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Viser une science encore manquante, urgent de prendre le temps ?

 Viser une science encore manquante, urgent de prendre le temps ? dans Charles Fourrier sanstitre380

« On se cogne à notre rationalité limitée face à la complexité du monde mais surtout au toujours difficile changement de paradigme et d’idéologie. Le risque est que cela nourrisse tous les obscurantismes, les convictions intimes, la simple intuition même ou le sentimentalisme alors que nous avons besoin d’une rationalité supérieure (plus prudente), de la construction d’une intelligence collective et d’une véritable démocratie cognitive, que nous devrions commencer à construire entre nous au moins… »  

Citation introductive de Jean Zin, très spinoziste en l’occasion. De manière complémentaire, peut-être pouvons nous illustrer ces « convictions intimes, la simple intuition même ou le sentimentalisme » à partir d’un commentaire de  Chantal Jaquet[1]à propos de l’Ethique de Spinoza. En substance, nous croyons que les choses sont bonnes ou mauvaises en elles-mêmes, or les concepts de bon et de mauvais que nous formons ne font que décrire les rapports entre les choses et nous. C’est-à-dire la manière dont elles nous affectent. Bon ou mauvais décrivent l’histoire de notre rencontre avec le monde, mais ne sont en aucun cas l’expression des propriétés de ce monde.

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Le monde n’est pas transparent, le savoir n’est pas donné. Ceci étant dit et répété tant il est curieux de constater notre manque du premier des principes de précaution : le savoir comme produit de son temps.

Notre urgence écologique de la mesure universelle fait l’économie de l’histoire… Pour nous, la terre va mal, les écosystèmes naturels vont mal. Pour être capable de dire ça, nous évaluons des signes, qualifions et interprétons un ensemble de perceptions et de mesures issues de  notre appareillage scientifique, lui-même producteur et produit de nos systèmes de valeurs. Si les signes de tension se multiplient, que dire de l’observateur objet d’étude délaissé en la matière ? Que dire de nous, hommes, de notre écologie mentale et de ses productions actuelles (concept, affect, percept and so on) ? Le savoir comme produit de son temps.

 « Voilà la loi que je propose: quiconque aura corrompu l’eau d’autrui, eau de source ou eau de pluie ramassée, en y jetant certaines drogues, ou l’aura détournée en creusant, ou enfin dérobée, le propriétaire portera sa plainte devant les astronomes et fera lui-même l’estimation du dommage. Et celui qui sera convaincu d’avoir corrompu l’eau, outre la réparation du dommage, sera tenu de nettoyer la source ou le réservoir conformément aux règles prescrites par les interprètes, suivant l’exigence des cas ou des personnes. » Platon, Les lois, livre VII 400 a. JC

400 a. JC, au moins dira-t-on du principe pollueur/payeur. Aujourd’hui nous réinventons bien des roues sans racine ni aile, nous produisons beaucoup de neuf prêt-à-penser en déshabillant nos anciens. Un nouveau plan Marshall est à l’étude, son projet, circonscrire les fils de l’ordre du nouveau propre sur projet unique: réparer les erreurs de leurs sales et vieux de pères. Heureusement pour les familles, c’est l’image désarticulée d’un Descartes de supermarché (le concepteur de tous les murs de l’histoire) qui récoltera colères et crachats de tous. 

De la pomme au CO2, il n’y a pas à dire, Adam a fait un sacré chemin ! De prescriptions en presciptions les idées tournent et reviennent sur elles-mêmes. Le retour du même oublié, mais interrogé autrement. Ce qui dit en passant ne préfigure en rien de la qualité, comme de la nouveauté des interrogations en question. Sauf bien entendu à croire en une certaine linéarité du progrès, tout en la dénonçant par ailleurs.

Deux articles rencontrés sur le web viennent faire quelques échos. Chacun à leur manière illustrent de la nécessité fondamentale qu’aurait tout savoir dans l’enfance à se penser contre lui-même, contre ses tentations isolationnistes. Ne pas se figer dans des objets d’étude préconstitués en prétextant de l’urgence, préserver la complexité en pariant sur la lucidité de son auditoire. Pour l’écologie, cela passe notamment par un dialogue constant avec l’ensemble des sciences sociales en tant qu’ouverture préservée sur le dehors, en tant que non exclusion de la question de l’homme. Appel que nous avions tenté de formuler dans une note précédente.

Le premier article de Martine Tabeaud concerne la construction de l’objet d’étude qu’est le climat. Comment et pourquoi la question climatique revient-elle ? Faute d’histoire ou d’archéologie, nous nous accordons pour disserter des conséquences du dérèglement d’un objet sans même interroger ce dont quoi nous parlons. Ainsi, tout ne peut-être que nouveau!

« La decouverte (recente) du fait que la Terre est finie montre que la croissance illimitee de la consommation de ressources non renouvelables est strictement impossible. » Une autre croissance, Les Echos, 04/01/07, par Alain Grandjean, Patrick Criqui et Jean-Marc Jancovici.

Ne reprenant ici que l’introduction et la conclusion de l’article d’utilité publique de Martine Tabeaud, son intégralité est disponible à cette adresse.

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« Concordance des temps », de Le Verrier à Al Gore par Martine Tabeaud, EspacesTemps.net, Actuel, 18.02.2008

Introduction

 » Le climat redevient un objet géopolitique avec le « réchauffement planétaire » : de nombreux articles ou ouvrages postérieurs aux années 1980 l’attestent. L’étonnant, dans cette manière de voir est cependant qu’elle n’est guère nouvelle. D’un siècle à l’autre, tout a été expliqué par le climat : la diversité des hommes, celle des paysages, des civilisations, la marche de l’histoire depuis les migrations jusqu’aux révoltes, etc. Un lien fort existe, dans de nombreuses sociétés, entre ceux qui « comprenaient le climat » et ceux qui possédaient le pouvoir. En témoignent les religions où les dieux, situés dans le ciel, parlent aux hommes par les désordres du climat (mythe du déluge, foudre) et où des sorciers, prêtres, sauveurs intercèdent pour les humains auprès des divinités célestes. Toutes les civilisations ont eu leur grande inondation et attendent leurs cavaliers de l’Apocalypse. Ces croyances sont plus proches de nous qu’on ne l’imagine puisque par exemple une loi anglaise de 1677 condamnait encore au bûcher les météorologues, taxés de sorcellerie. Le passage à l’an 2000 a même réveillé des peurs, des menaces terrestres et célestes que l’on pensait oubliées.

Ce recours aux dieux du ciel, aux astres lointains s’enracine dans l’imaginaire. Or, à la différence du temps qui est perçu, le climat est une abstraction. En conséquence, le regard porté par une société sur son (le) climat s’inscrit dans une vision d’ensemble de valeurs collectives. Il est envisagé comme stable ou comme changeant selon que prévaut l’idée que l’on se fait du mouvement, de la dynamique. Quant à la place de l’homme face au climat, elle se veut soit celle du spectateur, et donc de la victime, soit celle de l’acteur pour le meilleur (réduire les émissions de gaz à effet de serre) et pour le pire (perturber gravement le système planétaire).

Afin de mieux comprendre l’approche actuelle du climat « planétaire », en « changement », il convient de faire un peu d’histoire, de revenir sur la période de la Révolution industrielle. Pourquoi ? Parce que, selon une certaine vision du réchauffement climatique, l’usine, la locomotive et le bateau à vapeur seraient la cause du réchauffement contemporain, puisque la hausse thermique mondiale débute vers 1850 et qu’elle est attribuée à la combustion des énergies fossiles qui dégagent un résidu : le CO2. Or, c’est à la même époque, au milieu du 19e siècle qu’est mis en place le réseau météorologique. Il fournit les seules données mesurées utilisées pour l’étude du climat, puisque antérieurement elles sont reconstituées.

Cette période de Révolution, en Europe, dans un contexte d’industrialisation et donc d’urbanisation des territoires, s’accompagne, chez les élites, d’une idée de la science positive, du progrès continu, de la croissance recherchée, de l’entreprise conquérante. Ce modèle a fortement influencé la conception du temps météorologique et du climat, d’autant qu’à partir des Lumières, la sensibilité à la Nature change, cette dernière devenant largement idéalisée [...]  »

Conclusion

Les racines de la conception actuelle du climat « global » et de son changement sont en germe dans la météorologie naissante lors de la Révolution industrielle en Europe. Les méthodes choisies alors ont imposé une hiérarchie des disciplines scientifiques, une spécialisation croissante du savoir. Elles ont opéré le glissement du réel vers le virtuel, des échelles fines vers la planète, de la science en train de se faire vers une communication reposant sur une modélisation simpliste.

Après les Trente glorieuses, et surtout depuis les années 1980, l’écho du discours sur le changement climatique tend à une remise en cause des idéaux du 19e siècle en ne considérant plus que leurs revers : le « tout croissance », la démocratie sans participation, les progrès seulement technologiques. Le climat, tout comme l’environnement en général, est devenu un point d’ancrage de nouvelles valeurs supposées universelles, le catalyseur d’un espoir de nouvelle civilisation plus juste et plus responsable, une nouvelle utopie en quelque sorte, où le discours scientifique prend parfois des accents évangéliques.

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Fidèle à notre ligne de vide qui consiste à faciliter toujours un peu plus de perte de  mémoire afin de mieux réinventer des roues prêt-à-penser-sympa-people sur le dos des anciens, un regard sur le travaux de Charles Fourrier (1772-1837).

