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Ecologie, composition de rapports et agencement

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     Sous un certain angle, l’écologie pourrait être vue comme l’art de composer des rapports, des agencements. Une fois dit que ceux-ci acquièrent une certaine permanence ou durée, c’est alors également l’art de coloniser de la roche nue, comme de « contaminer » un système de pensée.

Si l’on souhaite explorer plus en avant les conséquences possibles d’une telle définition, il conviendrait donc dans un premier temps de se demander ce que l’on peut entendre par agencement.

     Deleuze nous renseignait sur la philosophie de Spinoza et sur la place de l’agencement vu comme la nécessaire rencontre, composition des corps : « l’artifice fait complètement-partie de la Nature, puisque toute chose, sur le plan immanent de la Nature, se définit par des agencements de mouvements et d’affects dans lesquels elle entre, que ces agencements soient artificiels ou naturels […] l’Ethique de Spinoza n’a rien à voir avec une morale, il la conçoit comme une éthologie, c’est-à-dire comme une composition des vitesses et des lenteurs, des pouvoirs d’affecter et d’être affecté sur ce plan d’immanence. Voilà pourquoi Spinoza lance de véritables cris : vous ne savez pas ce dont vous êtes capables, en bon et en mauvais, vous ne savez pas d’avance ce que peut  un corps ou une âme, dans telle rencontre, dans tel agencement, dans telle combinaison. »

Or il semble qu’une autre perspective éclairante de l’agencement (circuit de système) puisse être vue chez Bateson pour qui : « si nous voulons expliquer ou comprendre l’aspect « mental » de tout événement biologique, il nous faut, en principe, tenir compte du système, à savoir du réseau des circuits fermés, dans lequel cet événement biologique est déterminé. Cependant, si nous cherchons à expliquer le comportement d’un homme ou d’un tout autre organisme, ce « système » n’aura généralement pas les mêmes limites que le « soi » – dans les différentes acceptions habituelles de ce terme. »

image0029 dans -> PERSPECTIVES TRANSVERSES

     Bateson prend l’exemple d’un homme abattant un arbre avec une cognée. Chaque coup de cognée sera corrigé en fonction de la forme de l’entaille laissée sur le tronc par le coup précédent. Ce processus autocorrecteur (mental) est donc déterminé par un système global fait de l’agencement suivant : arbre-yeux-cerveau-muscles-cognée-coup-arbre.

Pour Bateson, ce n’est pas ainsi qu’un homme occidental moyen considérera la séquence événementielle de l’abattage de l’arbre. Selon son mode de pensée, il dira plutôt : «J’abats l’arbre» et ira même jusqu’à penser qu’il y a un agent déterminé, le « soi », qui accomplit une action déterminée, dans un but précis, sur un objet déterminé. Ce mode de pensée caractéristique aboutissant au final à renfermer l’esprit dans l’homme et à réifier l’arbre et « finalement, l’esprit se trouve réifié lui-même car, étant donné que le soi agit sur la hache qui agit sur l’arbre, le « soi » lui-même doit être une chose ».  

image00311 dans Art et ecologie

     Bateson prend un autre exemple d’agencement, celui de l’aveugle avec sa canne et se demande alors : « où commence le « soi » de l’aveugle ? Au bout de la canne ? Ou bien à la poignée ? Ou encore, en quelque point intermédiaire ? » Pour lui toutes ces questions sont absurdes, puisque la canne est tout simplement une voie, au long de laquelle sont transmises les différences transformées (sa définition de l’idée), de sorte que couper cette voie c’est supprimer une partie du circuit systémique qui détermine la possibilité de locomotion de l’aveugle. L’agencement est donc un facteur positif, créateurs d’ordre, de structures, de fonctions. Mais bien plus : « l’unité autocorrective qui transmet l’information ou qui, comme on dit, « pense »,   « agit » et  « décide », est un système dont les limites ne coïncident ni avec celles du corps, ni avec celles de ce qu’on appelle communément « soi » ou conscience ».

image0043 dans Bateson

     Pour Bateson les idées sont immanentes dans un réseau de voies causales que suivent les conversions de différence (i.e. des idées qui ne sont pas des « impulsions », mais de « l’information »). Celles-ci « coulent » dans des réseaux multiples, s’articulant ou s’agençant par delà les formes et contours :

  • « ce réseau de voies ne s’arrête pas à la conscience. Il va jusqu’à inclure les voies de tous les processus inconscients, autonomes et refoulés, nerveux et hormonaux »;

  • « le réseau n’est pas limité par la peau mais comprend toutes les voies externes par où circule l’information. Il comprend également ces différences effectives qui sont immanentes dans les « objets » d’une telle information ; il comprend aussi les voies lumineuses et sonores le long desquelles se déplacent les conversions de différences, à l’origine immanentes aux choses et aux individus et particulièrement à nos propres actions».

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Citations de Gregory Bateson d’après « Vers une écologie de l’esprit » – Tome 1

Tâtonnements

     Si comme nous le pensons la question écologique admet une multitude d’expressions, notre champ d’action est alors un vaste spectre allant du domaine scientifique le plus « dur » jusqu’à la fonction artistique « correctrice » de Bateson. Contrairement à ce que voudrait nous laisser croire la communication d’urgence médiatico-simpliste, bien plus que de diluer un message, multiplier les points de vue sur un ensemble complexe ne peut que participer à enrichir les débats et ouvrir des portes d’accès aux différentes subjectivités qui composent nos société.

Une fois dit que l’écologie peut-être vue, sous un certain angle, comme un certain art de composer des rapports avec son environnement, il paraît possible d’imagner que ces même rapports puissent être transposés, explorés indépendamment de leurs termes. Autrement dit envisager qu’il existe une écologie des idées ou des affects comme de l’herbe. Et voilà qui serait bien une formidable occasion d’inspirations nouvelles. Dès lors comment mettre en perspective « artistique » certains des concepts de l’écologie ? Commençons simplement par un commencement et tâtonnons joyeusement. La vidéo qui suit pourrait être un point de départ : écosystèmes d’ambiance flous, tonalités affectives diverses, contextualisation de formes, ligne musicale de synthèse nécessaire, bruits hasardeux…

http://www.dailymotion.com/video/30tscaJU5W4VX9RMn

Synthèse d’étape

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      Depuis le démarrage de ce blog nous avons essayé de contribuer à ce que pourrait être un discours écologique « étendu », une méthode ou mode de pensée encore à constituer et diffuser, cela à partir des divers fragments de nos connaissances actuelles.

A ce stade il convient sans doute de synthétiser certaines des sélections que nous avons pu faire et qui constituent quelques unes des armes à la lutte nécessaire contre toute forme d’anthropocentrisme. Ce dernier, entendu comme la projection perpétuelle de la cosmologie humaine sur le vivant ou le non vivant, est sans doute le premier adversaire à abattre sur notre chemin.

