Archive pour la Catégorie 'Bateson'

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Rencontre Deleuze (:) Bateson : un langage des relations ?

Première étape : 

http://www.dailymotion.com/video/S6EfujKi7JvrjifPX

Extrait audio d’après la voix de Gilles Deleuze en ligne, transcription de Guy Nicolas , cours du 05/05/81 17B : http://www.univ-paris8.fr/deleuze/article.php3?id_article=43

Seconde étape :

http://www.dailymotion.com/video/7gmzZ3pOb51w4hbdg

Extrait audio d’après la voix de Gilles Deleuze en ligne, transcription de Sandra Tomassi, cours du 05/05/81 17C : http://www.univ-paris8.fr/deleuze/article.php3?id_article=83

Troisième étape :

Le peuple qui manque, serait-ce… les Alcooliques Anonymes ? 
Article du blog de l’anti-oedipe en question

La question de l’éducation à l’écologie

Des lignes directrices anciennes

     Dans son article « Education, Ecologie et Approche Systémique » Joël de Rosnay  s’interrogeait en 1994 sur les nouveaux modes de transmission des savoirs que la question écologique impliquait : « […] l’écologie est un concept intégrateur […] plus qu’une discipline scientifique […] elle représente une nouvelle vision du monde et de l’homme dans la nature. Le nouvel écocitoyen doit mieux comprendre comment situer et insérer son action locale dans un ensemble global […] Il s’agit aujourd’hui de l’aider à passer de l’émotion à la responsabilité grâce à une culture scientifique et technique permettant de relier les éléments épars reçus par l’éducation ou les médias. D’où l’importance d’une approche […] multidimensionnelle de l’écologie et de la gestion de l’environnement. »

En ce sens, la question écologique est avant tout le symptôme de l’émergence de nouvelles capacités cognitives nées des travaux récents de la biologie, de la cybernétique et de la systémique etc…. Nouvelles capacités encore dans l’enfance et qu’il convient de faire grandir patiemment à travers une véritable réactualisation de l’apprendre à apprendre dans nos sociétés. Or dans le cadre d’un ensemble terre qui nous apparaît à présent comme clos, apprendre à apprendre c’est savoir organiser et composer ses inévitables et multiples rencontres avec des corps tant matériels (eau, climat) qu’immatériels (information).

La question de l'éducation à l'écologie dans -> CAPTURE de CODES : image001

Alors en tant que praticien de « l’environnement », tous ces mots peuvent paraître assez théoriques. Cependant, chaque jour de travail confirme que notre connaissance actuelle de l’environnement ne nous conduit pas à prendre des décisions « de tête » tellement meilleures. Quelque soit le choix, l’intention, nous interférons dans des circuits complexes de manière à toujours préparer de nouveaux risques pour demain. Mais parallèlement, le seul fait de prendre en compte l’environnement nous force à repenser l’altérité, à évaluer les besoins d’autrui qu’ils soient humains ou non. Plus largement encore, à déplacer les frontières traditionnelles, à reconnaître l’inscription de ses actions dans un tout : à un type d’agriculture, un type de paysage, un type de biodiversité…

En ce sens la question écologique et la gestion de l’environnement qui en découle, participent à former aujourd’hui un nouveau type de bien collectif. Un bien construit par une multitude d’acteurs qui tous relient et compilent des connaissances, expérimentent sur le mode essaie/erreur. Au final, les externalités positives qui en résultent permettent dès aujourd’hui de multiplier les chemins décisionnels pour chacun. Faut-il acheter ceci, construire comme cela etc…Mais pour que ce « chacun » prenne réellement corps, il est inévitable de concevoir les modes de transmission des savoirs adaptés. Adaptés tant à la nature des informations à transmettre qu’à ses multiples récepteurs.

Externalité

Le point de vue développé par la suite est qu’il s’agit de mettre en avant un mode de transmission des savoirs principalement orienté vers le développement individuel de capacités combinatoires. Cela afin de créer les nœuds de savoirs, les hyperliens de lecture permettant de se glisser entre les différentes sources de connaissance d’un « environnement », qu’il soit artificiel ou naturel, de plus en plus fourmillant et prenant place dans un monde vécu comme de plus en plus étroit.

Constat d’insuffisance

     Avec maintenant plus d’une dizaine d’année de recul vis-à-vis des orientations pédagogiques de Joël de Rosnay, évaluons quelque peu notre situation actuelle. L’écologie politique représente 1, 5% des votes exprimés au premier tour de l’élection présidentielle en France, au moment même ou d’après une enquête récente IFOP – Acteurs Publics (26 octobre 2006), plus de neuf personnes interrogées sur dix (91%) se disaient préoccupées par la protection de l’environnement. Parmi elles, 46% se déclaraient même très préoccupées.

A vrai dire, la véritable surprise de cette étude est surtout l’émergence en seconde position des mesures perçues comme les plus efficaces pour lutter contre les dégradations, d’une attente exprimée en termes de pédagogie, souhait regroupant 22% des interviewés. Ceux-ci appellent de leurs vœux l’introduction de cours d’éducation à l’environnement dans les programmes scolaires.

Cette attente est à éclairer par la note sur « l’état de l’opinion sur l’effet de serre et le changement climatique » de l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie. Fin 2005, celle-ci remarquait que conformément aux années précédentes, les études sur la perception de l’effet de serre révélaient deux grandes tendances paradoxales. D’une part une sensibilisation accrue au sujet, d’autre part une méconnaissance générale de sa définition dans la mesure où 50% des interviewés reliaient encore l’effet de serre à la couche d’ozone ou à une mauvaise gestion des déchets, seulement 14% aux CO2.

image003 dans -> PERSPECTIVES TRANSVERSES

A s’en tenir à ces différents indicateurs, constatons très simplement que la question écologique souffre encore d’un grave déficit en termes d’informations assimilées et assimilables, cela malgré un relais médiatique dorénavant non négligeable.

On serait donc tenter de dire qu’assez loin des objectifs et méthodes proposés par Joël de Rosnay, les diverses tentatives de transmission des savoirs restent encore aujourd’hui bien souvent éclatées et parcellaires, ne regroupant que de petits auditoires autour d’experts ou de thèmes militants ponctuels ; ne regroupant de grands auditoires qu’autour de séance d’imprécations collectives intrinsèquement plus émotionnelles qu’informatives.

Dès lors, comment regretter l’absence de capacité de synthèse, de combinaison des savoirs, quand même les concepts de base ne sont pas connus ? Voilà que le serpent se mord la queue, et la rondeur de la terre ne suffit plus à rendre cette image sympathique. Car à partir du moment où des informations disséminées ne rencontrent pas chez l’auditoire le filet de connaissance nécessaire à assurer une prise de conscience pérenne des phénomènes, par suite il est bien difficile d’enclencher des cycles vertueux du type : information – intégration – action – nouvelle information – synthèse (recombinaison – extraction et constitution du « filet »).

