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G. Bateson: le problème du contrôle est davantage lié à l’art qu’à la science.

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Note de Gregory Bateson extraite de vers une écologie de l’esprit, tome 2éditions du Seuil, 1980.  Troisième section: forme et pathologie des relations, exigences minimales pour une théorie de la schizophrénie.

Qu’est-ce que l’homme ?

Si l’on m’avait demandé, il y a quinze ans, ce que j’entendais par le mot «matérialisme», je crois que j’aurais répondu que le matérialisme est une certaine théorie de l’univers, et j’aurais considéré comme allant de soi l’idée que cette théorie ne pouvait en rien être liée à une morale.

J’aurais, à l’époque, convenu du fait que le savant est un expert qui peut fournir, à lui-même et aux autres, des intuitions et des techniques, mais aussi de ce que ce n’était pas à la science qu’il revenait de se prononcer en faveur ou non de l’utilisation de ces techniques.

J’aurais en cela suivi un courant de pensée continu en philosophie des sciences, qu’illustrent les positions de savants aussi connus que Démocrite, Galilée, Newton , Lavoisier et Darwin.

J’aurais ainsi fait abstraction, en les tenant pour moins respectables, des idées d’Héraclite, des alchimistes, de William Blake, de Lamarck et de Samuel Butler. Pour ces derniers, la motivation véritable de leurs recherches scientifiques était leur désir d’élaborer une conception globale du monde, qui montrerait ce qu’est l’homme et quels sont ses liens avec le reste de l’univers. La vision du monde que de tels hommes essayaient de construire était donc à la fois éthique et esthétique. Il existe, me semble-t-il, de nombreux rapports entre, d’une part, la vérité scientifique et, d’autre part, la beauté et la moralité : la preuve en est, pour moi, que, si un homme entretien des idées fausses en ce qui concerne sa propre nature, il sera nécessairement amené à commettre des actions qui seront profondément immorales et laides. (i.e. dernière proposition et formulation « idée fausse », « propre nature », « necessairement », à rapprocher d’une ligne – éthique - spinoziste.)

Confronté aujourd’hui à la même question sur le matérialisme, je répondrais plutôt que celui-ci représente, pour moi, un ensemble de règles concernant les questions qu’il convient de se poser sur la nature de l’univers. Mais je ne prétendrai aucunement que cet ensemble de règles ait aucun droit à la vérité absolue.

Le mystique «voit le monde dans un grain de sable», et le monde qu’il voit est soit moral, soit esthétique, soit les deux en même temps. Les newtoniens, eux, observent une régularité dans la chute libre des corps physiques et prétendent ne tirer, de cette régularité, aucune conclusion normative. Mais cette prétention devient illégitime à partir du moment où ils prêchent que la régularité qu’ils postulent est la seule vision juste de l’univers ; car prêcher n’est possible qu’en termes, précisément, de conclusions normatives.

Au cours de cette conférence, j’ai plusieurs fois abordé des thèmes qui ont déjà prêté à controverses, au cours des longues querelles qui ont opposé un matérialisme amoral et une vision plus romantique de l’univers. La controverse, par exemple, qui a opposé Darwin et Butler a pu sembler devoir une partie de son aigreur à des attaques personnelles, mais il n’empêche que tous ces affrontements dissimulaient un problème dont le fond était religieux. Le vrai combat portait, en fait, autour du «vitalisme», le problème étant de savoir quelle quantité et quel ordre de vie pouvaient être attribué aux organismes. La victoire de Darwin tient au fait que, bien qu’il n’ait pas réussi à porter définitivement atteinte à l’idée d’une vitalité mystérieuse de l’organisme individuel, il a, au moins, démontré que le tableau de l’évolution peut se ramener à une loi naturelle.

Il était donc extrêmement important, à l’époque, de démontrer que ce territoire encore vierge qu’était celui de la vie de l’organisme individuel ne pouvait plus être arraché au champ de l’évolution. Il semblait encore mystérieux que les organismes vivants puissent réaliser des changements adaptatifs durant leur vie individuelle, et il ne fallait à aucun prix que ces changements – les fameux «caractères acquis» – vinssent influencer l’arbre de l’évolution. L’«hérédité des caractères acquis» menaçait continuellement de reprendre, au profit des vitalistes, le terrain gagné par les évolutionnistes. La biologie devait être scindée en deux : les hommes de science «objectifs» clamèrent évidemment leur foi dans l’unité d’une nature qui, dans toutes ses manifestations, serait un jour accessible à leur analyse, cela n’empêchant en rien que, pendant ceint ans, on convînt qu’il fallait dresser un écran opaque entre la biologie de l’individu et la théorie de l’évolution. La mémoire «héritée» de Butler n’était qu’une attaque contre cet écran.

La question que je poserai, pour conclure cet exposé peut être formulée de plusieurs façons : la querelle entre un matérialisme amoral et une conception plus mystique de l’univers peut-elle être affectée par un changement dans la fonction attribuée aux «caractères acquis» ? La vieille thèse du matérialisme repose-t-elle vraiment sur le principe que les contextes sont isolables ? Ou bien notre conception du monde change-t-elle si l’on admet un enchaînement infini de contextes, reliés entre eux dans un réseau complexe de métarelations ? Notre position, dans la controverse, peut-elle être modifiée par l’éventualité que les différents niveaux de changements stochastiques (soit dans le phénotype, soit dans le génotype) soient liés au contexte plus vaste du système écolo ?

En renonçant au postulat que les contextes sont toujours conceptuellement isolables, j’ai par là même introduit l’idée d’un univers plus unifié – et, en ce sens, plus mystique – que l’univers conventionnel du matérialisme amoral. Pouvons-nous donc, à partir de cette position nouvelle, espérer que la science répondra un jour aux questions morales et esthétique.

J’estime que notre position a changé de façon significative. Je peux peut-être vous en persuader en examinant ici un problème sur lequel – en tant que psychiatres – vous vous êtes certainement maintes fois penchés : je veux dire le «contrôle» et tout ce que nous suggèrent des mots comme «manipulation», «spontanéité», «libre arbitre» et «technique». Vous conviendrez facilement avec moi que, plus que toutes autres, nos idées sur le «contrôle», quand elles reposent sur des prémisses fausses en ce qui concerne la nature du «soi» et ses relations avec les autres, peuvent engendrer la destruction et la laideur. Un être-humain en rapport avec une autre personne n’exerce qu’un contrôle très limité sur ce qui peut arriver dans cette relation. Il n’est qu’une partie d’une unité à deux personnes, et le contrôle que chacune des deux parties peut exercer sur l’ensemble est strictement limité.

Le rail à l’infini des contextes, dont je parlais plus haut, n’est qu’un autre exemple de ce même phénomène. Ma contribution en cette matière peut se résumer ainsi : la contradiction entre le tout et la partie, chaque fois qu’elle apparaît dans le domaine de la communication, est tout simplement une contradiction dans les types logiques. Le tout est toujours en métarelation avec ses parties. De même qu’en logique la proposition ne peut jamais déterminer la métaproposition, de même, dans le domaine du contrôle, le contexte ne peut déterminer le méta-contexte. J’ai remarqué, à propos notamment des phénomènes de compensation phénotypiques, que, dans les hiérarchies des types logique, il y a souvent changement de sens à chaque niveau, lorsque les niveaux sont liés entre eux de manière a créer un système auto correcteur. Ce phénomène apparaît sous forme de diagramme simple dans la hiérarchie d’initiation que j’ai pu étudier en Nouvelle-Guinée : les initiateurs sont les ennemis naturels des novices parce que leur tâche est de les former en les malmenant. Mais, en même temps, ceux qui ont autrefois initié les initiateurs actuels ont pour rôle de critiquer la façon dont se déroule l’initiation, ce qui en fait les alliés naturels des novices. Et., ainsi de suite. Un phénomène semblable peut être observé dans les collèges américains, où des alliances tendent à se nouer entre les première et troisième années, d’une part, et entre les deuxièmes et quatrième, de l’autre.

Cela nous conduit à une conception du monde qui reste encore quasi inexplorée. La complexité de cette vision peut être, en partie, suggérée par une analogie grossière et bien imparfaite. Nous pouvons comparer le fonctionnement de ces hiérarchies aux tentatives de conduire, en marche arrière, un camion auquel sont attachées une ou plusieurs remorques : chacune des segmentations d’un tel système manifestera une inversion de sens, alors que chaque segment ajouté entraînera une chute brutale de la capacité de contrôle du conducteur. Si le système est parallèle, par exemple, au côté droit de la route, et que le conducteur veuille que la première remorque s’approche de ce côté droit, il doit tourner ses rouer avant vers sa gauche ; ainsi, l’arrière du camion sera éloigné du côté droit de la route, de façon que l’avant de la remorque soit dirigé vers le côté gauche. Ce mouvement, à sot tour, portera vers la droite l’arrière de la remorque. Et ainsi de suite.

Toute personne ayant tenté une fois cette manœuvre sait que la possibilité de contrôle diminue rapidement. Même la marche arrière avec une seule remorque est difficile car le nombre d’angles sur lesquels peut s’exercer le contrôle est très limité. Si la remorque est dans l’alignement – ou à peu près dans l’alignement – du véhicule, alors le contrite est, assez aisé ; mais, à force de s’éloigner de l’axe longitudinal, il arrive un moment où l’on perd le contrôle et où toute tentative de le reprendre ne pourra que provoquer un déséquilibre du système. Avec deux remorques, le seuil de déséquilibre est atteint encore plus vite, et la possibilité de contrôle devient, par conséquent, presque négligeable.

A mes yeux, le monde est constitué d’un réseau (plutôt que d’une chaîne) très complexe d’entités qui entretiennent ce genre de relations, à ceci près que beaucoup d’entre elles possèdent leur propre source d’énergie et, parfois même, leurs propres «idées» de l’endroit où elles veulent aller.

Dans un tel monde, le problème du contrôle est davantage lié à l’art qu’à la science, d’abord parce que nous sommes enclins à considérer que la difficulté et l’imprévisible sont des contextes nécessaires à l’art, mais surtout parce que le résultat de l’erreur est, la plupart du temps, la laideur.

