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Des figures, des visages : petites ritournelles de l’époque

Des figures, des visages : petites ritournelles de l'époque dans Deleuze greensun

Avec la révolution industrielle s’opère l’accomplissement de l’individu moderne, maître et possesseur de la nature, empire dans un empire. Les chemins d’une révolution écologique encapsulés dedans ? Si tant est que cette formule ait un sens, quelles nouvelles productions pour quels nouveaux types d’individus ? Du retour d’un certain paganisme à un individu fragment de la nature.

Avant de penser la chose, encore faudrait-il dresser quelques petits portraits des différentes formes de l’individu actuel, des formes forcément déjà dépassés. On pense à Nietzsche dans son Zaratoustra : le dernier pape, les deux rois, le plus hideux des hommes, l’homme à la sangsue, le mendiant volontaire, l’enchanteur, l’ombre voyageuse, le dernier homme, l’homme qui veut périr, l’ane, le serpent, l’araignée, etc … toutes ces formes qui préparent et accomplissent le basculement d’un monde vers la mort de Dieu.

A notre minuscule niveau, laisser nous tenter à esquisser quelques portraits tentatives sonores de l’époque. Tiens, et pourquoi pas en détournant, tant qu’on y est, le concept de ritournelle cher à Deleuze et Guattari. On connait la chanson, mais qu’est-ce que je chante au juste quand je sorts de chez moi, quand je rencontre une femme, quand je vais travailler and so on.

En un sens général, on appelle ritournelle tout ensemble de matières d’expression qui trace un territoire, et qui se développe en motifs territoriaux, en paysages territoriaux (il y a des ritournelles motrices, gestuelles, optiques, etc.). En un sens restreint, on parle de ritournelle quand l’agencement est sonore ou ’’dominé’’ par le son » Gilles Deleuze et Félix Guattari, Capitalisme et schizophrénie, tome 2 : Mille plateaux, Ed. de Minuit, 1980, p. 397. Ritournelle : forme de retour ou de revenir, notamment musical, lié à la territorialité et à la déterritorialisation, et fabriquant du temps. » Arnaud Villani, Le vocabulaire de Gilles Deleuze, Les Cahiers de Noesis n° 3, Printemps 2003, p. 304.

Qui chante quoi appartient à quoi ?

On pourrait bien imaginer-imager quelques-unes de ces « espèces » qui peuplent la sphère de nos pensées. A chacune sa chanson, son éthologie propre, sa manière de coloniser et de composer un territoire. Ce serait alors l’ensemble des relations entre ces territoires qui constitueraient une certaine « écologie de la pensée ». Immanente, à tout moment infiniment variable dans le temps et l’espace.

territoires 

L’homme des va-leurs

L’homme de l’ici

L’homme d’un pro-grès

L’homme antico-pessimis-tique

Petit fragment, cliché instantané bruyant de notre époque…

De l’éthique à l’éthologie, un portrait de Spinoza par Gilles Deleuze

Spinoza. : Philosophie pratique Extraits de Spinoza, Philosophie pratique.
Editeur : Editions de Minuit; Édition : [Nouv. éd.] (1 avril 2003) Collection : Reprise

http://www.dailymotion.com/video/x3x1a6 

Corps et Nature

     […] Si nous sommes spinozistes, nous ne définirons quelque chose ni par sa forme, ni par ses organes et ses fonctions, ni comme substance ou comme sujet. Pour emprunter des termes au Moyen Age, ou bien à la géographie, nous le définirons par longitude et latitude. Un corps peut être n’importe quoi, ce peut être un animal, ce peut être un corps sonore, ce peut être une âme ou une idée, ce peut être un corpus linguistique, ce peut être un corps social, une collectivité.

Nous appelons longitude d’un corps quelconque l’ensemble des rapports de vitesse et de lenteur, de repos et de mouvement, entre particules qui le composent de ce point de vue, c’est-à-dire entre éléments non formés.

De l’éthique à l’éthologie, un portrait de Spinoza par Gilles Deleuze dans -> CAPTURE de CODES : image0025

Nous appelons latitude l’ensemble des affects qui remplissent un corps à chaque moment, c’est-à-dire les états intensifs d’une force anonyme (force d’exister, pouvoir d’être affecté). Ainsi nous établissons la cartographie d’un corps.

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L’ensemble des longitudes et des latitudes constitue la Nature, le plan d’immanence, toujours variable, et qui ne cesse pas d’être remanié, composé, recomposé, par les individus et les collectivités.

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[…] Concrètement, si vous définissez les corps et les pensées comme des pouvoirs d’affecter et d’être affecté, beaucoup de choses changent. Vous allez définir un animal, ou un homme, non pas par sa forme, ses organes et ses fonctions, et pas non plus comme un sujet : vous allez le définir par les affects dont il est capable. Capacité d’affects, avec un seuil maximal et un seuil minimal, c’est une notion courante chez Spinoza.

[…] Par exemple : il y a de plus grandes différences entre un cheval de labour ou de trait, et un cheval de course, qu’entre un bœuf et un cheval de labour. C’est parce que le cheval de course et cheval de labour n’ont pas les mêmes affects ni le même pouvoir d’être affecté ; le cheval de labour a plutôt des affects communs avec le bœuf.

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On voit bien que le plan d’immanence, le plan de Nature qui distribue les affects, ne sépare pas du tout des choses qui seraient dites naturelles et des choses qui seraient dites artificielles. L’artifice fait complètement-partie de la Nature, puisque toute chose, sur le plan immanent de la Nature, se définit par des agencements de mouvements et d’affects dans lesquels elle entre, que ces agencements soient artificiels ou naturels.