Dans son article « du risque « naturel » à la catastrophe urbaine : Katrina« , François Mancebo, professeur des universités – aménagement-géographie, nous rappelle que : « l’environnement, loin d’une transcendance s’imposant d’elle-même, est construit culturellement par les sociétés. Il importe, en effet, de ne pas confondre les notions d’écosystèmes et d’environnement. Si les écosystèmes existent per se, avec leurs flux de matière, d’énergie et d’information plus ou moins régulés selon des lois biophysiques et biochimiques, l’environnement est la manifestation de la manière dont l’humanité négocie sa survie au sein de ces écosystèmes. L’Homme se fait une représentation des écosystèmes qu’il habite et la nomme « environnement » à partir des usages dont les ressources écosystémiques sont l’objet (prélèvements (utilisation de l’air, des eaux, des minéraux), apports (pollution), modifications de structure (habitat, transports)) (Mancebo F., 2006). Définir son environnement participe ainsi de la territorialisation de l’espace. En tant que tel, il s’agit d’un processus relationnel où groupes sociaux et personnes se confrontent ou s’associent pour l’usage, sinon le contrôle, des ressources. Pour cette raison, ce que les sociétés humaines perçoivent de leur environnement résulte d’un travail de négociation et d’interprétation du réel (Raffestin C., 1986). »

Avec Bateson, nous avons vu que l’homme ne pouvait avoir qu’une conscience partielle des phénomènes; une vison trop projective de la vie qu’il est possible de « corriger » : « mais, si l’art, comme je l’ai suggéré précédemment à une fonction positive, consistant à maintenir ce que j’ai appelé « sagesse », modifier, par exemple, une conception trop projective de la vie, pour la rendre plus systémique, alors la question à poser à propos d’une œuvre d’art devient : quelles sortes de corrections, dans le sens de la sagesse, sont accomplies par celui qui crée ou qui « parcourt» cette œuvre d’art ? » 

Avec Monod, une démonstration du rôle central que tient le hasard dans l’évolution biologique : « le hasard seul est à la source de toute nouveauté, de toute création dans la biosphère. Le hasard pur, le seul hasard, liberté absolue mais aveugle, à la racine même du prodigieux édifice de l’évolution »

Avec Uexküll, une représentation du monde animal où « chaque espèce vit dans un monde unique, qui est ce qui lui apparaît  déterminé par son organisation propre […] rien que quelques signes comme des étoiles dans une nuit noire immense ». 

Avec Guattari, l’articulation nécessaire entre l’écologie environnementale pour les rapports à la nature et à l’environnement, l’écologie sociale pour les rapports au « socius », aux réalités économiques et sociales, l’écologie mentale pour les rapports à la psyché, la question de la production de la subjectivité humaine : « les formations politiques et les instances exécutives paraissent totalement incapables d’appréhender cette problématique dans l’ensemble de ses implications. Bien qu’ayant récemment amorcé une prise de conscience partielle des dangers les plus voyants qui menacent l’environnement naturel de nos sociétés, elles se contentent généralement d’aborder le domaine des nuisances industrielles et, cela, uniquement dans une perspective technocratique, alors que, seule, une articulation éthico-politique, que je nomme écosophie, entre les trois registres écologiques, celui de l’environnement, celui des rapports sociaux et celui de la subjectivité humaine, serait susceptible d’éclairer convenablement ces questions. »

En conséquence et d’un point de vue pratique, si le changement climatique nous apparaît comme un élément de contexte général indéniable, nous soulignons l’importance concrète des thématiques de l’eau et de la biodiversité. S’adresser à ces thématiques clés en priorité nous permettrait d’absorber au mieux les impacts attendus du changement climatique.

L’écologie de Gregory Bateson

« Il y a une écologie des mauvaises idées, comme il y a une écologie des mauvaises herbes. » Gregory Bateson 


« Vers une écologie de l’esprit »
Gregory Bateson (1904-1980)

Gregory Bateson

      Scientifique américain ayant consacré sa vie à la recherche dans des domaines très variés des sciences sociales (anthropologie, psychiatrie, cybernétique), Gregory Bateson  s’est principalement attaché à penser une épistémologie[1] nouvelle à partir des matériaux de la cybernétique (rapports du tout à ses éléments et critique de la disjonction substantialiste entre sujet et objet), de la théorie des systèmes (étude des boucles et systèmes d’interaction complexes) et des types logiques (mise en perspective hiérarchique des relations). 

De ce « contexte » épistémologique, les travaux de G. Bateson ne cesseront d’approfondir les questions relatives au « soi » dans la relation complémentaire de celui-ci avec le système plus vaste qui l’inclut. Ainsi : « l’observateur appartient au champ même de l’observation et que, d’autre part, l’objet de l’observation n’est jamais une chose, mais toujours un rapport ou une série indéfinie de rapports. » En conséquence, un système de communication n’est donc plus le fait d’une individualité physique constituée, mais d’un vaste réseau de voies empruntées par des messages.

Dès lors, à l’opposition classique entre immanence et transcendance, « l’épistémologie cybernétique » de Bateson propose de substituer une approche nouvelle par où l’esprit individuel est immanent. Mais pas seulement dans le corps ! Il l’est également dans les voies et messages extérieurs au corps. Précisément dans la mesure où l’esprit humain n’est qu’un sous-système d’un esprit plus vaste, ce dernier étant lui-même immanent à l’ensemble interconnecté formé par le système social et l’écologie planétaire.

A la question : « que diable entendez-vous par écologie de l’esprit ? » Bateson répondait :

« ce que je veux dire, plus ou moins, c’est le genre de choses qui se passent dans la tête de quelqu’un, dans son comportement et dans ses interactions avec d’autres personnes lorsqu’il escalade ou descend une montagne, lorsqu’il tombe malade ou qu’il va mieux. Toutes ces choses s’entremêlent et forment un réseau [...] On y trouve à la base le principe d’une interdépendance des idées qui agissent les unes sur les autres, qui vivent et qui meurent. [...] Nous arrivons ainsi à l’image d’une sorte  d’enchevêtrement complexe, vivant, fait de luttes et d’entraides, exactement comme sur n’importe quelle montagne avec les arbres, les différentes plantes et les animaux qui y vivent – et qui forment, en fait, une écologie »[2].

La note qui suit tentera de présenter quelques uns des concepts de bases de la pensée de G. Bateson (cybernétique et type logique), en insistant sur le concept de conscience non assistée et le rôle de l’art en tant qu’outils d’accessibilité au système écologique planétaire.