Outre la formidable clairvoyance du personnage, ce dernier illustre également bien des méfaits possibles nés de la professionnalisation : l’isolation de son objet d’étude accompagnée d’un retrait sur son sillon de professionnel qui ne mène plus qu’à guérir que ce que l’on produit, à ne rechercher dans le réel que ce qu’on y a déjà mis. Un processus qui aboutit au final, comme le disait Guattari, à une: « standardisation de la communication et de la subjectivité »

Une standardisation sans doute indispensable si l’on s’en tient à l’idée d’un village planétaire dans le modèle. Quand bien même il resterait envisageable que tout cela ne durcisse pas trop vite. Rien de bien neuf ici et là, si ce n’est l’accélération de la colle.

« Un plan Marshall ecologique peut etre un projet mobilisateur pour tous les jeunes, y compris ceux que nous ne savons pas aujourd’hui accueillir correctement dans la société. » Une autre croissance, Les Echos, 04/01/07, par Alain Grandjean, Patrick Criqui et Jean-Marc Jancovici.

Au moment ou nous souhaitons produire en masse ces nouveaux ouvriers de l’environnement, une relecture de Fourier semble profondément d’actualité. « Une nouvelle utopie en quelque sorte » nous disait Martine Tabeaud en conclusion de son article sur le climat, précision de Sherer à propos de Fourier: « il ne s’agit pas d’opposer ici l’utopie à la science. Fourier vise une science encore manquante ».

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Article de Louis Ucciani sur l’ouvrage de René SCHERER consacré à Charles Fourier

Référence : “SCHERER René : L’Ecosophie de Charles Fourier (2001) ”, Cahiers Charles Fourier, n° 12, décembre 2001, pp. 114-117, disponible en ligne : http://www.charlesfourier.fr/article.php3?id_article=205.

 » […] le texte de Fourier ici présenté autour de ce qu’on nommerait aujourd’hui l’écologie, et que Schérer nomme Écosophie […] retrouve ce que Guattari a pu exprimer dans Les trois écologies (1989).

« Fourier a pensé, a écrit dans le champ, sur le plan d’immanence d’une écosophie avant la lettre. Écosophie parce qu’aucun autre mot ne peut lui convenir, et surtout pas celui qui le réduirait à n’être que le préfigurateur d’un socialisme dit scientifique. Non, il ne s’agit pas d’opposer ici l’utopie à la science. Fourier vise une science encore manquante. », p. 19.

D’autre part le mouvement arômal adjoint par Fourier aux Quatre mouvements (physique, instinctif, organique et social), aurait de fortes similitudes avec l’entreprise deleuzo-guattarienne.

« Il est aisé alors de reconnaître, avec l’arômal, la présence des flux, des machines, des devenirs moléculaires de Deleuze et Guattari, au plan desquels tout se passe réellement. L’univers réel de Fourier, la matérialité des mouvements qui sont aussi mouvements spirituels réside dans ce fluide invisible des arômes. C’est donc dans le cadre du moléculaire que l’unité des trois écologies – dans lesquelles il sera possible de replacer les mouvements de Fourier – trouve sa force et sa légitimation. Et l’écosophie se justifie philosophiquement dans son concept, de ce qu’elle ne laisse pas subsister à part un dehors qui se réduirait à l’extériorité du monde physique et un dedans identifié à l’intériorité d’un moi pensant. Entre les deux il y a communication et passage. » p. 20.

Schérer prolonge sa lecture comparative et voit par exemple, la Cosmogonie de Fourier à l’œuvre implicitement dans les textes de Deleuze et Guattari : « Il n’est besoin que de mettre en regard avec Fourier certaines pages de Chaosmose, ou celles, écrites dans un horizon écosophique de Qu’est-ce que la philosophie ?, animées d’une même intention cosmique, du débordement de la simple philosophie de l’objet et du sujet dans une vision qui embrasse le flux universel de la vie, la multiplication des flux d’une vie organique et inorganique à la fois. » p. 21.

Sans doute faut-il voir dans ces rapprochements plus la force visionnaire de Fourier qui anticipe les avancées philosophiques qu’une influence proprement dite. Subsiste que la notion d’écosophie introduite ici par Schérer, affirme sa double filiation, Fourier et Guattari […]

[…] On pourra dire que c’est un grand mérite et d’un grand intérêt que d’avoir exhumé ces deux textes. Ils mettent le doigt sur l’étonnante modernité de Fourier et le replacent au cœur des problèmes contemporains. Certes le constat opéré par Fourier peut dater et semble en totale opposition avec celui que nous ferions aujourd’hui. Alors que l’effet de serre induit un réchauffement de notre planète, Fourier articule tout son développement sur une voie autre, il constate un refroidissement de la planète. Cependant, loin d’invalider son propos, cela lui fait retrouver les bases de l’écologie contemporaine dont il est sans doute le précurseur. Si l’on évacuera ici les données relatives à la sexualité des planètes et à la névrose qui affecterait la nôtre (« Il est évident que la planète est tourmentée du besoin de copuler et de procréer, on s’en aperçoit à la fréquence des aurores boréales qui sont une pollution de l’Astre, un indice irrécusable du besoin qu’il éprouve. Ces privations forcées ne peuvent manquer d’affecter gravement sa santé qui périclité d’une manière alarmante surtout depuis un siècle. », p. 34), et tout ce qui a trait à un anthropomorphisme du monde planétaire (« la planète se trouve en analogie parfaite avec le corps humain, excepté que son sang, nommé fluide magnétique, ne circule pas en canaux fermés comme les veines et les artères… », p. 41), notons cependant que, comme c’est toujours le cas chez Fourier, à travers la fantaisie pointe quelque chose d’autre. Schérer remarque qu’« en leur temps, les théories cosmologiques de Fourier étaient moins faites pour étonner qu’au nôtre. » (p. 6) Il développe les liens possibles : « S’il ne connaissait sans doute pas Franz von Baader et son système mystique inspiré de Jakob Boehme, il lui arrive de mentionner Schelling. Par lui, il se rattache à la tradition d’un animisme universel, tel qu’on pouvait l’interpréter déjà à travers la Monadologie de Leibniz et, en deçà, Plotin, voire les pré-socratiques. » (p. 6)

La thèse principale énonce que les « désordres climatériques sont un vice inhérent à la culture civilisée ; elle bouleverse tout par le défaut de proportions et de méthodes générales, par la lutte de l’intérêt individuel avec l’intérêt collectif » (p. 67). C’est entre plusieurs exemples de dérèglements et il faut bien l’admettre, entre plusieurs dérives cosmologiques, que l’on voit pointer une critique du travail humain responsable des ruptures aromatiques : « Ne voyons-nous pas le travail de l’homme opérer des modifications climatériques vraiment énormes ? » (p. 33), ou encore, plus loin, ceci : « L’agriculture civilisée et barbare, dont on nous vante les prodiges individuels, a la ridicule propriété de dégradation collective ; elle détruit son propre sol au lieu de l’améliorer» (p. 67). D’où pour Fourier « l’urgence de sortir promptement de l’état civilisé, barbare, sauvage, et de remédier aux souffrances matérielles de la planète par là même qui mettra un terme aux misères humaines. » (p. 32).

Tout est bien de nature médicale ou, en tout cas, tout peut se ramener à cela. Fourier engagé à guérir le monde exerce sa critique à l’art de guérir. Ici encore, dans De la médecine naturelle ou attrayante composée, ses qualités de compréhension visionnaires sont à l’œuvre. Il repère le paradoxe de la médecine qui ne soignerait que ce qu’elle produit et engage une critique tout à fait actuelle […]

Nous retiendrons ici deux moments de la critique. Tout d’abord, la remise en question de la structure hôpital. Ce que Foucault saura montrer, Fourier l’énonce : « Les établissement médicaux dont s’honore la Civilisation sont la première chose qu’il faut supprimer en médecine passionnelle. Il n’y aura pas d’hôpitaux en Harmonie. » (p. 135) La remise en question de l’hôpital, ouvre à une autre compréhension, celle de la maladie mentale. Alors qu’on enferme encore qui souffre « psychiquement », Fourier note combien « La médecine civilisée ne fait rien et ne peut rien pour l’âme, loin de là elle ajoute souvent le mal moral au mal physique. » (p. 135) Il dégage, anticipant Foucault, une double critique, celle du traitement de la maladie mentale et celle de l’hospitalisme. La maladie mentale est le produit d’un dérèglement des passions, situation des plus banales en Civilisation. Fourier anticipant sur les statistiques contemporaines, note que : « la démence est une maladie fort étendue. Le nombre des fous, bien plus grand qu’on ne pense, comprend à peu près 2/3 des civilisés. » (p. 134) Le traitement ne peut venir que d’une sortie hors la civilisation. Tout au mieux en celle-ci, un peu de bon sens suffirait : « Souvent l’emploi des fruits, des confitures, du vin, du café et autres substances agréables, serait plus efficace, que les drogues répugnantes dont on assassine le malade. » (Ibid.) ; notons que ce que dit ici Fourier est d’une étrange actualité. Et finalement c’est bien hors la médecine qu’il faut envisager le problème : « Au fait, si les maladies mentales proviennent de dérangements dans l’équilibre des passions, c’est par les contrepoids de passions qu’il faut les traiter, et ce n’est point l’affaire de la médecine, ou bien ce sera l’ouvrage d’une espèce de médecine qui n’est pas encore née et dont quelques hommes de l’art ont pressenti le besoin. » (Ibid.) On peut voir ici l’anticipation de ce que Freud introduira, mais aussi malheureusement le constat de ce qui a toujours cours. L’autre médecine, celle qu’on goûterait en Harmonie est bien d’un autre registre et se combine à l’usage gastrosophique : « Il existe donc une médecine attrayante ou naturelle, qui se compose d’aliments agréables, et dont les médecins civilisés n’ont pas la moindre notion. » (p. 153) [...] « 

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+ Un ensemble de textes de Fourrier disponibles en ligne 

+ Un ensemble de textes de Guattari disponibles en ligne 

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[1] Spinoza, par-delà bien et mal, communication radiophonique à France Culture en collaboration avec Pierre-François Moreau à France dans l’émission « Commentaire » de Raphaël Enthoven, le 9 janvier 2004.