Ethologie et mode d’existence

     […] Longtemps après Spinoza, des biologistes et des naturalistes essaieront de décrire des mondes animaux définis par les affects et les pouvoirs d’affecter ou d’être affecté. Par exemple, J. von Uexküll le fera pour la tique, animal qui suce le sang des mammifères. Il définira cet animal par trois affects : le premier, de lumière (grimper en haut d’une branche) ; le deuxième, olfactif (se laisser tomber sur le mammifère qui passe sous la branche) ; le troisième calorifique (chercher la région sans poil et plus chaude). Un monde avec trois affects seulement parmi tout ce qui se passe dans la forêt immense. Un seuil optimal et un seuil pessimal dans le pouvoir d’être affecté : la tique repue qui va mourir, et la tique capable de jeûner très longtemps.

De telles études, qui définissent les corps, les animaux ou les hommes, par les affects dont ils sont capables, ont fondé ce qu’on appelle aujourd’hui l’éthologie. Cela vaut pour nous, pour les hommes, pas moins que pour les animaux, parce que personne ne sait d’avance les affects dont il est capable, une longue affaire d’expérimentation, c’est une longue prudence, une sagesse spinoziste qui implique la construction d’un plan d’immanence ou de consistance.

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[…] L’Ethique de Spinoza n’a rien à voir avec une morale, il la conçoit comme une éthologie, c’est-à-dire comme une composition des vitesses et des lenteurs, des pouvoirs d’affecter et d’être affecté sur ce plan d’immanence. Voilà pourquoi Spinoza lance de véritables cris : vous ne savez pas ce dont vous êtes capables, en bon et en mauvais, vous ne savez pas d’avance ce que peut  un corps ou une âme, dans telle rencontre, dans tel agencement, dans telle combinaison.

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L’art de composer ses rapports

     […] L‘éthologie, c’est d’abord l’étude des rapports de vitesse et de lenteur, des pouvoirs d’affecter et d’être affecté qui caractérisent chaque chose. Pour chaque chose, ces rapports et ces pouvoirs ont une amplitude, des seuils (minimum et maximum), des variations ou transformations propres. Et ils sélectionnent dans le monde ou la Nature ce qui correspond à la chose, c’est-à-dire ce qui affecte ou est affecté par la chose, ce qui meut ou est mû par la chose. Par exemple, un animal étant donné, à quoi cet animal est-il indifférent dans le monde infini, à quoi réagit-il positivement ou négativement, quels sont ses aliments, quels sont ses poisons, qu’est-ce qu’il « prend » dans son monde ?

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Tout point a ses contrepoints: la plante et la pluie, l’araignée et la mouche. Jamais donc un animal, une chose, n’est séparable de ses rapports avec le monde : l’intérieur est seulement un extérieur sélectionné, l’extérieur, un intérieur projeté ; la vitesse ou la lenteur des métabolismes, des perceptions, actions et réactions s’enchaînent pour constituer tel individu dans le monde. Et, en second lieu, il y a la manière dont ces rapports de vitesse et de lenteur sont effectués suivant les circonstances, ou ces pouvoirs d’être affecté, remplis. Car ils le sont toujours, mais de manière très différente, suivant que les affects présents menacent la chose (diminuent sa puissance, la ralentissent, la réduisent au minimum), ou la confirment, l’accélèrent et l’augmentent : poison ou nourriture ?

Enfin, l’éthologie étudie les compositions de rapports ou de pouvoirs entre choses différentes. C’est encore un aspect distinct des précédents. Car, précédemment, il s’agissait seulement de savoir comment une chose considérée peut décomposer d’autres choses, en leur donnant un rapport conforme à l’un des siens, ou au contraire comment elle risque d’être décomposée par d’autres choses.

Mais, maintenant, il s’agit de savoir si des rapports (et lesquels ?) peuvent se composer directement pour former un nouveau rapport plus « étendu », ou si des pouvoirs peuvent se composer directement pour constituer un pouvoir, une puissance plus « intense ». Il ne s’agit plus des utilisations ou des captures, mais des sociabilités et communautés.

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Comment des individus se composent-ils pour former un individu supérieur, à l’infini ? Comment un être peut-il en prendre un autre dans son monde, mais en en conservant ou respectant les rapports et le monde propres ? Et à cet égard, par exemple, quels sont les différents types de sociabilité ? Quelle est la différence entre la société des hommes et la communauté des êtres raisonnables ?… Il ne s’agit plus d’un rapport de point à contrepoint, ou de sélection d’un monde, mais d’une symphonie de la Nature, d’une constitution d’un monde de plus en plus large et intense. Dans quel et comment composer les puissances, les vitesses et les lenteurs ?

[…] Plan de composition musicale, plan de la Nature, en tant que celle-ci est l’Individu les plus intenses et le plus ample dont les parties varient d’une infinité de façons. Uexküll un des principaux fondateurs de l’éthologie, est spinoziste lorsqu’il définit d’abord les lignes mélodiques ou les rapports contrapuntiques qui correspondent à chaque chose, puis quand il décrit une symphonie comme unité supérieure immanente qui prend de l’ampleur (« composition naturelle »). Comme le dit Uexküll : « tout organisme est une mélodie qui se chante elle-même ».

Deleuze : A comme Animal

      LAbécédaire de Gilles Deleuze est un film produit et réalisé par Pierre-André Boutang en 1988. Découpé en différents thèmes classés par ordre alphabétique, ce film constitue l’occasion unique de voir et entendre Deleuze discuter de ses idées et concepts en dehors d’un cadre strictement universitaire.

A comme Animal : devenir-animal, mondes animaux, territoires et déterritorialisation, de la production de signes à l’art … A la suite de Spinoza et d’Uëxkull, pour Deleuze: « tout animal a un monde. » Le monde-animal de Deleuze reste étranger, parcouru d’instincts multiples, aux aguets, en quête de territoires et de lignes de fuite. Dès lors devenir-animal propre à l’homme c’est poursuivre son altérité. C’est résister (donc créer) à la bêtise uniforme, c’est redevenir son vivant (nature) propre, homme, femme, enfant, animal, végétal. C’est libérer des puissances de vie.