Une conclusion s’impose à ce stade : continuer à se référer aujourd’hui à une indifférence de l’auditoire ne suffit plus à masquer les carences dans la transmission. Etre animé des meilleures intentions, stigmatiser des abus, relever des symptômes parcellaires, tout cela n’autorise pas l’abandon de toute vision prospective et ne fait pas politique.

La question de la question

      Car il s’agit bien malgré « l’urgence » de la situation de continuer à avancer l’écologie en tant que culture nouvelle favorisant l’intégration des connaissances ; la gestion de l’environnement en tant que plus grande visibilité donnée à la diversité des pratiques humaines.

Autrement dit, ne pas abandonner la complexité et continuer à parier sur la lucidité de son auditoire, alors mêmes qu’il va falloir frapper fort et rapidement nous prévient le président du GIEC. Mais on pourrait tenter ici un parallèle entre l’écologisme urgentiste et l’action humanitaire. Si l’intervention est en mesure de régler ponctuellement une crise, elle n’affecte en rien ses conditions de reproduction. Et peut-être même bien au contraire, les crises se manifestant sous bien des formes, de l’eau polluée à l’idée qui le permet. Qui plus est, nous sentons bien qu’il n’est fondamentalement plus possible d’administrer des suppositoires prédigérés à une population très largement en quête de sens, au sens large. Nous vivons à 99% dans un environnement, ou plutôt un milieu, construit par et pour nous-mêmes. Et ce nous-mêmes ne s’arrête pas à la simple description d’individus enfants qui seraient pris dans une folle pulsion de mort.

Mais c’est peut-être précisément à partir de cette pauvre écologie de pensée, paresse ou faillite, qu’il est cependant possible d’avancer en contrepoint quelques lignes d’actions afin de définir quelques lignes de ce que pourrait être un accès équilibré aux connaissances nouvelles qu’ouvre la porte écologique.

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© Raphael Richard – http://www.24pm.fr

Notre environnement change et nous continuons de nous considérer come un « empire dans un empire », comme hors-circuit. Nous continuons à penser que nos organisations sociétales collectives, mentales individuelles, ne se trouveraient pas elle-même modifiées par ces puissants changements. Changements dont nous ne percevons par ailleurs, en tant que partie prenante aux systèmes, que des fragments sélectionnés et déformés.

Il en est ainsi de notre vieux mode de pensée qui considère l’homme et des objets aux alentour dans une relation sujet – objet et où l’ensemble de ces dernier est communément appelé nature. Par suite confondant largement la question de cette nature préconstituée (dit grossièrement ce que nous appelons gestion de l’environnement) et la question écologique, nous ne pouvons que fatalement rester aveugles à notre propre écologie humaine, sous-système de sous-systèmes de la biosphère. Nous parlons alors en termes d’individus à la frontière figée, d’une forme homme sans devenir, prisonnière du mythe de la fin de son histoire. Conséquence de cette démarche négative, les individus sont toujours analysés sous l’angle de l’adaptation à un dehors transcendant, bien trop rarement en tant que système en interaction et coévolution avec. Alors à partir d’une telle vision statique, ne nous étonnons plus de ne pouvoir concevoir que des représentations floues. Exemple : une fois défini l’environnement comme tout ce qui n’est pas l’homme, que devient cette notion une fois dit qu’il s’agit d’y réintégrer ce-dernier ?

Tout l’enjeu de l’approche systémique que permet l’écologie consiste précisément à nous aider à ajuster notre focale sur ces points, à anticiper plus durablement, à repenser des frontières traditionnelles devenues aujourd’hui obsolètes. Ce dernier point étant peut-être même le principal apport possible de l’écologie à notre temps.

Système et frontière

      Grossièrement, tout système peut se représenter comme une différenciation interne entretenue par un flux énergétique (matière, information) externe. Ce flux qui traverse le système détermine alors un intérieur différencié (un extérieur sélectionné) et un extérieur (l’environnement), système ouvert à la circulation des flux qui assure la régulation de l’ensemble. Un système est donc toujours relié à un environnement (à un autre système plus ouvert), à une écologie (à des relations entre systèmes). Ainsi le système minéral de la lithosphère oriente et délimite les possibilités de vie du système organique de la biosphère, qui lui même, oriente et délimite les possibilités d’association des animaux et végétaux du système social de la sociosphère.

L’approche systémique est donc une façon de percevoir à la fois l’arbre et la forêt, sans que l’un ne masque l’autre. L’arbre est perçu comme une configuration d’interactions appropriée aux conditions de vie de la forêt, elle-même association d’arbres dont les interactions produisent la propre niche écologique des individus.

image005 dans Bateson

De même pour l’homme, sous-système de systèmes, il ne compose qu’un arc dans un circuit plus grand qui toujours le comprend lui et son environnement (l’homme et l’ordinateur, l’homme et la canne…). Gregory Bateson, l’un des fondateurs de la cybernétique de seconde génération, nous donne à voir un exemple de circuit, celui de l’aveugle avec sa canne. Il se demande alors « où commence le soi de l’aveugle ? Au bout de la canne ? Ou bien à la poignée ? Ou encore, en quelque point intermédiaire ? » Mais à vrai dire toutes ces questions sont absurdes puisque la canne est tout simplement une voie au long de laquelle sont transmises des informations, de sorte que couper cette voie c’est supprimer une partie du circuit systémique qui détermine la possibilité de locomotion de l’aveugle. Plus généralement : « l’unité autocorrective qui transmet l’information ou qui, comme on dit, pense,  agit et  décide, est un système dont les limites ne coïncident ni avec celles du corps, ni avec celles de ce qu’on appelle communément soi ou conscience ».

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Autrement dit, des éléments se combinent et s’agencent entre eux en permanence, de telle manière que les systèmes qui en résultent remettent en question les classiques notions de frontière entre l’artificiel et le naturel, l’individuel et le collectif. Les travaux de Raphaël Bessis  complètent utilement cette perspective.