Ecosophie ici et là ?

Ecosophie ici et là ? dans -> ACTUS ecoso

     On tourne souvent autour des mêmes interrogations bancales sur ce blog. La faute à une conceptualisation difficile, contrecoup de ce qui reste avant tout une observation de terrain produisant ses affects de manière désordonnée. Sujet étudiant, lui-même véritable symptôme de ses objets d’étude. Un temps de recul, formaliser quelque peu. Etre capable de formuler les questions, le premier pas sérieux pour en sortir ? Des réponses ? Elles sont du côté des pratiques, non préconstituées, non connues à l’avance. Alors s’il y a bien un concept qui répondrait à cet objectif de formalisation de questions plutôt que de réponses, filet de capture souple de nos affects débridés, c’est peut-être bien l’écosophie de Guattari.

En sympathie avec l’article introductif qui suit, la question que nous cherchons à poser, celle autour de laquelle nous tournons sans cesse, c’est bien de « construire des conditions concrètes permettant à l’individu de sortir de ses intérêts de court terme [...] pour penser et construire ses rapports au monde« . Une fois dit que les valeurs ne s’imposent que grâce au crédit que chacun leur accorde, de la passivité à la simple croyance, de l’absence de filet éducatif ou de soutien à l’action, comment composer les nouveaux écosystèmes institutionnels, ces incitations collectives à même de libérer et produire de nouveaux comportements doux ?

Ouvrons donc un nouveau chantier dédié à l’écosophie, et plus précisément à la manière dont certains des éclats de celle-ci ont pu venir contaminer quelque peu les pratiques institutionnelles, comme nourrir des expériences collectives et/ou individuelles beaucoup plus informelles.

Commençons par un commencement pour une fois, sous la forme d’un article de synthèse de Valerie Marange. Il n’est pas dans la nature de ce blog fragmentaire de capturer les articles extérieurs dans leur intégralité, mais il semble bien difficile de couper celui-ci sans en amputer sérieusement la portée. L’article dans sa version originale et totalement intégrale est disponible à cette adresse: http://ecorev.org/spip.php?article501

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D’une économie élargie à une écologie mentale

L’écologie politique est aujourd’hui arrivée à un point de développement important, qui ne lui confère pourtant qu’une efficacité très réduite. On l’observe par exemple dans le domaine des émissions de CO2, qui n’ont reculé depuis Kyoto que dans les pays de l’ex-URSS, pour cause de désastre économique. Cette impuissance de l’action politique conduit certains observateurs à la conclusion que le levier réside aujourd’hui, non pas dans une fallacieuse « démocratie économique », mais dans les modes de vie et les aspirations culturelles [1].

Le niveau d’émission de CO2, de production de déchets en général dépendent bien sûr des stratégies du marché (flux tendus par exemple) et des politiques de transports mais aussi des habitudes de consommation, des comportements face au travail, des modes d’habitats, des satisfactions trouvées dans la vitesse… Si la pensée écologiste nous a appris l’importance des « externalités », négatives ou positives, ressources minières ou ressources humaines pour l’économie « restreinte » [2], il n’est pas impossible que la détermination la plus forte, aujourd’hui, soit du côté des externalités subjectives, c’est-à-dire des mentalités.

Les valeurs économiques sont comme toutes les valeurs, elles dépendent du crédit qu’on leur accorde, comme on le voit avec les phénomènes d’ »euphorie » ou de « panique » boursière. D’autre part, le mouvement capitalistique lui-même dépend de plus en plus des productions immatérielles, autrement dit des savoirs, désirs et croyances qu’il s’efforce de capter à son profit. La « nouvelle économie » est en partie une récupération des énergies bénévoles investies dans le développement de l’Internet, transformant des « valeurs » en prix, en plus-value [3].

Il y a donc des enchaînements permanents entre environnements physique, économique mais aussi affectif et mental, et qui font que nous ne pouvons plus séparer, comme le faisaient les marxistes, les infrastructures matérielles des superstructures idéologiques. Et la question pratique la plus urgente pour la politique écologiste pourrait donc être de travailler, plus que les leviers du pouvoir au sens restreint, ceux de la micro-politique des valeurs, des affects et des façons de vivre. À une économie élargie, il faudrait donc faire correspondre une politique et une écologie élargies.

L’écosophie : un plan de consistance à multiples entrées

L’utopie ou la mort… Ce cri de Dumont sonne un peu étrangement, dans nos temps apathiques. C’est cette apathie, cette impuissance subjective qui inquiète le plus Félix Guattari au moment où, il y a une quinzaine d’années, il propose d’élargir le paradigme écologique aux champs des sociétés et des mentalités [4]. Cette proposition découle de son travail avec Gilles Deleuze sur les processus subjectifs à l’œuvre dans le capitalisme, qui libère l’inventivité mais la retourne aussi en « anti-production » [5].

http://www.dailymotion.com/video/x4flvl

Capitalisme et schizophrénie

Elle provient aussi de son travail clinique, mené à La Borde dans la foulée de la psychiatrie « institutionnelle », pour laquelle c’est l’environnement dans ses différentes composantes qui est déterminant dans les formations subjectives et leurs pathologies [6].

Son « écosophie » fait aussi écho à une tendance dans l’écologie scientifique, à tranversaliser de plus en plus l’analyse des « milieux » associant des éléments naturels et artificiels, des espèces animales ou végétales et des modes de vie humains.

L’ethnobiologie, la discipline dite de la biodiversité, la sociologie de l’environnement mais aussi des sciences et des techniques, n’ont cessé depuis de confirmer de telles hypothèses, de faire de l’environnement l’opérateur d’une interdisciplinarité entre sciences dites dures et sciences humaines [7]. Bien loin des modèles organicistes ou déterministes, elles ont contribué à affirmer des visions « compréhensives » des relations sociales en même temps que de l’environnement, faisant fonctionner non pas seulement des « systèmes » mais des relations entre différents points de vue actifs, des pôles de valeur.

Si « biologisation » du social il y a ici, c’est au sens où la vie elle-même est relation, c’est sur la base d’une philosophie du vivant qui lui confère une capacité politique immanente. Même pour une amibe, vivre est d’abord « préférer et exclure« , composer ses rencontres et son milieu, affirmait Georges Canguilhem, philosophe-médecin qui forma Deleuze comme Foucault. Chez Deleuze-Guattari, d’une autre façon chez Latour et Stengers, cette leçon d’écologie devient une véritable ontologie des relations : ce qui est important, ce n’est pas tant ce qui se passe dans tel ou tel pôle de transcendance (l’État, le Sujet ou l’Individu, la Nature…), c’est ce qui se passe « entre » ces pôles ou plutôt entre des éléments plus fragmentaires (affects, signes, blocs d’intensité, techniques…) ce qui rend l’agencement plus ou moins productif, ouvert, vivant. Ici la division entre nature et culture ou artifice n’a plus lieu, l’essentiel étant que les « machines » socio-techniques soient désirantes. La création est le sens du vivant, et l’écosophie plus constructiviste que conservatrice. Il ne s’agit pas de garder l’être, mais de produire des milieux vivables et vivants.

Il ne s’agit pas de s’en prendre au productivisme, mais de sortir de l’anti-production capitaliste, qui ne libère les flux vivants que pour les rabattre sur la valeur marchande, et de tous les dispositifs de contrôles nécessaires pour la protéger… jusqu’au fascisme. La productivité est ici arrachée au seul rapport capital-travail, rendue aux forces de l’invention et de la coopération, de l’auto-valorisation et de l’éco-valorisation [8].

L’écosophie, on le voit, est à l’instar des dispositifs qu’elle décrit et promeut un « rhizome », un ensemble de « plateaux » plus qu’une arborescence ordonnée, une synthèse de nombreuses rencontres entre des foyers de subjectivation disparates, hétérogènes. S’il s’agit de faire passer quelque chose entre les disciplines diverses, l’écosophie s’efforce aussi de répondre à un problème concret auquel est confrontée une écologie politique émergente, celui d’opérer des alliances entre des pôles de singularisation éclatés, mutants, en prise sur des questions de modes de vie : cultures minoritaires, féministes, usagers de la santé, homosexuels, chômeurs… À tous, ainsi qu’à certains pans de la subjectivité ouvrière classique (du syndicalisme par exemple) Guattari propose de travailler ensemble les conditions concrètes de l’habiter, tout en construisant une transterritorialité entre leurs différentes langues vernaculaires. La parution des Trois écologies suit de peu l’ »Appel pour un arc en ciel » et sa tentative de trouver entre différentes tribus minoritaires des modes de coexistence propres à renouveler les coordonnées classiques du politique. Quel que soit le bilan de cette tentative, elle s’inscrit pour le moins dans une tension toujours vivante, même si elle a pris quelques coups, de « faire de la politique autrement ».