Système et cybernétique

      Dans sa définition classique[3], la cybernétique est une science destinée à couvrir l’ensemble des phénomènes qui mettent en jeu des mécanismes de traitement de l’information (transport des messages à travers des réseaux de communication, prédiction, organisation et régulation des systèmes biologiques). Celle-ci diffère donc de la théorie de l’information (codage, décodage, stockage, transport, filtrage de l’information, etc.) en ce  « qu’elle ne s’intéresse pas aux systèmes concrets qui opèrent sur de l’information » mais bien à la structure logique de leur fonctionnement.
Autrement dit, si l’étude de la transmission des signaux se fait à la lumière de la théorie de l’information, on pourra néanmoins étudier les transformations systématiques auxquelles sont soumises les informations représentées par ces signaux en faisant complètement abstraction de ceux-ci. Voilà qui est précisément le point de vue de la cybernétique.

Pour Bateson, la description d’une organisation en termes de correspondance, d’adaptation et de convenance aux conditions du contexte et de l’environnement révèle de l’explication cybernétique, type logique différent de celui de l’explication causale. Il ne s’agit plus de savoir « pourquoi quelque chose s’est produit » mais de savoir quelles contraintes ont fait que « n’importe quoi ne se soit pas produit ».

·  Dans l’explication causale, dite « positive », la trajectoire ou le comportement d’un élément est considéré comme entièrement prédictible à partir des conditions initiales (relation linéaire de cause à effet).

· Dans l’explication cybernétique, dite « négative », l’examen des restrictions ou contraintes du système montre que seule une « réponse appropriée » aux différentes contraintes peut survivre, se développer et se reproduire.

« […] En termes cybernétiques, on dit que le cours des événements est soumis à des restrictions, et on suppose que, celles-ci mises à part, les voies du changement n’obéiraient qu’au seul principe de l’égalité des probabilités. En fait, les restrictions sur lesquelles se fonde l’explication cybernétique peuvent être considérées, dans tous les cas, comme autant de facteurs qui déterminent l’inégalité des probabilités [...] Idéalement – et c’est bien ce qui se passe dans la plupart des cas – dans toute séquence ou ensemble de séquences, l’événement qui se produit est uniquement déterminé en termes d’une explication cybernétique. Un grand nombre de restrictions différentes peuvent se combiner pour aboutir à cette détermination unique. Dans le cas du puzzle, par exemple, le choix d’une pièce pour combler un vide est restreint par de nombreux facteurs : sa forme doit être adaptée à celle des pièces voisines et, en certains cas, également à celle des frontières du puzzle ; sa couleur doit correspondre à celles des morceaux environnants [...] Du point de vue de celui qui essaie de résoudre le puzzle, ce sont là des indices, autrement dit des sources d’information qui le guideront dans son choix. Du point de vue de la cybernétique, il s’agit de restrictions. De même pour la cybernétique, un mot dans une phrase, une lettre à l’intérieur d’un mot, l’anatomie d’un quelconque élément d’un organisme, le rôle d’une espèce dans un écosystème, ou encore le comportement d’un individu dans sa famille, tout cela est à expliquer (négativement) par l’analyse des restrictions. [4] »

La description d’une organisation n’est donc adéquate que si l’on inclut une description des contraintes exercées par le contexte et l’environnement sur ses possibilités d’action (comportement, fonction et processus), d’agencement (structure) et de devenir (évolution). Il est de même du comportement conçu comme un « construit organisé d’activités », de la cellule jusqu’à la machine et aux institutions en passant par l’animal et l’homme, la société.
Le comportement d’une fourmi ne devient ainsi intelligible qu’au regard des contraintes topographiques de son parcours, des contraintes du ravitaillement à rapporter dans un processus stochastique du hasard des rencontres et de la nécessité de ramener la nourriture.

Niveaux et types logiques

Le terme Méta signifie « à propos de », il est issu du grec et signifie au départ « après, au-delà de »[5]. Il induit un regard de la chose sur elle-même. Un métalangage est un langage qui a pour sujet le langage, une métacommunication est une communication à propos de la communication.
Mais de la communication à la métacommunication il y a un changement de « niveau logique », dans la mesure où l’on peut distinguer le message proprement dit du message à propos du message.

Gregory Bateson va donc appliquer le concept de niveau logique, pas seulement à la communication, mais à la vie en général. Pour ce faire il s’appuiera sur le concept de « type logique » tel que développé par le mathématicien Russel[6]. Remarquant qu’un animal qui joue peut simuler le comportement d’agression de sorte que l’animal lui faisant face sera capable de distinguer un cadre ludique, ne se sentira pas menacé, il est amené à dire que la métacommunication trace donc un cadre (contexte) qui influence le sens de la communication de base (i.e. le comportement d’agression).
Cette distinction des couches qui englobent les précédentes constitue la « hiérarchie naturelle» telle que définie par Bateson.

Les types logiques ont été définies au début du vingtième siècle par Russel et Whitehead et sont liées aux concepts de classe et de classification. Des éléments ayant des caractéristiques communes peuvent être rassemblés pour former une classe d’éléments partageant les mêmes caractéristiques. La classe des éléments ainsi formée est d’un type logique différent de celui des éléments proprement dit, dans la mesure où il est exclu qu’une classe soit membre d’elle-même (la classe des oiseaux n’est pas un oiseau) et qu’une classe ne peut être membre de sa non-classe (la classe des oiseaux n’appartient pas à la classe des non oiseaux). La notion de classe définit ainsi un niveau logique supérieur par rapport à ses éléments.

« Un bibliothécaire dresse le catalogue des livres dont il a la charge et, lorsqu’il a terminé, se demande où situer son catalogue. En effet, son catalogue a bien l’apparence d’un livre, mais il n’est pas du même ordre ou niveau que les livres qu’il classifie et répertorie. Le catalogue des livres n’est pas un livre. C’est le livre des livres ou « méta-livre ». Il ne peut pas se répertorier lui-même et être à la fois un des membres et la classe. Il est d’un niveau de type logique supérieur à celui des livres qu’il classifie. C’est la représentation des livres, elle cartographie les livres, comme la carte pour le territoire, le menu pour le repas. C’est une représentation des livres qui y sont représentés. Comme le catalogue n’est pas du même ordre ou niveau que les livres qu’il classifie et répertorie, cette historiette de bibliothécaire n’est pas du même ordre que le texte qu’elle commente. C’est pour souligner cette distinction, en rupture radicale, entre le message (le texte) et le méta-message (le commentaire) ou message sur (ou au sujet de) le message qu’a été introduite une rupture typographique marquée. De la même façon, les règles du jeu ne sont pas du jeu et ne sont pas en jeu, comme le méta-message qui « cadre » le message et le situe en indiquant la manière de comprendre le message. » (source article Wikipédia sur la théorie des contextes)

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Gregory Bateson part donc de ces concepts logiques pour les appliquer au monde du vivant, et plus particulièrement à l’apprentissage (voir table suivante). En incluant le niveau de communication de base, le méta-niveau l’influence et de nouvelles propriétés peuvent émerger, celles-ci pouvant radicalement différer de celles du niveau de départ. Afin de se représenter la chose, l’image des poupées russes qui s’emboitent les unes dans les autres serait sans doute plus adéquate qu’une simple métaphore spatiale représentant des niveaux successif empilés les uns sur les autres.

