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Des figures, des visages : petites ritournelles de l’époque

Des figures, des visages : petites ritournelles de l'époque dans Deleuze greensun

Avec la révolution industrielle s’opère l’accomplissement de l’individu moderne, maître et possesseur de la nature, empire dans un empire. Les chemins d’une révolution écologique encapsulés dedans ? Si tant est que cette formule ait un sens, quelles nouvelles productions pour quels nouveaux types d’individus ? Du retour d’un certain paganisme à un individu fragment de la nature.

Avant de penser la chose, encore faudrait-il dresser quelques petits portraits des différentes formes de l’individu actuel, des formes forcément déjà dépassés. On pense à Nietzsche dans son Zaratoustra : le dernier pape, les deux rois, le plus hideux des hommes, l’homme à la sangsue, le mendiant volontaire, l’enchanteur, l’ombre voyageuse, le dernier homme, l’homme qui veut périr, l’ane, le serpent, l’araignée, etc … toutes ces formes qui préparent et accomplissent le basculement d’un monde vers la mort de Dieu.

A notre minuscule niveau, laisser nous tenter à esquisser quelques portraits tentatives sonores de l’époque. Tiens, et pourquoi pas en détournant, tant qu’on y est, le concept de ritournelle cher à Deleuze et Guattari. On connait la chanson, mais qu’est-ce que je chante au juste quand je sorts de chez moi, quand je rencontre une femme, quand je vais travailler and so on.

En un sens général, on appelle ritournelle tout ensemble de matières d’expression qui trace un territoire, et qui se développe en motifs territoriaux, en paysages territoriaux (il y a des ritournelles motrices, gestuelles, optiques, etc.). En un sens restreint, on parle de ritournelle quand l’agencement est sonore ou ’’dominé’’ par le son » Gilles Deleuze et Félix Guattari, Capitalisme et schizophrénie, tome 2 : Mille plateaux, Ed. de Minuit, 1980, p. 397. Ritournelle : forme de retour ou de revenir, notamment musical, lié à la territorialité et à la déterritorialisation, et fabriquant du temps. » Arnaud Villani, Le vocabulaire de Gilles Deleuze, Les Cahiers de Noesis n° 3, Printemps 2003, p. 304.

Qui chante quoi appartient à quoi ?

On pourrait bien imaginer-imager quelques-unes de ces « espèces » qui peuplent la sphère de nos pensées. A chacune sa chanson, son éthologie propre, sa manière de coloniser et de composer un territoire. Ce serait alors l’ensemble des relations entre ces territoires qui constitueraient une certaine « écologie de la pensée ». Immanente, à tout moment infiniment variable dans le temps et l’espace.

territoires 

L’homme des va-leurs

L’homme de l’ici

L’homme d’un pro-grès

L’homme antico-pessimis-tique

Petit fragment, cliché instantané bruyant de notre époque…

Les diversités

« On ne remarque pas l’absence d’un inconnu. » Jérôme Lindon

« Human societies now make the choices concerning the allocation of lands, water and other resources which determine which of the diversity of life forms will continue to exist.” Timothy M. Swanson

«  Plus le sentiment de l’unité avec nos contemporains augmente, plus les hommes s’uniformisent, plus aussi ils ressentent sévèrement la moindre différence comme immorale. C’est ainsi que se forme nécessairement le sable humain : tous très semblables, très petits, très arrondis, très accommodants, très ennuyeux […] Un petit sentiment faible et obscur de bien-être médiocre uniformément répandu, une chinoiserie générale améliorée et poussée au bout – serait-ce là l’ultime image de l’humanité ? Inévitablement, si elle persévère dans les voies de la moralité antérieure. Il faut y réfléchir à fond : peut-être faudra-t-il que l’humanité tire un trait sous son passé, peut-être faudra-t-il appliquer à tout homme ce canon nouveau : soit différent de tous les autres et sois heureux que chacun diffère de son voisin.  » Nietzsche 187 La volonté de puissance II

D’après l’Unesco :

  • plus de 50% des 6000 langages présents dans le monde sont en danger d’extinction;
  • 96% des 6000 langages ne sont parlés que par 4% de la population mondiale;
  • 90% des langages ne sont pas représentés sur Internet;
  • en moyenne, un langage disparait toutes les deux semaines.

D’après le Millenium Ecosystem Assessment, environ 60 % des écosystèmes de la planète sont aujourd’hui détruits ou utilisés de manière non durable.

     Notre hypothèse est qu’il existe entre ces deux « compartiments » de la diversité, des échos ou résonances, symptômes communs d’un processus d’uniformisation global. S’il existe moins d’éléments biophysiques, alors il existe moins de possibilités d’agencements (symbiose, alliance, compétition), moins de possibilités de vie, d’où un appauvrissement de la production dans l’immatériel. Autrement dit, les agencements entre les différentes formes constituées déterminent des modes de pensés et de représentation possibles. Parmi ceux-ci émerge alors un mode de « domestification » dominant de la nature, mode qui va conditionner les modes d’existence, des degrés de coexistence et de couplage possibles, c’est à dire les conditions particulières de production de l’immatériel (organisation de la production artistique, artisanale…).