La vie anormale des gens normaux

Le projet écosophique s’affirme donc simultanément sur un plan scientifique et philosophique, clinique et politique, éthico-esthétique. Ce qui inquiète ici Guattari, c’est la vie anormale des gens normaux, c’est-à-dire la passivité devant le désastre matériel et moral, l’infantilisation par les médias, l’arrêt de la production subjective de virtualités collectives, voire la régression vers les micro-fascismes des « sociétés de contrôle » [9].

C’est bien là-dessus qu’il faudrait agir, mais « il est difficile d’amener les individus à sortir d’eux-mêmes, à se dégager de leurs préoccupations immédiates et à réfléchir sur le présent et le futur du monde. Ils manquent, pour y parvenir, d’incitations collectives«  [10].

Comment sortir l’individu contemporain de sa narcose fataliste, de son intégration hyper-adaptative ? Praticien en même temps que théoricien, Félix propose de nouveaux « agencements collectifs d’énonciation », de « nouveaux enlacements polyphoniques entre l’individu et le social ». Une nouvelle productivité des subjectivités doit être soutenue par des dispositifs concrets, nouveaux territoires d’existence producteurs d’univers de valeurs, dont des esquisses sont repérables dans nos sociétés dans des « groupes-sujets ».

La pratique se déroule toujours au sein de groupes, et dans ce sens est toujours partielle. Loin de résulter d’un abstrait quelconque même « écologiste », elle exprime ce qui se passe concrètement dans le dispositif qui la produit. Ainsi, l’isolement du téléspectateur, même « bien informé » de la dégradation du monde, ne produit par lui-même aucune pratique positive. Les agencements post-médiatiques, ceux des réseaux d’échanges sur l’Internet ont commencé d’ouvrir une brèche concrète dans la normalisation massive des subjectivités. De la même façon, des avancées importantes ont été possibles, dans des localités instaurant des formes de démocratie participative où tous les aspects de la vie quotidienne (urbanisme, santé, chômage, problèmes d’ambiance) sont travaillés collectivement. Ici ou là, de petites machines écosophiques efficaces indiquent une certaine vitalité des territoires et de la socialité, tout en s’employant à la restaurer.

Il existe une écologie sociale et mentale spontanée, bien repérée dans les pays du Sud, où le soutien mutuel est vital. Ce n’est pas par hasard que de nombreuses ONG, ces dernières années, ont mis l’accent sur le soutien à de telles trames de socialisation, souvent portées par des femmes. Des groupes comme Aides et Act up prouvent aujourd’hui que la bataille contre le Sida sera gagnée ou perdue non seulement au niveau des institutions, mais dans la connexion de celles-ci avec les collectifs de malades, souvent en Afrique des femmes pauvres et veuves, chez nous des homosexuels, des prostitué(e)s ou héroïnomanes. Là encore, c’est aux externalités de la « politique restreinte » que nous sommes confrontés, à leur efficacité propre.

C’est cette efficacité qu’une politique écosophique s’efforcera de démultiplier, en extension et en intensité.

D’un matérialisme utopique…

Ainsi la consistance éthique du projet n’est elle jamais séparée de la question, non pas du pouvoir, mais de la puissance.

La question, si l’on se rappelle bien, est de construire des conditions concrètes permettant à l’individu de sortir de ses intérêts de court terme, de sa course au pouvoir et au profit, pour penser et construire ses rapports au monde, à l’altérité, au temps. À sortir de son indifférence au désastre écologique et social, le sujet « normopathe » a en effet quelque chose à perdre, puisqu’il y prend conscience de sa finitude, de son altération, de son « impouvoir » (Blanchot). La fiction du sujet politico-moral transcendant ou du nice guy « communicant » n’empêche pas que chacun soit soumis à des interdépendances, des politiques de santé ou d’urbanisme, à ses propres fragilités comme vivant. L’écosophie recourt au « principe de cruauté«  [11], elle est d’une certaine façon un matérialisme absolu, l’humour du corps s’adressant à un esprit dominateur, maître et possesseur de la nature.

« Vivants dans la politique desquels leur condition d’être vivant est en question » selon les mots de Foucault, nous aurions tort de laisser à des pouvoirs pastoraux ou à des sociétés anonymes le soin de gérer nos corps et notre environnement, de déterminer nos façons de vivre. L’écologie sociale est d’abord une politique des gens concernés sur les questions qui les concernent, des vivants sur la vie qu’ils vivent, des habitants sur le territoire qu’ils habitent, des vieux ou des jeunes sur la façon de vivre leur âge.

C’est une biopolitique en rupture avec le schéma technocratique ou assistanciel. En même temps, elle ouvre tout un champ de possibles à des initiatives nouvelles, pour décloisonner les questions de la maladie, de la vieillesse, des relations amoureuses et familiales, de la solitude ou de la difficulté existentielle. Pas plus que les questions globales du climat ou des échanges internationaux, les questions micro-politiques ne doivent être laissées à des experts de l’intime.

…à une écologie du virtuel…

En effet, il ne s’agit pas ici de chanter la finitude sur l’air du renoncement, mais d’ouvrir de nouvelles virtualités. Il y a bien, dans la crise actuelle de l’écologie sociale, un problème de perte de réalité. Celui-ci ne concerne pas seulement les « sauvageons du virtuel », mais aussi bien ceux qui, dans le salon télé de leur résidence sécurisée, croient le monde pacifié et leur subjectivité close, vouée à la seule altérité intérieure et à la « communication » normée. D’autre part, la puissance de virtualisation ne pose pas en elle-même problème, mais seulement dans la mesure où elle s’inféode à la logique du probable ou tourne à vide sur le seul mode du fantasme, se déconnectant de toute production de réalité. Les nouvelles techniques ne sont pas univoques, elles offrent des possibles et pas seulement de l’inéluctable. Et le chaos lui-même n’est pas doté de valeurs seulement négatives, en nous déterritorialisant des soumissions traditionnelles, en nous indiquant aussi les limites de la rationalisation.

C’est pourquoi l’écosophie ne saurait être appel au renoncement, au raisonnable, ni, comme l’a cru Hans Jonas, à la peur. L’opposition entre matérialisme et utopie, qui remonte à une certaine normalisation du mouvement ouvrier, doit au contraire être battue en brèche. C’est une question de santé mentale de base, comme l’a admirablement montré Ernst Bloch, que de pouvoir espérer activement, développer des utopies concrètes [12].

C’est faute de pouvoir accomplir une telle pragmatique désirante, que le sujet contemporain devient normopathe, absorbé par la « fatigue d’être soi » voire renvoyé à la seule expression violente. Nulle responsabilité authentique ne peut être exercée si elle considère l’avenir comme écrit, proposant la résignation et le cocooning comme sagesse de vie.

…et des pratiques

Il ne s’agit donc pas de proscrire, d’écraser dans des affects tristes les virtualités singulières, mais d’en promouvoir une écologie, une coexistence, au travers de ce que Stengers nommera plus tard dans le domaine des sciences une « écologie des pratiques », qui cesseraient de se disqualifier mutuellement, d’opposer la liberté de l’un à celle de l’autre, la pensée normale à la déraison.

Il ne s’agit pas ici de se soumettre à un impératif de tolérance, à un catéchisme sur le « goût des autres ». Il s’agit de comprendre -comme on le voit très bien dans les coopérations interdisciplinaires- que ma singularité, comme ma puissance d’agir commence là où, non pas s’arrête mais commence celle de l’autre. La pluralité ou même l’adversité du dissensus, qui me sort du narcissisme consensuel, m’ouvre aussi l’espace des points de vue, de la coopération dans la compréhension et la production d’un monde fait de multiplicité. Pour ces deux raisons, « j’ai non seulement à l’accepter, mais à l’aimer pour elle-même ; j’ai à la rechercher, à dialoguer avec elle, à la creuser, à l’approfondir… » [13].

Les groupes-sujets et leurs agencements peuvent ainsi s’étendre aussi largement que possible, à condition de ne pas céder aux jeux de l’hégémonie et de la normalisation. Il peuvent aussi s’approfondir en intensité, en radicalité pourrait-on traduire, à condition de rester ouverts [14]. On retrouve ici le schème deleuzien de la différence et de la répétition, ou celui de Tarde sur l’invention et la coopération.

L’écosophie est une philosophe de l’entre, mais aussi du « et« , de la disjonction non exclusive. C’est cette idée qui motiva, dans l’expérience de l’ »Arc en ciel », la règle dite du « consensus-dissensus », permettant à chaque composante de travailler librement avec les autres sans jeux de majorité ou d’hégémonie, en continuant d’approfondir sa propre singularité. L’application en est évidemment complexe dans le jeu « politique » au sens restreint, celui de la représentation élective.

Reste qu’une telle virtualité est opérante dans les mouvements sociaux actuels, qui reposent presque toujours sur des fronts de minorités.