« Le stimulus est un signal élémentaire interne ou externe. Le contexte du stimulus est un métamessage qui classifie le signal élémentaire. Le contexte du contexte du message est un méta-métamessage etc. etc.…Le contexte est un terme collectif désignant tous les événements qui indique à l’organisme à l’intérieur de quel ensemble de possibilités il doit faire son prochain choix. Il y a donc des indicateurs de contexte. Un organisme répond différemment au même stimulus  dans des contextes différents. Quel est donc la source informative de l’organisme ? Il existe des signaux dont la fonction est de classifier les contextes. Indicateur de contexte de contexte… » (Source Bateson, vers une écologie de l’esprit tome 1 (309-310)

Systèmes et métasystèmes 

Pour Bateson, le concept de type logique à une implication directe sur le rapport du tout à ses éléments : « la contradiction entre le tout et la partie [...] est tout simplement une contradiction dans les types logiques [car] le tout est toujours en métarelation avec ses parties. »

« Le système minéral de la lithosphère oriente et délimite les possibilités de vie du système organique de la biosphère. Ce système organique, lui même, oriente et délimite les possibilités d’association des congénères animaux et végétaux du système social de la sociosphère. Le système organique est alors le contexte du système social ou métasystème social c’est-à-dire le système du système social et le système minéral comme « métasystème organique » ou encore métamétasystème social.
Ainsi, l’écosystémique de la foresterie et de la pêcherie, à la base, s’occupe du système social de l’association des arbres et des poissons avec son environnement ; cet environnement est le système organique, qui est lui-même dans un environnement qui est le système minéral de la lithosphère qui oriente et délimite les possibilités de vie sur la planète. »
 (
D’après source article Wikipédia sur la Théorie des contextes).

L’approche écosystémique est ainsi une façon de percevoir à la fois l’arbre et la forêt, sans que le premier ne masque la seconde. L’arbre est perçu comme une configuration d’interactions appropriée aux conditions de vie dans le contexte forestier, en association avec d’autres arbres qui forment sa « niche écologique ».

Apprendre à apprendre

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Bateson propose de distinguer une suite hiérarchisée de quatre catégories d’apprentissage classées le long d’une échelle de type logique. Attention ! Un niveau d’apprentissage n’est pas un niveau de compréhension. Il existe un certain nombre de niveaux dans lesquels chaque niveau supérieur est la classe des niveaux subordonnés.
D’une manière générale, plus le niveau est élevé et moins nous comprenons le processus, plus il est difficile à l’esprit de « manœuvrer » avec. Le changement implique un processus, mais les processus eux-mêmes sont soumis au changement. Ceci implique la notion de contexte répétable comme une prémisse nécessaire à toute théorie qui définit l’apprentissage en tant que changement : « Aucun homme ne peut coucher deux fois pour la première fois avec la même fille » Héraclite.
D’un point de vue intellectuel, il peut-être utile de se référer à l’analogie du mouvement : le mot « apprentissage » indique indubitablement un changement, d’une sorte ou d’une autre. La forme de changement la plus simple et la plus familière étant le mouvement.

L’apprentissage de niveau 0 est l’expérience directe : « je mets ma main au feu, et je me brûle. » L’apprentissage zéro se caractérise par la spécificité de la réponse, qui juste ou fausse, n’est pas susceptible de correction. L’apprentissage 0 correspond à la position de l’objet.

L’apprentissage de niveau 1 est ce que nous appelons généralement « apprentissage »,  à savoir  la généralisation des expériences directes de bases : « j’ai mis ma main dans le feu, j’ai été brûlé et je ne le referai plus. » Accoutumance, conditionnement pavlovien classique…Il correspond à un changement dans la spécificité de la réponse, à travers une correction des erreurs de choix à l’intérieur d’un ensemble de possibilité. L’apprentissage 1 correspond à sa vitesse quand il bouge. 

L’apprentissage de niveau 2 contextualise les expériences de l’apprentissage de niveau 1. Il s’agit ici de développer des stratégies afin de maximiser l’apprentissage de niveau 1, à travers l’extraction de règles implicites et la mise en contexte des unités d’apprentissage de niveau 1 : « généralement je ne risque pas d’être brûlé, mais cela pourrait m’arriver si je devais sauver autrui d’un incendie. » Il correspond donc à un changement dans le processus de l’apprentissage 1, changement correcteur dans l’ensemble des possibilités où s’effectue le choix et qui se produit dans la façon dont la séquence de l’expérience est ponctuée. L’apprentissage 2 semble également être ainsi une préparation nécessaire aux troubles du comportement. A travers ses recherches sur la schizophrénie, Bateson isolera la source de cette dernière comme l’incompatibilité répétée entre un contexte et un métacontexte au cours d’un apprentissage (notion de la double contrainte). L’apprentissage 2 correspond à l’accélération ou à la décélération, soit au changement dans la vitesse de l’objet mobile.

L’apprentissage de niveau 3 contextualise les expériences de l’apprentissage de niveau 2. Il est difficile et peu fréquent même chez l’être humain. En ce sens il peut être qualifié de niveau spirituel ou existentiel : « que dit de moi le fait d’être prêt à risquer d’être brûler pour… » C’est un changement dans le processus de l’apprentissage 2, changement correcteur dans le système des ensembles de possibilité dans lequel s’effectue le choix. L’apprentissage 3 correspond à un changement dans le rythme de l’accélération ou de la décélération, soit un changement dans le changement du changement de la position…

La conscience non assistée

En signant « cet abandon des frontières de l’individu comme point de repère », et remarquant que si Freud a « étendu le concept d’esprit vers le dedans [...] à l’intérieur du corps », Bateson entend lui-même « étendre l’esprit vers le dehors ». Or ces deux mouvements ont ceci de commun qu’ils s’accompagnent de la réduction du champ du soi conscient

C’est précisément sur cette base de la réduction du champ conscient que nous tenterons d’aborder, succinctement, l’un des nombreux apports de Bateson à la pensée écologique. À travers certaines citations extraites du tome 1 de « Vers une écologie de l’esprit [7]», nous nous intéresserons plus précisément à la nature correctrice de l’art, en tant que voie d’accès aux relations par delà leurs termes (objet/sujet, objet/objet sujet/sujet). Précisément car « le dualisme est appétitif » nous dit Bateson. Ainsi, quand nous percevons notre environnement comme composé de choses et que nous ignorons les liens qui nous relient à ces choses, nous pouvons nous mettre à vouloir les posséder « bêtement ».
Qu’adviendrait-il en terme de mode d’existence si nous envisagions le monde comme un ensemble de relations ?