Laissez-moi, pour conclure, mettre en garde les spécialistes des sciences sociales que nous sommes. Nous devons réfréner notre désir de contrôler ce monde que nous comprenons si mal. Ne laissons pas le sentiment de l’imperfection de notre savoir alimenter notre angoisse et, par conséquent, notre besoin de contrôle. Que nos recherches soient plutôt inspirées par un motif ancien et, hélas, aujourd’hui délaissé : la simple curiosité envers ce monde dont nous faisons partie. La récompense d’une telle attitude n’est pas le pouvoir, mais la beauté.

Car c’est un fait bien singulier, que tous les grands progrès scientifiques – et ceux accomplis par Newton ne sont pas les moindres – ont été élégants.

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+ Une théorie du jeu et du fantasme / Gregory Bateson (blog Le silence qui parle)

µ(:)dauphins

µ(:)dauphins dans Art et ecologie dolphin

Citations d’après article « problèmes de communication chez les cétacés et autres mammifères » Grégory Bateson, Vers une écologie de l’esprit, tome II, Editions du seuil, Paris, 1980, p.137 et suivantes. Source des fichiers sons et images: http://neptune.atlantis-intl.com/dolphins/

Le langage des dauphins

Suite aux travaux du naturalite Jacob Von Uexküll, nous savons maintenant que les animaux ont un monde. Bulle de réalité et biographie propre dont nous ne rencontrons peu ou presque, trop occupés que nous sommes à reconnaître dans la nature des similitudes, des formes plutôt que des affects.

La note suivante présente une petite histoire de dauphin. Petite histoire dont la morale pourrait-être celle d’une plus juste distance de regard entre les mondes.

En 1962, « l’anthropologue » Gregory Bateson quitte l’école de Palo Alto pour Virginia Islands afin d’étudier la communication chez les dauphins.

« Ce mammifère [i.e. le dauphin] m’intéresse plutôt par son système de communication et par ce que nous appelons son comportement, considéré comme un ensemble de données perceptibles et signifiantes pour les autres membres de son espèce. Ce comportement est signifiant, d’abord, dans la mesure où il affecte le comportement d’un animal récepteur et, ensuite, dans celle où un échec manifeste dans la transmission de cette « signification » affectera le comportement des deux animaux. (…) Si nous voulons comprendre le langage des dauphins, une des première chose que nous devons éclaircir, c’est l’interprétation que donne un cétacé de l’utilisation du sonar par un autre membre de son espèceGrégory Bateson

Spottet Dolphins 

Pour aborder d’un point de vue méthodologique l’étude du comportement des dauphins, Bateson mobilise sa théorie de l’analyse transactionnelle du comportement, une théorie composite dégagée au fil de ses différents champs d’études (anthropologie, éthologie animale et psychiatrie).

Une théorie dont il résume les prémisses de la sorte :

1. Une relation à deux (ou plusieurs) organismes est, en fait, une séquence des séquences S-R (stimulus-réponse), à savoir un contexte où se réalise l’apprentissage primaire (proto-learning).

2. L’apprentissage du deuxième degré (deutero-learning), ou «apprendre à apprendre», consiste à acquérir des informations sur les modèles possibles de contextes où se réalise l’apprentissage primaire.

3. Le «caractère» de l’organismeest le résulta de l’ensemble de son apprentissage de deuxième degré et reflète par conséquent, les modèles contextuels de l’apprentissage primaire antérieur.

Bateson précise : « Ces prémisses ne sont qu’une structuration hiérarchisée de la théorie de l’apprentissage, selon les critères fournis par la théorie des types logiques de Russel et Whitehead, qui n’avaient prévu de n’appliquer ces prémisses qu’à l’étude de la communication digitale. »

Risso’s Dolphin (whistle and sonar) 

Bateson se demande alors jusqu’à quel point de tels prémisses sont applicables à la communication analogique, ou aux systèmes qui combineraient analogique et digitale. C’est dans ce sens que Bateson orientera ses recherches sur la communication des dauphins.

Dès lors ses hypothèses sont les suivantes:

« On peut donc logiquement envisager l’hypothèse que la vocalisation des dauphins est une expression digitale des fonctions µ. »

C’est-à-dire une communication d’un type tout à fait inhabituel et de laquelle il précise immédiatement:  

« (…) J’ignore quels peuvent être les aspects d’un système digital primaire, dont l’objet serait la communication sur des modèles de relation ; il y a cependant, de fortes chances qu’il offre des aspects différents de ceux d’un langage sur les choses, et sans doute se rapprocherait-il davantage de la musique. »

Risso’s Dolphin (just the « whistle) 

Digital et analogique

Dans une communication digitale, il ne s’agit pas de grandeurs mais seulement de noms (codes) désignant des positions dans une matrice.
Dans une communication analogique, on utilise à contrario des grandeurs réelles qui correspondent à des grandeurs réelles au niveau de l’objet du discours.

« Nous savons pourquoi les gestes et les intonations nous sont partiellement compréhensibles, et pas les langues étrangères : c’est parce que le langage est digital, tandis que la kinésie ou les signaux paralinguistiques [i.e. l'expression faciale, le remuement de la queue, le serrement du poing, la supination de la main, le gonflement des narines...] sont analogiques »

Exemple. Imaginons un texte scientifique pubié en japonais. Les idéogrammes, aujourd’hui devenus digitaux, nous seront donc par là même intuitivement incompréhenssibles sans la maîtrise de la langue japonaise (code).
A l’inverse, nous pourront comprendre partiellement les courbes cartésiennes qui illustrent ce texte, dans la mesure où celles-ci sont analogiques.

« Le langage verbal, lui, est purement digital dans presque tous ses éléments. Le mot grand n’est pas plus grand que le mot petit, en général, on ne trouve rien, dans le schéma du mot table, (c’est-à-dire dans le système de grandeurs qui lui sont corrélatives), qui pourrait correspondre au système de grandeurs corrélatives qu’il désigne. Au contraire, dans la communication kinésique et paralinguistique, l’ampleur du geste, la profondeur de la voix, la longueur de pause où ou la tension du muscle correspondent (directement ou inversement) aux grandeurs de relation qui font l’objet du discours. »

http://www.dailymotion.com/video/x2l935 « Le langage digital baigne dans une véritable glu analogique »

Dans sa traduction du digital et de l’analogique de Bateson, Deleuze présentera le langage digital comme un langage articulé codé (conventions) portant sur les états de chose, le langage analogique, par un langage non articulé portant sur les relations – essentiellement de dépendances – entre un émetteur et un récepteur. Ainsi, d’un langage analogique je déduis les états de chose, d’un langage digital, j’induis des relations.

dolphin2 dans Bateson

Common Dolphin (lots of sonar) 

Fonction µ

Le langage analogique, où le comment s’expriment les relations de dépendances. Chez les mammifères à communication préverbale, l’hypothèse de Bateson est la suivante: le discours porte d’abord sur les règles et les aléas des relations. Le discours a pour tout premier objet la relation. 
Les mammifères à communication préverbale s’exprimant en termes de modèle et de possibilités de relations, l’homme ne peut avoir qu’un rapport à ce type de communication nécessairement déductif.
Ainsi le chat ne miaule pas du « lait », il miaule, ou plutôt exprime, sa relation de « dépendance » alimentaire vis-à-vis de son maître. 
Ce dernier en déduit alors que le chat « demande » son lait.
Ce miaou-miaou du chat, Bateson le « code » avec humour en formulant la fonction miaou, mu, … qui en finit par devenir µ.

« C’est la nécessité d’une étape déductive qui distingue tout à la fois la communication préverbale des mammifères, de celle, tout à la fois des abeilles comme de l’homme. Le fait exceptionnel, la grande nouveauté qui a caractérisée et la formation et l’évolution du langage humain, n’a pas été l’abstraction ou la généralisation, mais la découverte du moyen de parler de manière spécifique d’autre chose que des relations. »

« Ce que je crois (…) c’est qu’ils [i.e. les dauphins] se préoccupent des modèles de leurs relations réciproques. Appelons cette communication sur les modèles des relations, fonction µ du message. Lorsqu’ils en ont besoin, les animaux à communication non verbale communiquent sur les choses, en utilisant les signaux qui relèvent d’abord de la fonction µ. Au contraire, les humains se servent du langage, lequel porte d’abord sur les choses, pour parler de relations. »

Conclusion de Bateson, n’attendez surtout rien d’une possible compréhension du langage des dauphins !

« Mon impression, (…) est qu’il n’y a pas vraiment eu de passage [i.e. chez les dauphins] de la kinésie à des formes de paralinguistiques, comme on le suppose d’habitude. Nous autres mammifères terrestres, nous sommes familiarisés avec la communication paralinguistique ; nous l’utilisons nous-mêmes par des gémissements, grognements, rires, pleurs, modulations de la respiration (…) Pour cette raison, les signaux paralinguistiques des autres mammifères ne nous paraissent pas complètement obscurs. (…) Mais des sons émis par les dauphins, nous ne pouvons rien deviner

Common Dolphin 

« Chez tous les mammifères les organes sensoriels (les yeux, les oreilles, le nez) deviennent aussi des organes de transmission de messages à propos des relations. L’adaptation à la vie dans les océans a dépouillé les cétacés de toute expression faciale. Il est donc vraisemblable que chez ces animaux [i.e. les dauphins], la vocalisation ait remplacé la fonction de communication [i.e. analogique], qui est assumée, chez les autres animaux, par l’expression faciale, le remuement de la queue, le serrement du poing, la supination de la main, le gonflement des narines (…) Ce qui a du se passer avec eux [i.e. les dauphins], c’est que les informations que nous nous-mêmes, humains, ainsi que les autres mammifères terrestres, pouvons recueillir visuellement, ont été déplacées dans la voix. »

Il est donc possible pour Bateson que les dauphins aient réussi à intégrer dans leur « langage » toutes les nuances de nos gémissements, grognements, rires, pleurs, modulations de la respiration. 