Reste aussi que comme aspiration, elle ouvre des perspectives pour sortir d’un jeu politique démocratique aujourd’hui dominé par la corruption, et d’une certaine atmosphère de guerre sociale, de disqualification des uns et de cynisme des autres. Cette nécessaire écologie de la politique elle-même, des relations politiques entre les humains, dont les interactions meurtrières de la circulation routière sont un contre-modèle, rejoint ici les évocations philosophiques qui font de la terre le tiers espace, le grand dehors ramenant les humains à une éthique de coexistence et d’hospitalité [15].

En même temps, le plus large point de vue est celui des multiplicités, qui ne signifie ni débat pluraliste au sens politico-médiatique, ni globalisation du regard à la manière holiste.

Cela signifie qu’il n’est plus possible de se désintéresser des conditions pratiques de l’énonciation collective d’un point de vue, de la qualité de l’être-ensemble dans les groupes politiques comme dans les relations de voisinage, d’institutions, d’entreprises.

Il n’est plus possible de continuer à cliver l’idéologie et la matérialité, ni le paradigme écologique de la politique écologiste. Ce qui doit nous intéresser, plus encore que les stratégies ourdies à l’OMC ou dans les multinationales, ce sont les relais subjectifs concrets qui font gagner ces stratégies, construisent des consensus.

Ce qui doit retenir notre attention, autant que les effets massifs de la globalisation, ce sont les raisons intimes que nous avons d’agir, du désir que nous avons de nous rencontrer, de notre capacité à esquisser d’autres possibles.

Partir de nos besoins et de nos désirs, de nos terrains et virtualités spécifiques, plutôt que nous projeter dans l’espace d’une représentation universalisante, mais pour aller à la rencontre d’autres besoins et d’autres désirs, les composer ensemble, en construire une écologie.

Voilà qui implique beaucoup d’art, beaucoup de souci de soi et du dehors, que ne sauraient susciter ni la doxa démocratique actuelle, ni l’idéologie de la communication, mais seulement des pratiques actives de restauration de la cité subjective.

Il s’agit de favoriser partout l’émergence de nouveaux territoires d’existence, d’ »espaces de douceur » ouverts, de nouvelles trames de socialité qui seules peuvent produire des univers de valeurs alternatifs au nihilisme de masse, à ses horizons barbares.

Valérie Marange, Philosophe, co-rédactrice en chef de la revue Chimères

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[1] Cf Bernard Kalaora, « Pensée écologique et enjeux de société », Etudes sociales, 1997, n°125. et « Quand l’environnement devient affaire d’État », Anthropologie du politique, Ed. Abélès M. et Jeudy H.P., Paris, Armand Collin, 1997.

[2] René Passet, L’économique et le vivant, Payot, 1982.

[3] Yann Moulier Boutang, « La revanche des externalités », Futur antérieur.

[4] Félix Guattari, Les trois écologies, Galilée, Paris, 1988.

[5] G. Deleuze et F. Guattari, Capitalisme et Schizophrénie, L’Anti-Oedipe, Minuit 1972 ; Mille Plateaux, Minuit, 1980.

[6] Félix Guattari « La grille », Chimères n°34.

[7] Marcel Jollivet, Sciences de la nature, sciences de la société : les passeurs de frontières. CNRS Editions.

[8] Maurizzio Lazzarato « Gabriel Tarde ou l’économie politique des affects », Chimères n°39.

[9] Félix Guattari, Les années d’hiver, Barrault, 1986 et Gilles Deleuze, « Post-scriptum sur les sociétés de contrôle », Pourparlers, Minuit, 1990.

[10] Félix Guattari, « Pour une refondation des pratiques sociales », Le Monde Diplomatique, septembre 1992.

[11] Selon les termes de Clément Rosset.

[12] Ernst Bloch, Le principe espérance, Francfort 1959, Gallimard 1976.

[13] « Refonder des pratiques sociales », art. cité.

[14] Anne Querrien, « Broderies sur les Trois écologies », Chimères n°26.

[15] Au début du Contrat naturel, Michel Serres évoque un tableau de Goya dans lequel deux hommes engagés dans une lutte à mort sont débordés par la catastrophe « naturelle » que leur conflit provoque. L’image évoque celle de la « paix des cimetières » que Kant place au départ de son projet de paix perpétuelle. Parce que la terre est ronde, dit-il, il faudra fonder la cosmopolitique sur la valeur d’hospitalité.

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Variations sur la mort de l’homme

     Variations sur la mort de l'homme dans Bateson image033

     Il n’est pas question d’interroger ici l’opinion selon laquelle homme serait mort ou pas. Tout juste dira-t-on que chaque individu accède à différents modes d’existence selon les idées et les affects dont il est capable. 

Qu’on soit alors:

- dans la figure de l’homme générique: « [...] l’homme est un animal doué de raison. » Aristote

- dans la figure de l’homme dans la nature entre rien et tout, mais accompagnée du pari de l’existence de Dieu: « [...] qu’est-ce que l’homme dans la nature ? Un néant à l’égard de l’infini, un tout à l’égard du néant, un milieu entre rien et tout. » Pascal 

- dans la figure de l’homme comme transition ou devenir sans Dieu de Nietzsche:  » [...] Dieu est mort ! Dieu reste mort ! Et c’est nous qui l’avons tué ! Comment nous consolerons-nous, nous, meurtriers entre les meurtriers ! [...] Il n’y a jamais eu d’action plus grandiose, et, quels qu’ils soient, ceux qui pourraient naître après nous appartiendront, à cause d’elle, à une histoire plus haute, que jusqu’ici, ne fut aucune histoire ! » Nietzsche, Le Gai Savoir

- and so on…

l‘idée, (la représentation) de l’homme qu’on a, celle-ci implique nécessairement et en conséquence un certain type d’existence, d’actions possibles.

homme dans Deleuze

De Nietzsche à Foucault court et s’actualise le thème de la mort de l’homme, tout du moins d’une certaine idée de l’homme. Ce qui nous intérresse pour notre compte, une fois dit qu’on serait donc capable de penser et de ressentir une telle chose, ce sont donc ses conséquences sur nos pratiques écologiques. 

Cette idée, ce thème, est-il en mesure de nous éclairer sur les modalités et conditions d’émergence de la pensée écologique ? Dit autrement, peut-on faire l’économie de la mort de l’homme tout en prétendant faire de l’écologie ? Si oui laquelle ? Vastes questions, esquisses de fragments autour d’un homme enfermé dans une période et une géographie de son histoire.

bridgeye dans Edgar Morin 

Nietzsche: le surhomme sur les ruines de l’homme

Dans son abécédaire, Deleuze nous rappelait au sujet de Nietzsche: « Dieu est mort, Nietzsche s’en fout complètement, mais c’est que si Dieu est mort, alors il n’y a pas de raison que l’homme ne le soit pas aussi. » 

http://www.dailymotion.com/video/x47a5j

« L’homme est une corde tendue entre la bête et le surhumain – une corde au-dessus d’un abîme. »  (Ainsi parlait Zarathoustra)

http://www.dailymotion.com/video/x47cou

« Je vais vous dire trois métamorphoses de l’esprit: comment l’esprit devient chameau, comment le chameau devient lion, et comment enfin le lion devient enfant. » (Ainsi parlait Zarathoustra)

Foucault: l’homme est une invention récente

Toujours Deleuze commentateur, trait d’union entre Nietzsche et Foucault dans Pourparlers : « […] c’est que les forces de l’homme ne suffisent pas à elles seules à constituer une forme dominante où l’homme peut se loger. II faut que les forces de l’homme (avoir un entendement, une volonté, une imagination, etc.) se combinent avec d’autres forces […] La forme qui en découlera ne sera donc pas nécessairement une forme humaine, ce pourra être une forme animale dont l’homme sera seulement un avatar, une forme divine dont il sera le reflet, la forme d’un Dieu unique dont l’homme ne sera que la limitation (ainsi, au XVIIe siècle, l’entendement humain comme limitation d’un entendement infini) […]

C’est dire qu’une forme-Homme n’apparaît que dans des conditions très spéciales et précaires : c’est ce que Foucault analyse, dans les mots et les choses, comme l’aventure du XIXe siècle, en fonction des nouvelles forces avec lesquelles celles de l’homme se combinent alors. Or tout le monde dit qu’aujourd’hui l’homme entre en rapport avec d’autres forces encore (le cosmos dans l’espace, les particules dans la matière, le silicium dans la machine…) : une nouvelle forme en naît, qui n’est déjà plus celle de l’homme […] »

http://www.dailymotion.com/video/x48i0r “Les mots et les choses”, extrait : « Une chose en tout cas est certaine : c’est que l’homme n’est pas le plus vieux problème ni le plus constant qui se soit posé au savoir humain. En prenant une chronologie relativement courte et un découpage géographique restreint, la culture européenne depuis le XVIe siècle, on peut être sûr que l’homme y est une invention récente.

Ce n’est pas autour de lui et de ses secrets que, longtemps, obscurément, le savoir a rôdé. En fait, parmi toutes les mutations qui ont affecté le savoir des choses et de leur ordre, le savoir des identités, des différences, des caractères, des équivalences, des mots, – bref au milieu de tous les épisodes de cette profonde histoire du Même – un seul, celui qui a commencé il y a un siècle et demi et qui peut-être est en train de se clore, a laissé apparaître la figure de l’homme. Et ce n’était point là libération d’une vieille inquiétude, passage à la conscience lumineuse d’un souci millénaire, accès à l’objectivité de ce qui longtemps était resté pris dans des croyances ou dans des philosophies : c’était l’effet d’un changement dans les dispositions fondamentales du savoir. L’homme est une invention dont l’archéologie de notre pensée montre aisément la date récente. Et peut-être la fin prochaine.