Codes conscients et inconscients

      L’être humain, s’il apprend à se comporter dans son environnement grâce à la coévolution,  est également « couplé à son environnement biologique par l’intermédiaire de la conscience ». C’est-à-dire qu’il a la capacité consciente de « savoir qu’il sait ». Or une grande partie de cette pensée consciente est « occupée » par l’algorithme du langage (ou processus secondaire). C’est-à-dire parler de choses et de personnes singulières  caractérisées par un système de marquage, l’emploi de la négation, la temporalité etc. etc.…

Cependant, à la suite de Nietzche, nous pouvons dire que la grande partie de nos activités est inconscience et l’algorithme qui caractérise la pensée de l’inconscient (processus primaire) est lui bien différent. Il est marqué par une double inaccessibilité :
· son accès est intermédié par le rêve, l’art, la religion, les drogues etc. etc.…
· sa traduction est difficile dans la mesure où il communique sur un mode métaphorique des relations dont les termes sont impersonnels ou non identifiés. C’est-à-dire que pour l’inconscient, seule la relation illustrée demeure inchangée. Ici, il n’existe pas de marquage indiquant la métaphore contrairement aux termes  « comme, comme si » du langage conscient.

Pour Bateson, le rôle de l’inconscient est double :
· accueillir les choses difficiles que la consciente souhaite occulter (rôle « sécuritaire ») ;
· accueillir les « habitudes » (rôle économique).

Insistons à présent sur ce second point. Bateson entend par habitudes, les choses tellement familière qu’il est inutile de les examiner autrement qu’au niveau des conclusions de l’action que la pensée implique. En conséquence, il existe donc des types de connaissance qui peuvent être reléguées à des niveaux inconscients (ce qui est commun à une affirmation particulière et à une métaphore lui correspondant), d’autres se devant d’être gardées en surface : « généralement, nous sommes capables de refouler les types de connaissance qui restent valables indépendamment des changements intervenus dans l’environnement, mais nous devons maintenir à une place accessible tous les moyens de contrôle du comportement, qui doivent être changés à chaque moment. »

Ainsi les prémisses peuvent être refoulées par mesure d’économie, mais les conclusions particulières doivent être maintenues à la conscience. D’un point de vue économique, on pourra dire que l’inaccessibilité est le prix du refoulement, ce dernier étant entendu comme une économie de pensée consciente, ressource rare au mécanisme lourd. Par conséquent, il est difficile pour tout organisme d’examiner la matrice globale d’où jaillissent ses conclusions conscientes.

Limites quantitatives et qualitatives  de la conscience

Bateson souligne l’impossibilité, pour un organisme quel qu’il soit, d’atteindre à une conscience totale. En effet, chaque nouveau pas vers celle-ci impliquerait en retour une nouvelle et importante augmentation de circuits conscients, cette nouvelle couche venant s’empiler sur les anciennes et ainsi de suite. Autrement dit, aucun système logique ne saurait décrire intégralement sa propre structure.Ainsi tous les organismes doivent se contenter d’un champ de conscience restreint, aucun ne pouvant se permettre d’être conscient de chose qu’il peut résoudre à des niveaux inconscients (économie et efficacité des circuits).

D’un point de vue qualitatif : « dans le cas d’un poste de télévision, une image satisfaisante à l’écran est certainement une indication que la plupart des éléments du poste fonctionnent correctement. » Pour Bateson, il en est de même pour l’écran de la conscience. Mais ce qui est fourni là n’est qu’une « indication très indirecte du fonctionnement de toutes les parties […]  Le poste de télé qui donne une image déformée ou autrement imparfaite, communique en ce sens quelque chose sur ses pathologies inconscientes, en exhibant leurs symptômes ». Cependant un diagnostic précis ne pourra-être donné que par un regard extérieur expert.

La conscience est donc nécessairement sélective et partielle, petite partie du réel systématiquement sélectionnée et aboutissant à une image déformée d’un ensemble plus vaste. Bateson donne ici l’exemple de l’iceberg. Si à partir de la surface visible de celui-ci nous pouvons deviner, extrapoler, le type de matière qui se trouve immergée, il n’en est pas du tout de même à partir du matériel livré par la conscience : « le système de la pensée consciente véhicule des informations sur la nature de l’homme et de son environnement. Ces informations sont déformées ou sélectionnées et nous ignorons la façon dont se produisent ces transformations. Comme ce système est couplé avec le système mental coévolutif plus vaste, il peut se produire un fâcheux déséquilibre entre les deux[8]». On devine ici exposée, l’une des causes de la crise écologique moderne.

La nature corrective de l’art…

Pour Bateson, l’ensemble de l’esprit est bien un « réseau cybernétique intégré »  de propositions, d’images, de processus etc. etc.…, la conscience, un échantillon des différentes parties et régions de ce réseau. Ainsi, au-delà de l’impossibilité économique d’une vision consciente de la totalité de ce réseau, Bateson remarque qu’une telle vision signerait également l’échec monstrueux du mécanisme d’intégration : « si l’on coupe la conscience, ce qui apparaît ce sont des arcs de circuits, non des pas des circuits complet, ni des circuits de circuits encore plus vaste. »

Une fois admises les limites de la conscience telles que définies précédemment, on pourra donc formuler l’hypothèse suivante : « ce que la conscience non assistée (par l’art, les rêves, la religion…) ne peut jamais apprécier, c’est la nature systémique de l’esprit. » Ainsi une pure rationalité projective non assistée est nécessairement pathogénique et destructrice de la vie, car : « la vie dépend de circuits de contingences entrelacés, alors que la conscience ne peut mettre en évidence que tels petits arcs de tels circuits que l’engrenage des buts humains peut manœuvrer. »

Pour nos actions quotidiennes, les conséquences néfastes sont nombreuses. Elles ont toutes ceci de commun que : « les erreurs se reproduisent à chaque fois que la chaîne causales altérée (par la réalisation d’un but conscient) est une partie de la structure de circuit, vaste ou petit, d’un système. »