« Personnellement, je ne crois pas que les dauphins possèdent ce qu’en linguistique humaine on pourrait appeler un langage. Je ne pense pas qu’aucun animal dépourvu de main serait assez stupide pour en arriver à un mode de communication aussi inadapté : pourquoi utiliserait-on une syntaxe et un système de catégorie ne visant que les choses qu’on peut manipuler, au lieu de communiquer sur des modèles et des possibilités de relations ?  »

Bottlenose Dolphins 

« L’homme dispose lui aussi de quelques mots pour exprimer ces fonctions µ, par exemple : amour, respect, dépendance … Mais ces mots n’ont qu’une fonction très pauvre dans la communication sur les relations entre personnes. Si vous dites à une fille : je vous aime, elle attachera certainement beaucoup plus d’importance aux signes kinesthésiques et paralinguistiques qui accompagnent votre déclaration, qu’aux mots eux-mêmes (…) nous préférons nettement que nos signes affectifs restent analogiques, inconscient et involontaires. Nous avons tendance à nous méfier de ceux qui sont capables de simuler les messages concernant les relations. Pour toutes ces raisons, nous n’avons aucune idée de ce que pourrait être une espèce pourvue d’un système de communication digital, fut-il si simple et rudimentaire, et dont l’objet principal serait les fonctions µ. »

http://www.dailymotion.com/video/x2frh6 « Coder des fonction µ, mettre de l’analogique dans le code. »

Coder l’analogique, la possibilité d’une rencontre

Les dauphins n’ayant plus les moyens de pratiquer le langage analogique sous l’eau, ceux-ci inventent donc le codage (la digitalisation) des fonctions µ analogiques des mammifères terrestres. Et le résultat n’a rien à voir avec un langage conventionnel tel que le notre.
Il ne s’agit pas d’un langage digital de codes, mais bien d’un codage de l’analogique en tant que tel. Dès lors le contenu analogique de ce language n’exprime rien des états de chose, mais seulement des relations de dépendance.

picassa dans Deleuze 
crédits

C’est cette possibilité de greffer un code binaire sur du pur langage analogique qui fera dire à Deleuze qu’un peintre abstrait compose à la manière du dauphin. C’est à dire qu’il invente un code, pictural en l’occurrence, afin d’exprimer toute une matière ou un contenu analogique.

C’est peut-être donc sur cette ligne de l’homme pris dans les codes de la peinture, du dauphin pris dans ceux de l’océans, que ceux-ci partagent un affect ou devenir commun. Croisement hasardeux et/ou nécessaire pour la résonnance d’un discours qui tente de s’épurer des forces de l’anthropocentrisme et anthropomorphisme associées.

« J’espère que le dauphin nous enseignera une nouvelle méthode d’analyse de tous les modes d’information dont nous avons besoin pour défendre notre santé mentale. » Grégory Bateson

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Sans aller dans le détail, les dauphins génèrent ces anneaux sous l’eau, pour s’amuser. En faisant un mouvement brusque de leur tête ils font apparaître cet anneau argenté devant leur bec. Cet anneau ne remonte pas à la surface ! Il reste dans une position verticale dans l’eau. Le dauphin peut créer un nouvel et plus petit anneau à partir du grand. En mordant dans l’anneau il le désintègre en milliers de petites bulles qui remontent à la surface. Cet anneau est en fait un vortex généré par l’extrémité de l’aileron dorsal et dans lequel est soufflé de l’air à travers l’évent. L’énergie générée par le vortex est suffisante pour empêcher les bulles d’air de remonter à la surface pendant un certain temps… le temps pour le dauphin de jouer avec l’anneau…

Souplesse et changement

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«  La souplesse sociale est une ressource aussi précieuse que le pétrole ou le titane. Elle doit faire l’objet d’une budgétisation appropriée de manière à être dépensée (comme la graisse)  uniquement pour les changements nécessaires. « 

Notes et fragments d’après l’article de Grégory Bateson, « écologie et souplesse dans la civilisation urbaine », vers une écologie de l’esprit, tome2, Ed. du Seuil, 1980

 » Comment définir la santé écologique ? Il me semble préférable, plutôt que de la considérer comme un but ultime, spécifique, d’avoir une idée abstraite de ce que nous pouvons entendre par là, car une notion aussi générale guidera notre recollection des données et notre évaluation des tendances observées. « 

Dans l’introduction de l’article, Bateson définit brièvement l’idée abstraite qu’il se fait de ce que pourrait-être une écologie saine de la civilisation humaine :  » un système unitaire fait de la combinaison de l’environnement avec un haut degré de civilisation, où la souplesse de la civilisation rejoindrait celle de l’environnement pour créer un système complexe qui fonctionne, ouvert aux changements lents des caractéristiques mêmes les plus fondamentales et les plus « rigides » du système. « 

D’un point de vue historique, et pour toute civilisation, une invention technologique nouvelle consiste toujours à ajouter plus de liberté et de souplesse dans son système. Que ce soit par une meilleure exploitation de la nature, ou de l’homme. Mais à mesure que l’on use de cette souplesse additionnelle, celle-ci finit toujours par s’épuiser et mener à la décadence. Un haut degré de civilisation implique donc nécessairement une certaine manière de distribuer, sans la dilapider, la souplesse dans le couple « vaisseau spatial » terre et civilisation. Dès lors pour un pilote:  » Il ne s’agit pas tant d’évaluer les valeurs et les tendances des variables significatives d’un système donné, que d’évaluer la relation entre ces tendances et la souplesse écologique.  »

danse dans Bateson

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Souplesse dans les systèmes

En bon cybernéticien, Bateson commence par une définition restrictive de la souplesse (les effets de son absence): «  Tout système biologique peut-être décrit en fonction des maxima et des minima autorisés pour chacune de ses variables interdépendantes : au-delà et en deçà de ces seuils de tolérance, apparaissent inévitablement des malaises, des phénomènes pathologiques et, finalement la mort. A l’intérieur de ces limites, la variable peut se mouvoir afin de permettre l’adaptation. Lorsque, sous l’effet de certaines tensions, une variable doit prendre une valeur proche du seuil supérieur ou inférieur, nous dirons, en employant une expression familière, que le système est « coincé » par rapport à cette variable, ou que le système manque de souplesse par rapport à celle-ci.
Etant donné que les variables sont interdépendantes, être « guindé » à l’égard de l’une d’entre elles signifie généralement pour le système, que les autres variables ne pourront pas changer sans modifier la variable « coincées ». Ainsi la perte de souplesse se propage dans le système entier. Dans des cas extrêmes, le système n’acceptera plus que les changements qui changent les limites de tolérance de la variable « coincée ». Ainsi une société surpeuplée recherchera les changements (augmentation de nourriture, nouvelles routes, maisons supplémentaire etc.) susceptibles de rendre les conditions pathologiques et pathogènes de la surpopulation plus acceptables. Mais ces changements ad hoc sont, précisément, ceux qui risquent de provoquer, à la longue, une pathologie écologique plus profonde encore. « 

Positivement, la souplesse globale d’un système dépend donc de la possibilité de maintien d’un grand nombre de ses variables à un niveau moyen à l’intérieur des limites de tolérances. Plus précisément:  » Il faut noter que la souplesse est à la spécialisation ce que l’entropie est à la néguentropie. La souplesse peut donc être définie comme une potentialité non engagée de changement. L’opération qui a cours dans le budget de la souplesse est la division, et non la soustraction, comme dans le cas de l’argent et de l’énergie. « 

Autrement dit, la souplesse est à la rigidité ce que la polyvalence est à la spécialisation, la stratégie au programme. Elle est une potentialité non engagée de changement. En tant que telle, la souplesse du comportement du type de la stratégie est très proche de la redondance qui est le déploiement d’une multitude de versions différentes d’un même schéma organisateur. C’est donc une variable déterminante de la capacité de résilience d’un système, à savoir: la capacité de celui-ci à retrouver un fonctionnement et un développement normal après avoir subi une perturbation importante (choc extérieur).

Il en ressort le paradigme suivant de l’extinction d’un système pour cause de manque de souplesse : la maximisation à court terme (besoin immédiat) d’une variable unique, dans la mesure où:  » [...] il est assez rare que n’importe quel aspect d’un système biologique soit directement déterminé par le besoin qu’il satisfait. Nous mangeons par appétit, habitude et convention, plutôt que par faim ; la respiration est commandée par un excès de CO2, plutôt que par un manque d’oxygène. Et ainsi de suite… Il y a là un contraste évident avec les produits des ingénieurs et les planificateurs de la vie humaine, qui sont conçus pour rencontrer beaucoup plus directement des besoins tout à fait spécifiques.
Les raisons multiples qui déterminent le « besoin » de manger assurent l’accomplissement de cet acte essentiel à travers une grande variété de circonstances et de tensions, tandis que, s’il n’était que par l’hypoglycémie, toute perturbation de cette voie unique de contrôle provoquerait la mort. Les fonctions biologiques essentielles ne sont pas contrôlées par des variables létales, et les planificateurs de la vie humaine feraient bien d’en tenir compte [...]

On peut dire que, en gros, les phénomènes pathologiques de notre temps ne sont que les effets cumulatifs de ce processus qui combine l’épuisement de la souplesse des réponses aux tensions diverses (pressions démographiques en particulier), avec le refus d’assumer les conséquences de ces tensions (épidémie, famine, etc.) qui corrigeaient autrefois l’excès de population. « 

http://www.dailymotion.com/video/x4vkhe

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L’objectif de l’écologiste est d’accroître la souplesse des systèmes

A suivre Bateson, l’analyste de l’écologie commence donc par recommander, aux hommes des institutions en charge, tout ce qui peut donner au système étudié un budget de souplesse positif. Cependant:  » comme ces interlocuteurs ont une propension quasi naturelle à épuiser rapidement toute souplesse disponible, il devra donc à la fois créer de la souplesse et prévenir la civilisation contre une usure immédiate de celle-ci. «  C’est à dire que l’analyste de l’écologie exerce également une autorité afin de préserver la souplesse qui existe déjà, ou celle qui peut être crée.

