« Human societies now make the choices concerning the allocation of lands, water and other resources which determine which of the diversity of life forms will continue to exist. » Timothy M. Swanson.
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Devant les certitudes des uns, les chiffres des autres, difficile de prendre une position claire autre que théologique (c’est bien, c’est mal), bien laborieux d’avoir une vue d’ensemble (croyant régler ceci, je déséquilibre cela). Alors dans ce brouhaha d’opinions multiples, peut-être qu’une question pourrait nous ouvrir une porte : que se passe-t-il lorsqu’une espèce impose son ou ses (bio)rythmes (démographique, consommation, production…) à l’ensemble de la biosphère ?
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Accélérer l’évolution à travers les OGM, accélérer la radioactivité naturelle à travers exploitation de l’énergie nucléaire civile, accélérer l’écoulement des eaux à travers l’imperméabilisation des sols (urbanisation, infrastructures de transport) etc. etc.….
Si l’on se positionne en termes de rythme de changement, on retrouve le niveau deux tel que défini par Bateson dans sa théorie de l’apprentissage en tant que changement. De manière analogique, ce niveau correspond à l’accélération ou à la décélération, soit au changement dans la vitesse d’un objet mobile : « apprendre à apprendre à recevoir un signal ».
0 : « je mets ma main au feu, et je me brûle. »
1 : « j’ai mis ma main dans le feu, j’ai été brûlé et je ne le referai plus. »
2 : « généralement je ne risque pas d’être brûlé, mais cela pourrait m’arriver si je devais sauver autrui d’un incendie. »
Changement dans le climat qui lui-même est un équilibre changeant, une étude plus approfondie du niveau deux d’apprentissage pourrait nous apporter un éclairage intéressant en terme de communication et sensibilisation environnementale sur le changement (l’accélération) climatique. Voilà qui pourra faire l’objet d’un prochain article de ce blog.
S’il est bien difficile de se prononcer sur le diagnostic, les chiffres des uns, les évaluations des autres, ce dont nous pouvons discuter dès maintenant, c’est de la méthode, c’est du message implicite caché derrière l’ensemble des discours. Ce que nous pouvons déjà faire sans aucune idéologie ni information sur la question, c’est de dépolluer certains discours de leur bêtise la plus primaire (le CO2 n’est pas la nouvelle pomme d’Adam).
Evaluer
Pour l’heure constatons que les deux grands succès de salle célébrés par le monde, que furent la « Marche de l’empereur » et le « Cauchemar de Darwin », nous ont proposé un hymne, le triomphe complet et sourd des forces de l’anthropomorphisme et de l’ethnocentrisme associées, et cela sans masque aucun. Ainsi, à côté des pertes constatées quotidiennement en termes de biodiversité (bien que la notion demeure également confuse), on est en droit de craindre que l’activité continuelle de ces forces de la grande communion universelle, n’induisent une perte tout aussi importante au niveau des espèces incorporelle (culture, art, idées neuves tout simplement). Alors oui, les pingouins peluches chantent en cœur le nouveau testament, pendant que l’agriculteur noir aux regards grave de blanc, une arrête de poisson sur le sable, son droit tendu vers l’homo-universalus débilitant…
Guattari faisait le constat suivant : «la planète terre connaît une période d’intenses transformations technico-scientifiques en contrepartie desquelles se trouvent engendrés des phénomènes de déséquilibres écologiques menaçants, à terme, s’il n’y est porté remède, l’implantation de la vie sur sa surface […]. Les formations politiques et les instances exécutives paraissent totalement incapables d’appréhender cette problématique dans l’ensemble de ses implications. Bien qu’ayant récemment amorcé une prise de conscience partielle des dangers les plus voyants qui menacent l’environnement naturel de nos sociétés, elles se contentent généralement d’aborder le domaine des nuisances industrielles et, cela, uniquement dans une perspective technocratique. »
Mais si comme le dit Bateson : « j’affirme que si vous voulez parler de choses vivantes, […] il est indiqué d’utiliser un langage […] qui est en phase avec le langage du monde biologique[1] », on ne peut plus se satisfaire de penser isolément la seule écologie environnementale, tout en conservant nos schémas de représentation dialectiques et anthropocentrés. Projeter notre cosmologie, c’est le degré zéro de la pensée des rapports au non humain et c’est précisément ces rapports de l’humain au non humain, de l’humain à l’humain sur lesquels il conviendrait de changer de perspective. Autrement dit il est nécessaire d’articuler les différents « contextes » de l’existence (naturel, social, mental), dans la mesure où il existe une écologie, comme une biodiversité, tant des espèces immatérielles (idée, œuvre d’art, mode d’existence, …) que matérielles (végétaux, animaux…), plutôt que de rabattre l’ensemble des points de vue ou perspectives sur une idée abstraite et contingente d’une forme homme.