En ce sens, les équilibres écologiques nous renverraient donc aux conditions matérielles de production de l’immatériel. Une époque peut-être vue comme une combinaison de forces particulière (révélée, rencontrées, associées) constituant des corps, des formes singulières (l’homme se combinant aux forces du carbone, de l’atome, du fer…). Extraits de “Pourparlers”, Gilles Deleuze : « [...] C’est que les forces de l’homme ne suffisent pas à elles seules à constituer une forme dominante où l’homme peut se loger. II faut que les forces de l’homme (avoir un entendement, une volonté, une imagination, etc.) se combinent avec d’autres forces [...] La forme qui en découlera ne sera donc pas nécessairement une forme humaine, ce pourra être une forme animale dont l’homme sera seulement un avatar, une forme divine dont il sera le reflet, la forme d’un Dieu unique dont l’homme ne sera que la limitation (ainsi, au XVIIe siècle, l’entendement humain comme limitation d’un entendement infini) [...] C’est dire qu’une forme-Homme n’apparaît que dans des conditions très spéciales et précaires : c’est ce que Foucault analyse, dans Les mots et les choses, comme l’aventure du XIXe siècle, en fonction des nouvelles forces avec lesquelles celles de l’homme se combinent alors. Or tout le monde dit qu’aujourd’hui l’homme entre en rapport avec d’autres forces encore (le cosmos dans l’espace, les particules dans la matière, le silicium dans la machine…) : une nouvelle forme en naît, qui n’est déjà plus celle de l’homme […] »

A partir de là, on ne peut plus se satisfaire de penser isolément la seule écologie environnementale, ie conserver nos schémas de représentation anciens comme Guattari le constatait au début des années 90′:  » […] les formations politiques et les instances exécutives paraissent totalement incapables d’appréhender cette problématique dans l’ensemble de ses implications. Bien qu’ayant récemment amorcé une prise de conscience partielle des dangers les plus voyants qui menacent l’environnement naturel de nos sociétés, elles se contentent généralement d’aborder le domaine des nuisances industrielles et, cela, uniquement dans une perspective technocratique.  » Or la question écologique bouleverse les rapports de l’humain au non humain, de l’humain à l’humain. Ensemble de rapports sur lesquels il convient de changer notre perspective anthropocentrée, projeter notre cosmologie constituant le degré zéro de la pensée des rapports au non humain. Il est donc nécessaire d’articuler les différents « contextes » de l’existence (naturel, social, mental), dans la mesure où  il existe une écologie, comme une biodiversité, tant des espèces immatérielles (idée, œuvre d’art, mode d’existence, …) que matérielles (végétaux, animaux…).

La récente ratification de la convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel sous l’égide de l’UNESCO, faisant écho à la convention sur la biodiversité, semble être un pas important vers la reconnaissance des liens de production unissants les divers patrimoines vivants.

Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel

     Constatant que « beaucoup d’éléments du patrimoine culturel immatériel sont mis en péril par la mondialisation, les politiques uniformisantes et le manque de moyens », la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel est rentrée en vigueur le 20 avril 2006. 

Complètant le dispositif normatif de l’UNESCO pour la préservation du patrimoine matériel, celle-ci vise à sauvegarder le patrimoine culturel immatériel (PCI), patrimoine vivant  »creuset de la diversité culturelle et sa préservation le garant de la créativité permanente de l’homme ». Sur le site dédié de l’Unesco on pourra lire les définitions et axes suivants :

 » [...] Concrètement, le PCI ainsi défini concerne :

  • les traditions et expressions orales, y compris la langue comme vecteur du patrimoine culturel immatériel ;
  • les arts du spectacle (comme la musique, la danse et le théâtre traditionnels) ;
  • les pratiques sociales, rituels et événements festifs ;
  • les connaissances et pratiques concernant la nature et l’univers ;
  • les savoir-faire liés à l’artisanat traditionnel.

En termes plus abstraits, le PCI concerne les pratiques, représentations, expressions, ainsi que les connaissances et savoir-faire que des communautés, les groupes et, le cas échéant, les individus reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel.

Le PCI protégé par la Convention :

  • est transmis de génération en génération ;
  • est recréé en permanence par les communautés et les groupes, en fonction de leur milieu, de leur interaction avec la nature et de leur histoire ;
  • procure aux communautés et aux groupes un sentiment d’identité et de continuité ;
  • contribue à promouvoir le respect de la diversité culturelle et la créativité humaine ;
  • est conforme aux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme ;
  • est conforme aux exigences de respect mutuel entre les communautés et de développement durable.

Le PCI est à la fois traditionnel et vivant. Il est constamment recréé et transmis oralement dans la majorité des cas.

Le dépositaire de ce patrimoine est l’esprit humain, le corps humain étant le principal instrument de sa représentation ou – littéralement – de son incarnation. Les connaissances et le savoir-faire sont souvent partagés par une communauté et les manifestations du patrimoine culturel immatériel sont souvent des événements collectifs.