Dans ce cas, pour l’homme, la surprise ne peut alors qu’être continue vis-à-vis des effets de  ses « stratégies de tête ». Prenons l’exemple suivant dans lequel nous souhaitons assainir un territoire infesté de moustiques afin d’y développer le tourisme ou l’agriculture. Nous utilisons alors du DDT pour tuer les insectes. Se faisant nous privons l’ensemble des insectivore de leur nourriture, ce qui en retour à pour effet de multiplier certaines des populations d’insectes. Nous sommes donc conduit à utiliser une plus grande quantité de DDT, jusqu’à la possibilité d’empoisonner y compris les insectivores. Ainsi, si l’utilisation de DDT en venait à tuer les chiens par exemple, il y aurait dès lors lieu d’augmenter le nombre de policier pour faire faire face à la recrudescence des cambriolages. En réponse ces même cambrioleurs s’armeraient mieux et deviendraient plus malin…etc. etc.…

« La monstrueuse pathologie atomiste que l’on rencontre aux niveaux individuel, familial, national et international – la pathologie du mode de pensée erroné dans lequel nous vivons tous – ne pourra être corrigée, en fin de compte, que par l’extraordinaire découverte des relations qui font la beauté de la nature. »

Pour Bateson, dans un monde fait de structure et de circuits plus ou moins inaccessibles à l’homme, la sagesse de ce denier consiste précisément dans la reconnaissance ou la perception de ces structures, circuits et des relations qui nous relient. Comment ? L’art est l’une de ces voies d’accès vers les relations dans la mesure où « […] l’art, à une fonction positive, consistant à maintenir ce que j’ai appelé « sagesse », modifier, par exemple, une conception trop projective de la vie, pour la rendre plus systémique. »

Modes et pratiques d’existence implicites…

Une pensée sur la vie si richement articulée ne peut qu’engendrer de nombreux déplacements de points de vue chez son lecture, à commencer par la mise en perspective de son propre champ conscient et de son corollaire presque immédiat : comment apprendre à apprendre ?

Toujours très concrètement, en terme de mode d’existence, quelle est la place de l’œuvre d’art : « la question à poser à propos d’une œuvre d’art devient : quelles sortes de corrections, dans le sens de la sagesse, sont accomplies par celui qui crée ou qui « parcourt» cette œuvre d’art ? »

Enfin plus généralement : « j’affirme que si vous voulez parler de choses vivantes, non seulement en tant que biologiste académique mais à titre personnel, pour vous-même, créature vivante parmi les créatures vivantes, il est indiqué d’utiliser un langage isomorphe au langage grâce auquel les créatures vivantes elles-mêmes sont organisées – un langage qui est en phase avec le langage du monde biologique[9] ».

Conclusion

Pour nous autres contemporains, la voix de Bateson est une voie de l’humilité et de l’observation des relations. La conscience n’est qu’une petite partie déformée d’un ensemble plus vaste; ensemble auquel je peux néanmoins accéder autrement.

L’humilité qui s’opère au moment de reconnaître cette hiérarchie naturelle (relations, méta-relations) s’oppose donc à l’hubris de notre civilisation actuelle qui place un Dieu face à sa création et un individu, imaginé à l’image de Dieu, dans la situation d’exploiter l’univers « sans considération morale ou éthique ». La crise écologique naît de cette arrogance, conséquence de la persistance d’un dualisme qui sépare l’esprit du corps et « échafaude des mythologies à propos de la survie d’un esprit transcendant ». Si Bateson pensait bien que quelque chose devait survivre de lui, ceci ne le ferait qu’en tant qu’élément de l’écologie contemporaine des idées.

« […] les hommes venant à rencontrer hors d’eux et en eux-mêmes un grand nombre de moyens qui leur sont d’un grand secours pour se procurer les choses utiles, par exemple les yeux pour voir, les dents pour mâcher, les végétaux et les animaux pour se nourrir, le soleil pour s’éclairer, la mer pour nourrir les poissons, etc., ils ne considèrent plus tous les êtres de la nature que comme des moyens à leur usage ; et sachant bien d’ailleurs qu’ils ont rencontré, mais non préparé ces moyens, c’est pour eux une raison de croire qu’il existe un autre être qui les a disposés en leur faveur.[10] » Spinoza



[1] « […] L’épistémologie est une branche de la science combinée à une branche de la philosophie. En tant que science, l’épistémologie étudie comment les organismes isolés et les ensembles d’organismes ‘connaissent’, ‘pensent’ et ‘décident’. En tant que philosophie, elle étudie les limites nécessaires et les autres caractéristiques des processus de connaissance, de pensée et de décision ». (Grégory Bateson, p. 234, « La Nature et la Pensée », Seuil, Paris, 1984).

[2] Gregory Bateson, Une Unité sacrée – Quelques pas de plus vers une écologie de l’esprit, chapitre 26, Seuil, Paris, 1996.

[3] D’après source Encyclopédia Universalis.

[4] Bateson, 1980, pp. 155-156, Vers une écologie de l’esprit. t. 2, citation d’après source Wikipédia.

[5] Cf. le livre d’Aristote sur la métaphysique qui suivait directement celui sur la physique.

[6] Dans son ouvrage de référence « Principia Mathematica »

[7] “Steps to an ecology of mind”, Editions du Seuil, 1977 pour la traduction française.

[8] D’après Jean-Jacques Wittezaele : «l’écologie de l’esprit selon Gregory Bateson», revue Multitude n°24.

[9] Gregory Bateson, op. cit., chapitre 32.

[10] Spinoza, l’Ethique, appendice livre I.

http://www.dailymotion.com/video/5cAPYwdf2em7n5pCG

Rythmes, anthropocentrisme et clichés

« Human societies now make the choices concerning the allocation of lands, water and other resources which determine which of the diversity of life forms will continue to exist. » Timothy M. Swanson.

Rythmes, anthropocentrisme et clichés dans -> PERSPECTIVES TRANSVERSES image0011

     Devant les certitudes des uns, les chiffres des autres, difficile de prendre une position claire autre que théologique (c’est bien, c’est mal), bien laborieux d’avoir une vue d’ensemble (croyant régler ceci, je déséquilibre cela). Alors dans ce brouhaha d’opinions multiples, peut-être qu’une question pourrait nous ouvrir une porte : que se passe-t-il lorsqu’une espèce impose son ou ses (bio)rythmes (démographique, consommation, production…) à l’ensemble de la biosphère ?

Accélérer l’évolution à travers les OGM, accélérer la radioactivité naturelle à travers exploitation de l’énergie nucléaire civile, accélérer l’écoulement des eaux à travers l’imperméabilisation des sols (urbanisation, infrastructures de transport) etc. etc.….

Si l’on se positionne en termes de rythme de changement, on retrouve le niveau deux tel que défini par Bateson dans sa théorie de l’apprentissage en tant que changement. De manière analogique, ce niveau correspond à l’accélération ou à la décélération, soit au changement dans la vitesse d’un objet mobile : « apprendre à apprendre à recevoir un signal ».