Pour répondre à ce défi, Guattari conçoit ce qu’il appelle l’écosophie comme articulant :
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l’écologie environnementale pour les rapports à la nature et à l’environnement,
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l’écologie sociale pour les rapports au « socius », aux réalités économiques et sociales,
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l’écologie mentale pour les rapports à la psyché, la question de la production de la subjectivité humaine.
A partir de là, la question de la production de la subjectivité humaine (de quels types de rapports au monde je suis capable ?) n’est donc plus déconnectée de la question écologique : « parallèlement à ces bouleversements [dans l’écologie environnementale], les modes de vie humains, individuels et collectifs, évoluent dans le sens d’une progressive détérioration. Les réseaux de parenté tendent à être réduits au minimum, la vie domestique est gangrenée par la consommation mass-médiatique, la vie conjugale et familiale se trouve fréquemment « ossifiée » par une sorte de standardisation des comportements, les relations de voisinage sont généralement réduites à leur plus pauvre expression… C’est le rapport de la subjectivité avec son extériorité – qu’elle soit sociale, animale, végétale, cosmique – qui se trouve ainsi compromis dans une sorte de mouvement général d’implosion et d’infantilisation régressive. L’altérité tend à perdre toute aspérité. Le tourisme, par exemple, se résume le plus souvent à un voyage sur place au sein des mêmes redondances d’image et de comportement. »
Pertes en diversité
D’après le Millenium Ecosystem Assessment, environ 60 % des écosystèmes de la planète sont aujourd’hui détruits ou utilisés de manière non durable. L’hypothèse que nous pouvons faire est alors que s’il existe moins d’éléments biophysiques, alors il existe moins de possibilités d’agencements (symbiose, alliance, compétition), donc de possibilités de vie et de développement. D’où un appauvrissement de la production dans l’immatériel (affect, concept, percept). L’écologie nous renvoie donc presque immédiatement aux conditions matérielles de la production de l’immatériel. Une époque peut-être vue comme une combinaison de forces particulière (révélée, rencontrées, associées) constituant des corps comme autant de formes singulière. Les agencements possibles (mise en rapport, composition) d’avec ces formes déterminent des modes de pensés et représentation, parmi lesquels va émerger un mode de « domestification » dominant de la nature, soit des conditions particulières de production matériel. En conséquences cela va conditionner des modes d’existence possibles, des degrés de coexistence et à partir de là, des conditions particulière de production de l’immatériel (organisation de la production artistique, artisanale…).
Parallèlement aux pertes en biodiversité et d’après les chiffres de l’Unesco :
- plus de 50% des 6000 langages présents dans le monde sont en danger d’extinction.
- 96% des 6000 langages ne sont parlés que par 4% de la population mondiale.
- 90% des langages ne sont pas représentés sur Internet.
- En moyenne, un langage disparait toutes les deux semaines.
Ce qu’il est important de noter dans un cas comme dans l’autre, c’est qu’on ne remarque jamais l’absence ou la disparition d’un inconnu.
Cette perte globale en diversité est également à constater au regard de la croissance exponentielle de nos capacités technologiques d’un côté et de nos usages toujours plus standardisés de l’autre. Nous suivons ici Lawrence Lessig lorsqu’il s’interroge sur l’avenir de l’Internet dans son ouvrage The Future of Ideas: « how an environment designed to enable the new is being transformed to protect the old- transformed by courts, by legislators, and by the very coders who built the original »
Ainsi nous pouvons concevoir une double réduction des « diversités » :
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Une réduction « objective » des choses ou la biodiversité des formes de vie. En effet, une possibilité de vie disparaissant de la chaine crée des effets en cascades par le jeu des alliances, synergies et symbioses possibles. Ce faisant sa disparition ou sa non-existence entraine des pertes globales exponentielles, un peu à l’image de la faillite d’un gros client pour ses multiples fournisseurs.
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Une réduction « subjectives » autrement dit des modes de pensée qui définissent ce qui est acceptable ou pas, permettent l’accès au sentiment de la différence, ne réduisent pas l’autre à moi, rencontrent plutôt que reconnaissent un prêt à penser. Or la confusion et l’indifférenciée sont aujourd’hui des pollutions irréversibles pour des esprits toujours plus réduits à n’être que de simples passeurs de clichés. Clichés fabriqués de points de vue toujours plus identiques et identitaires et confiés à une pensée qui ne fait plus que dupliquer une représentation préconstituée du « réel », de laquelle elle ne reconnait plus que les effets de ce que elle y a mis elle-même. De combien de termes disposons nous actuellement pour exprimer un problème ? Le prêt à penser actuel implique un appauvrissement des termes disponibles et accessibles, et les mots se meurent comme les abeilles.