Pour lui, à la frontière tout est question d’échelle tant les subjectivités racinent dans de multiples expansions, d’agencements en collectivités, de collectivités jusqu’à la biosphère : « […] il me paraît bien plus adéquat de parler de configuration singulière, plutôt que d’individu, configuration singulière qui ne prend forme qu’en rapport à d’autres configurations singulières, lesquelles ne se comprennent que dans un contexte très fortement dynamique. Ainsi, l’homme n’est plus pensé dans une position isolationniste, archipélique où les êtres seraient complètement distincts les uns des autres : atomisés […] C’est à ce niveau d’analyse que l’on commence à percevoir les turbulences dans lesquelles séjourne l’âme humaine : l’individu au sens strict n’existe nullement, tant la subjectivité humaine s’ancre dans de multiples expansions, établissant la pluralité de ces racines dans un champ beaucoup plus large : celui de la collectivité, laquelle n’ayant pas davantage de forme parfaitement close, pleine et isolée, s’ouvrirait et s’ancrerait sur un collectif encore plus vaste. Si bien que d’une expansion à l’autre, nous nous retrouverions assez vite au niveau presque le plus général, celui de la société elle-même. C’est en ce sens que le schisme entre la société d’un côté et l’individu de l’autre est souvent une opinion sociologique non interrogée, qui en fait une problématique tout à fait passionnante. Peut-être pouvons-nous l’exprimer en un chiasme : l’individu est un être social et la société est faite d’individus…»

     Alors d’un point de vue opérationnel, quelles ressources nouvelles extraire de ce type de perspective sur le monde ? Concrètement, en termes d’évaluation des besoins futurs, de politique publique, et surtout de transmission des savoirs.

Si comme le décrit Bessis notre monde moderne devient toujours plus clos, toute altérité se voyant petit à petit dissoute du fait de l’uniformisation des pratiques produite par le processus de la mondialisation, alors les rétroactions de chacune de nos actions nous apparaissent de plus en plus visibles, comme sous la forme d’échos. En conséquence, il n’y a plus de lieu ou je ne trouve une « trace » de moi-même. J’ai même un écho de moi-même quand je retrouve des pesticides dans les glaces polaires. Dès lors la nécessité et la possibilité même du mouvement (pulsion de fuite) devient beaucoup moins essentielle et la stratégie de développement des humains beaucoup plus « végétale ».

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Ainsi, à l’image de la plante pour la lumière et l’eau, le nouvel individu étend en surface ses capteurs d’information dans le réseau de réseaux sociétal, à la recherche de sens composites. Autrement dit, il cherche à combiner et expérimenter les approches de toute nature (scientifiques, industrielles, médiatiques, artistiques…), approches dont il a les échos permanents dans la société informationnelle au sein de laquelle il « pousse ». Alors si de par l’arrachement à la nécessité du milieu qu’avait permis la technique l’homme était en capacité de construire son propre terreau, à la carte, il en est peut-être à présent en devoir. En contrepoint, il ne peut évidement plus se satisfaire d’un substrat de connaissance traditionnel : analytique, linéaire et séquentielle. La connaissance « encyclopédique » doit donc faire place à une connaissance plus systémique favorisant relations et interdépendances, et le rôle que peut y jouer l’écologie nous apparaît ici comme majeur.

Car l’écologie est précisément cette science des agencements qui doit nous permettre de devenir des interprètes du monde. A travers la reconnaissance et l’organisation des circuits dans lesquels on s’insère, l’écologue est peut-être finalement assez proche du médecin nietzschéen : il donne du sens à partir d’une compréhension des rapports et non d’une quelconque morale, pour en finir avec : « la monstrueuse pathologie atomiste que l’on rencontre aux niveaux individuel, familial, national et international – la pathologie du mode de pensée erroné dans lequel nous vivons tous – ne pourra être corrigée, en fin de compte, que par l’extraordinaire découverte des relations qui font la beauté de la nature. » G. Bateson.

Cette découverte dont parle Bateson nous ramène à toujours à la question de l’apprendre à apprendre. Car si aujourd’hui 22% des interviewés sont demandeurs d’éducation à l’environnement dans les programmes scolaires, reste à savoir comment. Quoi ? A la place de ? En articulation avec ? Comment combiner ? Si les voies d’accès et réponses possibles sont multiples, il convient de regarder particulièrement la place de l’art, sa puissance propre dans une approche plus systémique.

Art et correction

     Pour G. Bateson, l’ensemble de l’esprit est un « réseau cybernétique intégré » de propositions, d’images, de processus etc. etc.…, la conscience, un échantillon des différentes parties et régions de ce réseau : « si l’on coupe la conscience, ce qui apparaît ce sont des arcs de circuits, non des pas des circuits complet, ni des circuits de circuits encore plus vaste. »

Notre conscience n’est donc qu’une petite partie du réel systématiquement sélectionnée et aboutissant à une image déformée d’un ensemble plus vaste. Bateson donne ici à voir l’exemple de l’iceberg. Si à partir de la surface visible de celui-ci nous pouvons deviner ou extrapoler le type de matière qui se trouve immergée, il n’en est pas du tout de même à partir du matériel livré par la conscience : « le système de la pensée consciente véhicule des informations sur la nature de l’homme et de son environnement. Ces informations sont déformées ou sélectionnées et nous ignorons la façon dont se produisent ces transformations. Comme ce système est couplé avec le système mental coévolutif plus vaste, il peut se produire un fâcheux déséquilibre entre les deux». Ainsi une pure rationalité projective « non assistée » est nécessairement pathogénique et destructrice de la vie, car : « la vie dépend de circuits de contingences entrelacés, alors que la conscience ne peut mettre en évidence que tels petits arcs de tels circuits que l’engrenage des buts humains peut manœuvrer. »

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Pour nos actions quotidiennes, les conséquences néfastes sont nombreuses. Elles ont toutes ceci de commun que : « les erreurs se reproduisent à chaque fois que la chaîne causales altérée (par la réalisation d’un but conscient) est une partie de la structure de circuit, vaste ou petit, d’un système. »

Dès lors pour l’homme, la surprise ne peut alors qu’être continue vis-à-vis des effets de  ses « stratégies de tête », cela quelque soit la nature de ses intentions. Prenons l’exemple suivant lequel nous souhaiterions assainir un territoire infesté de moustiques afin d’y développer le tourisme ou l’agriculture, générer des revenus pour le monde rural, maintenir les populations sur le territoire et protéger l’environnement de toute forme de surexploitation.

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Première option, nous utilisons du DDT pour tuer les insectes, exemple donné par Bateson. Se faisant nous privons l’ensemble des insectivore de leur nourriture, ce qui en retour à pour effet de multiplier certaines des populations d’insectes. Nous sommes donc conduit à utiliser une plus grande quantité de DDT, jusqu’à la possibilité d’empoisonner y compris les insectivores : « ainsi, si l’utilisation de DDT en venait à tuer les chiens par exemple, il y aurait dès lors lieu d’augmenter le nombre de policier pour faire faire face à la recrudescence des cambriolages. En réponse ces même cambrioleurs s’armeraient mieux et deviendraient plus malin…etc. etc.… ». Deuxième option, plus actuelle, nous produisons des moustiques OGM équipé d’un gène qui les protège contre le paludisme dont ils sont l’un des vecteurs. Quid des effets d’une éventuelle propagation du gène aux autres insectes, aux prédateurs ? Quid des conséquences éventuelles de la prolifération de moustiques mutants sur les niches écologiques ? Et ainsi de suite…Entre ces deux options, cinquante ans, mais peu ou prou, subsiste toujours les même interrogations.