Ce qui est important, c’est la distribution de la souplesse entre les multiples variables existantes au sein d’un système donné. Et à bien des égard, une telle opération relève d’un certain type de chorégraphie:  » Le système d’une une écologie saine de la civilisation humaine pourrait-être comparé à un acrobate sur une corde raide : afin de maintenir la vérité agissante de sa prémisse de base, (« je suis sur une corde raide »), l’acrobate doit être libre de passer d’une position d’instabilité à une autre : c’est-à-dire que certaines variables, comme la position de ses bras ou le rythme de ses mouvements, doivent être caractérisés par une très grande souplesse. Celle-ci servira à maintenir stables les autres caractéristiques, plus fondamentales et plus générales, qui concourent à l’équilibre. Si les bras de l’acrobate étaient rigides ou paralysés (coupés de toute communication), il tomberait.  »

Une distribution spécifique de la souplesse dans une société peut déjà être observée à un niveau général, notamment via son système légal. Pour Bateson:  » plus les lois prolifères, et plus l’acrobate sera limité dans ses mouvements, mais plus, en même temps, il se verra  conférer la liberté totale de tomber [...]
Durant la période où l’acrobate apprend à bouger ses bras de manière adéquate, il lui faut travailler avec un filet, précisément pour qu’il ait la liberté de tomber. De même, la liberté et la souplesse, eu égard aux variables les plus fondamentales, peuvent être nécessaires durant le processus d’apprentissage et de création qu’entraine tout changement social. «  

http://www.dailymotion.com/video/x59ilt

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Souplesse dans l’écologie des idées

 » Si le budget de souplesse devient l’un des éléments clés dont nous disposons pour comprendre le fonctionnement du système environnement-civilisation, et certaines formes pathologiques sont liées à des dépenses inconsidérées compte tenu du budget disponible, la souplesse des idées doit alors forcément jouer un rôle important dans notre théorie et notre pratique. « 

Pour Bateson, les idées, comme toutes les autres variables, sont interdépendantes:  » en partie à cause de la logique du psychisme, en partie à cause d’un consensus sur les effets quasi concrets de l’action. Ce qui caractérise ce réseau complexe qui détermine les idées et les actions, c’est le fait que, si, de manière générale, chacun des liens qui le structurent, pris isolément, est lâche, en même temps chaque idée ou action donnée est sujette à une détermination multiple venant d’une quantité de fils entrelacés : nous éteignons la lumière lorsque nous allons au lit, parce que nous répondons en partie à l’économie de l’épargne, en partie aux prémisse du transfert, en partie à nos idées sur l’intimité, en partie à la nécessité de réduire l’entrée sensorielle, etc. [...]

Cette surdétermination caractérise tous les domaines de la biologie : chaque trait de l’anatomie d’un animal ou d’une plante, chaque détail de son comportement est déterminé par une multitude de facteurs interdépendants, qui agissent à la fois au niveau génétique et au niveau physiologique. De même les processus de tout écosystème agissant sont les effets de déterminations multiples. « 

Certaines des idées acquises au cours d’une première expérience survivront à la seconde, et:  » la « sélection naturelle » insistera tautologiquement, pour que les idées qui survivent survivent plus longtemps que celles qui ne survivent pas. Mais l’économie de la souplesse intervient également dans l’évolution mentale : l’esprit ne manie pas de la même façon les idées nouvelles et celles qui ont survécu à usage répété. Le phénomène de la formation d’habitudes opère un tri, mettant en avant les idées qui ont survécu à l’usage, et les classant dans une catégorie plus ou moins séparée. Ces idées, qui ont fait leur preuve, sont donc disponibles pour un usage immédiat et sont dispensées d’un réexamen conscient ; tandis que les parties restées plus souples de l’esprit peuvent être réservées à l’appréhension de données nouvelles.

En d’autre terme la fréquence d’utilisation d’une idée devient un facteur déterminant pour sa survie au sein de cette écologie des idées que nous appelons l’esprit ; en outre, la survie d’une idée fréquemment utilisée est encore accentuée, du fait que le processus de formation d’habitudes tend à la soustraire du champ de l’examen critique. En même temps, la survie d’une idée dépend certainement aussi de ses relations avec d’autres idées : les idées peuvent se contredire ou se valider mutuellement ; elles peuvent se combiner plus ou moins aisément ; elles peuvent aussi, à l’intérieur de systèmes polarisés, s’influencer de façon complexe et mystérieuse.
En général, ce sont les idées les plus rependues et les plus abstraites qui survivent à un usage répété ; elles tendent ainsi à devenir les prémisses sur lesquelles l’ensemble des autres idées reposent, et donc, en tant que prémisses, deviennent relativement rigides.

[...] il existe, dans une écologie des idées, un processus d’évolution lié à une économie de la souplesse, et c’est ce processus qui décide laquelle des idées deviendra une prémisse rigidement programmé. Le même processus détermine la position nucléaire ou nodale, de ces idées rigides au sein de la constellation des autres idées : en effet, la survie de ces dernières dépend de la manière dont elles s’adaptent aux premières. Il s’en suit que tout changement dans les idées rigides entraine des changements dans l’ensemble de la constellation correspondante.

Comme pour Bateson l’esprit – en tant qu’écologie des idées – n’est pas un attribut spécifique du sujet humain, alors : «  Il existe certainement des relations analogues dans l’écologie d’une forêt de séquoia ou d’un récif de coraux : les espèces les plus fréquentes ou « dominantes » se trouvent dans une position nodale par rapport aux constellations d’une autre espèce, parce que la survie d’un nouveau venu dans le système dépend de la façon dont son mode de vie s’adapte à celui d’une, ou de plusieurs espèces dominantes. Dans ces contextes, à la fois écologique et mentaux, le mot « adaptation » est un équivalent faible de l’expression « souplesse d’ajustement ». « 

http://www.dailymotion.com/video/x3ohuc

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Modèles de danse

 » La souplesse globale d’un système dépend de la possibilité de maintien d’un grand nombre de ses variables à un niveau moyen à l’intérieur des limites de tolérances. Mais si une variable donnée garde trop longtemps une valeur moyenne, d’autres variables empièteront sur sa liberté (« la nature a horreur du vide ») et réduiront son espace de tolérance, jusqu’à ce que sa liberté de mouvement devienne nulle ; ou plus précisément, jusqu’à ce que tout mouvement ultérieur ne puisse se faire qu’au prix d’une perturbation exercée sur les variables « conquérantes ». Ce qui revient à dire que la variable qui ne change pas de valeur devient ipso facto rigide.
En fait, cette manière d’envisager la genèse des variables rigides n’est qu’une autre façon de décrire la formation des habitudes. Pour maintenir la souplesse d’une variable donnée, il faut, ou bien que cette souplesse ait l’occasion de s’exercer (exigence positive d’agir), ou bien que les variables conquérantes soient contrôlées directement (interdiction morale ou législative). « 

Pour toute société, il existe donc différentes modalité de gestion de la souplesse. Différentes danses, sur un fil commun, pour tout système social. Un mix d’incitations positives à agir (recommandations), et de contrôle législatif (autorité) à disribuer sur des variables dont les dégrés de liberté diffèrent en fonction de leur position relative dans le système (exposition, structure fondamentale ou ajustement). Bateson précise :

  •  » Même employé à bon escient, la loi n’est sûrement pas le bon moyen de stabiliser les variables fondamentales. Cet effet pourrait-être obtenu, plutôt, par l’éducation de la formation du caractère – ces parties du système social qui subissent régulièrement, comme on doit s’y attendre, les plus grandes perturbations. « 

  •  » Les fonctions biologiques essentielles ne sont pas contrôlées par des variables létales, et les planificateurs de la vie humaine feraient bien d’en tenir compte. « 

  • «  La fréquence de validation d’une idée, pour une période de temps donnée, n’est pas une preuve que cette idée est vraie, ni qu’elle est utile à long terme dans la pratique. «  [ex : idée de l'existence d'un esprit transcendant]

Au delà de la danse qu’accomplit tout système, danse qui aurait justement pour objet de capter d’autres modèles de danse, il n’est peut-être pas inintéressant de rapprocher la notion de souplesse de Bateson d’avec la notion de confiance telle qu’aujourd’hui propagée dans les discours de nos politiques et autres analystes des taux d’intérêt. En un certain sens, et à un certain niveau, ce capital de confiance sociale serait l’expression - à peu de variables - d’une partie émergée de ce capital souplesse complexe, ce potentiel de changement non engagé. On devine ici comment certaines des idées de Bateson ont pu partiellement lui survivre, diffuser, se transformer et se mélanger dans le temps des consultations.

http://www.dailymotion.com/video/x2c131

D’une écologie de l’esprit à la biodiversité

D'une écologie de l'esprit à la biodiversité dans Bateson batesonletteronly 

Pour Grégory Bateson, le mental n’est qu’une fonction d’une complexité relationnelle. Une propriété qui émerge de tout système complexe d’interactions et qui ne dépend pas de qualités spécifiques qu’auraient les parties prises séparément. « L’esprit, [système mental], est une fonction nécessaire, inévitable, de la complexité approprié, partout où cette complexité apparaît. Une forêt ou un récif de coraux, avec leurs agrégats d’organismes s’entremêlant dans des relations réciproques, possèdent cette structure générale nécessaire. » Vers une écologie de l’esprit, tome2

L’esprit est un « réseau cybernétique intégré » de propositions, d’images, de processus etc. etc…, réseau lui-même connecté à l’ensemble plus vaste qu’est l’environnement, de sorte que: « l’unité autocorrective qui transmet l’information ou qui, comme on dit, pense,  agit et  décide, est un système dont les limites ne coïncident ni avec celles du corps, ni avec celles de ce qu’on appelle communément soi ou conscience » Vers une écologie de l’esprit, tome1

Une telle proposition bouscule le choix de nos unités d’analyse traditionnelles, commande une nouvelle épistémologie appelant à une profonde correction de nos habitudes de pensée. D’une pensée analytique qui nous avait permis la fabrication d’objets de laboratoires performants, vers une pensée systémique nous permettant de les relier entre eux.