La Convention parle des communautés et des groupes qui sont les détenteurs des traditions, mais ne précise pas qui ils sont. Les experts gouvernementaux chargés de rédiger le projet de Convention ont insisté à plusieurs reprises sur le caractère ouvert de ces communautés, sur le fait qu’elles peuvent être dominantes ou non, qu’elles ne sont pas nécessairement liées à des territoires spécifiques et qu’une personne peut très bien appartenir à différentes communautés et changer de communauté. En établissant la Liste représentative, la Convention introduit l’idée de « représentativité ». « Représentatif » pourrait signifier, à la fois, représentatif de la créativité de l’homme, du patrimoine culturel des États, mais aussi du patrimoine culturel des communautés qui sont les détenteurs des traditions en question [...] « 

Voir le Préambule de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel

Voir le site internet de la convention

Entendu et lu sur le web : écosophie, écologie des pratiques et mode d’existence

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Boite à outils avec Valérie Marange : les recettes de l’éco.

« Notre point de départ dans ce cheminement est l’invitation à penser, à pratiquer un renouvellement de la pensée, que contient un petit ouvrage de Félix Guattari paru en 1989 : Les trois écologies. L’écologie y devient plurielle, et c’est là que ça nous intéresse, car elle se propose d’élargir son regard non seulement à l’environnement et à ce qu’on appelle couramment « la nature », mais aussi aux constructions sociales et aux processus mentaux. »
Ecouter en ligne: 
http://cst.collectifs.net/IMG/mp3/doc-94.mp3 

Ecosophie ou barbarie par Valérie Marange :

« L’écologie politique est aujourd’hui arrivée à un point de développement important, qui ne lui confère pourtant qu’une efficace très réduite. On l’observe par exemple dans le domaine des émissions de CO2, qui n’ont reculé depuis Tokyo que dans la CEI, pour cause de désastre économique. Cette impuissance de l’action politique conduit certains observateurs à la conclusion que le levier réside aujourd’hui, non pas dans une fallacieuse « démocratie économique», mais dans les modes de vie et les aspirations culturelles. Le niveau d’émission de CO2, de production de déchets en général dépendent bien sur des stratégies du marché (flux tendus par exemple) et des politiques de transports mais aussi des habitudes de consommation, des comportements face au travail, des modes d’habitats, des satisfactions trouvées dans la vitesse, etc. Si la pensée écologiste nous a appris l’importance des « externalités », négatives ou positives, ressources minières ou ressources humaines pour l’économie « restreinte », il n’est pas impossible que la surdétermination la plus forte, aujourd’hui, soit du coté des externalités subjectives, c’est à dire des mentalités. Les valeurs économiques sont comme toutes les valeurs, elles dépendent du crédit qu’on leur accorde, comme on le voit avec les phénomènes d’ »euphorie » ou de « panique » boursière. D’autre part, le mouvement capitalistique lui-même dépend de plus en plus des productions immatérielles, autrement dit des affects de ses opérateurs, qu’elle s’efforce de capter, comme on le voit très bien dans la « nouvelle économie », qui est en partie une récupération des énergies bénévoles investies dans le développement de l’Internet. Il y a donc des enchainements permanents entre environnement physique, économique mais aussi affectif et mental, et qui font que nous ne pouvons plus séparer, comme le faisaient les marxistes, les infrastructures matérielles des superstructures idéologiques. Et la question pratique la plus urgente pour la politique écologiste pourrait donc être de travailler, plus que les leviers du pouvoir au sens restreint, ceux de la micro-politique des valeurs, des affects et des façons de vivre. A une économie élargie, il faudrait donc faire correspondre une politique et une écologie élargies. »
Lire la suite de l’article en ligne : http://cst.collectifs.net/article.php3?id_article=95

Boite à outils avec Isabelle Stengers : agencements collectifs et écologie des pratiques.

http://www.dailymotion.com/video/unlJ1nkF2hgy6o825

« Valérie Marange nous a introduit à l’écologie en tant que science ou art des agencements, vigilance envers les interactions entre les vivants qui tout à la fois composent un milieu et s’y construisent. Avec elle, nous avons vu que l’écosophie promeut cette ambition au-delà des problématiques environnementales, pour tenter d’irriguer les pratiques sociales et les phénomènes mentaux. Enfin, nos interrogations sur ce qu’on peut appeler « l’écologie des pratiques », celles des interventions politiques et publiques comme celles des manières de produire un groupe, une lutte, un milieu, ont commencé à se décliner sous la forme de recettes. Isabelle Stengers se consacre elle aussi à la mise au jour d’une écologie des pratiques, dont l’exigence nous stimule d’autant plus qu’elle s’exerce par rapport à d’autres entreprises humaines : les disciplines scientifiques. Ecologique, le travail qu’engage ici la philosophe se dépouille dès lors de tout regard en surplomb, de toute tentation d’ordonnancement ou de hiérarchisation entre les sciences modernes. A même les territoires, les comportements et les narrations qui font les sciences, la démarche d’Isabelle Stengers relève et requiert les occasions qui font puissance. Ces moments où chaque membre d’un collectif à visée scientifique, au même titre que ceux de groupes plus explicitement politiques ou artistiques, dans leur processus commun d’élaboration, prend appui sur ce qui ne vient pas de soi seulement pour penser ce qui ne va pas de soi. Les possibles qui compliquent, les situations grosses de dissensus, les points de bascule porteurs d’énoncés nouveaux. »
Ecouter en ligne : 
http://cst.collectifs.net/IMG/mp3/stengers03dec.mp3

Synthèse d’étape

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      Depuis le démarrage de ce blog nous avons essayé de contribuer à ce que pourrait être un discours écologique « étendu », une méthode ou mode de pensée encore à constituer et diffuser, cela à partir des divers fragments de nos connaissances actuelles.