Ainsi, dans un monde fait de structure et de circuits plus ou moins inaccessibles à l’homme, la « sagesse » de ce denier consiste précisément dans la reconnaissance ou la perception de ceux-ci, comme des relations qui nous relient. Comment ? L’art est l’une de ces voies privilégiée d’accès vers, dans la mesure où « […] l’art, à une fonction positive, consistant à maintenir ce que j’ai [Bateson] appelé « sagesse », modifier, par exemple, une conception trop projective de la vie, pour la rendre plus systémique […] ce que la conscience non assistée (par l’art, les rêves, la religion…) ne peut jamais apprécier, c’est la nature systémique de l’esprit. »

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Ce qui est souligné dans la profondeur d’une œuvre d’art, dans une composition, ce sont des catégories de relations et non quelques éléments relatés aux contours facilement identifiables. Le projet de l’œuvre d’art est un projet intégrateur qui rencontre ici l’objectif de l’écologie. Ce que disait Nietzsche à propose de ce qu’accomplit le danseur, c’est précisément le dépassement des antinomies. Le corps dansant a le pouvoir d’unir les contraires et « nous avons l’art, afin de ne pas mourir de la vérité ».

Le jeu de la combinaison des sources et des savoirs consiste précisément à accroître cet échantillon qu’est la conscience. Mais pas seulement quantitativement, bien plus qualitativement en reliant les « vides », les coupes de circuit, en éclairant ces zones grises d’un chemin de pensée. Sous cet angle, l’écologie apparaît, en plus de la science, comme l’art des agencements, de la composition de modes d’existence. En résonnance avec le devenir artiste nietzschéen, elle permet la création de perspectives nouvelles au sens où il existerait une boucle (écologie mentale) du type : « les modes de vie inspirent des façons de penser, les modes de pensée créent des façons de vivre », en combinant et expérimentant les approches scientifiques, industrielles, médiatiques et artistiques.

Pistes de réflexions et lignes directrices

     La question écologique telle qu’elle se pose à nous aujourd’hui, c’est la question de la frontière. Mais elle n’est pas sans frontière, c’est peut-être même le jeu de la frontière mobile et de la composition de mode d’existence. Alors bien évidemment tout cela n’est pas sans poser de grave problème à nos systèmes traditionnels de transmission des connaissances, ceux-ci ayant toujours besoin d’étiquettes, de classeurs et de casiers.

Mais peut-être qu’avant cela, il conviendrait déjà de réinterroger le mode opératoire médiatique qui consiste classiquement au niveau de la question écologique à produire de manière séquentielle et linéaire, du connu avec de l’inconnu, du complet avec de l’incomplet, du simple avec du complexe. Car si notre objectif est bien de proposer les étapes clés d’un parcours équilibré d’accès aux connaissances auprès d’un grand public, il convient d’en finir au plus vite avec le prémâché et de viser à toujours plus combiner curiosité, exploration, recherche personnelle, pédagogie, expérimentation, création artistique etc…de sorte à offrir aux différents publics un niveau de lecture adapté à chacun. Soit exploiter véritablement les nouvelles possibilités nées de l’approche systémique, pour « aider à s’élever pour mieux voir, à relier pour mieux comprendre et à situer pour mieux agir. » (Joël de Rosnay)

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Toute transmission d’information relative à l’écologie se devrait donc de combiner les trois temps suivants :

·         Transmettre les informations et concepts de bases : par delà les polémiques et les jugements de valeur, pour former les nœuds d’une grille de lecture. Il existe une place pour des informations de base (concepts clés). L’environnement est à bien des égards une machinerie dont les différentes pièces du moteur peuvent être décrites par déconstruction, à la condition qu’une synthèse articulée soit en mesure de resituer ces éléments dans un contexte plus vaste.

·         Employer une tonalité mobilisatrice et interrogatrice : pour initier cette synthèse, il convient de présenter l’ensemble du domaine à communiquer de manière attractive en donnant à penser, en initiant l’exercice créateur de la réflexion individuelle et collective. Car l’objectif est d’apprendre à apprendre à retrouver les informations pertinentes par soi-même et complexifier ainsi sa base de connaissance, conduire à un enrichissement mutuel des concepts (synergie des idées). 

·         Utiliser différents canaux de transmission : opter pour la complexité en pariant sur la lucidité de son auditoire nécessite d’offrir différents niveaux d’accès et de lecture à ses messages (ludique, logique, affectif, interactif…). Car on ne sait pas à l’avance par quel canal on apprend ceci ou cela, on déplie ceci ou cela. Une courbe, un tableau, une musique, un paysage…Le rôle de l’art apparaît ici comme un facteur positif de premier plan, créateur de synergies, catalyseur d’une certaines écologie des idées.

     Pour finir, rappelons une conclusion importante de la théorie des systèmes : plus les voies de circulation de l’énergie (i.e. de l’information) sont nombreuses, plus un système est capable de s’autoréguler. Mais multiplier les voies de circulation de l’information sans adapter les transmetteurs et préparer les récepteurs n’est source que de nouvelles saturations et pollutions. Et voilà à précisément pourquoi nous ne sommes toujours pas prêts aujourd’hui à poser correctement la question de l’écologie, pourquoi en ressort autant de bruit et comment nous risquons de rater une grande partie de ce défi de notre temps. Autrement dit, en rester à la norme.

Bateson disait en son temps: « j’affirme que si vous voulez parler de choses vivantes, non seulement en tant que biologiste académique mais à titre personnel, pour vous-même, créature vivante parmi les créatures vivantes, il est indiqué d’utiliser un langage isomorphe au langage grâce auquel les créatures vivantes elles-mêmes sont organisées – un langage qui est en phase avec le langage du monde biologique». Peut-être pourrait-on ajouter très simplement que si nous voulons parler de quelque chose de nouveau en matière écologique, il nous faut également un langage nouveau.

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Fragments : screen, green, speeding-up and learning

http://www.dailymotion.com/video/2J18AEd9SYfLXlPjm

       Au-delà des réseaux/rhizomes (télécommunications, villes…) que nous construisons et dans lesquels nous nous diluons/lions à la manière d’une structure végétale qui bâtirait son propre terreau pour y vivre, l’évolution de nos techniques pourrait également répondre à une certaine forme de devenir végétal.

