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Trajectoires… pris que nous sommes dans une nature fourmillante, évoquons la technique de soi, le modèle de composition/construction du surfeur. Ce mode d’existence qui s’insère par le milieu des choses, qui chercher à additionner sa puissance à celle de la vague, peut éclairer notre mode d’écoute au monde, renseigner notre rengaine du mais par où commencer ?
D’après la proposition IV de l’Ethique IV, il y a nécessité à composer ses rapports avec les corps extérieurs du fait de l’irréductible extériorité des affects-passions (sentiments) qui nous remplissent: « Il est impossible que l’homme ne soit pas une partie de la nature, et qu’il ne puisse souffrir d’autres changements que ceux qui se peuvent concevoir par sa seule nature et dont il est la cause adéquate. »
D’où le corollaire de cette même proposition: « Il suit de là que l’homme est nécessairement toujours soumis aux [affects] passions (sentiment), qu’il suit l’ordre commun de la nature et y obéit et s’y accommode, autant que la nature des choses l’exige. »
Qui plus est, Ethique IV, proposition V : « La force et l’accroissement de telle ou telle affect-passion (sentiment) et le degré où elle persévère dans l’existence ne se mesurent point par la puissance avec laquelle nous faisons effort pour persévérer dans l’existence, mais par le rapport de la puissance de telle ou telle cause extérieure avec notre puissance propre. »
L’homme et la vague, l’homme et le camion, l’homme et l’eau etc etc… c’est à dire le rapport de puissance qui fait qu’un corps va décomposer les rapports caractéristiques de l’autre dans l’évènement que constitue leur rencontre. Capture de parties extrinsèques et modification de rapports caractéristiques, voilà quelques bases d’une chimie spinoziste.
Dans la nature, nous sommes donc condamnés aux rencontres, aux affects-passions du fait de l’effet des corps étrangers sur le notre, du fait que nous formons des idées inadéquates, c’est à dire limitées aux effets de ces corps sur le notre. Je marche dans la rue et je me (dé)compose avec tous les corps existants de la rue.
D’après Ethique III, définitions générales, une idée enveloppe un affect en tant que celui-ci est une transition vécue. Un passage déterminé par le degré de perfection d’une idée à l’autre, mais qui n’est donc pas une idée au sens où celles-ci ne sont jamais porteuses en elles-mêmes des conséquences de leur affirmation en nous-même. D’où la définition de l’affect suivante : une variation (+ ou -) continue (ligne mélodique) de la puissance d’agir ou de la force d’exister de quelqu’un en fonction du degré de perfection des idées qu’il a (cf. III 56 et III déf.2). Plus = joie, moins = tristesse.
Ainsi, pour Spinoza, selon les degrés de perfection des idées, on définira donc un genre de connaissance (connaissance = auto-affirmation de l’idée en moi) duquel découle un certain mode d’existence fonction des affects dont on est capable en fonction des idées qu’on a.
Idée inadéquate ou idée affection (barboter) : le premier genre de connaissance, la connaissance « sensible » par les effets des rencontres. Soit le mode d’existence passif où « je vis au hasard des rencontres et des chocs extérieurs ». C’est le monde des perceptions confuses, des signes équivoques dont il ne peut découler que des affects passions du genre: « Ah maman la vague m’a battu ! ». Connaissance mutilée.
Idée notion ou commune (surfer) : le deuxième genre de connaissance, la connaissance par les causes. Soit le mode d’existence actif où « je connais les rapports de convenance et disconvenance entre les corps et où je choisis les bonnes rencontres ». C’est le monde des expressions univoques dont il découle des affects actions du genre: »Je sais nager ». Connaissance rationnelle.
Idée essence ou « intuitive » : le troisième genre de connaissance, la connaissance par les essences singulières dont les rapports dépendent. Soit le mode d’existence auto-actif où je suis la cause de ce qui m’arrive. Où je suis en « béatitude » dans la mesure où le degré de puissance qu’est mon essence prend conscience de lui-même et des autres degrés de puissance. Il en découle des auto-affects. Connaissance intuitive, soit celle qui fait l’économie du raisonnement.
D’après Ethique II, axiome 3, l’idée est un mode de pensée qui représente quelque chose (l’effet d’un corps sur le mien), l’affect un mode de pensée qui ne représente rien, comme le fait de désirer quelque chose (persévérer dans son être). Si nous avons donc un primat chronologique et logique de l’idée sur l’affect dès lors que pour désirer quelque chose il est nécessaire d’avoir une idée de cette même chose, nous avons cependant un primat « existentiel » de l’affect sur l’idée ou la raison dans la mesure où d’après Ethique IV, proposition VII: « Une passion (sentiment) ne peut être empêchée ou détruite que par une passion contraire et plus forte. » Autrement dit, j’ai beau savoir que ceci ou cela est mauvais pour moi, tant que cette connaissance ne devient pas affect, elle est sans effet sur mon désir, et par exemple, je continue à fumer.
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Pour paraphraser Deleuze, c’est là où la philosophie devient quelque chose de très concret. Car comment s’en sortir une fois dit que nous sommes condamnés aux rencontres et aux idées inadéquates nées de celles-ci ? Alors prendre un point de départ local sur une joie à condition qu’on sente qu’elle nous concerne vraiment (utile propre). Une musique par exemple. Là-dessus on forme la notion commune, c’est à dire l’idée adéquate d’un corps qui fait présenter son âme ou son corps sous le rapport qui se compose le plus directement avec le rapport de cet autre de la rencontre. Là-dessus, on essaie de gagner localement pour étendre cette joie.
Deleuze : » Le point de départ c’est l’idée de la notion commune et l’affect de joie, c’est l’effet recherché, c’est le mouvement d’intensité dans lequel on cherche à se glisser, comme le surfeur sur sa vague, pour arriver à une idée dont le degré de perfection sera plus grand. » A partir delà on va pouvoir doubler ou remplacer les affects-passions tristes, mais sans jamais s’appuyer dessus. Nous n’avons rien à faire avec la tristesse, elle n’est jamais un tremplin vers quoi que ce soit.
Arts d’existence, souci ou technique de soi. Poser l’expérience. Marcher dans le désordre apparent de la rue, aller à la rencontre. Allumer une musique qui nous atteint joyeusement, garder son attention sur le dehors, surfer sur cette joie de la rencontre musicale, rester présent au dehors, accroître sa puissance d’agir en développant cet agencement, rester souple…surfer. Et d’un coup les couleurs changent. Ma puissance n’est plus seule, elle s’additionne, elle prend appui. Remplacer la musique par autre chose…continuer à tester le surf. Construire ses agencements, préparer ses rencontres.
« Par réalité et perfection j’entends la même chose. » Ethique II, proposition VI.
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« Le désir n’a pas pour objet des personnes ou des choses, mais des milieux tout entiers qu’il parcourt, des vibrations et flux de toute nature qu’il épouse. »
Gilles Deleuze et Félix Guattari, L’Anti-Œdipe.