A ce stade il convient sans doute de synthétiser certaines des sélections que nous avons pu faire et qui constituent quelques unes des armes à la lutte nécessaire contre toute forme d’anthropocentrisme. Ce dernier, entendu comme la projection perpétuelle de la cosmologie humaine sur le vivant ou le non vivant, est sans doute le premier adversaire à abattre sur notre chemin.

Dans son article « du risque « naturel » à la catastrophe urbaine : Katrina« , François Mancebo, professeur des universités – aménagement-géographie, nous rappelle que : « l’environnement, loin d’une transcendance s’imposant d’elle-même, est construit culturellement par les sociétés. Il importe, en effet, de ne pas confondre les notions d’écosystèmes et d’environnement. Si les écosystèmes existent per se, avec leurs flux de matière, d’énergie et d’information plus ou moins régulés selon des lois biophysiques et biochimiques, l’environnement est la manifestation de la manière dont l’humanité négocie sa survie au sein de ces écosystèmes. L’Homme se fait une représentation des écosystèmes qu’il habite et la nomme « environnement » à partir des usages dont les ressources écosystémiques sont l’objet (prélèvements (utilisation de l’air, des eaux, des minéraux), apports (pollution), modifications de structure (habitat, transports)) (Mancebo F., 2006). Définir son environnement participe ainsi de la territorialisation de l’espace. En tant que tel, il s’agit d’un processus relationnel où groupes sociaux et personnes se confrontent ou s’associent pour l’usage, sinon le contrôle, des ressources. Pour cette raison, ce que les sociétés humaines perçoivent de leur environnement résulte d’un travail de négociation et d’interprétation du réel (Raffestin C., 1986). »

Avec Bateson, nous avons vu que l’homme ne pouvait avoir qu’une conscience partielle des phénomènes; une vison trop projective de la vie qu’il est possible de « corriger » : « mais, si l’art, comme je l’ai suggéré précédemment à une fonction positive, consistant à maintenir ce que j’ai appelé « sagesse », modifier, par exemple, une conception trop projective de la vie, pour la rendre plus systémique, alors la question à poser à propos d’une œuvre d’art devient : quelles sortes de corrections, dans le sens de la sagesse, sont accomplies par celui qui crée ou qui « parcourt» cette œuvre d’art ? » 

Avec Monod, une démonstration du rôle central que tient le hasard dans l’évolution biologique : « le hasard seul est à la source de toute nouveauté, de toute création dans la biosphère. Le hasard pur, le seul hasard, liberté absolue mais aveugle, à la racine même du prodigieux édifice de l’évolution »

Avec Uexküll, une représentation du monde animal où « chaque espèce vit dans un monde unique, qui est ce qui lui apparaît  déterminé par son organisation propre […] rien que quelques signes comme des étoiles dans une nuit noire immense ». 

Avec Guattari, l’articulation nécessaire entre l’écologie environnementale pour les rapports à la nature et à l’environnement, l’écologie sociale pour les rapports au « socius », aux réalités économiques et sociales, l’écologie mentale pour les rapports à la psyché, la question de la production de la subjectivité humaine : « les formations politiques et les instances exécutives paraissent totalement incapables d’appréhender cette problématique dans l’ensemble de ses implications. Bien qu’ayant récemment amorcé une prise de conscience partielle des dangers les plus voyants qui menacent l’environnement naturel de nos sociétés, elles se contentent généralement d’aborder le domaine des nuisances industrielles et, cela, uniquement dans une perspective technocratique, alors que, seule, une articulation éthico-politique, que je nomme écosophie, entre les trois registres écologiques, celui de l’environnement, celui des rapports sociaux et celui de la subjectivité humaine, serait susceptible d’éclairer convenablement ces questions. »

En conséquence et d’un point de vue pratique, si le changement climatique nous apparaît comme un élément de contexte général indéniable, nous soulignons l’importance concrète des thématiques de l’eau et de la biodiversité. S’adresser à ces thématiques clés en priorité nous permettrait d’absorber au mieux les impacts attendus du changement climatique.

Les écologies de Felix Guattari

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     Pour Félix Guattari, philosophe et psychanalyste français (1930-1992), l’écologie est la science des écosystèmes de toute nature (sociaux, urbains, familiaux, biosphère…). Mais l’écologie est également devenue un phénomène d’opinion regroupant le plus divers, et dont les deux polarités extrêmes seraient d’un côté, le conservatisme réactionnaire prônant un retour aux valeurs ancestrales, un progressisme doux visant à dépasser les clivages politique traditionnels, de l’autre.