A des techniques visant autrefois à la maîtrise d’une nature « extérieure » afin de l’adapter aux besoins humains (mouvement et pulsion de fuite animale), se substitue aujourd’hui une nouvelle classe de techniques visant cette fois non plus à adapter l’environnement, mais l’homme lui-même. A lui permettre de gérer l’immobilité en tant que nouvelle réponse à un monde fait d’accélérations, de fluctations laissées de plus en plus libres. Comment ? Précisément grâce à la possibilité se reconstruire sur soi-même à travers la greffe de technologies/structures décentralisées et autonomes.

http://video.google.com/videoplay?docid=-202217044031625400

Alors peut-être retrouverait-on ici l’une des caractéristiques de la stratégie de construction végétale. Celle dont l’objet serait d’assurer une transformation intérieure, immobile, permanente et immanente. Transformation au nom de laquelle le végétal capture, extrait, construit et renouvelle sans cesse sa boîte à outil (ADN, structures) indispensable à son immobilité. C’est à dire à sa gestion spécifique du temps. Faute d’une capacité de mouvement, l’organisation végétale dilue, tamponne et absorbe les accélérations d’un environnement changeant. De son côté, l’organisation animale  parie sur le déplacement, la fuite, mode opératoire auquel l’organisation humaine ajoute la possibilité de création d’institutions extérieures de régulation sociale.

http://www.dailymotion.com/video/yCIPx3b6dKaIilU8Q

Or nos sociétés modernes étant maintenant prises dans un tel niveau d’accélération de l’ensemble des échanges que le différentiel de « vitesse » devient peut-être à présent ingérable à la structure animale que nous sommes encore pour l’heure, tout comme nos institutions tampons semblent incapables de faire face. 

Accélérer l’évolution végétale à travers les OGM, accélérer la radioactivité naturelle à travers exploitation de l’énergie nucléaire, accélérer l’écoulement des eaux à travers l’imperméabilisation des sols, accélérer les variations climatiques, accélérer la circulation de la monnaie, accélerer la rotation des stocks de marchandise, accélerer notre propre évolution…

Alors arrivé à un certain seuil, peut-être que seules deviennent possibles les stratégies végétales de gestion du temps, c’est à dire certains modes de rapports de vitesse et de lenteurs avec son environnement. Le temps disponible à la rencontre « animale » étant aujourd’hui fortement « réduit », adviendrait alors le temps de la rencontre, d’une connexion au monde de type « végétale »…

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       Question connexe : quels rapports nouveaux à l’éducation ? Quelles conséquences de ces accélérations sur nos formes d’apprentissage ? Ici ferait place une certaine intuition. Les travaux de Bateson sur les catégories d’apprentissage pourrait peut-être nous aider à voir plus clair dans tout ça. Faute de temps, et plus générallement des capacités necessaires à traiter ce genre de problème, en voici quelques fragments.

Bateson proposait de distinguer une suite hiérarchisée de quatre catégories d’apprentissage classées le long d’une échelle de type logique. Il existe ainsi différents niveaux pour lesquels chaque niveau supérieur est la classe des niveaux subordonnés. D’une manière générale, plus le niveau est élevé et moins nous « comprenons » le processus de changement des contextes, plus il est difficile à l’esprit de  »manœuvrer » avec. Le changement implique un processus, mais les processus eux-mêmes sont soumis au changement. D’un point de vue pédagogique, pour comprendre l’idée de changement, il n’est pas inutile de se référer à sa forme la plus simple et la plus familière : le mouvement, .

  • L’apprentissage de niveau 0 correspond à la position d’un objet. Il correspond à l’arc réflexe, à savoir : un stimulus, une réponse possible.

  • Englobant le précédant, l’apprentissage de niveau 1 correspond à la vitesse de l’objet quand il bouge. Il correspond au conditionnement du chien de Pavlov, soit à un changement dans l’apprentissage de niveau 0.

  • Englobant le précédant, l’apprentissage de niveau 2 correspond à l’accélération ou à la décélération, soit au changement dans la vitesse de l’objet mobile. A ce niveau, il n’y a plus simple apprentissage d’une réponse systématique à un stimulus, mais transfert du même apprentissage à d’autres contextes. Le sujet apprend a apprendre et est capable de transposer ce qu’il a appris à d’autres contextes. 

  • Englobant le précédant, l’apprentissage de niveau 3 correspond à un changement dans le rythme de l’accélération ou de la décélération, soit un changement dans le changement du changement de la position de l’objet. D’après Bateson, l’homme peut parfois atteindre à ce dernier niveau, par surprise, rencontre ou intuition…Mais sûrement pas sans risque, le niveau 3 peut-être très dangereux. L’être vivant n’y etant amené que par des contradictions engendrées au niveau 2, y accéder relève necessairement d’une réinterprétation de la réalité interactionnelle des différents contextes de blocage. C’est à dire que ce niveau ne peut être atteint par un effort commandé par la seule volonté qui ferait l’économie d’une reconstruction de la réalité accompagnée d’une redefinition de soi-même en vue de réorienter ses comportements dans des contextes à présent reconnus comme plus appropriés. A ce dernier niveau, on rencontre des psychotiques incapales d’employer le mot « je », d’autres dont les apprentissages de niveau 2 se sont éffondrés – j’ai faim, je mange – et enfin les très rares qui arrivent à fondre leur identité personnelle avec l’ensemble des processus relationnels. Pour ces-derniers, chaque détail du monde est alors perçu comme offrant une vue de l’ensemble.

Bateson : « [...] La question relative à tout comportement n’est pas : « est-il appris ou inée? », mais plutôt :  »jusqu’à quel niveau niveau logique supérieur d’apprentissage agit-il ? », et, en sens inverse, jusqu’à quel niveau la gnétique peut-elle jouer un rôle déterminant ou partiellement efficace ? » Dans cette perspective l’histoire générale de l’évolution de l’apprentissage paraît avoir lentement repoussé le déterminisme génétique vers des niveaux supérieurs [...]« 

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Fragments : screen, green, speeding-up and learning dans Awareness screen magrittelittle

Compléments :

- Article de Jean-Jacques WITTEZAELE : L’écologie de l’esprit selon Gregory Bateson
- Article du Blog Chroniques d’un scybernéthicien sur les Eco-techno-logie des esprits

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The Century of the Self - Les machines du bonheur

http://video.google.com/videoplay?docid=-263763536519142817

The Century of the Self - L’ingénierie du consentement

http://video.google.com/videoplay?docid=-678466363224520614

Transmettre et bombarder

     D‘un certain point de vue, une idée, c’est l’extraction et la transmission d’une différence : « une unité d’information peut se définir comme une différence qui produit une autre différence. Une telle différence qui se déplace et subit des modifications successives dans un circuit constitue une idée élémentaire » - Vers une écologie de l’esprit, tome 1, Grégory Bateson, éditions du Seuil 1977.