Si ces dispositions venaient à disparaître comme elles sont apparues, si par quelque événement dont nous pouvons tout au plus pressentir la possibilité, mais dont nous ne connaissons pour l’instant encore ni la forme ni la promesse, elles basculaient, comme le fit au tournant du XVIIIe siècle le sol de la pensée classique, alors on peut bien parier que l’homme s’effacerait, comme à la limite de la mer un visage de sable. »

L’écologie et la mort de l’homme ? 

Quelle place, ou quel rôle pour l’écologie sur les ruines de l’homme ? Précisément l’un de ces grands systèmes ou grandes options politiques tels que décrits par Foucault, et dont l’émergence même proviendrait des débris d’une certaine idée de l’homme ? Une sorte de pont ou de réseau à tisser entre ce qui était autrefois les sciences dures et les sciences humaines ? A vrai dire, de quelle libertés nouvelles dispose-t-on une fois dissipée cette invention de l’homme objet d’étude empire dans un empire ?

sanstitre1 dans Felix Guattari

Qu’observe-t-on aujourd’hui dans les pratiques écologiques dominantes au sens large ? Une écologie qui à l’un de ses extrêmes grand public arrive à sauver l’homme quand sa figure résiduelle vient trouver un refuge anthropomorphe jusque chez des pingouins (sic!)… et qui par un autre de ses côtés ne cesse de produire une anthropologie négative énoncée sous l’angle d’une proposition type: l’homme est naturellement mauvais pour la nature, disparaîtra, bon débarras ! Version nihilisme de la mort de l’homme. Fin de l’histoire, on s’arrête là, de l’homme est un loup pour l’homme, à l’homme est un loup pour la nature (la création).

Ce type de proposition excluante ne peut déboucher que sur une plainte, passion triste impuissantante de type:  »je ne peux finalement aimer que là où je ne suis pas« . Appel à l’exclusion de soi-même en tant que je ne change pas, ou plutôt ne sais changer sans y associer l’idée d’une repression de ce que je vis comme mes petits désirs personnels de pollution.

« Je vous enseigne le surhumain. L’homme n’existe que pour être dépassé. Qu’avez-vous fait pour le dépasser ? »  (Ainsi parlait Zarathoustra) Question, car que faisons-nous en l’occurence pour dépasser cet homme dualiste et pollueur ? Nous continuons vraisemblablement de le garder intact, urgence oblige, en lui assignant toujours plus de buts et de directions préconstitués.

sanstitre2 dans Foucault

Au final tout cela se tient, et il est assez logique que la figure de l’homme idéal – opposée directement à celle de l’homme pollueur en tant que propre au sens de la lessive – il est logique que celle-ci soit à présent déplacée (comme la graisse par le savon) dans l’arrière monde blanc des pingouins empereurs, dernier refuge du bonheur humain.

Ce type de discours écologique confus qui domine les interrogations publiques ne prend pas acte de la mort de l’homme au sens de Nietzsche et de Foucault. Bien qu’ayant certaines apparences de l’anti-humaniste, celui-ci ne vise qu’à sauvegarder dans un ailleurs une même idée de l’homme sous sa version propre, pollution nocturne chrétienne en moins. Continuant ainsi à bouger indéfiniment les mêmes barrières, tous les jours nous continuons de nous entendre préscrire la construction de villes et de choses toujours plus humaines. Il faut éradiquer les infidèles, les nonbon d’humains, sorciers, et tous ceux là, à présent réactualisés par un péché originel migrant de la pomme vers la sécrétion de CO2.

Quelle type de nature présuppose implicitement ce genre de discours ? Car quand bien même l’idée de Nature remplacerait celle de Dieu dans les représentations communes, sa place n’en reste pas moins anthropomorphe et sa nature naturée (crée du dehors). De sorte que de cette nature non productive et machinée du dehors par l’homme pilote, ne peut sortir que des politiques de muséification répressive (d’autres empires dans des empires). 

Conclusion, la nécessaire défiance vis à vis des discours écologistes actuels vient de ce que les sujets qui les constituent sont finalement construits sur la même subjectivité (idée de l’homme incluse) que les individus auxquels ils s’opposent. Bien loin, trop loin d’une pensée qui aurait enfin d’autre chose à faire que de prescrire aux hommes ce qu’ils ont à faire.

On n’en sort pas. Faire l’économie de la mort de l’homme, en un certain sens, c’est donc choisir de traîner indéfiniment hors d’eau ce visage dessiné une fois pour toute sur le sable, boulet chargé de moraline déversant sa confusion sur le terreau de nos possibles.

C’est l’art d’une (pensée) dominante, cette pratique du vide comme économie de marché, organiser le manque (de nature) dans l’abondance de production, faire basculer tout le désir dans la peur de manquer (de l’ours blanc), faire dépendre l’objet (l’écologie) d’une production réelle qu’on suppose extérieure au désir, tandis que la production de désir ne passe que dans le fantasme (du pingouin).

Tentative écosophique ?

Un grand système écologique naturant englobant les réseaux naturels, sociaux, mentaux, un tel ensemble ne peut pas se construire sans la mort d’une certaine idée de l’homme dualiste et objet de laboratoire. Précisément au sens où ses forces ne suffisent pas à elles seules à constituer une forme dominante où il peut se loger. Voir les compléments divers autour de ce thème.

http://www.dailymotion.com/video/x48fxs

Loin de déplacer l’idée de l’homme ici où là, Guattari nous proposait un ensemble de micropolitiques destinées aux individus habitants producteurs de territoires, d’institutions… Ces pratiques sont fondées sur un mode de participation active brique par brique qui replace cet individu au coeur même de la technique. Non pas ce qui resterait de l’homme dehors, la technique à son service. Tirer profit de la mort de l’homme en tant que sujet préconstitué revient ici à se resituer dedans pour se subjectiver à chaque étape des différents processus de production.

http://www.dailymotion.com/video/x49ieh

La mort de l’homme pour l’écologie, c’est la mort de l’homme en tant qu’unité préconstituée, isolée et autonome. Le bourdon fait parti du système reproducteur du trèfle rouge, comme la guêpe mâle de celui l’orchidée. C’est à dire qu’une partie de machine capte dans son propre code un fragment de code d’une autre machine, et se reproduit ainsi grâce à une partie d’une autre machine. On comprend ainsi qu’il est inutile de protéger l’unité orchidée si par ailleurs on élimine les guêpes mâles, et ainsi de suite dans les enchevêtrement et captures.

L’écologie consiste ainsi à découvrir et identifier ces phénomènes de plus-value de code (double capture), à découvrir le périmètre réel des machines qui composent ces systèmes reproducteurs décentralisés; au-delà de l’unité spécifique ou personnelle de l’organisme, au-delà de l’unité structurale d’une machine.

« Chacun de nous est sorti d’animalcules indéfiniment petits dont l’identité était entièrement distincte de la notre ; et qui font partis de notre système reproducteur ; pourquoi ne ferions-nous pas partie de celui des machines ? Ce qui nous trompe c’est que nous considérons toute machine compliquée comme un objet unique. En réalité, c’est une cité ou une société dont chaque membre est procrée directement selon son espèce. Nous voyons une machine comme un tout, nous lui donnons un nom et l’individualisons ; nous regardons nos propres membres et nous pensons que leur combinaison forme un individu qui est sorti d’un unique centre d’action reproductrice. Mais cette conclusion est anti-scientifique, et le simple fait qu’une machine à vapeur n’a été faite par une autre ou par deux autres machines de sa propre espèce ne nous autorise nullement à dire que les machines à vapeur n’ont pas de système reproducteur. En réalité, chaque partie de quelque machine à vapeur que ce soit est procrée par ses procréateurs particuliers et spéciaux, dont la fonction est de procréer cette partie là, et celle-là seule, tandis que la combinaison des partie en un tout forme un autre département du système reproducteur mécanique… » Samuel Butler « le livre des machines » citation extraite de l’Anti-Œdipe par Deleuze (:) Guattari.

Machine / agencement : on ne sait jamais à l’avance ce que peut un corps dans tel ou tel agencement (Spinoza), il n’existe pas de forme préconstituée (Nietzsche), l’homme est une invention (Foucault), on expérimente des branchements où les dualités homme/machine, naturel/artificiel ne font plus sens (Guattari).

Compléments divers

 « [...] Il n’y a pas d’opposition dans mon esprit entre les écologies : politique, environnementale et mentale. Toute appréhension d’un problème environnemental postule le développement d’univers de valeurs et donc d’un engagement éthico-politique. Elle appelle aussi l’incarnation d’un système de modélisation, pour soutenir ces univers de valeurs, c’est-à-dire les pratiques sociales, de terrain, des pratiques analytiques quand il s’agit de production de subjectivité. » D’après entretien avec Félix Guattari « Qu’est-ce que l’écosophie ? » Revue chimère, terminal n°56 http://www.revue-chimeres.org/pdf/termin56.pdf

***

L’homme, sous-système de systèmes, ne compose qu’un arc dans un circuit plus grand qui toujours le comprend lui et son environnement (l’homme et l’ordinateur, l’homme et la canne…). Gregory Bateson, l’un des fondateurs de la cybernétique de seconde génération, nous donne à voir un exemple de circuit, celui de l’aveugle avec sa canne. Il se demande alors « où commence le soi de l’aveugle ? Au bout de la canne ? Ou bien à la poignée ? Ou encore, en quelque point intermédiaire ? » Mais à vrai dire toutes ces questions sont absurdes puisque la canne est tout simplement une voie au long de laquelle sont transmises des informations, de sorte que couper cette voie c’est supprimer une partie du circuit systémique qui détermine la possibilité de locomotion de l’aveugle. Plus généralement : « l’unité autocorrective qui transmet l’information ou qui, comme on dit, pense,  agit et  décide, est un système dont les limites ne coïncident ni avec celles du corps, ni avec celles de ce qu’on appelle communément soi ou conscience ».