C’est donc afin de rendre compte de ces dimensions hétérogènes au sein d’une même notion que Guattari conçoit l’écosophie comme le concept propre à articuler les trois écologies suivantes :

  • l’écologie environnementale pour les rapports à la nature et à l’environnement,

  • l’écologie sociale pour les rapports au « socius », aux réalités économiques et sociales,

  • l’écologie mentale pour les rapports à la psyché, la question de la production de la subjectivité humaine.

Or comme le souligne Anne Querrien dans son article « Broderies sur Les Trois Écologies de Félix Guattari » publié dans la revue Chimère : « […] les tentatives militantes ou professionnelles que nous avons connues jusqu’à présent choisissent toujours de privilégier un seul de ces trois axes, et rencontrent des blocages incontournables dans leur développement faute de travailler les autres dimensions. »

Morceaux choisis :

D’après les trois écologies, version courte originale par  Félix Guattari http://multitudes.samizdat.net/Les-trois-ecologies.html

« La planète Terre connaît une période d’intenses transformations technico-scientifiques en contrepartie desquelles se trouvent engendrés des phénomènes de déséquilibres écologiques menaçants, à terme, s’il n’y est porté remède, l’implantation de la vie sur sa surface. Parallèlement à ces bouleversements, les modes de vie humains, individuels et collectifs, évoluent dans le sens d’une progressive détérioration. Les réseaux de parenté tendent à être réduits au minimum, la vie domestique est gangrenée par la consommation mass-médiatique, la vie conjugale et familiale se trouve fréquemment « ossifiée » par une sorte de standardisation des comportements, les relations de voisinage sont généralement réduites à leur plus pauvre expression… C’est le rapport de la subjectivité avec son extériorité – qu’elle soit sociale, animale, végétale, cosmique – qui se trouve ainsi compromis dans une sorte de mouvement général d’implosion et d’infantilisation régressive. L’altérité tend à perdre toute aspérité. Le tourisme, par exemple, se résume le plus souvent à un voyage sur place au sein des mêmes redondances d’image et de comportement.

Les formations politiques et les instances exécutives paraissent totalement incapables d’appréhender cette problématique dans l’ensemble de ses implications. Bien qu’ayant récemment amorcé une prise de conscience partielle des dangers les plus voyants qui menacent l’environnement naturel de nos sociétés, elles se contentent généralement d’aborder le domaine des nuisances industrielles et, cela, uniquement dans une perspective technocratique, alors que, seule, une articulation éthico-politique, que je nomme écosophie, entre les trois registres écologiques, celui de l’environnement, celui des rapports sociaux et celui de la subjectivité humaine, serait susceptible d’éclairer convenablement ces questions. »

«  C’est de la façon de vivre désormais sur cette planète, dans le contexte de l’accélération des mutations technico-scientifiques et du considérable accroissement démographique, qu’il est question. Les forces productives, du fait du développement continu du travail machinique, démultiplié par la révolution informatique, vont rendre disponible une quantité toujours plus grande du temps d’activité humaine potentielle. Mais à quelle fin ? Celle du chômage, de la marginalité oppressive, de la solitude, du désœuvrement, de l’angoisse, de la névrose ou celle de la culture, de la création, de la recherche, de la réinvention de l’environnement, de l’enrichissement des modes de vie et de sensibilité ?  Dans le Tiers-monde, comme dans le monde développé, ce sont des pans entiers de la subjectivité collective qui s’effondrent ou qui se recroquevillent sur des archaïsmes, comme c’est le cas, par exemple, avec l’exacerbation redoutable des phénomènes d’intégrisme religieux. »

« […] il n’est plus question, comme aux périodes antérieures de lutte de classe ou de défense de la « patrie du socialisme », de faire fonctionner une idéologie de façon univoque, il est concevable, par contre, que la nouvelle référence écosophique indique des lignes de recomposition des praxis humaines dans les domaines les plus variés. A toutes les échelles individuelles et collectives, pour ce qui concerne la vie quotidienne aussi bien que la réinvention de la démocratie, dans le registre de l’urbanisme, de la création artistique, du sport, etc. il s’agit, à chaque fois, de se pencher sur ce que pourraient être des dispositifs de production de subjectivité allant dans le sens d’une re-singularisation individuelle et/ou collective, plutôt que dans celui d’un usinage mass-médiatique synonyme de détresse et de désespoir. Perspective qui n’exclut pas totalement la définition d’objectifs unificateurs, tels que la lutte contre la faim dans le monde, l’arrêt de la déforestation ou la prolifération aveugle des industries nucléaires. Seulement, il ne saurait plus s’agir là de mots d’ordre stéréotypés, réductionnistes, expropriant d’autres problématiques plus singulières et impliquant la promotion de leaders charismatiques. »

D’après entretien avec Félix Guattari « Qu’est-ce que l’écosophie ? » Revue chimère, terminal n°56 http://www.revue-chimeres.org/pdf/termin56.pdf

« […] Il n’y a pas d’opposition dans mon esprit entre les écologies : politique, environnementale et mentale. Toute appréhension d’un problème environnemental postule le développement d’univers de valeurs et donc d’un engagement éthico-politique. Elle appelle aussi l’incarnation d’un système de modélisation, pour soutenir ces univers de valeurs, c’est-à-dire les pratiques sociales, de terrain, des pratiques analytiques quand il s’agit de production de subjectivité. »

Rythmes, anthropocentrisme et clichés

« Human societies now make the choices concerning the allocation of lands, water and other resources which determine which of the diversity of life forms will continue to exist. » Timothy M. Swanson.