Un affect, est la perception, sentiment ou expérience vécue d’une transition entre deux idées : « La joie est le passage de l’homme d’une moindre à une plus grande perfection. » [II, EIII]. C’est à dire que toute idée englobe un affect en ce qu’elle succède toujours à une autre idée. Si nous suivons Spinoza, les idées qu’on a impliquent et enveloppent des affects de joie ou de tristesse. La règle dans la Nature, c’est la perpétuelle rencontre des corps. Et nous ne cessons d’avoir des idées qui correspondent aux effets, aux affections que produisent ces corps sur le nôtre. L’esprit humain - attribut pensée - est donc idée du corps - attribut étendu. Nos idées sont alors dites adéquates lorsque nous sommes capables de composer un certain type de rapport avec le corps affectant, rapport caractérisé par la production d’un affect de joie qui augmente (transition) notre puissance ou persistance dans notre être. 

Le plus souvent au hasard des rencontres extérieures, nos sentiments oscillent ainsi entre joie et tristesse: « L’Amour est la joie accompagnée de l’idée d’une cause extérieure » [VI, EIII] -  » Le repentir est la tristesse qu’accompagne l’idée de quelque action que nous croyons avoir faite par un libre décret de l’esprit. » [XXVII, EIII]….

Inland Empire

De telles notions sont-elles utiles à celui qui chercherait à transmettre un savoir « écologique » ? C’est à dire un ensemble d’idées ayant la propriété de fonctionner entre elles de manière peut-être plus systémique que d’autres. Question, ce dernier point a-t-il des conséquences :

  • quantitatives, sur notre production d’idée au sens d’une identification plus poussée des différences perçues dans l’environnement, des rencontres possibles;

  • qualitatives, sur le caractère adéquat ou inadéquat des idées que nous pouvons en former;

  • enfin, sur le types d’affects que ces mêmes idées sont capables de produire en nous ?

En ce sens, il n’est peut-être pas inintéressant de s’intéresser à l’écologie particulière de cinéastes tels que David Lynch. On dit souvent d’un bon metteur en scène que ce dernier est capable de créer des mondes et de les transmettre. Autrement dit, nous donne accès à de nouvelles rencontres, sous forme d’idées et d’affects transmis par des supports conducteurs : des agencements, des dispositifs faits de sons, mouvements, lumières, couleurs…

Si nous suivons Spinoza, on peut dire que nos affects correspondent aux idées qu’on a. Et qu’à la limite, on ne « reconnaîtrait » quelque chose dans la Nature qu’à partir du moment où nous nous serions préalablement formés une idée de cette chose. Mais les choses nous rentrent dedans comme pour nous forcer à penser. Favoriser et accélérer les rencontres en nous bombardant, voilà peut-être un des objectifs du cinéaste, de tout passeur de points de vue :

http://www.dailymotion.com/video/gJryxuW8OzKa0kUAM

Tabac

http://www.dailymotion.com/video/47ZfOPgdOmH2je6zB

http://www.dailymotion.com/video/7HPnk8bwr0rRVipH0

http://www.dailymotion.com/video/4v2ZybhJSoH3bfgY6

Cadrage

http://www.dailymotion.com/video/2QcMs4iXuoL6VgrU1

Extrait de lecture d’après : Une vie, une oeuvre - France Culture 
« Gregory Bateson (1904 – 1980) ou la quête des structures du vivant »

http://www.dailymotion.com/video/4fHVbPnVItOKpgyt5

Extrait de lecture d’après : Une vie, une oeuvre - France Culture 
« Gregory Bateson (1904 – 1980) ou la quête des structures du vivant »

Extrait de lecture d’après : Histoire de psychanalyse – France Culture -  Jacques Alain Miller (4/20 l’invention du partenaire)

http://www.dailymotion.com/video/2URJuDfkfBfDigAAU

Extrait de texte d’après : Vers une écologie de l’esprit - Grégory Bateson (style grâce et information dans l’art primitif – tome1)

Les performances de jazz : une source pour penser changement et écologie ?

     Doctorant en anthropologie (LAHIC, EHESS), Jocelyn Bonnerave nous invite dans son article « les performances de jazz : du territoire à l’écologie » à regarder ces dernières comme ne s’inscrivant pas seulement dans un cadre social interactionnel, mais plus généralement dans ce que l’on pourrait appeler à la suite de Bateson : un cadre écologique. Autrement dit, pourquoi sous certaines conditions, ces performences peuvent produire des « écologies musicales ».

« […] cette aptitude à intégrer le changement interactionnel ouvre le performeur de jazz à toutes sortes d’imprévus, dans le cadre social de l’interaction, mais pas seulement : il devient potentiellement capable d’intégrer au cours de sa performance tout ce qui advient sans prévenir dans l’espace-temps du spectacle, des bruits parasites aux caprices de la météo. Les performances de jazz n’ont donc pas seulement à voir avec le cadre interactionnel mais, plus généralement, avec ce qu’après Bateson on peut appeler le cadre écologique : elles produisent des écologies musicales. »

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Du cadre social de l’interaction…

     Dans la vie sociale en général, il s’agit d’éviter les ruptures, « être membre, c’est être prévisible » : « [...] On ne se croise pas n’importe comment sur cette scène de théâtre qu’est un trottoir de centre-ville, on ne donne pas du feu de la même façon à un inconnu et à une vieille amie, etc. On suit toujours des patrons chorégraphiques. Allumer une cigarette est une performance, jouer Shakespeare est une performance, mais répéter Shakespeare, ou Summertime, l’est aussi dès qu’il y a influence mutuelle entre des interactants et évaluation réciproque des comportements selon des normes attendues. Chacun est un public pour autrui. L’interaction relève d’une performance cérémonielle notamment parce qu’elle réaffirme sans cesse la légitimité des territoires respectifs des acteurs. Or, les performances que j’ai observées hypertrophient le plan du son dans la confrontation territoriale : il me semble qu’elles produisent des territoires sonores. L’une des fonctions des « cérémonies de jazz » est précisément d’assurer la légitimation des différents territoires sonores. […]»

Ce qui étonne alors l’auteur dans les règles de jazz, c’est leur plasticité : « […] Elles sont à la fois rigides et extrêmement souples. Elles peuvent être apparemment contredites sans rupture. Les territoires sont marqués mais peuvent s’ouvrir, se déplacer. Dans « Une théorie du jeu et du fantasme », article regroupé dans Vers une écologie de l’esprit, Bateson suggère ce qu’il entend par cadre interactionnel grâce à l’analogie du cadre d’un tableau : « […] le cadre du tableau est une indication pour celui qui regarde, qu’il ne doit pas étendre au papier peint du mur les prémisses qui opèrent pour les figures inscrites dans le tableau. (Bateson, 1980a, p. 220) ». Autrement dit, le cadre est la définition de la situation, ce qui permet à chaque interactant d’interpréter et de jouer ce qui se passe avec les autres. »

image0022 dans -> PERSPECTIVES TRANSVERSES

…aux systèmes évolutifs d’interactions…

« […] Bateson s’intéresse particulièrement aux situations qui changent de cadre, et notamment à la thérapie psychiatrique où la relation patient-analyste devient idéalement une relation entre deux personnes « saines », et que Bateson appelle précisément « processus de changement » […] nos joueurs imaginaires ont évité le paradoxe en séparant la discussion sur les règles / du jeu effectif, or c’est précisément cette séparation qui est impossible en psychothérapie. Pour nous le processus psychothérapique est une interaction cadrée entre deux personnes où les règles sont implicites, mais susceptibles de changer. Un tel changement ne peut être proposé que par une action expérimentale ; cependant, chaque action expérimentale qui contient implicitement une proposition de changement de règles est elle-même une partie du jeu en cours. C’est bien cette combinaison de types logiques, à l’intérieur d’un seul acte signifiant, qui donne à la thérapie son caractère, non pas d’un jeu rigide mais d’un système évolutif d’interaction. (Bateson, 1980a, p. 222-223) »