« Darwin en parfait accord avec le climat culturel de l’Angleterre du milieu du XIXe siècle, a proposé une théorie de la sélection naturelle et de l’évolution, selon laquelle l’unité de survie est la lignée ou les espèces et les sous-espèces. Mais de nos jours, il est devenu évident que cette conception de l’unité de survie méconnaît le monde biologique réel. L’unité de survie réelle est l’organisme plus l’environnement [...] Autrefois c’est élaboré une hiérarchie de taxa, individu, ligné, sous-espèce, espèce…. en tant qu’unité de survie. A présent nous envisageons une autre hiérarchie d’unité : gènes dans l’organisme, organisme dans l’environnement, écosystème… Ainsi l’écologie au sens le plus large du terme devient l’étude de l’interaction et de la survie des idées et des programmes, (qui sont des différences, des ensembles de différences…) dans des circuits. » Vers une écologie de l’esprit, tome2

Une fois dit que l’unité de survie évolutive s’avère identique à l’unité de l’esprit, l’organisme qui détruit son environnement ne peut donc que se détruire lui-même. La crise écologique actuelle serait donc le symptôme de ce que cette erreur épistémologique – produit d’une séparation erronée  de l’esprit d’avec la structure à laquelle il est immanent – détermine encore en profondeur une grande partie de nos habitudes de pensées : « il ya une écologie des mauvaises idées, tout comme il y a une écologie des mauvaises herbes, le propre du système étant que l’erreur se propage d’elle-même. » Vers une écologie de l’esprit, tome2

http://www.dailymotion.com/video/x3kcoi Emergence et éco-auto-organisation chez Edgar Morin

Bateson retrace brièvement les étapes de la relation de l’homme à la nature jusqu’à l’arrivée du système des Dieux. C’est-à-dire le moment où s’opère la séparation de « l’esprit de la structure à laquelle il est immanent (relations humaines, sociétés humaines, écosystèmes) » Vers une écologie de l’esprit, tome2

« D’un point de vue anthropologique, [...] ils emble que l’homme ait d’abord tiré un certain nombre d’indication du monde du monde naturel qui l’entourait, et qu’il les ait appliqué d’une façon en quelque sorte métaphorique à la société où il vivait. Il s’est donc tout d’abord identifier par empathie avec le monde naturel autour de lui, et a pris cette empathie pour règle de sa propre organisation sociale et de ces théories sur sa propre psychologie. C’est ce processus que l’on a appelé « totémisme ». [...] Il est très vraisemblable que l’étape suivante ait consisté pour l’homme à inverser le processus précédent et à tirer des indications de lui-même pour les appliquer au monde naturel environnant. C’est ce que l’on a appelé l’animisme, qui étendait la notion d’esprit ou de personnalité aux montagnes, aux fleuves, aux forêts [...] la troisième étape a accompli la séparation de la notion d’esprit avec le monde naturel, ce qui conduisit directement à la notion de Dieux. » Vers une écologie de l’esprit, tome2

Nous sommes donc les produits comme les producteurs de cette erreur épistémologique qui « [...] l’erreur épistémologique ne fait pas problème, elle va bien jusqu’au moment où l’on s’aperçoit que l’on crée, autour de soi, un monde où cette erreur est devenue immanente à des changements monstrueux de cet univers que l’on a créé, et dans lequel on essaie maintenant de vivre. » Vers une écologie de l’esprit, tome2

La question est donc de savoir comment des malades dont la pollution mentale s’inscrirait jusque dans les plus petits détails ou racines de leurs comportements, comment ceux-ci peuvent-ils devenir, ou même vouloir devenir leur propre médecin. Sans doute qu’une première étape consisterait à ce reconnaître comme malade. Or aujourd’hui, c’est bien souvent l’autre qui est malade, quand ce n’est pas même la terre entière. Sur ce dernier point la question est bien de savoir si oui, et comment, nous nous situons dans cet ensemble terre.

Le concept de biodiversité, entendu comme le tissu ou maillage vivant de la planète, semble pouvoir décrire ce mouvement vers cette écologie de l’esprit de Bateson. Si ce tissu est malade, je ne peut être que malade. Alors nous reconnaissons que « le système écomental appelé lac Erié est une partie de votre sytème écomental plus vaste, et que, si ce lac devient malade, sa maladie sera inoculée au système plus vaste de votre pensée et de votre expérience » Vers une écologie de l’esprit, tome2 

Ce que dit peut-être autrement Edgar Morin à travers son concept d’auto-éco-organisation, concept selon lequel tout être vivant porte en lui la structure de son milieu. Le monde extérieur est à l’intérieur de nous dans un dialogue permanent, une pensée qui nous revoie également aux travaux d’Uexküll sur les mondes animaux, comme à l’hologrammie. Mais au delà des mots de chacun, le commun de ces approches réside dans la recherche d’une correction épistémologique face à la crise écologique, où comme le dirait Spinoza, une réforme de l’entendement à l’usage d’un savoir vivre.

La biodiversité, une notion certes floue mais dont l’emergence semble significative de la correction épistémologique qui s’affirme face à la crise écologique. Une interview du professeur Robert Barbault, directeur au MHN du département Ecologie et Gestion de la Biodiversité, tente quant à lui de différencier le concept biologique de diversité du vivant afin de mieux éclairer le concept éthique de biodiversité. Extraits :

« Il n’y a pas de crise écologique, ou de catastrophe écologique qui ne soit pas en même temps une catastrophe sociale et économique. Là aussi c’est une question de diversité et ce n’est pas un hasard si le mot biodiversité a un écho dans les populations même sans savoir de quoi il s’agit, et je pense que le mot important c’est diversité. Ce n’est pas quantité des espèces, c’est diversité, c’est singularité. Cela renvoie à l’inquiétude qu’on peut avoir avec la mondialisation, l’uniformisation des cultures. Je pense que c’est cette espèce d’écho dans l’inconscient des citoyens qui fait qu’avec le mot biodiversité, on pense à la diversité des fromages, à l’Europe qui va interdire tel fromage car il n’est pas produit selon les règles conformes, le modèle ou standard. »

« L’aboutissement de tout cela c’est que parler de biodiversité c’est parler de l’Homme, des sociétés humaines et de leur futur. Pas seulement parler de la nature comme si ça ne nous concernait pas. C’est pour cela que je fais la différence entre diversité du vivant et biodiversité, parce que ma pratique de la biodiversité et de ceux qui s’y intéressent m’a amené à voir tous ces aspects la. Cela déborde de la seule connaissance de la diversité de la nature. Cela nous renvoie à des questionnements sur notre propre espèce et son rôle dans le monde, ses origines, ses racines. »

http://www.dailymotion.com/video/x4vkhe Echos de la diversité de Canetti à la Biodiversité de Barbault

« [...] la aussi le mot clef c’est la diversité : il faut une diversité d’approches et de stratégies pour conserver la diversité du vivant et son potentiel d’évolution à long terme. Toute une série d’éléments sont possibles dans cette stratégie comme les parcs naturels régionaux, les parcs nationaux, la gestion de la diversité dans les villes, y compris les zoos qui peuvent être des lieux de restauration de certaines espèces avec des plans de réintroduction (qui supposent un investissement dans les pays d’origine avec des relations avec les sociétés). C’est extrêmement riche, et c’est très intéressant car cela renouvelle les relations que l’Homme peut avoir avec la nature, et à la faveur des relations entre l’Homme et la nature c’est la relation des hommes entre eux par rapport à la nature, c’est-à-dire des relations des différentes sociétés humaines par rapports à la nature. Moi c’est l’intérêt que j’ai trouvé aux discussions sur la biodiversité au sens Rio de Janeiro. Donc on sort de la biologie et on s’intéresse aux approches anthropologiques, économiques… »

La relation des hommes entre eux par rapport à la nature, cette phrase semble faire écho à une note précédente qui concernait l’apport de Spinoza pour  les sciences sociales, et plus particulièrement à l’Ethique en tant que méthode pour la réforme de l’entendement ou correction de l’erreur épistémologique.

Ethique IV, proposition XL: Tout ce qui tend à réunir les hommes en société, en d’autres termes, tout ce qui les fait vivre dans la concorde, est utile, et au contraire, tout ce qui introduit la discorde dans la cité est mauvais.Ethique IV, proposition LXXIII: L’homme qui se dirige d’après la raison est plus libre dans la cité où il vit sous la loi commune, que dans la solitude où il n’obéit qu’à lui-même 

L’Ethique de Spinoza en tant que chemin vers l’amour intellectuel de Dieu ou de la Nature (3ème genre de connaissance), c’est à dire l’amour de Dieu pour lui-même, c’est-à-dire de l’humanité pour elle-même.

Ethique V, proposition XXXVI: L’amour intellectuel de l’âme pour Dieu est l’amour même que Dieu éprouve pour soi, non pas en tant qu’infini, mais en tant que sa nature peut s’exprimer par l’essence de l’âme humaine considérée sous le caractère de l’éternité, en d’autres termes, l’amour intellectuel de l’âme pour Dieu est une partie de l’amour infini que Dieu a pour soi-même.

Un chemin individuel que les hommes entretiennent entre eux.

Ethique V, proposition XV: Celui qui comprend ses passions et soi-même clairement et distinctement aime Dieu, et il aime d’autant plus qu’il comprend ses passions et soi même d’une façon plus claire et plus distincte.

Ethique V, proposition XX: Cet amour de Dieu ne peut être souillé par aucun sentiment d’envie ni de jalousie, et il est entretenu en nous avec d’autant plus de force que nous nous représentons un plus grand nombre d’hommes comme unis avec Dieu de ce même lien d’amour.

http://www.dailymotion.com/video/x31hn7 L’Ethique selon Robert Misrahi

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La question de la biodiversité nous renvoie de facto sur la question des rapports entre les hommes et les animaux, notamment sur les travaux d’Élisabeth de Fontenay.

+ La « cause animale »: Élisabeth de Fontenay poursuit sa réflexion sur le statut des bêtes, si proches de nous et pourtant à nous si soumises. En philosophe engagée, elle se penche sur le statut des animaux, déconstruisant (…) Note de lecture par Eric Baratay, site de la vie des idées, l’ouvrage d’Élisabeth de Fontenay, Sans offenser le genre humain. Réflexions sur la cause animale, Paris, Albin Michel, 2008, 215 p.

+ Humanisme et barbarie: Répliques, émission du samedi 29 mars 2008 avec Elisabeth de Fontenay, Philosophe, professeur à l’université de Paris-Sorbonne I.

http://www.dailymotion.com/video/x3k70s Boris Cyrulnik, sur la double naissance de l’homme

Spinoza et les sciences sociales: capture et innovation

Spinoza et les sciences sociales: capture et innovation dans -> CAPTURE de CODES : sl

A l’occasion de ses commentaires - ENS Lettres et sciences humaines - livrés sur les différents textes de Spinoza, Pierre-François Moreau nous informe de la difficulté de convoquer Spinoza pour ce qui serait des questions afférant à l’écologie. Ah ? Pour ce faire PFM s’appuie, non sans raison, sur le scolie I de la proposition XXXVII de l’Ethique IV.