A Partie 1

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A Partie 2

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A Partie 3

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Les diversités

« On ne remarque pas l’absence d’un inconnu. » Jérôme Lindon

« Human societies now make the choices concerning the allocation of lands, water and other resources which determine which of the diversity of life forms will continue to exist.” Timothy M. Swanson

«  Plus le sentiment de l’unité avec nos contemporains augmente, plus les hommes s’uniformisent, plus aussi ils ressentent sévèrement la moindre différence comme immorale. C’est ainsi que se forme nécessairement le sable humain : tous très semblables, très petits, très arrondis, très accommodants, très ennuyeux […] Un petit sentiment faible et obscur de bien-être médiocre uniformément répandu, une chinoiserie générale améliorée et poussée au bout – serait-ce là l’ultime image de l’humanité ? Inévitablement, si elle persévère dans les voies de la moralité antérieure. Il faut y réfléchir à fond : peut-être faudra-t-il que l’humanité tire un trait sous son passé, peut-être faudra-t-il appliquer à tout homme ce canon nouveau : soit différent de tous les autres et sois heureux que chacun diffère de son voisin.  » Nietzsche 187 La volonté de puissance II

D’après l’Unesco :

  • plus de 50% des 6000 langages présents dans le monde sont en danger d’extinction;
  • 96% des 6000 langages ne sont parlés que par 4% de la population mondiale;
  • 90% des langages ne sont pas représentés sur Internet;
  • en moyenne, un langage disparait toutes les deux semaines.

D’après le Millenium Ecosystem Assessment, environ 60 % des écosystèmes de la planète sont aujourd’hui détruits ou utilisés de manière non durable.

     Notre hypothèse est qu’il existe entre ces deux « compartiments » de la diversité, des échos ou résonances, symptômes communs d’un processus d’uniformisation global. S’il existe moins d’éléments biophysiques, alors il existe moins de possibilités d’agencements (symbiose, alliance, compétition), moins de possibilités de vie, d’où un appauvrissement de la production dans l’immatériel. Autrement dit, les agencements entre les différentes formes constituées déterminent des modes de pensés et de représentation possibles. Parmi ceux-ci émerge alors un mode de « domestification » dominant de la nature, mode qui va conditionner les modes d’existence, des degrés de coexistence et de couplage possibles, c’est à dire les conditions particulières de production de l’immatériel (organisation de la production artistique, artisanale…).

En ce sens, les équilibres écologiques nous renverraient donc aux conditions matérielles de production de l’immatériel. Une époque peut-être vue comme une combinaison de forces particulière (révélée, rencontrées, associées) constituant des corps, des formes singulières (l’homme se combinant aux forces du carbone, de l’atome, du fer…). Extraits de “Pourparlers”, Gilles Deleuze : « [...] C’est que les forces de l’homme ne suffisent pas à elles seules à constituer une forme dominante où l’homme peut se loger. II faut que les forces de l’homme (avoir un entendement, une volonté, une imagination, etc.) se combinent avec d’autres forces [...] La forme qui en découlera ne sera donc pas nécessairement une forme humaine, ce pourra être une forme animale dont l’homme sera seulement un avatar, une forme divine dont il sera le reflet, la forme d’un Dieu unique dont l’homme ne sera que la limitation (ainsi, au XVIIe siècle, l’entendement humain comme limitation d’un entendement infini) [...] C’est dire qu’une forme-Homme n’apparaît que dans des conditions très spéciales et précaires : c’est ce que Foucault analyse, dans Les mots et les choses, comme l’aventure du XIXe siècle, en fonction des nouvelles forces avec lesquelles celles de l’homme se combinent alors. Or tout le monde dit qu’aujourd’hui l’homme entre en rapport avec d’autres forces encore (le cosmos dans l’espace, les particules dans la matière, le silicium dans la machine…) : une nouvelle forme en naît, qui n’est déjà plus celle de l’homme […] »

A partir de là, on ne peut plus se satisfaire de penser isolément la seule écologie environnementale, ie conserver nos schémas de représentation anciens comme Guattari le constatait au début des années 90′:  » […] les formations politiques et les instances exécutives paraissent totalement incapables d’appréhender cette problématique dans l’ensemble de ses implications. Bien qu’ayant récemment amorcé une prise de conscience partielle des dangers les plus voyants qui menacent l’environnement naturel de nos sociétés, elles se contentent généralement d’aborder le domaine des nuisances industrielles et, cela, uniquement dans une perspective technocratique.  » Or la question écologique bouleverse les rapports de l’humain au non humain, de l’humain à l’humain. Ensemble de rapports sur lesquels il convient de changer notre perspective anthropocentrée, projeter notre cosmologie constituant le degré zéro de la pensée des rapports au non humain. Il est donc nécessaire d’articuler les différents « contextes » de l’existence (naturel, social, mental), dans la mesure où  il existe une écologie, comme une biodiversité, tant des espèces immatérielles (idée, œuvre d’art, mode d’existence, …) que matérielles (végétaux, animaux…).

La récente ratification de la convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel sous l’égide de l’UNESCO, faisant écho à la convention sur la biodiversité, semble être un pas important vers la reconnaissance des liens de production unissants les divers patrimoines vivants.

Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel

     Constatant que « beaucoup d’éléments du patrimoine culturel immatériel sont mis en péril par la mondialisation, les politiques uniformisantes et le manque de moyens », la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel est rentrée en vigueur le 20 avril 2006. 