Fort de cet appareillage conceptuel, l’auteur dévoile alors plus en avant son hypothèse de travail : « […] ce qui rend possible un chorus de trompette imprévu, c’est que les performances de jazz sont de semblables « systèmes évolutifs d’interactions » où certains événements sonores fonctionnent comme des « combinaisons de types logiques » : ils sont dans le cadre des éléments métacommunicationnels susceptibles de modifier le cadre. Voilà comment on évite la rupture : le cadre de la cérémonie n’est pas brisé, il est échangé. Toute la question serait alors de dégager quels événements possèdent ce pouvoir, et avec quelles conditions de validité. […] »

image0032 dans Art et ecologie

…à l’écologie musicale

     Quelles sont alors les conséquences d’une telle plasticité ? « L’une des conséquences de cette plasticité concerne les territoires sonores. Le territoire collectif est donc susceptible, pour parler comme Deleuze et Guattari, de déterritorialisations locales et, dans d’autres contextes, de déterritorialisations totales. Cette plasticité est souvent telle qu’elle ne concerne pas simplement le cadre de l’interaction sociale : les performeurs de jazz ouvrent leurs territoires à toutes sortes d’événements contemporains de la performance, émanant du cadre lui-même et pas seulement de ce qui s’y joue. Il n’y a pas seulement territoires sonores, mais écologies musicales. 

[…] Si on se reporte à « Écologie et souplesse dans la civilisation urbaine » (Bateson, 1980b, p. 253-264), on remarque que l’écologie est toujours un processus de couplage entre des éléments hétérogènes : la ville et son environnement, les différents degrés logiques dans la sphère des idées, ou les espèces dominantes et les espèces secondaires d’une barrière de corail. Chaque élément du couplage dispose d’une certaine souplesse, c’est-à-dire que ses variables de fonctionnement peuvent fluctuer entre les seuils minimum et maximum au-delà desquels ils tombent dans le déséquilibre. Le couplage dans son ensemble est véritablement « écologique » lorsque ses éléments sont à des degrés de souplesse compatibles, soit lorsque le système produit un équilibre. Une population urbaine et son milieu sont écologiques lorsque, par exemple, les ressources en eau supportent le nombre d’habitants et leur mode de consommation de cette eau, fonction des habitudes alimentaires et hygiéniques, des technologies mobilisées, etc.

[…] Bateson montre longuement que les interactions humaines sont perpétuellement inscrites dans ce type de couplage, comme dans les relations entre professeur et élève, ou entre analyste et patient : « Les moyens par lesquels un homme en influence un autre font partie, eux aussi, de l’écologie des idées contenues dans leur relation, ainsi que du système écologique plus large qui englobe cette même relation. (Bateson, 1980b, p. 263) [...] Il me semble que les performances de jazz sont un autre exemple d’interactions face-à-face qui engage plus que ce face-à-face, et peuvent se coupler avec d’autres éléments, avec des éléments du « milieu ». C’est que les modifications des règles du jeu musical n’ont pas forcément à venir de l’un des interactants : elles peuvent être produites par toutes sortes d’événements environnants, tant qu’il est possible de créer un équilibre

image0042 dans Bateson

     A titre d’illustration, l’auteur nous donne à voir trois exemples précis (festival de Châteauvallon de 1978, festival d’Uzeste de 2004 et Bouffes du Nord, en juin dernier), consultables ici en fin d’article. Avant de conclure comme suit : « […] je crois que ces situations sont beaucoup plus qu’anecdotiques, parce qu’elles sont très fréquentes et parce que les éléments extérieurs à l’interaction sociale jouent un rôle déterminant, quoique ce rôle soit différent à chaque fois, dans l’invention formelle de la pièce et dans la réception du public.

Ces moments écologiques sont souvent accueillis par des rires, et il y a là un signe fort. En déterritorialisant des bruits ou des conditions météorologiques, en les intégrant dans la performance, les musiciens se reterritorialisent, mais il ne s’agit plus d’un domaine réservé. L’allusion à des éléments communs au performeur et au spectateur crée une complicité : vous et nous subissons les sirènes, ou les aboiements d’un chien, les intempéries. Cette capacité de répartie dans le cadre d’une situation partagée est l’une des compétences les plus repérables du bon performeur, parce qu’elle invente une écologie : un système complexe, virtuose parce qu’en équilibre malgré sa précarité. Il semble que la pratique du jazz permette d’acquérir cette compétence. »

Consulter l’intégralité de l’article à l’adresse suivante : http://shadyc.ehess.fr/document.php?id=345

Les rapports entre l’art et la science : les échos et intercesseurs de Deleuze

Les rapports entre l'art et la science : les échos et intercesseurs de Deleuze dans -> CAPTURE de CODES : image0011

« La philosophie peut avoir de grandes batailles intérieures (idéalisme-réalisme, etc.), mais ce sont des batailles pour rire. N’étant pas une puissance, la philosophie ne peut pas engager de bataille avec les puissances, elle mène en revanche une guerre sans bataille, une guérilla contre elles. Et elle ne peut pas parler avec elles, elle n’a rien à leur dire, rien à communiquer, et mène seulement des pourparlers. Comme les puissances ne se contentent pas d’être extérieures, mais aussi passent en chacun de nous, c’est chacun de nous qui se trouve sans cesse en pourparlers et en guérilla avec lui-même, grâce à la philosophie. »
Editeur : Minuit (22 août 2003)

     Pourparlers compile quelques entretiens du philosophe Gilles Deleuze (période 1972 à 1990), textes parmi lesquels on peut trouver plusieurs lignes de réflexion autour de la complexe question des rapports entre la philosophie, l’art et la science. L’extrait suivant donne ainsi à voir quelques points d’ancrage importants à ceux qui souhaiteraient impulser l’idée que l’art est une chance de développement et de transmission douce des savoirs issus de l’écologie scientifique.