 » [...] La vertu véritable n’est autre chose, en effet, qu’une vie réglée par la raison ; et par conséquent l’impuissance consiste en ce seul point que l’homme se laisse gouverner par les objets du dehors et déterminer par eux à des actions qui sont en harmonie avec la constitution commune des choses extérieures, mais non avec sa propre nature, considérée en elle-même. Tels sont les principes que, dans le Schol. de la Propos 18, part. 4, j’avais promis d’expliquer. Ils font voir clairement que la loi qui défend de tuer les animaux est fondée bien plus sur une vaine superstition et une pitié de femme que sur la saine raison ; la raison nous enseigne, en effet, que la nécessité de chercher ce qui nous est utile nous lie aux autres hommes, mais nudle½·nt aux animaux ou aux choses d’une autre nature que la nôtre. Le droit qu’elles ont contre nous, nous l’avons contre elles. Ajoutez à cela que le droit de chacun se mesurant par sa vertu ou par sa puissance, le droit des hommes sur les animaux est bien supérieur à celui des animaux sur les hommes. Ce n’est pas que je refuse le sentiment aux bêtes. Ce que je dis, c’est qu’il n’y a pas là de raison pour ne pas chercher ce qui nous est utile, et par conséquent pour ne pas en user avec les animaux comme il convient à nos intérêts, leur nature n’étant pas conforme à la nôtre, et leurs passions étant radicalement différentes de nos passions [...] » Traduction de SAISSET (1842)

La mise en garde de Pierre-François Moreau illustre de la grande difficulté d’extraire un scolie singulier de l’ordre des démonstrations géométriques, de cette modélisation générale de la production des affects que propose l’Ethique. User des animaux comme il convient à nos intérêts? Soit, mais de quels intérêts parle-t-on? La cheminement de l’Ethique consiste justement à prendre connaissance des processus qui forment et déterminent nos intérêts. Soit comment s’impriment les affects qui nous habitent et commandent à nos (ré)actions ? Plus qu’une conclusion locale, c’est bien l’ensemble du système relationnel de l’Ethique qu’il conviendrait d’inviter à la table de réflexions possiblement écologiques. Ces dernières, soit dit en passant, ne se limitent pas heureusement à la question de savoir si oui ou non et comment il faudrait manger les poissons. Une fois dit qu’il ne s’agit pas de sauver une herbe ou un poisson, mais bien d’assurer la possibilité de reproduction des rapports différentiels (composition chimique, gradients physiques) nécessaires à la reproduction de ceux-ci.

Convoquer Spinoza pour ce qui relèverait de l’écologie relève avant tout du désir d’interroger la place de l’homme, plus justement, dans la nature. Autrement dit, de le resituer dans l’ordre infini des causes et des effets qui le détermine en tant que partie de cette même nature. Vous parlez de nature, mais de quelle nature parlez-vous? La recherche spinoziste de la conduite du salut humain prend place dans une nature débarrassée de toute forme d’anthropomorphisme, comme de finalité. Soit une nature totalement indifférente à un homme dont l’existence lui est contingente, c’est à dire non nécessaire. Non empire dans un empire, l’homme est soumis aux règles du dehors. En ce sens, il lui est nécessaire d’agir avec la plus grande prudence dans un art de vivre qui consite pour lui à organiser ses rencontres avec les corps extérieurs, et notamment avec les puissances supérieures à la sienne.

« Il est impossible que l’homme ne soit pas une partie de la nature, et qu’il ne puisse souffrir d’autres changements que ceux qui se peuvent concevoir par sa seule nature et dont il est la cause adéquate. » Corollaire : Il suit de là que l’homme est nécessairement toujours soumis aux [affects] passions (sentiment), qu’il suit l’ordre commun de la nature et y obéit et s’y accommode, autant que la nature des choses l’exige. » Proposition IV et corollaire de l’Ethique IV, Spinoza. Traduction de SAISSET (1842)

http://www.dailymotion.com/video/x4mgiz

Spinoza une médication possible aux déficits de la pensée écologique en ce qui concerne sa composante qualitative ? C’est à dire de la production de récits exprimant l’histoire de nos rencontres avec le monde et non les propriétés de celui-ci, ce dernier point appartenant à la mesure quantitative. Donc oui, dans la mesure où la proposition écologique serait tentée par une anthropologie tant simpliste que négative. De l’analyse des lois de la Nature (de la substance, des attributs et des modes) à la production des affects humains, l’Ethique relève d’une anthropologie. Celle-ci se fonde sur le concept central de conatus, le désir en tant qu’essence de l’homme et entendu comme la tendance, l’effort en vue de persévérer dans son être. De quoi chaque corps, composition de parties aux rapports de vitesse et de lenteur singuliers, est capable dans telle ou telle rencontre en fonction de sa puissance, voilà qui déterminera de ses intérêts, de son utile propre.

Par ailleurs, la tentative écologique n’est-elle pas l’une des expressions du second genre de connaissance? C’est à dire de la connaissance des rapports entre les choses tels que formés par l’idée adéquate des lois de la production dans la nature (naturante).

spica dans Bateson

Des enfants dans le dos et des captures hors territoire…

L’appropriation, la traduction et/ou la transmission d’une oeuvre consiste certainement comme le disait Deleuze à lui faire des enfants dans le dos. Sans doute en donne-t-il lui-même le meilleur exemple lorsqu’il tire Spinoza du côté d’une éthologie des modes d’existences fortement inspirée des mondes animaux d’Uexküll. Mais si le dernier nommé partait très explicitement de Kant dans son analyse, et notamment de la Critique du jugement (le premier acte d’un jugement esthétique est la sélection d’un fait parmi une infinité de faits potentiel dans la nature), il n’en reste pas moins que son travail débouche in fine sur une analyses en terme d’affects, auto-organisation d’une mélodie qui se chante elle-même aux forts accents spinozistes.

Dit autrement, en version Bateson, l’Ethique de Spinoza appartient à une écologie des idées qui englobe bien plus que son auteur. La capture (composition/décomposition) est alors toujours partielle. On gravit l’Ethique par un versant, son utile propre seul pour ouvrir la voie. Tantôt proche et tantôt distant de la subjectivité de Spinoza, prudent polisseur de lentilles du XVIIème… Pour reprendre l’expression de Max Dorra, c’est aussi l’Ethique vue comme un manuel de judo, manuel à partir duquel chacun forme ses propres prises. Quelles questions dans votre sac à dos pour que vous veniez frapper à ma porte?

Alors L’Ethique comme manuel au service de la réforme de l’entendement qu’appelle la crise écologique, non une fin en soi à la lettre. Enfin, l’Ethique comme théorie de la connaissance, système d’intégration des information dans un monde des connaissances éclatées plus que de la connaissance. Surinformation, info-pollution… quelles connaissances perdons-nous dans des informations-images dissipatives, brutes ou inadéquatement imprimées sur fond de certitude? L’Ethique ou la transformation des connaissances en affects, s’approprier, incorporer l’information dans ses pratiques de vie.

http://www.dailymotion.com/video/x39g8t Henri Atlan, connaissance et affect chez Spinoza

Un bon exemple de capture, ou de clé de bras, au choix, nous est donné par l’ouvrage collectif Spinoza et les sciences sociales. L’émission la suite dans les idées du mardi 25 mars 2008 avec Frédéric Lordon et Yves Citton retraçait certaines des grandes lignes de ce travail. Spinoza et la crise financière actuelle? Des carrences de la modélisation financière aux passions des acteurs de marché qui oscillent de l’euphorie à la crainte, nous voilà poussé bien loin de l’univocité de l’objet économique homo œconomicus tel que sorti de sa fabrique d’épingle anglaise. Univocité tout à fait partagée par son jumeau homo pollus, objet écologique sorti tout droit d’une usine de pesticide indienne. « Par cela seul que nous nous représentons un objet qui nous est semblable comme affecté d’une certaine passion, bien que cet objet ne nous en ait jamais fait éprouver aucune autre, nous ressentons une passion semblable a la sienne. » Proposition XXVII, Ethique III.Traduction de SAISSET (1842)

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spino dans Deleuze

Sommaire de l’ouvrage:

- Y. Citton,  F. Lordon : Un devenir spinoziste des sciences sociales?
- Y. Citton : Esquisse d’une économie politique des affects
1.Entre l’économie psychique de Spinoza et l’inter-psychologie économique de Tarde
2.Les lois de l’imitation des affects
3.Téléologie régnante et politiques de modes
- F. Lordon, A. Orléan : Genèse de l’État et genèse de la monnaie : le modèle de la potentia multitudinis
- P. Zarifian : Puissance et communauté d’action (à partir de Spinoza)
- A. Pfauwadel, P. Sévérac : Connaissance du politique par les gouffres. Spinoza et Foucault
- C. Lazzeri : Reconnaissance spinoziste et sociologie critique. Spinoza et Bourdieu
- A. Negri : Spinoza : une sociologie des affects

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+ Article de Frédéric Lordon « Genèse de l’État et genèse de la monnaie : le modèle de la potentita multitudinis », en collaboration avec André ORLÉAN, à paraître in Y. Citton et F. Lordon (dir.), Spinoza et les sciences sociales. De l’économie des affects à la puissance de la multitude, Editions Amsterdam, 2008, Texte pdf

+ Paola De Cuzzani, une anthropologie de l’homme décentré [PDF]

+ Laurent Bove, De l’étude de l’État hébreu à la démocratie : La stratégie politique du conatus spinoziste [PDF]

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http://www.dailymotion.com/video/x1n730 Deleuze et la « chimie » de Spinoza

Le principe d’attention appliqué à l’écologie: l’appel aux sciences sociales

       Dans un article du Monde intitulé « Sous l’effet du réchauffement, les sols rejettent du carbone« , Stéphane Foucart en date du 08.09.05, un petit encadré avait retenu mon attention: « Le péril du reboisement de la toundra« .

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« Sous l’effet du réchauffement, la couverture végétale des régions arctiques du Canada, de l’Alaska et de la Russie augmente continûment. Comme l’ont montré plusieurs études, ce processus implique, via la synthèse de nouvelle biomasse, un important stockage de carbone. Des travaux publiés, jeudi 7 septembre, dans le Journal of Geophysical Research explorent un autre aspect de ces bouleversements. Selon cette étude, la croissance accélérée des arbustes de la toundra modifie l’enneigement hivernal de ces vastes zones. En retour, l’indice de réflexivité (ou albédo) de ces régions change : elles réfléchissent moins la lumière du Soleil et absorbent plus d’énergie. De quoi bouleverser un fragile équilibre énergétique, expliquent les auteurs de l’étude, et favoriser, plus encore, la pousse des végétaux.