***

A la frontière tout est question d’échelle tant les subjectivités racinent dans de multiples expansions, d’agencements en collectivités, de collectivités jusqu’à la biosphère. Raphaël Bessis dans son dialogue avec le botaniste Francis Hallé : « […] il me paraît bien plus adéquat de parler de configuration singulière, plutôt que d’individu, configuration singulière qui ne prend forme qu’en rapport à d’autres configurations singulières, lesquelles ne se comprennent que dans un contexte très fortement dynamique. Ainsi, l’homme n’est plus pensé dans une position isolationniste, archipélique où les êtres seraient complètement distincts les uns des autres : atomisés […]

C’est à ce niveau d’analyse que l’on commence à percevoir les turbulences dans lesquelles séjourne l’âme humaine : l’individu au sens strict n’existe nullement, tant la subjectivité humaine s’ancre dans de multiples expansions, établissant la pluralité de ces racines dans un champ beaucoup plus large : celui de la collectivité, laquelle n’ayant pas davantage de forme parfaitement close, pleine et isolée, s’ouvrirait et s’ancrerait sur un collectif encore plus vaste. Si bien que d’une expansion à l’autre, nous nous retrouverions assez vite au niveau presque le plus général, celui de la société elle-même. C’est en ce sens que le schisme entre la société d’un côté et l’individu de l’autre est souvent une opinion sociologique non interrogée, qui en fait une problématique tout à fait passionnante. Peut-être pouvons-nous l’exprimer en un chiasme : l’individu est un être social et la société est faite d’individus…»

Un dernier point qui nous renvoie sur la nature naturante (causalité immanante) de Spinoza, ou autrement exprimée par la boucle récursive d’Edgar Morin: les effets et les produits sont nécessaires à leur causation et à leur production, nous sommes produits (de la société, de l’espèce) et producteurs (de la société, de l’espèce) à la fois.

troisvisages148 dans Nietzsche

Pour une histoire naturelle de l’homme: Selon J.-M. Schaeffer, l’affirmation selon laquelle l’homme est une exception parmi les vivants parce qu’il pense a conduit à une survalorisation des savoirs spéculatifs au détriment des savoirs empiriques. C’est à critiquer cette vision du monde, véritable obstacle au progrès scientifique, et à redonner toute sa légitimité au naturalisme que son ouvrage est consacré. Article en ligne: dessiner l’idéal type de la « Thèse » antinaturaliste, abandonner le cogito pour inscrire la lignée humaine dans une histoire naturelle, La société et la culture, expressions naturelles de l’espèce humaine, la « Thèse » comme vision du monde.

Conter et décloisonner

Conter et décloisonner dans Art et ecologie g

     C‘est avoir une vision bien limitée des problèmes de l’écologie que de croire que nous allons les identifier, pour y répondre, à travers les mesures physico-chimiques de machines qui après tout ne détectent que ce qu’on leur demande bien de detecter. Alors pour y arriver dans cette voie, sans doute devra-t-on nous démontrer que la solution existe en présupposant cette même solution…

http://www.dailymotion.com/video/x4blm8

C’est encore avoir une vision bien limitée que de croire que les arbres et autres végétaux feront le travail pour nous. Collecteur de CO2, et bien plantons ces nouvelles biomachineries et laissons faire la nature. Elle a toujours raison, comme on dira à l’occasion! Reste qu’assez loin de l’idée d’un végétal que nous dominerions du haut de nos multiples savoirs, observons simplement que nos société tendent à opter pour des stratégies organisationnelles (de type) végétales (réseau, rhizome, voir les travaux de R. Bessis). De sorte que le « dominé » n’est sans doute pas du côté que l’on pense tant notre dépendance vis à vis de la plante croît chaque jour un peu plus (nourriture, production d’O2, absorbtion de CO2, lutte contre l’érosion et la désertification, régulation climatique et hydrique, bois énergie, biocarburant, médicament…). N’oublions pas que la forme de vie végétale est la seule capable de puiser son énergie directement à partir du soleil. Le producteur primaire est ainsi le seul à tiré son énergie hors de la terre, les pieds pourtant fermement immobilisés dedans.

Mais bref, et les hommes dans tout ça ? Un simple pilote au-dessus de la mêlée ? Mais parmi toutes ces « solution-machines », ont-ils encore leur mot à dire une fois dit que la question écologique implique certainement de travailler directement l’étoffe même des choses dont ils sont faits ?

http://www.dailymotion.com/video/x3wsaw

Il y a de la résistance dans l’écologie. Résistance au dualisme, résistance à la tentation de se penser comme « un empire dans un empire« , résistance aux machines de la science et aux sillons des professionnels par une écologie capable de penser contre elle-même, résistance à un certain type de rapport de production and so on… En un mot peut-être, une résistance à toute formulation de type: « moi, j’ai la solution« .

danse1 dans Biodiversité

Alors à la suite de Deleuze et de bien d’autres, on s’insèrera par le milieu les pieds dans l’herbe pour chanter que: « créer c’est résister« . Si les arbres collectent et machinent le CO2, nous collectons des histoires, des perceptions et composons des oeuvres, des récits… Soit autant de graines englobant des modes d’existence passés et à venir. Pour notre conte, mais pas uniquement pour notre compte. Pour d’autres hommes, mais aussi comme un pont tendu vers et à destination de nouvelles formes de vie à venir. Cartographe, historien, poète, musicien, écrivain, écologue, banquier… nous participons tous par nos collectes à la diversité du phénomène du vivant. Alors l’écologie c’est aussi protéger ces espèces immatérielles nées de nos perceptions, et qui témoignent pour la vie dans son ensemble. Avec et sans nous, aux armes…surmonter ! 

Il ne s’agit donc pas de planter mécaniquement, partout et en tout lieu, des arbres pour une même fonction. Ils savent le faire tout seul, sous reserve de leur garantir les territoires et conditions pour se faire. Mais planter des récits comme autant de graines des nouvelles diversités et modes d’existence à produire, voilà peut-être bien une action humaine à replacer très haut dans la hierarchie de ce que pourrait-être une écologie étendue (?!)

http://www.dailymotion.com/video/x3w9xv

Parmi les récits de l’écologie, restent encore à bien des choses à écrire, créer, englober… intégrer. Qui sont, que deviennent nos personnages, où sont nos mondes ? Savoir conter tout autant que compter.

http://www.dailymotion.com/video/x3x1a6

Micro-tentative fantasmée d’auto-bio-récit-graphie sur lignes climatiques (:?! rassemblement de membres épars)

http://www.dailymotion.com/video/x3xay2

L’agencement collectif d’énonciation

Gratouiller le sol à la recherche des nouveaux concepts qui nous permettraient de renouveler, voire d’inventer de nouvelles pratiques de l’écologie, de l’urbanisme… L‘article suivant tiré du blog de l’anti-oedipe en question animé par Elias Jabre nous permet de mettre à jour quelques fragments du concept d’agencement collectif d’énonciation. A compléter ultérieurement.

http://www.dailymotion.com/video/4yGDJmxxLZnOWquzo

Le concept d’agencement collectif d’énonciation de Guattari-Deleuze permet de sortir de la logique du signifiant. Le sujet n’est plus un individu isolé avec ses signifiants, mais fait partie d’un agencement où il (est) interagi(t) avec un milieu et un groupe qui produisent un agencement collectif d’énonciation en évolution permanente.

L'agencement collectif d'énonciation  dans Deleuze r

« (…)  la fonction langage… n’est ni informative, ni communicative ; elle ne renvoie ni  à une information signifiante, ni à une communication intersubjective. Et il ne servirait à rien d’abstraire une signifiance hors information, ou une subjectivité hors communication. Car c’est le procès de subjectivation et le mouvement de signifiance qui renvoient à des régimes de signes ou agencements collectifs. (…) la linguistique n’est rien en dehors de la pragmatique (sémiotique ou politique) qui définit l’effectuation de la condition du langage et l’usage des éléments de la langue. »

 « (…) Il y a « primat d’un agencement machinique des corps sur les outils et les biens, primat d’un agencement collectif d’énonciation sur la langue et les mots. (…) un agencement ne comporte ni infrastructure et superstructure, ni structure profonde et structure superficielle mais aplatît toutes ses dimensions sur un même plan de consistance où jouent les présuppositions réciproques et les insertions mutuelles.(…) mais si l’on pousse l’abstraction, on atteint nécessairement à un niveau où les pseudos-constantes de la langue font place à des variables d’expression, intérieures à l’énonciation même ; dès lors ces variables d’expression ne sont plus séparables des variables de contenu en perpétuelle interaction. Si la pragmatique externe des facteurs non linguistiques doit être prise en compte, c’est parce que la linguistique elle-même n’est pas séparable d’une pragmatique interne qui concerne ses propres facteurs » ( …).