« Plus le sentiment de l’unité avec nos contemporains augmente, plus les hommes s’uniformisent, plus aussi ils ressentent sévèrement la moindre différence comme immorale. C’est ainsi que se forme nécessairement le sable humain : tous très semblables, très petits, très arrondis, très accommodants, très ennuyeux […] Un petit sentiment faible et obscur de bien-être médiocre uniformément répandu, une chinoiserie générale améliorée et poussée au bout – serait-ce là l’ultime image de l’humanité ? Inévitablement, si elle persévère dans les voies de la moralité antérieure. Il faut y réfléchir à fond : peut-être faudra-t-il que l’humanité tire un trait sous son passé, peut-être faudra-t-il appliquer à tout homme ce canon nouveau : soit différent de tous les autres et sois heureux que chacun diffère de son voisin. » Nietzsche 187 La volonté de puissance II
La confusion et l’indifférenciée sont une pollution irréversible pour des esprits toujours plus réduits à n’être que de simples passeurs de clichés. Clichés fabriqués de points de vue toujours plus identiques et identitaires et confiés à une pensée qui ne fait plus que dupliquer une représentation préconstituée du « réel », de laquelle elle ne reconnait plus que les effets de ce que elle y a mis elle-même. De combien de termes disposons nous pour exprimer un problème aujourd’hui. Le prêt à penser actuel implique l’appauvrissement des termes disponibles.
Dans « différence et répétition », Deleuze nous avertit : « il y a quelque chose dans le monde qui force (par effraction, interruption, violence) à penser », ce quelque chose est l’occasion d’une rencontre singulière avec [...] Ce quelque chose est une affaire de sensation, [...] et peut-être vécu sous une multitude de tonalités affectives différentes. »
Concluons sur cette phrase inspirante de Jean Genet : « mon courage consista à détruire toutes les habituelles raisons de vivre et à m’en découvrir d’autres »
Les extraits suivants constituent deux armes d’autodéfense extrêmes utile afin de lutter contre toute forme d’anthropocentrisme par trop standardisée.
Extrait de « Les mots et les choses » – Michel Foucault :
« Une chose en tout cas est certaine : c’est que l’homme n’est pas le plus vieux problème ni le plus constant qui se soit posé au savoir humain. En prenant une chronologie relativement courte et un découpage géographique restreint, la culture européenne depuis le XVIe siècle, on peut être sûr que l’homme y est une invention récente.
Ce n’est pas autour de lui et de ses secrets que, longtemps, obscurément, le savoir a rôdé. En fait, parmi toutes les mutations qui ont affecté le savoir des choses et de leur ordre, le savoir des identités, des différences, des caractères, des équivalences, des mots, – bref au milieu de tous les épisodes de cette profonde histoire du Même – un seul, celui qui a commencé il y a un siècle et demi et qui peut-être est en train de se clore, a laissé apparaître la figure de l’homme. Et ce n’était point là libération d’une vieille inquiétude, passage à la conscience lumineuse d’un souci millénaire, accès à l’objectivité de ce qui longtemps était resté pris dans des croyances ou dans des philosophies : c’était l’effet d’un changement dans les dispositions fondamentales du savoir. L’homme est une invention dont l’archéologie de notre pensée montre aisément la date récente. Et peut-être la fin prochaine.
Si ces dispositions venaient à disparaître comme elles sont apparues, si par quelque événement dont nous pouvons tout au plus pressentir la possibilité, mais dont nous ne connaissons pour l’instant encore ni la forme ni la promesse, elles basculaient, comme le fit au tournant du XVIIIe siècle le sol de la pensée classique, alors on peut bien parier que l’homme s’effacerait, comme à la limite de la mer un visage de sable. »
Extrait de « Pourparlers » – Gilles Deleuze :
« C’est que les forces de l’homme ne suffisent pas à elles seules à constituer une forme dominante où l’homme peut se loger. II faut que les forces de l’homme (avoir un entendement, une volonté, une imagination, etc.) se combinent avec d’autres forces : alors une grande forme naîtra de cette combinaison, mais tout dépend de la nature de ces autres forces avec lesquelles celles de l’homme s’associent.
La forme qui en découlera ne sera donc pas nécessairement une forme humaine, ce pourra être une forme animale dont l’homme sera seulement un avatar, une forme divine dont il sera le reflet, la forme d’un Dieu unique dont l’homme ne sera que la limitation (ainsi, au XVIIe siècle, l’entendement humain comme limitation d’un entendement infini).
C’est dire qu’une forme-Homme n’apparaît que dans des conditions très spéciales et précaires : c’est ce que Foucault analyse, dans Les mots et les choses, comme l’aventure du XIXe siècle, en fonction des nouvelles forces avec lesquelles celles de l’homme se combinent alors. Or tout le monde dit qu’aujourd’hui l’homme entre en rapport avec d’autres forces encore (le cosmos dans l’espace, les particules dans la matière, le silicium dans la machine…) : une nouvelle forme en naît, qui n’est déjà plus celle de l’homme [...] »
[1] Gregory Bateson, op. cit., chapitre 32.