Complètant le dispositif normatif de l’UNESCO pour la préservation du patrimoine matériel, celle-ci vise à sauvegarder le patrimoine culturel immatériel (PCI), patrimoine vivant  »creuset de la diversité culturelle et sa préservation le garant de la créativité permanente de l’homme ». Sur le site dédié de l’Unesco on pourra lire les définitions et axes suivants :

 » [...] Concrètement, le PCI ainsi défini concerne :

  • les traditions et expressions orales, y compris la langue comme vecteur du patrimoine culturel immatériel ;
  • les arts du spectacle (comme la musique, la danse et le théâtre traditionnels) ;
  • les pratiques sociales, rituels et événements festifs ;
  • les connaissances et pratiques concernant la nature et l’univers ;
  • les savoir-faire liés à l’artisanat traditionnel.

En termes plus abstraits, le PCI concerne les pratiques, représentations, expressions, ainsi que les connaissances et savoir-faire que des communautés, les groupes et, le cas échéant, les individus reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel.

Le PCI protégé par la Convention :

  • est transmis de génération en génération ;
  • est recréé en permanence par les communautés et les groupes, en fonction de leur milieu, de leur interaction avec la nature et de leur histoire ;
  • procure aux communautés et aux groupes un sentiment d’identité et de continuité ;
  • contribue à promouvoir le respect de la diversité culturelle et la créativité humaine ;
  • est conforme aux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme ;
  • est conforme aux exigences de respect mutuel entre les communautés et de développement durable.

Le PCI est à la fois traditionnel et vivant. Il est constamment recréé et transmis oralement dans la majorité des cas.

Le dépositaire de ce patrimoine est l’esprit humain, le corps humain étant le principal instrument de sa représentation ou – littéralement – de son incarnation. Les connaissances et le savoir-faire sont souvent partagés par une communauté et les manifestations du patrimoine culturel immatériel sont souvent des événements collectifs.

La Convention parle des communautés et des groupes qui sont les détenteurs des traditions, mais ne précise pas qui ils sont. Les experts gouvernementaux chargés de rédiger le projet de Convention ont insisté à plusieurs reprises sur le caractère ouvert de ces communautés, sur le fait qu’elles peuvent être dominantes ou non, qu’elles ne sont pas nécessairement liées à des territoires spécifiques et qu’une personne peut très bien appartenir à différentes communautés et changer de communauté. En établissant la Liste représentative, la Convention introduit l’idée de « représentativité ». « Représentatif » pourrait signifier, à la fois, représentatif de la créativité de l’homme, du patrimoine culturel des États, mais aussi du patrimoine culturel des communautés qui sont les détenteurs des traditions en question [...] « 

Voir le Préambule de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel

Voir le site internet de la convention

Les rapports entre l’art et la science : les échos et intercesseurs de Deleuze

Les rapports entre l'art et la science : les échos et intercesseurs de Deleuze dans -> CAPTURE de CODES : image0011

« La philosophie peut avoir de grandes batailles intérieures (idéalisme-réalisme, etc.), mais ce sont des batailles pour rire. N’étant pas une puissance, la philosophie ne peut pas engager de bataille avec les puissances, elle mène en revanche une guerre sans bataille, une guérilla contre elles. Et elle ne peut pas parler avec elles, elle n’a rien à leur dire, rien à communiquer, et mène seulement des pourparlers. Comme les puissances ne se contentent pas d’être extérieures, mais aussi passent en chacun de nous, c’est chacun de nous qui se trouve sans cesse en pourparlers et en guérilla avec lui-même, grâce à la philosophie. »
Editeur : Minuit (22 août 2003)

     Pourparlers compile quelques entretiens du philosophe Gilles Deleuze (période 1972 à 1990), textes parmi lesquels on peut trouver plusieurs lignes de réflexion autour de la complexe question des rapports entre la philosophie, l’art et la science. L’extrait suivant donne ainsi à voir quelques points d’ancrage importants à ceux qui souhaiteraient impulser l’idée que l’art est une chance de développement et de transmission douce des savoirs issus de l’écologie scientifique.

« […] Ce qui m’intéresse, ce sont les rapports entre les arts, la science et la philosophie. Il n’y a aucun privilège d’une de ces disciplines sur une autre. Chacune d’entre elles est créatrice. Le véritable objet de la science, c’est de créer des fonctions, le véritable objet de l’art, c’est de créer des agrégats sensibles et l’objet de la philosophie, créer concepts.

A partir de là, si l’on se donne ces grosses rubriques, aussi sommaires soient-elles : fonction, agrégat, concept, on peut formuler la question des échos et des résonances entre elles. Comment est-il possible que, sur des lignes complètement différentes, avec des rythmes et des mouvements de production complètement différents, comment est-il possible qu’un concept, un agrégat et une fonction se rencontrent ?

Premier exemple : il y a, en mathématiques, un type d’espace appelé espace riemannien. Mathématiquement très bien défini, en rapport avec des fonctions, ce type d’espace implique la constitution de petits morceaux voisins dont le raccordement peut se faire d’une infinité de manières et cela a permis, entre autres, la théorie de la relativité. Maintenant, si je prends le cinéma moderne, je constate qu’après la guerre apparaît un type d’espace qui procède par voisinages, les connections d’un petit morceau avec un autre se faisant d’une infinité de manières possibles et n’étant pas prédéterminées. Ce sont des espaces déconnectés. Si je dis : c’est un espace riemannien, ça a l’air facile et pourtant c’est exact d’une certaine manière, il ne s’agit pas de dire : le cinéma fait ce que Riemann a fait. Mais, si l’on prend uniquement cette détermination de l’espace voisinages raccordés d’une infinité de manières possibles, voisinages visuels et sonores raccordés de manière tactile, alors, c’est un espace de Bresson. Alors, bien sûr, Bresson n’est pas Riemann, mais il fait dans le cinéma la même chose qui s’est produite en mathématiques et il y a écho.