0 : « je mets ma main au feu, et je me brûle. »
1 : « j’ai mis ma main dans le feu, j’ai été brûlé et je ne le referai plus. »
2 : « généralement je ne risque pas d’être brûlé, mais cela pourrait m’arriver si je devais sauver autrui d’un incendie. »

Changement dans le climat qui lui-même est un équilibre changeant, une étude plus approfondie du niveau deux d’apprentissage pourrait nous apporter un éclairage intéressant en terme de communication et sensibilisation environnementale sur le changement (l’accélération) climatique. Voilà qui pourra faire l’objet d’un prochain article de ce blog.

S’il est bien difficile de se prononcer sur le diagnostic, les chiffres des uns, les évaluations des autres, ce dont nous pouvons discuter dès maintenant, c’est de la méthode, c’est du message implicite caché derrière l’ensemble des discours. Ce que nous pouvons déjà faire sans aucune idéologie ni information sur la question, c’est de dépolluer certains discours de leur bêtise la plus primaire (le CO2 n’est pas la nouvelle pomme d’Adam).

Evaluer

     Pour l’heure constatons que les deux grands succès de salle célébrés par le monde, que furent la « Marche de l’empereur » et le « Cauchemar de Darwin », nous ont proposé un hymne, le triomphe complet et sourd des forces de l’anthropomorphisme et de l’ethnocentrisme associées, et cela sans masque aucun. Ainsi, à côté des pertes constatées quotidiennement en termes de biodiversité (bien que la notion demeure également confuse), on est en droit de craindre que l’activité continuelle de ces forces de la grande communion universelle, n’induisent une perte tout aussi importante au niveau des espèces incorporelle (culture, art, idées neuves tout simplement). Alors oui, les pingouins peluches chantent en cœur le nouveau testament, pendant que  l’agriculteur noir aux regards grave de blanc, une arrête de poisson sur le sable, son droit tendu vers l’homo-universalus débilitant…

Guattari faisait le constat suivant : «la planète terre connaît une période d’intenses transformations technico-scientifiques en contrepartie desquelles se trouvent engendrés des phénomènes de déséquilibres écologiques menaçants, à terme, s’il n’y est porté remède, l’implantation de la vie sur sa surface […]. Les formations politiques et les instances exécutives paraissent totalement incapables d’appréhender cette problématique dans l’ensemble de ses implications. Bien qu’ayant récemment amorcé une prise de conscience partielle des dangers les plus voyants qui menacent l’environnement naturel de nos sociétés, elles se contentent généralement d’aborder le domaine des nuisances industrielles et, cela, uniquement dans une perspective technocratique.  »

Mais si comme le dit Bateson : « j’affirme que si vous voulez parler de choses vivantes, […] il est indiqué d’utiliser un langage […] qui est en phase avec le langage du monde biologique[1] », on ne peut plus se satisfaire de penser isolément la seule écologie environnementale, tout en conservant nos schémas de représentation dialectiques et anthropocentrés. Projeter notre cosmologie, c’est le degré zéro de la pensée des rapports au non humain et c’est précisément ces rapports de l’humain au non humain, de l’humain à l’humain sur lesquels il conviendrait de changer de perspective. Autrement dit il est nécessaire d’articuler les différents « contextes » de l’existence (naturel, social, mental), dans la mesure où  il existe une écologie, comme une biodiversité, tant des espèces immatérielles (idée, œuvre d’art, mode d’existence, …) que matérielles (végétaux, animaux…), plutôt que de rabattre l’ensemble des points de vue ou perspectives sur une idée abstraite et contingente d’une forme homme.

Pour répondre à ce défi, Guattari conçoit ce qu’il appelle l’écosophie comme articulant :

  • l’écologie environnementale pour les rapports à la nature et à l’environnement,

  • l’écologie sociale pour les rapports au « socius », aux réalités économiques et sociales,

  • l’écologie mentale pour les rapports à la psyché, la question de la production de la subjectivité humaine.

A partir de là, la question de la production de la subjectivité humaine (de quels types de rapports au monde je suis capable ?) n’est donc plus déconnectée de la question écologique : « parallèlement à ces bouleversements [dans l’écologie environnementale], les modes de vie humains, individuels et collectifs, évoluent dans le sens d’une progressive détérioration. Les réseaux de parenté tendent à être réduits au minimum, la vie domestique est gangrenée par la consommation mass-médiatique, la vie conjugale et familiale se trouve fréquemment « ossifiée » par une sorte de standardisation des comportements, les relations de voisinage sont généralement réduites à leur plus pauvre expression… C’est le rapport de la subjectivité avec son extériorité – qu’elle soit sociale, animale, végétale, cosmique – qui se trouve ainsi compromis dans une sorte de mouvement général d’implosion et d’infantilisation régressive. L’altérité tend à perdre toute aspérité. Le tourisme, par exemple, se résume le plus souvent à un voyage sur place au sein des mêmes redondances d’image et de comportement. »

Pertes en diversité

     D’après le Millenium Ecosystem Assessment, environ 60 % des écosystèmes de la planète sont aujourd’hui détruits ou utilisés de manière non durable. L’hypothèse que nous pouvons faire est alors que s’il existe moins d’éléments biophysiques, alors il existe moins de possibilités d’agencements (symbiose, alliance, compétition), donc de possibilités de vie et de développement. D’où un appauvrissement de la production dans l’immatériel (affect, concept, percept). L’écologie nous renvoie donc presque immédiatement aux conditions matérielles de la production de l’immatériel. Une époque peut-être vue comme une combinaison de forces particulière (révélée, rencontrées, associées) constituant des corps comme autant de formes singulière. Les agencements possibles (mise en rapport, composition) d’avec ces formes déterminent des modes de pensés et représentation, parmi lesquels va émerger un mode de « domestification » dominant de la nature, soit des conditions particulières de production matériel. En conséquences cela va conditionner des modes d’existence possibles, des degrés de coexistence et à partir de là, des conditions particulière de production de l’immatériel (organisation de la production artistique, artisanale…).

Parallèlement aux pertes en biodiversité et d’après les chiffres de l’Unesco :

  • plus de 50% des 6000 langages présents dans le monde sont en danger d’extinction.
  • 96% des 6000 langages ne sont parlés que par 4% de la population mondiale.
  • 90% des langages ne sont pas représentés sur Internet.
  • En moyenne, un langage disparait toutes les deux semaines.

Ce qu’il est important de noter dans un cas comme dans l’autre, c’est qu’on ne remarque jamais l’absence ou la disparition d’un inconnu. 