« Car une véritable machine abstraite se rapporte à l’ensemble d’un agencement : elle se définit comme le diagramme de cet agencement. Elle n’est pas langagière, mais diagrammatique, surlinéaire. Le contenu n’est pas un signifié, ni l’expression un signifiant, mais tous deux sont les variables de l’agencement. »

http://www.dailymotion.com/video/x3t5zy

(…) « L’unité réelle minima, ce n’est pas le mot, ni l’idée ou le concept, ni le signifiant mais l’agencement. C’est toujours un agencement qui produit les énoncés. Les énoncés n’ont pas pour cause un sujet qui agirait comme sujet d’énonciation pas plus qu’ils ne se rapportent à des sujets comme sujets d’énoncé. L’énoncé est le produit d’un agencement toujours collectif qui met en jeu en nous et dehors de nous des populations, des multiplicités, des tentations, des devenirs, des affects, des évènements. »

(tiré de Dialogues et Mille plateaux)

http://www.dailymotion.com/video/xsmh4

Capable de dire ceci ou cela… pour, dans, à la place de…

On ne se bat pas pour la planète, pour l’environnement. On ne se bat peut-être même pas avec mais dans la planète, dans un environnement. Non à l’intention de la planète, mais à la place des non humains habitant la planète. Comme le disait Deleuze pour l’écrivain, on n’écrit pas pour les bêtes au sens de « à l’intention de », on écrit pour au sens de « à la place » des bêtes, des analphabètes…

http://www.dailymotion.com/video/2yfvENX3XLTZxoMIU « L’homme qui souffre est une bête, la bête qui souffre est un homme. C’est la réalité du devenir. Quel homme révolutionnaire en art, en politique, en religion ou en n’importe quoi, n’a pas senti ce moment extrême où il n’était rien qu’une bête, et devenait responsable non pas des veaux qui meurent, mais devant les veaux qui meurent. » Gilles Deleuze.

Interrogeons nous donc un instant sur ce que peut bien signifier des slogans tels que « 5mns pour la planète » , et toutes autres formes du « faisons ceci cela pour l’environnement »… Car de quoi on parle-t-on quand on dit ça ? Quelle information sur nous-mêmes dissimule le simple fait de pouvoir dire ça ? Faire pour… pourquoi, comment, ou plutôt pour qui ?

Au sens d’Uexküll, ce que nous appelons environnement ou planète n’est pas autre chose que la partie du monde accessible, visible, traductible par nos organes sensoriels. C’est à dire notre monde vécu, monde construit qui n’a rien à voir avec celui du singe, de la plante et du mollusque avec lesquels nous ne partageons pas les mêmes capacités sensorielles d’être affecté par.

http://www.dailymotion.com/video/BOjuohakUQJDPoMG8 « Un lointain successeur de Spinoza dira : voyez la tique, admirez cette bête, elle se définit par trois affects, c’est tout ce dont elle est capable en fonction des rapports dont elle est composée, un monde tripolaire et c’est tout! La lumière l’affecte, et elle se hisse jusqu’à la pointe d’une branche. L’odeur d’un mammifère l’affecte, et elle se laisse tomber sur lui. Les poils la gênent, et elle cherche une place dépourvue de poils pour s’enfoncer sous la peau et boire le sang chaud. Aveugle et sourde, la tique n’a que trois affects dans la forêt immense, et le reste du temps peut dormir des années en attendant la rencontre [...] » Gilles Deleuze.

Ajoutons que contrairement à la conscience animale, la conscience humaine est le siège de l’irruption de l’inconscient dans ses perceptions/représentations de la réalité. C’est à dire que toutes sortes de rêveries peuvent se brancher sur n’importe quelles de nos perceptions. Intentionnalité inconsciente et refoulement ne cessent donc de venir en contaminer le sens. Comme l’animal, l’action de l’homme a un but manifeste, mais dans le même temps, elle est aussi éclaireur de l’inconscient.

Sur ces points, consulter l’ouvrage de Gérard Pommier (Comment les neurosciences démontrent la psychanalyse), et plus précisément le chapitre consacré à la différence entre la conscience animale et humaine. L’homme habite le langage, et par là l’ordre symbolique. Ainsi, lorsque je lui parle, le chat ne perçoit qu’une musique. Un signifiant (part du signe qui peut devenir sensible) sans signifié (tout ce qui est lié à la signification).

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Mais nous poussons, hommes et animaux, dans un environnement que nous participons à modifier et dont les modifications nous modifient en retour. L’arbre participe ainsi à créer la forêt dans laquelle il se développe. Ce sont donc les interactions entre les vivants qui tout à la fois composent un milieu et s’y construisent. Si bien que même si nous ne sommes pas capables des mêmes affects, représentations et actions, il existe des passerelles entre les différents mondes des vivants. Ce que démontrent les travaux de Boris Cyrulnik (neuropsychiatre et éthologue) sur l’attachement, l’empreinte, la matérialisation de pensée…etc, etc…

Les éclairages suivants de Boris Cyrulnik sont tirés de l’ouvrage de Karine Lou Matignon « Sans les animaux, le monde ne serait pas humain » (éd. Clés / Albin Michel.)

« Le fait d’étudier la phylogenèse, qui est la comparaison entre les espèces, permet de mieux comprendre l’ontogenèse et la place de l’homme. On comprend mieux aussi la fonction et l’importance de la parole dans le monde humain. Il existe une première gestualité universelle, fondée sur le biologique, proche de l’animalité. Dès que le langage apparaît, une deuxième gestualité imprégnée de modèles culturels prend place. Là, la première gestuelle s’enfouit, les sécrétions d’hormones dans le cerveau changent. Donc, on comprend mieux comment le langage se prépare, comment le choix des mots pour raconter un fait révèle l’interprétation qu’on peut en faire, comment la parole peut changer la biologie en changeant les émotions. »

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« Lorsqu’un bébé humain pleure, cela nous trouble profondément. Si l’on enregistre ces cris et qu’on les fait écouter à des animaux domestiques, on assiste à des réactions intéressantes : les chiennes gémissent aussitôt, couchent leurs oreilles. Elles manifestent des comportements d’inquiétude, orientés vers le magnétophone. Les chattes, elles, se dressent, explorent la pièce et poussent des miaulements d’appel en se dirigeant alternativement vers la source sonore et les humains. Il semble exister un langage universel entre toutes les espèces, une sorte de bande passante sensorielle qui nous associe aux bêtes [...] Le chien qui vit dans un monde de sympathie est hypersensible au moindre indice émis par le corps du propriétaire adoré. C’est donc bien une matérialisation de la pensée humaine transmise au chien qui façonne ce dernier. »

« Première certitude à abandonner : les animaux ne sont pas des machines. J’insiste beaucoup là-dessus : le jour où l’on comprendra qu’une pensée sans langage existe chez les animaux, nous mourrons de honte de les avoir enfermés dans des zoos et de les avoir humiliés par nos rires. Nous avons peut-être une âme, mais le fait d’habiter le monde du sens et des mots ne nous empêchent pas d’habiter le monde des sens. Il faut habiter les deux si l’on veut être un être humain à part entière. Il n’y a pas l’âme d’un côté et de l’autre la machine. C’est là tout le problème de la coupure. »

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« Les animaux ne sont pas des machines, ils vivent dans un monde d’émotions, de représentations sensorielles, sont capables d’affection et de souffrances, mais ce ne sont pas pour autant des hommes. Le paradoxe, c’est qu’ils nous enseignent l’origine de nos propres comportements, l’animalité qui reste en nous… En observant les animaux, j’ai compris à quel point le langage, la symbolique, le social nous permettent de fonctionner ensemble. »

Le choix des mots n’est jamais neutre. Ainsi, dire se se battre pour l’environnement ou la planète telle que nous la percevons ne veut pas dire autre chose que de rabattre le reste des habitants de la biosphère sur notre propre vision, soit revient à dire la-même chose que ce que nous disons déjà depuis très longtemps dans un cadre humain. A contrario, dire qu’on se bat dedans revient à reconnaître son appartenance à un tout, son insertion dans un ensemble plus vaste où une partie de soi est hors de soi, précisément dans son environnement. Dire qu’on se bat à la place de revient à reconnaître (situer) la place de l’homme, responsable devant la biosphère.

+ voir le dossier du CERPHI consacré à l’animal : http://www.cerphi.net/lec/animal.htm

Rencontre Deleuze (:) Bateson : un langage des relations ?

Première étape : 

http://www.dailymotion.com/video/S6EfujKi7JvrjifPX

Extrait audio d’après la voix de Gilles Deleuze en ligne, transcription de Guy Nicolas , cours du 05/05/81 17B : http://www.univ-paris8.fr/deleuze/article.php3?id_article=43

Seconde étape :

http://www.dailymotion.com/video/7gmzZ3pOb51w4hbdg

Extrait audio d’après la voix de Gilles Deleuze en ligne, transcription de Sandra Tomassi, cours du 05/05/81 17C : http://www.univ-paris8.fr/deleuze/article.php3?id_article=83

Troisième étape :

Le peuple qui manque, serait-ce… les Alcooliques Anonymes ? 
Article du blog de l’anti-oedipe en question

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