Un autre exemple : il y a dans la physique quelque chose qui m’intéresse beaucoup, qui a été analysé par Prigogine et Stengers, et qu’on appelle « transformation du boulanger. On prend un carré, on l’étire en rectangle, on coupe le rectangle en deux, on rabat une partie du rectangle sur l’autre, on modifie constamment le carré en le réétirant, c’est l’opération du pétrin. Au bout d’un certain nombre de transformations, deux points, si rapprochés soient-ils dans le carré originel, se trouveront fatalement dans deux moitiés opposées. Ça donne l’objet de tout un calcul et Prigogine, en fonction de sa physique probabilitaire, y attache une grande importance. Là-dessus, je passe à Resnais. Dans son film Je t’aime, je t’aime on voit un héros qui est reporté à un instant : sa vie et cet instant va être pris dans des ensembles différents à chaque fois Comme des nappes qui vont être perpétuellement brassées, modifiées, redistribuées, de telle façon que ce qui est proche sur une nappe va être au contraire très distant sur autre. C’est une conception du temps très frappante, très curieuse cinématographiquement et qui fait écho à la « transformation du boulanger ».

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[…] Du coup, la philosophie, l’art et la science entrent dans des rapports de résonance mutuels et dans des rapports d’échange, mais, à chaque fois, pour des raisons intrinsèques. C’est en fonction de leur évolution propre qu’ils percutent l’un dans l’autre. Alors, dans ce sens, il bien considérer la philosophie, l’art et la science comme des espèces de lignes mélodiques étrangères les unes autres et qui ne cessent pas d’interférer. La philosophie n’ayant, là-dedans, aucun pseudo-primat de réflexion, et dès lors aucune infériorité de création. Créer des concepts, c’est non moins difficile que de créer de nouvelles combinaisons visuelles, sonores, ou créer des fonctions scientifiques. Ce qu’il faut voir, c’est que les interférences entre lignes ne relèvent pas de la surveillance ou de la réflexion mutuelle. Une discipline qui se donnerait pour mission de suivre un mouvement créatif venu d’ailleurs abandonnerait elle-même tout rôle créateur. L’important n’a jamais été d’accompagne le mouvement du voisin, mais de faire son propre mouvement. Si personne ne commence, personne ne bouge. Les interférences ce n’est pas non plus de l’échange : tout se fait par don ou capture.

Ce qui est essentiel, c’est les intercesseurs. La création, c’est les intercesseurs. Sans eux il n’y a pas d’œuvre. Ça peut être des gens — pour un philosophe, des artistes ou des savants, pour un savant, des philosophes ou des artistes — mais aussi des choses, des plantes, des animaux même, comme dans Castaneda. Fictifs ou réels, animés ou inanimés, il faut fabriquer ses intercesseurs.

C’est une série. Si on ne forme pas une série, même complètement imaginaire, on est perdu. J’ai besoin de mes intercesseurs pour m’exprimer, et eux ne s’exprimeraient jamais sans moi : on travaille toujours a plusieurs, même quand ça ne se voit pas. A plus forte raison quand c’est visible : Félix Guattari et moi, nous sommes  intercesseurs l’un de l’autre.

La fabrication des intercesseurs à l’intérieur d’une communauté apparaît bien chez le cinéaste canadien Pierre Perrault : je me suis donné des intercesseurs, et c’est comme ça que je peux dire ce que j’ai â dire. Perrault pense que, s’il parle tout seul, même s’il invente des fictions, tiendra forcément un discours d’intellectuel, il ne pourra pas échapper au « discours du maître ou du colonisateur », un discours préétabli. Ce qu’il faut, c’est saisir quelqu’un d’autre en train de « légender », en « flagrant délit de légender »…Alors se forme, à deux ou à plusieurs, un discours de minorité. On retrouve ici la fonction de fabulation bergsonienne… Prendre les gens en flagrant délit de légender, c’est saisir le mouvement de constitution d’un peuple. Les peuples ne préexistent pas.

[…] Cette idée que la vérité, ce n’est pas quelque chose qui préexiste, qui est à découvrir mais qu’elle est à créer dans chaque domaine, c’est évident, par exemple dans les sciences. Même en physique, il n’y a pas de vérité qui ne suppose un système symbolique, ne serait-ce que des coordonnées. Il n’y a pas de vérité qui ne « fausse » des idées préétablies. Dire « la vérité est une création » implique que la production de vérité passe par une série d’opérations qui consistent à travailler une matière, une série de falsifications à la lettre. Mon travail avec Guattari : chacun est le faussaire de l’autre, ce qui veut dire que chacun comprend à sa manière la notion proposée par l’autre. Se forme une série réfléchie, à deux termes. N’est pas exclue une série à plusieurs termes, ou des séries compliquées, avec bifurcations. Ces puissances du faux qui vont produire du vrai, c’est ça les intercesseurs […] »

http://www.dailymotion.com/video/x3wsaw

Un agencement Spinoza-Deleuze-Ecologie ?

     A ceux qui pourraient s’étonner de retrouver les traces de Spinoza disséminées un peu partout sur un blog consacré à l’écologie, il est peut-être utile de préciser le point de vue. A la lecture de l’Ethique, tout homme s’étant amusé à pratiquer quelque peu la chimie amusante ne pourra que sentir les résonnances avec cet « art des antidotes et des poisons » qu’est là chimie selon Nietzsche.