L’excès d’énergie absorbée par la toundra au cours de l’hiver est également susceptible de libérer une part du carbone stocké dans les sols. Enfin, l’enneigement réduit de ces régions pourrait contribuer à modifier l’albédo moyen de la Terre et contribuer directement à son réchauffement.« 

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Le monde n’est pas transparent…

Cas d’école démontrant assez bien le peu de conscience que nous avons des multiples interractions et rétroactions à l’oeuvre entre et dans les différents systèmes et machineries naturels qui composent la biosphère. Il n’existe ainsi aucune « bonne » solution à l’avance. Planter des arbre pour séquestrer le carbone est ici une réponse, là-bas une intérrogation. Or voilà sans doute l’un des volets du principe de précaution bien souvent négligé dans les discours: le principe de contingence de toute nos solutions de tête, l’extrême prudence qu’il convient d’avoir en la matière avec toute position morale préconstituée, et par la même globalisante. Et finalement, on en revient toujours à la même question: quel segment du droit aura notre préférence dans la pratique, le texte de loi ou la jurisprudence?  

Le principe d'attention appliqué à l'écologie: l'appel aux sciences sociales dans -> CAPTURE de CODES : p1011principedeprecaution

S’il n’y rien de bien nouveau dans tout ça, n’en demeure pas moins l’occasion d’illustrer quelque peu la pensée d’un chercheur tel que Gregory Bateson. Pour ce dernier, l’ensemble de l’esprit est un « réseau cybernétique intégré » de propositions, d’images, de processus etc. etc…., la conscience, seulement un échantillon des différentes parties et régions de ce réseau. Ainsi, « si l’on coupe la conscience, ce qui apparaît ce sont des arcs de circuits, non des pas des circuits complet, ni des circuits de circuits encore plus vaste. »

De ce point de vue, on aura compris que notre conscience n’est qu’une petite partie du réel systématiquement sélectionnée et aboutissant à une image toujours déformée de l’ensemble plus vaste qu’est l’esprit. Esprit lui-même connecté à l’ensemble plus vaste qu’est l’environnement, de sorte que: « l’unité autocorrective qui transmet l’information ou qui, comme on dit, pense,  agit et  décide, est un système dont les limites ne coïncident ni avec celles du corps, ni avec celles de ce qu’on appelle communément soi ou conscience ». 

Pour mieux saisir la chose, Bateson nous donne à voir l’exemple de l’iceberg. Si à partir de la surface visible de celui-ci nous pouvons deviner ou extrapoler le type de matière qui se trouve immergée, il n’en est pas du tout de même à partir du matériel livré par la conscience : « le système de la pensée consciente véhicule des informations sur la nature de l’homme et de son environnement. Ces informations sont déformées ou sélectionnées et nous ignorons la façon dont se produisent ces transformations. Comme ce système est couplé avec le système mental coévolutif plus vaste, il peut se produire un fâcheux déséquilibre entre les deux».

Ainsi une pure rationalité projective « non assistée » est nécessairement pathogénique et destructrice de la vie, pour la raison que : « la vie dépend de circuits de contingences entrelacés, alors que la conscience ne peut mettre en évidence que tels petits arcs de tels circuits que l’engrenage des buts humains peut manœuvrer. » Pour nos actions quotidiennes, les conséquences sont nombreuses. Elles ont toutes ceci de commun que : « les erreurs se reproduisent à chaque fois que la chaîne causales altérée (par la réalisation d’un but conscient) est une partie de la structure de circuit, vaste ou petit, d’un système. »

http://www.dailymotion.com/video/x2c131

Extrait audio d’après Gregory Bateson

Dès lors pour l’homme, la surprise ne peut alors être que continue vis-à-vis des effets de  ses « stratégies de tête », et cela quelque soit la nature de ses intentions. Bateson prend l’exemple d’un territoire infesté de moustiques que nous souhaiterions asssainir afin d’y développer le tourisme ou l’agriculture, soit générer des revenus pour le monde rural, maintenir les populations sur le territoire tout en protégeant l’environnement des diverses formes de surexploitation possibles.

Nous utilisons alors un produit insecticide pour réduire la population de moustique. Se faisant, nous privons ainsi certains insectivores (les oiseaux par exemple) de leur nourriture, ce qui en retour à pour effet de multiplier d’autres populations d’insectes. Nous en sommes donc conduit à utiliser une plus grande quantité d’insecticide afin de neutraliser ces dernières, cela jusqu’à la possibilité d’empoisonner y compris les insectivores : « ainsi, si l’utilisation de DDT en venait à tuer les chiens par exemple, il y aurait dès lors lieu d’augmenter le nombre de policier pour faire faire face à la recrudescence des cambriolages. En réponse ces même cambrioleurs s’armeraient mieux et deviendraient plus malin…etc. etc…. ». 

Si l’on souhaitait réactualiser cet exemple, imaginons juste que pour répondre aux mêmes objectifs de développement, nous produisions maintenant des moustiques équipés d’un gène qui les protège contre le paludisme, maladie transmissible dont ils sont l’un des vecteurs. Quid des effets d’une éventuelle propagation du gène aux autres insectes et à leurs prédateurs ? Quid des conséquences éventuelles de la prolifération de moustiques mutants sur les différentes niches écologiques des écosystèmes locaux? Et ainsi de suite… du DDT à l’OGM, cinquante ans, mais peu ou prou, subsiste toujours les même interrogations. Quelle question nous manque-t-il pour se sortir de là?

scarabesurbrindherbe2 dans Bateson

 Besoins institutionnels…

Sans doute que nos connaissances des sciences dures, de la chimie et de toute mesure, sans doute que celles-ci doivent être complétées et accompagnées par de nouvelles formes d’organisations et pratiques sociales.

C’est à dire par tout un ensemble de nouveaux briquetages ou processus de gouvernance à même de renforcer la capacité d’expérimentation de chacun sur ses différents branchements possibles (aménager, protéger, construire, réguler…)  avec l’environnement. Que ce dernier soit naturel ou pas, là n’est d’ailleurs pas la question. Individuellement et collectivement, comment devenir capable d’extraire et formaliser des expériences qui fassent sens?  Un sens concurrent et complémentaire aux valeurs strictement quantitatives de la mesure.

Il est certain que cela nous engage à un principe d’attention vieux comme le monde, l’homme incertain, animal aux aguets soudain réactualisé de force par la crise écologique rampante. Des différentes techniques ou parcours individuels qui en découlent, du souci de soi au souci de la Terre, tous se devraient d’être accompagnés des processus de gouvernance à même de les soutenir.

http://www.dailymotion.com/video/x3f9b5

Extrait audio d’après Isabelle Stengers

Centraliser pour dispatcher, irriguer le corps social des différentes exépériences singulières, individuelles et collectives. Les gares de triage, les filets du panier percé de nos expériences multiples. La résistance contre la pollution née de la surinformation et de la désinformation, la passivité des récepteurs.

Pour que l’écologie tienne ensemble, de la chimie à la pratique, il devient nécessaire de combiner les approches et savoirs de manière dynamique : « [...] toute appréhension d’un problème environnemental postule le développement d’univers de valeurs et donc d’un engagement éthico-politique. Elle appelle aussi l’incarnation d’un système de modélisation, pour soutenir ces univers de valeurs, c’est-à-dire les pratiques sociales, de terrain, des pratiques analytiques quand il s’agit de production de subjectivité. » Félix Guattari « Qu’est-ce que l’écosophie ? »

http://www.dailymotion.com/video/x48fxs

Extrait audio d’après Felix Guattari

Produire de l’autonomie…

L’un des principaux dangers de la discipline hétérogène qu’on appelle écologie, de son versant scientifique au politique, c’est bien de vouloir se constituer en tant que discipline autonome à vocation transcendante. Là réside peut-être son principe d’attention tel qu’appliqué à elle-même: résister à la tentation isolationniste. Car à mesure que celle-ci se constitue et englobe des savoirs et compétences de plus en plus précis et multiples, l’écologie tend à oublier de faire appel aux autres disciplines. Sous le pretexte d’urgence, et principalement vis à vis des sciences sociales. Alors philosophe, anthropologue, sociologue, psychanalyste, linguiste, sémiologue, géographe, historien and so on… au secours, ne nous laisser pas dériver tout seul!

La question de l’homme dans l’écologie, telle que négligée aujourd’hui, appelle à de nouveaux branchements, de nouvelles passerelles transverses entre l’écologie et les différents points de vue et objets d’étude des autres disciplines. Faute de quoi, nous prendrons inévitablement ce nouvel édifice sur la tête…

http://www.dailymotion.com/video/x3kcoi

Extrait audio d’après Edgar Morin

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Extrait de la production de soi, article de Jean Zin 31/07/01 sur Michel Foucault: [...] L’erreur ne vient pas de l’autre, le savoir n’est pas donné, le monde n’est pas transparent. Il faut reconnaître ses erreurs, notre ignorance, la fragilité de notre identité, notre inhabileté fatale. Le principe de précaution est le principe d’une liberté sans certitude, principe d’insuffisance de l’individu et du savoir comme produit de son temps et sans que cela empêche le sujet de se rebeller contre le monde qui l’a créé. Cette liberté n’est possible qu’avec le support des institutions (des discours), une sécurité sociale et la puissance du pouvoir politique sans lequel nous courrons à la catastrophe. Il nous faut un pouvoir collectif qui ne soit pas autonome mais réfléchi et produise de l’autonomie. Telle est la question qu’il nous faut résoudre, devant la précarité du mode de subjectivation moderne : produire les conditions de la liberté. « La liberté est la condition ontologique de l’éthique mais l’éthique est la forme réfléchie que prend la liberté« . 

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spino dans Edgar Morin

Variations sur la mort de l’homme

     Variations sur la mort de l'homme dans Bateson image033

     Il n’est pas question d’interroger ici l’opinion selon laquelle homme serait mort ou pas. Tout juste dira-t-on que chaque individu accède à différents modes d’existence selon les idées et les affects dont il est capable. 