Rythmes, anthropocentrisme et clichés dans -> PERSPECTIVES TRANSVERSES image0011

     Devant les certitudes des uns, les chiffres des autres, difficile de prendre une position claire autre que théologique (c’est bien, c’est mal), bien laborieux d’avoir une vue d’ensemble (croyant régler ceci, je déséquilibre cela). Alors dans ce brouhaha d’opinions multiples, peut-être qu’une question pourrait nous ouvrir une porte : que se passe-t-il lorsqu’une espèce impose son ou ses (bio)rythmes (démographique, consommation, production…) à l’ensemble de la biosphère ?

Accélérer l’évolution à travers les OGM, accélérer la radioactivité naturelle à travers exploitation de l’énergie nucléaire civile, accélérer l’écoulement des eaux à travers l’imperméabilisation des sols (urbanisation, infrastructures de transport) etc. etc.….

Si l’on se positionne en termes de rythme de changement, on retrouve le niveau deux tel que défini par Bateson dans sa théorie de l’apprentissage en tant que changement. De manière analogique, ce niveau correspond à l’accélération ou à la décélération, soit au changement dans la vitesse d’un objet mobile : « apprendre à apprendre à recevoir un signal ».

0 : « je mets ma main au feu, et je me brûle. »
1 : « j’ai mis ma main dans le feu, j’ai été brûlé et je ne le referai plus. »
2 : « généralement je ne risque pas d’être brûlé, mais cela pourrait m’arriver si je devais sauver autrui d’un incendie. »

Changement dans le climat qui lui-même est un équilibre changeant, une étude plus approfondie du niveau deux d’apprentissage pourrait nous apporter un éclairage intéressant en terme de communication et sensibilisation environnementale sur le changement (l’accélération) climatique. Voilà qui pourra faire l’objet d’un prochain article de ce blog.

S’il est bien difficile de se prononcer sur le diagnostic, les chiffres des uns, les évaluations des autres, ce dont nous pouvons discuter dès maintenant, c’est de la méthode, c’est du message implicite caché derrière l’ensemble des discours. Ce que nous pouvons déjà faire sans aucune idéologie ni information sur la question, c’est de dépolluer certains discours de leur bêtise la plus primaire (le CO2 n’est pas la nouvelle pomme d’Adam).

Evaluer

     Pour l’heure constatons que les deux grands succès de salle célébrés par le monde, que furent la « Marche de l’empereur » et le « Cauchemar de Darwin », nous ont proposé un hymne, le triomphe complet et sourd des forces de l’anthropomorphisme et de l’ethnocentrisme associées, et cela sans masque aucun. Ainsi, à côté des pertes constatées quotidiennement en termes de biodiversité (bien que la notion demeure également confuse), on est en droit de craindre que l’activité continuelle de ces forces de la grande communion universelle, n’induisent une perte tout aussi importante au niveau des espèces incorporelle (culture, art, idées neuves tout simplement). Alors oui, les pingouins peluches chantent en cœur le nouveau testament, pendant que  l’agriculteur noir aux regards grave de blanc, une arrête de poisson sur le sable, son droit tendu vers l’homo-universalus débilitant…

Guattari faisait le constat suivant : «la planète terre connaît une période d’intenses transformations technico-scientifiques en contrepartie desquelles se trouvent engendrés des phénomènes de déséquilibres écologiques menaçants, à terme, s’il n’y est porté remède, l’implantation de la vie sur sa surface […]. Les formations politiques et les instances exécutives paraissent totalement incapables d’appréhender cette problématique dans l’ensemble de ses implications. Bien qu’ayant récemment amorcé une prise de conscience partielle des dangers les plus voyants qui menacent l’environnement naturel de nos sociétés, elles se contentent généralement d’aborder le domaine des nuisances industrielles et, cela, uniquement dans une perspective technocratique.  »

Mais si comme le dit Bateson : « j’affirme que si vous voulez parler de choses vivantes, […] il est indiqué d’utiliser un langage […] qui est en phase avec le langage du monde biologique[1] », on ne peut plus se satisfaire de penser isolément la seule écologie environnementale, tout en conservant nos schémas de représentation dialectiques et anthropocentrés. Projeter notre cosmologie, c’est le degré zéro de la pensée des rapports au non humain et c’est précisément ces rapports de l’humain au non humain, de l’humain à l’humain sur lesquels il conviendrait de changer de perspective. Autrement dit il est nécessaire d’articuler les différents « contextes » de l’existence (naturel, social, mental), dans la mesure où  il existe une écologie, comme une biodiversité, tant des espèces immatérielles (idée, œuvre d’art, mode d’existence, …) que matérielles (végétaux, animaux…), plutôt que de rabattre l’ensemble des points de vue ou perspectives sur une idée abstraite et contingente d’une forme homme.