De la nature des corps en tant que composition caractéristique de rapport de décomposition et de recomposition entre parties, de la bonne à la mauvaise rencontre, tout cela sonne véritablement très chimique. Or cette chimie de base devient sous la plume de Spinoza l’occasion de constituer de véritables modes d’existence.

http://www.dailymotion.com/video/69JVCErySjVnobAuw 
Extraits audios d’après la voix de Gilles Deleuze en ligne, cours sur Spinoza

     Par la connaissance du bon (un corps dont les rapports se composent avec le mien me procure de la joie) et du mauvais (un corps dont les rapports décomposent les miens me procure de la tristesse), je suis capable d’organiser raisonnablement, selon ma convenance ou utile propre, mes rencontres de sorte à ne plus vivre au hasard de celles-ci. La connaissance des rapports, voilà ce que Spinoza appelle le second genre de connaissance.

Or cet art véritable de la composition des rapports, c’est précisément ce qui pourrait faire de Spinoza un formidable précurseur de notre écologie contemporaine. Tout du moins une source d’inspiration de la plus grande importance, une fois dit que cette dernière prétend bien à la connaissance des rapports reliant les différents éléments de la nature.

Pour Spinoza, la nature est à chaque instant un ensemble infini de capture de particules, de recomposition et décomposition de rapport entre différentes parties dont l’homme constitue un ensemble tendant à persévérer dans son être. Du fait que ce dernier ne soit pas un empire dans un empire, toute distinction entre naturel et artificiel ne peut relever que de l’ordre de l’imaginaire et des idées confuses.

L’esprit humain n’étant que la perception finie de son corps, une idée confuse de l’esprit correspond à une connaissance, séparée de sa cause réelle, de l’effet d’un corps étranger sur le mien. C’est-à-dire qu’une idée confuse ne m’apprend rien sur les rapports caractéristiques du corps qui se compose au mien. Ainsi privé de cette connaissance, je ne peux organiser mes rencontres de sorte à augmenter mon sentiment vécu (affect) de joie.

Scholie de la proposition  XXXV, Ethique 2 : « De même, quand nous contemplons le soleil, nous nous imaginons qu’il est éloigné de nous d’environ deux cents pieds. Or, cette erreur ne consiste point dans le seul fait d’imaginer une pareille distance ; elle consiste en ce que, au moment où nous l’imaginons, nous ignorons la distance véritable et la cause de celle que nous imaginons. Plus tard, en effet, quoique nous sachions que le soleil est éloigné de nous de plus de six cents diamètres terrestres, nous n’en continuons pas moins à l’imaginer tout près de nous, parce que la cause qui nous fait imaginer cette proximité, ce n’est point que nous ignorions la véritable distance du soleil, mais c’est que l’affection de notre corps n’enveloppe l’essence du soleil qu’en tant que notre corps lui-même est affecté par le soleil. »

     « Ah maman la vague m’a battu ! » Deleuze résumait ainsi le cri du premier genre de connaissance, le cri de l’idée inadéquate empêchant la composition des rapports de son corps d’avec ceux de la vague. A contrario, le bon nageur est quant à lui dans le second genre de connaissance, connaissance des rapports caractéristiques de la vague avec lesquels il se combine, pleine cause des affections de son corps.  Il est ainsi capable de former une idée adéquate, donc de l’ordre des causes dans l’action de nager.

Au final, on est toujours capable de ceci ou de cela (mode d’existence) en fonction des idées qu’on a. Or les idées qu’on a impliquent et enveloppent des affects de joie ou de tristesse. Lorsque vous formez l’idée adéquate de l’effet d’un corps sur le votre, ce qui ne cesse d’être la règle dans la Nature, vous êtes capable de composer avec ce corps de sorte à gagner de la puissance (à persister dans votre être, affect de joie) ou à éviter ce corps de sorte à éviter de perdre de la puissance (affect tristesse), si ce corps est un poison. C’est la connaissance de d’utile propre, de la convenance des corps avec le mien.

Chez Spinoza, toute mort vient du dehors. C’est-à-dire que tôt ou tard votre corps est confronté à une puissance supérieure qui va décomposer son rapport caractéristique, l’organisation de ses parties, ou ce que Spinoza appelle l’ensemble des rapports de vitesse et de lenteur qui composent un corps, ici sous la forme homme. Cette puissance du dehors va capturer certaines de vos parties (extrinsèques dira Deleuze) pour les combiner aux siennes. C’est le fameux exemple de l’arsenic où ce dernier détruit certains des rapports caractéristiques du sang pour les recomposer selon ses propres lois. Le sang étant l’un de mes rapports caractéristique en tant que mammifère homme, si l’arsenic est joyeux, moi je suis infiniment triste, je suis mort.

La lettre 5 de la correspondance entre Spinoza et Henri Oldenburg illustre assez bien cette joyeuse « chimie » spinoziste.

     « Monsieur,

[…] Vous me demandez mon sentiment sur cette question : Comment chaque partie de la nature s’accorde-t-elle avec le tout, et quel est le lien qui l’unit aux autres parties ? Je suppose que vous entendez par là me demander les raisons qui nous assurent en général que chaque partie de la nature est d’accord avec le tout et unie avec les autres parties. Car pour dire de quelle façon précise sont unies les parties de l’univers et comment chaque partie s’accorde avec le tout, c’est ce dont je suis incapable, comme je vous le disais tout récemment, vu qu’il faudrait pour cela connaître toute la nature et toutes ses parties. Je me bornerai donc à vous dire la raison qui m’a forcé d’admettre l’accord des parties de l’univers ; mais je vous préviens d’avance que je n’attribue à la nature ni beauté ni laideur, ni ordre ni confusion, convaincu que je suis que les choses ne sont belles ou laides, ordonnées ou confuses, qu’au regard de notre imagination.