« […] Ce qui m’intéresse, ce sont les rapports entre les arts, la science et la philosophie. Il n’y a aucun privilège d’une de ces disciplines sur une autre. Chacune d’entre elles est créatrice. Le véritable objet de la science, c’est de créer des fonctions, le véritable objet de l’art, c’est de créer des agrégats sensibles et l’objet de la philosophie, créer concepts.

A partir de là, si l’on se donne ces grosses rubriques, aussi sommaires soient-elles : fonction, agrégat, concept, on peut formuler la question des échos et des résonances entre elles. Comment est-il possible que, sur des lignes complètement différentes, avec des rythmes et des mouvements de production complètement différents, comment est-il possible qu’un concept, un agrégat et une fonction se rencontrent ?

Premier exemple : il y a, en mathématiques, un type d’espace appelé espace riemannien. Mathématiquement très bien défini, en rapport avec des fonctions, ce type d’espace implique la constitution de petits morceaux voisins dont le raccordement peut se faire d’une infinité de manières et cela a permis, entre autres, la théorie de la relativité. Maintenant, si je prends le cinéma moderne, je constate qu’après la guerre apparaît un type d’espace qui procède par voisinages, les connections d’un petit morceau avec un autre se faisant d’une infinité de manières possibles et n’étant pas prédéterminées. Ce sont des espaces déconnectés. Si je dis : c’est un espace riemannien, ça a l’air facile et pourtant c’est exact d’une certaine manière, il ne s’agit pas de dire : le cinéma fait ce que Riemann a fait. Mais, si l’on prend uniquement cette détermination de l’espace voisinages raccordés d’une infinité de manières possibles, voisinages visuels et sonores raccordés de manière tactile, alors, c’est un espace de Bresson. Alors, bien sûr, Bresson n’est pas Riemann, mais il fait dans le cinéma la même chose qui s’est produite en mathématiques et il y a écho.

Un autre exemple : il y a dans la physique quelque chose qui m’intéresse beaucoup, qui a été analysé par Prigogine et Stengers, et qu’on appelle « transformation du boulanger. On prend un carré, on l’étire en rectangle, on coupe le rectangle en deux, on rabat une partie du rectangle sur l’autre, on modifie constamment le carré en le réétirant, c’est l’opération du pétrin. Au bout d’un certain nombre de transformations, deux points, si rapprochés soient-ils dans le carré originel, se trouveront fatalement dans deux moitiés opposées. Ça donne l’objet de tout un calcul et Prigogine, en fonction de sa physique probabilitaire, y attache une grande importance. Là-dessus, je passe à Resnais. Dans son film Je t’aime, je t’aime on voit un héros qui est reporté à un instant : sa vie et cet instant va être pris dans des ensembles différents à chaque fois Comme des nappes qui vont être perpétuellement brassées, modifiées, redistribuées, de telle façon que ce qui est proche sur une nappe va être au contraire très distant sur autre. C’est une conception du temps très frappante, très curieuse cinématographiquement et qui fait écho à la « transformation du boulanger ».

wd03 dans -> PERSPECTIVES TRANSVERSES

[…] Du coup, la philosophie, l’art et la science entrent dans des rapports de résonance mutuels et dans des rapports d’échange, mais, à chaque fois, pour des raisons intrinsèques. C’est en fonction de leur évolution propre qu’ils percutent l’un dans l’autre. Alors, dans ce sens, il bien considérer la philosophie, l’art et la science comme des espèces de lignes mélodiques étrangères les unes autres et qui ne cessent pas d’interférer. La philosophie n’ayant, là-dedans, aucun pseudo-primat de réflexion, et dès lors aucune infériorité de création. Créer des concepts, c’est non moins difficile que de créer de nouvelles combinaisons visuelles, sonores, ou créer des fonctions scientifiques. Ce qu’il faut voir, c’est que les interférences entre lignes ne relèvent pas de la surveillance ou de la réflexion mutuelle. Une discipline qui se donnerait pour mission de suivre un mouvement créatif venu d’ailleurs abandonnerait elle-même tout rôle créateur. L’important n’a jamais été d’accompagne le mouvement du voisin, mais de faire son propre mouvement. Si personne ne commence, personne ne bouge. Les interférences ce n’est pas non plus de l’échange : tout se fait par don ou capture.

Ce qui est essentiel, c’est les intercesseurs. La création, c’est les intercesseurs. Sans eux il n’y a pas d’œuvre. Ça peut être des gens — pour un philosophe, des artistes ou des savants, pour un savant, des philosophes ou des artistes — mais aussi des choses, des plantes, des animaux même, comme dans Castaneda. Fictifs ou réels, animés ou inanimés, il faut fabriquer ses intercesseurs.

C’est une série. Si on ne forme pas une série, même complètement imaginaire, on est perdu. J’ai besoin de mes intercesseurs pour m’exprimer, et eux ne s’exprimeraient jamais sans moi : on travaille toujours a plusieurs, même quand ça ne se voit pas. A plus forte raison quand c’est visible : Félix Guattari et moi, nous sommes  intercesseurs l’un de l’autre.

La fabrication des intercesseurs à l’intérieur d’une communauté apparaît bien chez le cinéaste canadien Pierre Perrault : je me suis donné des intercesseurs, et c’est comme ça que je peux dire ce que j’ai â dire. Perrault pense que, s’il parle tout seul, même s’il invente des fictions, tiendra forcément un discours d’intellectuel, il ne pourra pas échapper au « discours du maître ou du colonisateur », un discours préétabli. Ce qu’il faut, c’est saisir quelqu’un d’autre en train de « légender », en « flagrant délit de légender »…Alors se forme, à deux ou à plusieurs, un discours de minorité. On retrouve ici la fonction de fabulation bergsonienne… Prendre les gens en flagrant délit de légender, c’est saisir le mouvement de constitution d’un peuple. Les peuples ne préexistent pas.

[…] Cette idée que la vérité, ce n’est pas quelque chose qui préexiste, qui est à découvrir mais qu’elle est à créer dans chaque domaine, c’est évident, par exemple dans les sciences. Même en physique, il n’y a pas de vérité qui ne suppose un système symbolique, ne serait-ce que des coordonnées. Il n’y a pas de vérité qui ne « fausse » des idées préétablies. Dire « la vérité est une création » implique que la production de vérité passe par une série d’opérations qui consistent à travailler une matière, une série de falsifications à la lettre. Mon travail avec Guattari : chacun est le faussaire de l’autre, ce qui veut dire que chacun comprend à sa manière la notion proposée par l’autre. Se forme une série réfléchie, à deux termes. N’est pas exclue une série à plusieurs termes, ou des séries compliquées, avec bifurcations. Ces puissances du faux qui vont produire du vrai, c’est ça les intercesseurs […] »

http://www.dailymotion.com/video/x3wsaw

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