Pour répondre à ce défi, Guattari conçoit ce qu’il appelle l’écosophie comme articulant :

  • l’écologie environnementale pour les rapports à la nature et à l’environnement,

  • l’écologie sociale pour les rapports au « socius », aux réalités économiques et sociales,

  • l’écologie mentale pour les rapports à la psyché, la question de la production de la subjectivité humaine.

A partir de là, la question de la production de la subjectivité humaine (de quels types de rapports au monde je suis capable ?) n’est donc plus déconnectée de la question écologique : « parallèlement à ces bouleversements [dans l’écologie environnementale], les modes de vie humains, individuels et collectifs, évoluent dans le sens d’une progressive détérioration. Les réseaux de parenté tendent à être réduits au minimum, la vie domestique est gangrenée par la consommation mass-médiatique, la vie conjugale et familiale se trouve fréquemment « ossifiée » par une sorte de standardisation des comportements, les relations de voisinage sont généralement réduites à leur plus pauvre expression… C’est le rapport de la subjectivité avec son extériorité – qu’elle soit sociale, animale, végétale, cosmique – qui se trouve ainsi compromis dans une sorte de mouvement général d’implosion et d’infantilisation régressive. L’altérité tend à perdre toute aspérité. Le tourisme, par exemple, se résume le plus souvent à un voyage sur place au sein des mêmes redondances d’image et de comportement. »

Pertes en diversité

     D’après le Millenium Ecosystem Assessment, environ 60 % des écosystèmes de la planète sont aujourd’hui détruits ou utilisés de manière non durable. L’hypothèse que nous pouvons faire est alors que s’il existe moins d’éléments biophysiques, alors il existe moins de possibilités d’agencements (symbiose, alliance, compétition), donc de possibilités de vie et de développement. D’où un appauvrissement de la production dans l’immatériel (affect, concept, percept). L’écologie nous renvoie donc presque immédiatement aux conditions matérielles de la production de l’immatériel. Une époque peut-être vue comme une combinaison de forces particulière (révélée, rencontrées, associées) constituant des corps comme autant de formes singulière. Les agencements possibles (mise en rapport, composition) d’avec ces formes déterminent des modes de pensés et représentation, parmi lesquels va émerger un mode de « domestification » dominant de la nature, soit des conditions particulières de production matériel. En conséquences cela va conditionner des modes d’existence possibles, des degrés de coexistence et à partir de là, des conditions particulière de production de l’immatériel (organisation de la production artistique, artisanale…).

Parallèlement aux pertes en biodiversité et d’après les chiffres de l’Unesco :

  • plus de 50% des 6000 langages présents dans le monde sont en danger d’extinction.
  • 96% des 6000 langages ne sont parlés que par 4% de la population mondiale.
  • 90% des langages ne sont pas représentés sur Internet.
  • En moyenne, un langage disparait toutes les deux semaines.

Ce qu’il est important de noter dans un cas comme dans l’autre, c’est qu’on ne remarque jamais l’absence ou la disparition d’un inconnu. 

Cette perte globale en diversité est également à constater au regard de la croissance exponentielle de nos capacités technologiques d’un côté et de nos usages toujours plus standardisés de l’autre. Nous suivons ici Lawrence Lessig lorsqu’il s’interroge sur l’avenir de l’Internet dans son ouvrage The Future of Ideas: « how an environment designed to enable the new is being transformed to protect the old- transformed by courts, by legislators, and by the very coders who built the original »

Ainsi nous pouvons concevoir une double réduction des « diversités » :

  • Une réduction « objective » des choses ou la biodiversité des formes de vie. En effet, une possibilité de vie disparaissant de la chaine crée des effets en cascades par le jeu des alliances, synergies et symbioses possibles. Ce faisant sa disparition ou sa non-existence entraine des pertes globales exponentielles, un peu à l’image de la faillite d’un gros client pour ses multiples fournisseurs.

  • Une réduction « subjectives » autrement dit des modes de pensée qui définissent ce qui est acceptable ou pas, permettent l’accès au sentiment de la différence, ne réduisent pas l’autre à moi, rencontrent plutôt que reconnaissent un prêt à penser. Or la confusion et l’indifférenciée sont aujourd’hui des pollutions irréversibles pour des esprits toujours plus réduits à n’être que de simples passeurs de clichés. Clichés fabriqués de points de vue toujours plus identiques et identitaires et confiés à une pensée qui ne fait plus que dupliquer une représentation préconstituée du « réel », de laquelle elle ne reconnait plus que les effets de ce que elle y a mis elle-même. De combien de termes disposons nous actuellement pour exprimer un problème ? Le prêt à penser actuel implique un appauvrissement des termes disponibles et accessibles, et les mots se meurent comme les abeilles.