Par l’union des parties de l’univers, je n’entends donc rien autre chose sinon que les lois ou la nature d’une certaine partie s’accordent avec les lois ou la nature d’une autre partie, de telle façon qu’elles se contrarient le moins possible. Voici maintenant ce que j’entends par le tout et les parties : je dis qu’un certain nombre de choses sont les parties d’un tout, en tant que la nature de chacune d’elles s’accommode à celle des autres, de façon à ce qu’elles s’accordent toutes ensemble, autant que possible. Au contraire, en tant qu’elles ne s’accordent pas, chacune d’elles forme dans notre âme une idée distincte, et dès lors elle n’est plus une partie, mais un tout. Par exemple, quand les mouvements des parties de la lymphe, du chyle, etc., se combinent, suivant les rapports de grandeur et de figure de ces parties, de façon qu’elles s’accordent ensemble parfaitement, et constituent par leur union un seul et même fluide, le chyle, la lymphe, etc., considérés sous ce point de vue, sont des parties du sang. Mais si l’on vient à concevoir les particules de la lymphe comme différant de celles du chyle sous le rapport du mouvement et de la figure, alors la lymphe n’est plus une partie du sang, mais un tout.

Imaginez, je vous prie, qu’un petit ver vive dans le sang, que sa vue soit assez perçante pour discerner les particules du sang, de la lymphe, etc., et son intelligence assez subtile pour observer suivant quelle loi chaque particule, à la rencontre d’une autre particule, rebrousse chemin ou lui communique une partie de son mouvement, etc., ce petit ver vivrait dans le sang comme nous vivons dans une certaine partie de l’univers ; il considérerait chaque particule du sang, non comme une partie, mais comme un tout, et il ne pourrait savoir par quelle loi la nature universelle du sang en règle toutes les parties et les force, en vertu d’une nécessité inhérente à son être, de se combiner entre elles de façon à ce qu’elles s’accordent toutes ensemble suivant un rapport déterminé. Car, si nous supposons qu’il n’existe hors de ce petit univers aucune cause capable de communiquer au sang des mouvements nouveaux, ni aucun autre espace, ni aucun autre corps auquel le sang puisse communiquer son mouvement, il est certain que le sang restera toujours dans le même état et que ses particules ne souffriront aucun autre changement que ceux qui se peuvent concevoir par les rapports de mouvement qui existent entre la lymphe, le chyle, etc., et de cette façon le sang devra toujours être considéré, non comme une partie, mais comme un tout. Mais comme il existe en réalité beaucoup d’autres causes qui modifient les lois de la nature du sang et sont à leur tour modifiées par elles, il arrive que d’autres mouvements, d’autres changements se produisent dans le sang, lesquels résultent, non pas du seul rapport du mouvement de ses parties entre elles, mais du rapport du mouvement du sang au mouvement des choses extérieures ; et de cette façon, le sang joue le rôle d’une partie et non celui d’un tout.

Je dis maintenant que tous les corps de la nature peuvent et doivent être conçus comme nous venons de concevoir cette masse de sang, puisque tous les corps sont environnés par d’autres corps, et se déterminent les uns les autres à l’existence et à l’action suivant une certaine loi 2, le même rapport du mouvement au repos se conservant toujours dans tous les corps pris ensemble, c’est-à-dire dans l’univers tout entier ; d’où il suit que tout corps, en tant qu’il existe d’une certaine façon déterminée, doit être considéré comme une partie de l’univers, s’accorder avec le tout et être uni à toutes les autres parties. Et comme la nature de l’univers n’est pas limitée comme celle du sang, mais absolument infinie, toutes ses parties doivent être modifiées d’une infinité de façons et souffrir une infinité de changements en vertu de la puissance infinie qui est en elle. Mais l’union la plus étroite que je conçoive entre les parties de l’univers, c’est leur union sous le rapport de la substance. Car j’ai essayé de démontrer, comme je vous l’ai dit autrefois dans la première lettre que je vous écrivais, me trouvant encore à Rheinburg, que la substance étant infinie de son essence, chaque partie de la substance corporelle appartient à la nature de cette substance et ne peut exister ni être conçue sans elle.

Vous voyez, Monsieur, pour quelle raison et dans quel sens je pense que le corps humain est une partie de la nature. Quant à l’âme humaine, je crois qu’elle en est aussi une partie ; car il existe, selon moi, dans la nature, une puissance de penser infinie, laquelle, en tant qu’infinie, contient en soi objectivement la nature tout entière et dont les différentes pensées s’ordonnent conformément à une loi générale, la loi de la pensée ou des idées. L’âme humaine, selon moi, c’est cette même puissance dont je viens de parler, non pas en tant qu’elle est infinie et perçoit toute la nature, mais en tant qu’elle est finie, c’est-à-dire en tant qu’elle perçoit seulement le corps humain ; et sous ce point de vue, je dis que l’âme humaine est une partie d’une intelligence infinie […] »

Analyse et synthèse, les méthodes de Descartes à Spinoza

Deleuze

      Notre esprit parvient à la connaissance à l’aide des deux principaux « mouvements » que sont l’induction et la déduction. Ceux si se combinant par suite afin de composer diverses méthodes d’accès à la connaissance.

  • Avec l’induction, nous nous élevons à la connaissance des lois générales pour aboutir à une synthèse, à la recomposition des faits (adaptée à la découverte, aux sciences physiques et naturelles).

  • Avec la déduction, nous descendons du général au particulier pour aboutir à une décomposition, à une analyse qui  distingue l’objet de tous ceux qui l’entourent (adaptée à l’enseignement, aux mathématiques et à la philosophie).

Dans le chapitre intitulé Spinoza contre Descartes de son ouvrage « Spinoza et le problème de l’expression », Gilles Deleuze revient sur cette opposition entre analyse et synthèse, déduction et induction, de la cause vers l’effet, de l’effet vers la cause. Extraits.

René Descartes par Frans Hals.