Cette perte globale en diversité est également à constater au regard de la croissance exponentielle de nos capacités technologiques d’un côté et de nos usages toujours plus standardisés de l’autre. Nous suivons ici Lawrence Lessig lorsqu’il s’interroge sur l’avenir de l’Internet dans son ouvrage The Future of Ideas: « how an environment designed to enable the new is being transformed to protect the old- transformed by courts, by legislators, and by the very coders who built the original »

Ainsi nous pouvons concevoir une double réduction des « diversités » :

  • Une réduction « objective » des choses ou la biodiversité des formes de vie. En effet, une possibilité de vie disparaissant de la chaine crée des effets en cascades par le jeu des alliances, synergies et symbioses possibles. Ce faisant sa disparition ou sa non-existence entraine des pertes globales exponentielles, un peu à l’image de la faillite d’un gros client pour ses multiples fournisseurs.

  • Une réduction « subjectives » autrement dit des modes de pensée qui définissent ce qui est acceptable ou pas, permettent l’accès au sentiment de la différence, ne réduisent pas l’autre à moi, rencontrent plutôt que reconnaissent un prêt à penser. Or la confusion et l’indifférenciée sont aujourd’hui des pollutions irréversibles pour des esprits toujours plus réduits à n’être que de simples passeurs de clichés. Clichés fabriqués de points de vue toujours plus identiques et identitaires et confiés à une pensée qui ne fait plus que dupliquer une représentation préconstituée du « réel », de laquelle elle ne reconnait plus que les effets de ce que elle y a mis elle-même. De combien de termes disposons nous actuellement pour exprimer un problème ? Le prêt à penser actuel implique un appauvrissement des termes disponibles et accessibles, et les mots se meurent comme les abeilles.

« Plus le sentiment de l’unité avec nos contemporains augmente, plus les hommes s’uniformisent, plus aussi ils ressentent sévèrement la moindre différence comme immorale. C’est ainsi que se forme nécessairement le sable humain : tous très semblables, très petits, très arrondis, très accommodants, très ennuyeux […] Un petit sentiment faible et obscur de bien-être médiocre uniformément répandu, une chinoiserie générale améliorée et poussée au bout – serait-ce là l’ultime image de l’humanité ? Inévitablement, si elle persévère dans les voies de la moralité antérieure. Il faut y réfléchir à fond : peut-être faudra-t-il que l’humanité tire un trait sous son passé, peut-être faudra-t-il appliquer à tout homme ce canon nouveau : soit différent de tous les autres et sois heureux que chacun diffère de son voisin. » Nietzsche 187 La volonté de puissance II

La confusion et l’indifférenciée sont une pollution irréversible pour des esprits toujours plus réduits à n’être que de simples passeurs de clichés. Clichés fabriqués de points de vue toujours plus identiques et identitaires et confiés à une pensée qui ne fait plus que dupliquer une représentation préconstituée du « réel », de laquelle elle ne reconnait plus que les effets de ce que elle y a mis elle-même. De combien de termes disposons nous pour exprimer un problème aujourd’hui. Le prêt à penser actuel implique l’appauvrissement des termes disponibles.

Dans « différence et répétition », Deleuze nous avertit : « il y a quelque chose dans le monde qui force (par effraction, interruption, violence) à penser », ce quelque chose est l’occasion d’une rencontre singulière avec [...] Ce quelque chose est une affaire de sensation, [...] et peut-être vécu sous une multitude de tonalités affectives différentes. »

Concluons sur cette phrase inspirante de Jean Genet : « mon courage consista à détruire toutes les habituelles raisons de vivre et à m’en découvrir d’autres »

Les extraits suivants constituent deux armes d’autodéfense extrêmes utile afin de lutter contre toute forme d’anthropocentrisme par trop standardisée.

Extrait de « Les mots et les choses » – Michel Foucault :

« Une chose en tout cas est certaine : c’est que l’homme n’est pas le plus vieux problème ni le plus constant qui se soit posé au savoir humain. En prenant une chronologie relativement courte et un découpage géographique restreint, la culture européenne depuis le XVIe siècle, on peut être sûr que l’homme y est une invention récente.

Ce n’est pas autour de lui et de ses secrets que, longtemps, obscurément, le savoir a rôdé. En fait, parmi toutes les mutations qui ont affecté le savoir des choses et de leur ordre, le savoir des identités, des différences, des caractères, des équivalences, des mots, – bref au milieu de tous les épisodes de cette profonde histoire du Même – un seul, celui qui a commencé il y a un siècle et demi et qui peut-être est en train de se clore, a laissé apparaître la figure de l’homme. Et ce n’était point là libération d’une vieille inquiétude, passage à la conscience lumineuse d’un souci millénaire, accès à l’objectivité de ce qui longtemps était resté pris dans des croyances ou dans des philosophies : c’était l’effet d’un changement dans les dispositions fondamentales du savoir. L’homme est une invention dont l’archéologie de notre pensée montre aisément la date récente. Et peut-être la fin prochaine.

Si ces dispositions venaient à disparaître comme elles sont apparues, si par quelque événement dont nous pouvons tout au plus pressentir la possibilité, mais dont nous ne connaissons pour l’instant encore ni la forme ni la promesse, elles basculaient, comme le fit au tournant du XVIIIe siècle le sol de la pensée classique, alors on peut bien parier que l’homme s’effacerait, comme à la limite de la mer un visage de sable. »

Extrait de « Pourparlers » – Gilles Deleuze :

« C’est que les forces de l’homme ne suffisent pas à elles seules à constituer une forme dominante où l’homme peut se loger. II faut que les forces de l’homme (avoir un entendement, une volonté, une imagination, etc.) se combinent avec d’autres forces : alors une grande forme naîtra de cette combinaison, mais tout dépend de la nature de ces autres forces avec lesquelles celles de l’homme s’associent.

La forme qui en découlera ne sera donc pas nécessairement une forme humaine, ce pourra être une forme animale dont l’homme sera seulement un avatar, une forme divine dont il sera le reflet, la forme d’un Dieu unique dont l’homme ne sera que la limitation (ainsi, au XVIIe siècle, l’entendement humain comme limitation d’un entendement infini).

C’est dire qu’une forme-Homme n’apparaît que dans des conditions très spéciales et précaires : c’est ce que Foucault analyse, dans Les mots et les choses, comme l’aventure du XIXe siècle, en fonction des nouvelles forces avec lesquelles celles de l’homme se combinent alors. Or tout le monde dit qu’aujourd’hui l’homme entre en rapport avec d’autres forces encore (le cosmos dans l’espace, les particules dans la matière, le silicium dans la machine…) : une nouvelle forme en naît, qui n’est déjà plus celle de l’homme [...] »



[1] Gregory Bateson, op. cit., chapitre 32.

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