle s’infiltre dans la conscience, elle fonctionne au sein de la conscience. La pensée consciente ne permet de saisir que le non-contradictoire. Elle fonctionne selon les principes de la logique aristotélicienne, à savoir : le principe du tiers exclu (il n’existe pas un troisième terme T qui est à la fois A et non-A, soit une propriété est ou vraie, ou fausse) et la réflexivité (je suis capable d’avoir une idée de mon idée). Se faisant, elle comporte donc en elle-même, à sa surface, le terme que le sujet n’évalue pas (refoule).
Si l’inconscient fonctionne en ultraplat dans la conscience, la représentation inconsciente ne s’intègre pas à celle qui est consciente. L’inconscient travaille dans le conscient à partir de plusieurs dimensions, par exemple, l’ambivalence. C’est-à-dire que tant qu’une contradiction n’est pas subjectivée, elle peut engendrer des symptômes qui extériorisent l’ambivalence : le corps parle à la place du sujet. Désir de non-désir, être vu sans voir, ces processus se structurent hors de l’organisme.
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Le désir inconscient va au-delà des raisons que le sujet s’en donne. C’est-à-dire que l’action signifie davantage que sa réalisation. Inhibé ou divisé, le sujet peut vouloir et ne pas vouloir la réaliser en même temps.
Le désir inconscient ne correspond quant à lui à rien de mémorisé ni de mémorisable. Moteur négatif d’un désir qui ignore son objet, un passé traumatisant engendre un désir de le fuir. Pour aller où, la conscience ne comprend pas ce qu’elle cherche, sinon qu’elle le cherche et qu’il faut juste partir vers.
Le désir inconscient ne peut donc jamais être satisfait puisque son objet échappe à la réalisation. En ce sens, on peut parler de perversité du désir humain, une non-satisfaction peut structurer une satisfaction : le plaisir du manque, le désir pour le désir au point d’oublier ce qu’il désir exactement.
A contrario, pour Deleuze et Guattari : « Le désir ne manque de rien, il ne manque pas de son objet. C’est plutôt le sujet qui manque au désir, ou le désir qui manque de sujet fixe, il n’y a de sujet fixe que par la répression. Le désir et son objet ne font qu’un, c’est la machine, en temps que machine de machine »l’Anti-Oedipe, p.43
» [...] Le modèle de l’inconscient deleuzo-guattarien n’est autre que celui de la perversion où l’inconscient machinique produit en permanence des liaisons avec l’environnement qui « dénaturent » le désir, ou plutôt le font évoluer, à force de tâtonnements avec le dehors, jusqu’à capture de nouveaux codes et remodelage de l’orientation libidinale. Le modèle lacanien est, quant à lui, attaché à rechercher la chaîne signifiante du sujet qui serait inscrite dans la structure de son inconscient. Il pourra ainsi retrouver sa véritable place dans l’existence afin de ne plus être dupe de notre monde d’images où, perdu, il souffre de ne pas réaliser son désir profond.
Le concept d’agencement collectif d’énonciation de Guattari-Deleuze permet de sortir de la logique du signifiant. Le sujet n’est plus un individu isolé avec ses signifiants, mais fait partie d’un agencement où il interagit avec un milieu et un groupe qui produisent un agencement collectif d’énonciation en évolution permanente.
« (…) la fonction langage… n’est ni informative, ni communicative; elle ne renvoie ni à une information signifiante, ni à une communication intersubjective. Et il ne servirait à rien d’abstraire une signifiance hors information, ou une subjectivité hors communication. Car c’est le procès de subjectivation et le mouvement de signifiance qui renvoient à des régimes de signes ou agencements collectifs. (…) la linguistique n’est rien en dehors de la pragmatique (sémiotique ou politique) qui définit l’effectuation de la condition du langage et l’usage des éléments de la langue. »
« (…) Il y a « primat d’un agencement machinique des corps sur les outils et les biens, primat d’un agencement collectif d’énonciation sur la langue et les mots. (…) un agencement ne comporte ni infrastructure et superstructure, ni structure profonde et structure superficielle mais aplatît toutes ses dimensions sur un même plan de consistance où jouent les présuppositions réciproques et les insertions mutuelles.(…) mais si l’on pousse l’abstraction, on atteint nécessairement à un niveau où les pseudos-constantes de la langue font place à des variables d’expression, intérieures à l’énonciation même ; dès lors ces variables d’expression ne sont plus séparables des variables de contenu en perpétuelle interaction. Si la pragmatique externe des facteurs non linguistiques doit être prise en compte, c’est parce que la linguistique elle-même n’est pas séparable d’une pragmatique interne qui concerne ses propres facteurs » ( …).
« Car une véritable machine abstraite se rapporte à l’ensemble d’un agencement : elle se définit comme le diagramme de cet agencement. Elle n’est pas langagière, mais diagrammatique, surlinéaire. Le contenu n’est pas un signifié, ni l’expression un signifiant, mais tous deux sont les variables de l’agencement. »
(…) « L’unité réelle minima, ce n’est pas le mot, ni l’idée ou le concept, ni le signifiant mais l’agencement. C’est toujours un agencement qui produit les énoncés. Les énoncés n’ont pas pour cause un sujet qui agirait comme sujet d’énonciation pas plus q’ils ne se rapportent à des sujets comme sujets d’énoncé. L’énoncé est le produit d’un agencement toujours collectif qui met en jeu en nous et dehors de nous des populations, des multiplicités, des tentations, des devenirs, des affects, des évènements. » (extraits tirés de Dialogues et Mille plateaux) «
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Désir conscient inconscient des causes qui le déterminent, désir inconscient qui ignore son objet, désir qui ne manque de rien… à chacun de questionner le désir d’écologie qui sou(en)tend ses actions.
Les « hommes de l’art » habitent-ils tous sur un même territoire ? Si oui, certains habitants des parties les plus planes seraient-ils plus soumis que d’autre au vent de la bêtise ? Si non, comment identifier les différents territoire de toutes ces peuplades qui se revendiquent d’un même drapeau de l’art ? Les uns seraient-ils des joueurs capable de s’abandonner à la vie pour mieux capter un moment de ses forces et découvrir de nouvelles couleurs au risque d’y perdre la santé ? Vivant sur un territoire beaucoup moins hasardeux, les autres seraient-ils des calculateurs, des maîtres mots surtout très hypocondriaques ? Bien difficile à dire. Mais si cette distinction peut faire sens, alors à la vieille dichotomie art objectif /art subjectif, nous substituons joyeusement une frontière poreuse entre l’artiste et l’artisme. A chacun sa chanson, et voilà deux espèces « immatérielles » de plus dans notre petite arche des idées de l’époque…