« Descartes […] dit que la méthode analytique a le mérite de nous faire voir comment les effets dépendent des causes […] nous avons une connaissais claire et distincte d’un effet avant d’avoir une connaissance claire et distincte de la cause. Par  exemple, je sais que j’existe comme être pensant avant de connaître la cause par laquelle j’existe […] La connaissance claire et distincte de l’effet suppose donc une connaissance confuse de la cause, mais en aucun cas ne dépend d’une connaissance plus parfaite de la cause. Au contraire, c’est la connaissance claire et distincte de la cause qui dépend de la connaissance claire et distincte de l’effet […] Chez Descartes, donc, deux thèmes sont fondamentalement liés : la suffisance théorique de l’idée claire et distincte, la possibilité pratique d’aller d’une connaissance claire et distincte de l’effet à une connaissance claire et distincte de la cause.

Portrait de 1665 tiré de la Herzog-August-Bibliothek

« […] Spinoza ne croit pas à la suffisance du clair et du distinct, parce qu’il ne croit pas qu’on puisse de manière satisfaisante aller d’une connaissance de l’effet à une connaissance de la cause. Il ne suffit pas d’une idée claire et distincte, il faut aller jusqu’à l’idée adéquate. C’est-à-dire : il ne suffit pas de montrer comment les effets dépendent des causes, il faut montrer comment la connaissance vraie de l’effet dépend elle-même de la connaissance de la cause. Telle est la définition de la méthode synthétique […] »

« […] Descartes veut dire : la méthode synthétique prétend toujours connaître par la cause, mais elle n’y réussit pas toujours. L’objection fondamentale est la suivante : comment la cause elle-même serait-elle connue ? […] La thèse de Descartes se présente donc ainsi : la méthode synthétique a une ambition démesurée, mais elle ne nous donne aucun moyen de connaître les causes réelles. En fait, elle part d’une connaissance confuse de l’effet, et s’élève [induction] à des abstraits qu’elle nous présente à tort comme des causes. C’est pourquoi, malgré ses prétentions, elle se contente d’examiner les causes par les effets. La méthode analytique, au contraire, est d’intention plus modeste. Mais, parce qu’elle dégage d’abord une perception claire et distincte de l’effet, elle nous donne le moyen d’inférer [tirer une conclusion d'une proposition ou d'un fait] de cette perception une connaissance véritable de la cause ; c’est pourquoi elle est apte à montrer comment les effets eux-mêmes dépendent des causes. »

« La méthode synthétique n’est donc légitime qu’à une condition : quand elle n’est pas livrée à elle-même, quand elle vient après la méthode analytique, quand elle s’appuie sur une connaissance préalable des causes réelles. La méthode, synthétique ne nous fait rien connaître par elle-même, elle n’est pas une méthode d’invention ; elle trouve son utilité dans l’exposition de la connaissance, dans l’exposition de ce qui est déjà inventé […] Le seul problème est donc de savoir si la méthode synthétique est capable, d’abord et par elle-même, de nous faire connaître les principes qu’elle suppose. »

Synthèse soustractive

« […] Quelle est la vraie méthode du point de vue de la connaissance ? Alors l’anti cartésianisme de Spinoza se manifeste pleinement : selon Spinoza, la méthode synthétique est la seule méthode d’invention véritable, la seule méthode qui vaille dans l’ordre de la connaissance. Or, une telle position n’est tenable que si Spinoza estime avoir les moyens, non seulement de retourner les objections de Descartes »

« […] Dans le Traité de la réforme, Spinoza groupe […] deux procédés très divers, dont il dénonce l’insuffisance. Le premier consiste à inférer [induction] une cause à partir d’un effet clairement perçu : on reconnaît ici la méthode analytique de Descartes […] le second consiste à  tirer une conclusion d’un universel qui est toujours accompagné d’une certaine propriété, on reconnaît la méthode synthétique d’Aristote, son processus déductif à partir du moyen-terme conçu comme caractère spécifique. »

« […] C’est donc le parallélisme [du corps et de la pensée selon le principe d’une seule substance pour tous les attributs] qui donne à Spinoza le moyen de dépasser les difficultés de [la synthèse aristotélicienne]. La cause formelle d’une idée n’est jamais un universel abstrait. Les universaux, genres ou espèces, renvoient bien à une puissance d’imaginer, mais cette puissance diminue au fur et à mesure que nous comprenons plus de choses. La cause formelle de l’idée vraie, c’est notre puissance de comprendre ; et plus nous comprenons de choses, moins nous formons ces fictions de genres et d’espèces. Si Aristote identifie la cause formelle avec l’universel spécifique, c’est-parce qu’il en reste au plus bas degré de la puissance de penser, sans découvrir les lois qui permettent à celle-ci d’aller d’un être réel à un autre réel sans passer par les choses abstraites. D’autre part, la cause matérielle d’une idée n’est pas une perception sensible confuse : une idée de chose particulière trouve toujours sa cause dans une autre idée de chose particulière déterminée à la produire […] »

« Sous son premier aspect, la méthode synthétique est réflexive, c’est- à dire nous fait connaître notre puissance de comprendre. Il est vrai aussi que la méthode synthétique forge ou feint une cause en fonction d’un effet ; mais loin d’y voir de contradiction, nous devons reconnaître ici le minimum de régression qui nous permet, le plus vite possible, d’atteindre à l’idée de Dieu comme à la source de toutes les autres idées. Sous ce second aspect, la méthode est constructive ou génétique […] les idées qui découlent de l’idée de Dieu sont des idées d’êtres réels : leur production est en même temps la déduction du réel, la forme et la matière du vrai s’identifient dans l’enchaînement [ordre] des idées. La méthode, sous ce troisième aspect, est déductive. Réflexion, genèse et déduction, ces trois moments constituent tous ensemble la méthode synthétique [de Spinoza] »

Voir sur le web : http://www.cosmovisions.com/methode.htm

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