« Plus le sentiment de l’unité avec nos contemporains augmente, plus les hommes s’uniformisent, plus aussi ils ressentent sévèrement la moindre différence comme immorale. C’est ainsi que se forme nécessairement le sable humain : tous très semblables, très petits, très arrondis, très accommodants, très ennuyeux […] Un petit sentiment faible et obscur de bien-être médiocre uniformément répandu, une chinoiserie générale améliorée et poussée au bout – serait-ce là l’ultime image de l’humanité ? Inévitablement, si elle persévère dans les voies de la moralité antérieure. Il faut y réfléchir à fond : peut-être faudra-t-il que l’humanité tire un trait sous son passé, peut-être faudra-t-il appliquer à tout homme ce canon nouveau : soit différent de tous les autres et sois heureux que chacun diffère de son voisin. » Nietzsche 187 La volonté de puissance II

La confusion et l’indifférenciée sont une pollution irréversible pour des esprits toujours plus réduits à n’être que de simples passeurs de clichés. Clichés fabriqués de points de vue toujours plus identiques et identitaires et confiés à une pensée qui ne fait plus que dupliquer une représentation préconstituée du « réel », de laquelle elle ne reconnait plus que les effets de ce que elle y a mis elle-même. De combien de termes disposons nous pour exprimer un problème aujourd’hui. Le prêt à penser actuel implique l’appauvrissement des termes disponibles.

Dans « différence et répétition », Deleuze nous avertit : « il y a quelque chose dans le monde qui force (par effraction, interruption, violence) à penser », ce quelque chose est l’occasion d’une rencontre singulière avec [...] Ce quelque chose est une affaire de sensation, [...] et peut-être vécu sous une multitude de tonalités affectives différentes. »

Concluons sur cette phrase inspirante de Jean Genet : « mon courage consista à détruire toutes les habituelles raisons de vivre et à m’en découvrir d’autres »

Les extraits suivants constituent deux armes d’autodéfense extrêmes utile afin de lutter contre toute forme d’anthropocentrisme par trop standardisée.

Extrait de « Les mots et les choses » – Michel Foucault :

« Une chose en tout cas est certaine : c’est que l’homme n’est pas le plus vieux problème ni le plus constant qui se soit posé au savoir humain. En prenant une chronologie relativement courte et un découpage géographique restreint, la culture européenne depuis le XVIe siècle, on peut être sûr que l’homme y est une invention récente.

Ce n’est pas autour de lui et de ses secrets que, longtemps, obscurément, le savoir a rôdé. En fait, parmi toutes les mutations qui ont affecté le savoir des choses et de leur ordre, le savoir des identités, des différences, des caractères, des équivalences, des mots, – bref au milieu de tous les épisodes de cette profonde histoire du Même – un seul, celui qui a commencé il y a un siècle et demi et qui peut-être est en train de se clore, a laissé apparaître la figure de l’homme. Et ce n’était point là libération d’une vieille inquiétude, passage à la conscience lumineuse d’un souci millénaire, accès à l’objectivité de ce qui longtemps était resté pris dans des croyances ou dans des philosophies : c’était l’effet d’un changement dans les dispositions fondamentales du savoir. L’homme est une invention dont l’archéologie de notre pensée montre aisément la date récente. Et peut-être la fin prochaine.

Si ces dispositions venaient à disparaître comme elles sont apparues, si par quelque événement dont nous pouvons tout au plus pressentir la possibilité, mais dont nous ne connaissons pour l’instant encore ni la forme ni la promesse, elles basculaient, comme le fit au tournant du XVIIIe siècle le sol de la pensée classique, alors on peut bien parier que l’homme s’effacerait, comme à la limite de la mer un visage de sable. »

Extrait de « Pourparlers » – Gilles Deleuze :

« C’est que les forces de l’homme ne suffisent pas à elles seules à constituer une forme dominante où l’homme peut se loger. II faut que les forces de l’homme (avoir un entendement, une volonté, une imagination, etc.) se combinent avec d’autres forces : alors une grande forme naîtra de cette combinaison, mais tout dépend de la nature de ces autres forces avec lesquelles celles de l’homme s’associent.

La forme qui en découlera ne sera donc pas nécessairement une forme humaine, ce pourra être une forme animale dont l’homme sera seulement un avatar, une forme divine dont il sera le reflet, la forme d’un Dieu unique dont l’homme ne sera que la limitation (ainsi, au XVIIe siècle, l’entendement humain comme limitation d’un entendement infini).

C’est dire qu’une forme-Homme n’apparaît que dans des conditions très spéciales et précaires : c’est ce que Foucault analyse, dans Les mots et les choses, comme l’aventure du XIXe siècle, en fonction des nouvelles forces avec lesquelles celles de l’homme se combinent alors. Or tout le monde dit qu’aujourd’hui l’homme entre en rapport avec d’autres forces encore (le cosmos dans l’espace, les particules dans la matière, le silicium dans la machine…) : une nouvelle forme en naît, qui n’est déjà plus celle de l’homme [...] »



[1] Gregory Bateson, op. cit., chapitre 32.

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