Qu’on soit alors:

- dans la figure de l’homme générique: « [...] l’homme est un animal doué de raison. » Aristote

- dans la figure de l’homme dans la nature entre rien et tout, mais accompagnée du pari de l’existence de Dieu: « [...] qu’est-ce que l’homme dans la nature ? Un néant à l’égard de l’infini, un tout à l’égard du néant, un milieu entre rien et tout. » Pascal 

- dans la figure de l’homme comme transition ou devenir sans Dieu de Nietzsche:  » [...] Dieu est mort ! Dieu reste mort ! Et c’est nous qui l’avons tué ! Comment nous consolerons-nous, nous, meurtriers entre les meurtriers ! [...] Il n’y a jamais eu d’action plus grandiose, et, quels qu’ils soient, ceux qui pourraient naître après nous appartiendront, à cause d’elle, à une histoire plus haute, que jusqu’ici, ne fut aucune histoire ! » Nietzsche, Le Gai Savoir

- and so on…

l‘idée, (la représentation) de l’homme qu’on a, celle-ci implique nécessairement et en conséquence un certain type d’existence, d’actions possibles.

homme dans Deleuze

De Nietzsche à Foucault court et s’actualise le thème de la mort de l’homme, tout du moins d’une certaine idée de l’homme. Ce qui nous intérresse pour notre compte, une fois dit qu’on serait donc capable de penser et de ressentir une telle chose, ce sont donc ses conséquences sur nos pratiques écologiques. 

Cette idée, ce thème, est-il en mesure de nous éclairer sur les modalités et conditions d’émergence de la pensée écologique ? Dit autrement, peut-on faire l’économie de la mort de l’homme tout en prétendant faire de l’écologie ? Si oui laquelle ? Vastes questions, esquisses de fragments autour d’un homme enfermé dans une période et une géographie de son histoire.

bridgeye dans Edgar Morin 

Nietzsche: le surhomme sur les ruines de l’homme

Dans son abécédaire, Deleuze nous rappelait au sujet de Nietzsche: « Dieu est mort, Nietzsche s’en fout complètement, mais c’est que si Dieu est mort, alors il n’y a pas de raison que l’homme ne le soit pas aussi. » 

http://www.dailymotion.com/video/x47a5j

« L’homme est une corde tendue entre la bête et le surhumain – une corde au-dessus d’un abîme. »  (Ainsi parlait Zarathoustra)

http://www.dailymotion.com/video/x47cou

« Je vais vous dire trois métamorphoses de l’esprit: comment l’esprit devient chameau, comment le chameau devient lion, et comment enfin le lion devient enfant. » (Ainsi parlait Zarathoustra)

Foucault: l’homme est une invention récente

Toujours Deleuze commentateur, trait d’union entre Nietzsche et Foucault dans Pourparlers : « […] c’est que les forces de l’homme ne suffisent pas à elles seules à constituer une forme dominante où l’homme peut se loger. II faut que les forces de l’homme (avoir un entendement, une volonté, une imagination, etc.) se combinent avec d’autres forces […] La forme qui en découlera ne sera donc pas nécessairement une forme humaine, ce pourra être une forme animale dont l’homme sera seulement un avatar, une forme divine dont il sera le reflet, la forme d’un Dieu unique dont l’homme ne sera que la limitation (ainsi, au XVIIe siècle, l’entendement humain comme limitation d’un entendement infini) […]

C’est dire qu’une forme-Homme n’apparaît que dans des conditions très spéciales et précaires : c’est ce que Foucault analyse, dans les mots et les choses, comme l’aventure du XIXe siècle, en fonction des nouvelles forces avec lesquelles celles de l’homme se combinent alors. Or tout le monde dit qu’aujourd’hui l’homme entre en rapport avec d’autres forces encore (le cosmos dans l’espace, les particules dans la matière, le silicium dans la machine…) : une nouvelle forme en naît, qui n’est déjà plus celle de l’homme […] »

http://www.dailymotion.com/video/x48i0r “Les mots et les choses”, extrait : « Une chose en tout cas est certaine : c’est que l’homme n’est pas le plus vieux problème ni le plus constant qui se soit posé au savoir humain. En prenant une chronologie relativement courte et un découpage géographique restreint, la culture européenne depuis le XVIe siècle, on peut être sûr que l’homme y est une invention récente.

Ce n’est pas autour de lui et de ses secrets que, longtemps, obscurément, le savoir a rôdé. En fait, parmi toutes les mutations qui ont affecté le savoir des choses et de leur ordre, le savoir des identités, des différences, des caractères, des équivalences, des mots, – bref au milieu de tous les épisodes de cette profonde histoire du Même – un seul, celui qui a commencé il y a un siècle et demi et qui peut-être est en train de se clore, a laissé apparaître la figure de l’homme. Et ce n’était point là libération d’une vieille inquiétude, passage à la conscience lumineuse d’un souci millénaire, accès à l’objectivité de ce qui longtemps était resté pris dans des croyances ou dans des philosophies : c’était l’effet d’un changement dans les dispositions fondamentales du savoir. L’homme est une invention dont l’archéologie de notre pensée montre aisément la date récente. Et peut-être la fin prochaine.

Si ces dispositions venaient à disparaître comme elles sont apparues, si par quelque événement dont nous pouvons tout au plus pressentir la possibilité, mais dont nous ne connaissons pour l’instant encore ni la forme ni la promesse, elles basculaient, comme le fit au tournant du XVIIIe siècle le sol de la pensée classique, alors on peut bien parier que l’homme s’effacerait, comme à la limite de la mer un visage de sable. »

L’écologie et la mort de l’homme ? 

Quelle place, ou quel rôle pour l’écologie sur les ruines de l’homme ? Précisément l’un de ces grands systèmes ou grandes options politiques tels que décrits par Foucault, et dont l’émergence même proviendrait des débris d’une certaine idée de l’homme ? Une sorte de pont ou de réseau à tisser entre ce qui était autrefois les sciences dures et les sciences humaines ? A vrai dire, de quelle libertés nouvelles dispose-t-on une fois dissipée cette invention de l’homme objet d’étude empire dans un empire ?

sanstitre1 dans Felix Guattari

Qu’observe-t-on aujourd’hui dans les pratiques écologiques dominantes au sens large ? Une écologie qui à l’un de ses extrêmes grand public arrive à sauver l’homme quand sa figure résiduelle vient trouver un refuge anthropomorphe jusque chez des pingouins (sic!)… et qui par un autre de ses côtés ne cesse de produire une anthropologie négative énoncée sous l’angle d’une proposition type: l’homme est naturellement mauvais pour la nature, disparaîtra, bon débarras ! Version nihilisme de la mort de l’homme. Fin de l’histoire, on s’arrête là, de l’homme est un loup pour l’homme, à l’homme est un loup pour la nature (la création).

Ce type de proposition excluante ne peut déboucher que sur une plainte, passion triste impuissantante de type:  »je ne peux finalement aimer que là où je ne suis pas« . Appel à l’exclusion de soi-même en tant que je ne change pas, ou plutôt ne sais changer sans y associer l’idée d’une repression de ce que je vis comme mes petits désirs personnels de pollution.

« Je vous enseigne le surhumain. L’homme n’existe que pour être dépassé. Qu’avez-vous fait pour le dépasser ? »  (Ainsi parlait Zarathoustra) Question, car que faisons-nous en l’occurence pour dépasser cet homme dualiste et pollueur ? Nous continuons vraisemblablement de le garder intact, urgence oblige, en lui assignant toujours plus de buts et de directions préconstitués.

sanstitre2 dans Foucault

Au final tout cela se tient, et il est assez logique que la figure de l’homme idéal – opposée directement à celle de l’homme pollueur en tant que propre au sens de la lessive – il est logique que celle-ci soit à présent déplacée (comme la graisse par le savon) dans l’arrière monde blanc des pingouins empereurs, dernier refuge du bonheur humain.

Ce type de discours écologique confus qui domine les interrogations publiques ne prend pas acte de la mort de l’homme au sens de Nietzsche et de Foucault. Bien qu’ayant certaines apparences de l’anti-humaniste, celui-ci ne vise qu’à sauvegarder dans un ailleurs une même idée de l’homme sous sa version propre, pollution nocturne chrétienne en moins. Continuant ainsi à bouger indéfiniment les mêmes barrières, tous les jours nous continuons de nous entendre préscrire la construction de villes et de choses toujours plus humaines. Il faut éradiquer les infidèles, les nonbon d’humains, sorciers, et tous ceux là, à présent réactualisés par un péché originel migrant de la pomme vers la sécrétion de CO2.

Quelle type de nature présuppose implicitement ce genre de discours ? Car quand bien même l’idée de Nature remplacerait celle de Dieu dans les représentations communes, sa place n’en reste pas moins anthropomorphe et sa nature naturée (crée du dehors). De sorte que de cette nature non productive et machinée du dehors par l’homme pilote, ne peut sortir que des politiques de muséification répressive (d’autres empires dans des empires). 

Conclusion, la nécessaire défiance vis à vis des discours écologistes actuels vient de ce que les sujets qui les constituent sont finalement construits sur la même subjectivité (idée de l’homme incluse) que les individus auxquels ils s’opposent. Bien loin, trop loin d’une pensée qui aurait enfin d’autre chose à faire que de prescrire aux hommes ce qu’ils ont à faire.

On n’en sort pas. Faire l’économie de la mort de l’homme, en un certain sens, c’est donc choisir de traîner indéfiniment hors d’eau ce visage dessiné une fois pour toute sur le sable, boulet chargé de moraline déversant sa confusion sur le terreau de nos possibles.

C’est l’art d’une (pensée) dominante, cette pratique du vide comme économie de marché, organiser le manque (de nature) dans l’abondance de production, faire basculer tout le désir dans la peur de manquer (de l’ours blanc), faire dépendre l’objet (l’écologie) d’une production réelle qu’on suppose extérieure au désir, tandis que la production de désir ne passe que dans le fantasme (du pingouin).

Tentative écosophique ?

Un grand système écologique naturant englobant les réseaux naturels, sociaux, mentaux, un tel ensemble ne peut pas se construire sans la mort d’une certaine idée de l’homme dualiste et objet de laboratoire. Précisément au sens où ses forces ne suffisent pas à elles seules à constituer une forme dominante où il peut se loger. Voir les compléments divers autour de ce thème.

http://www.dailymotion.com/video/x48fxs

Loin de déplacer l’idée de l’homme ici où là, Guattari nous proposait un ensemble de micropolitiques destinées aux individus habitants producteurs de territoires, d’institutions… Ces pratiques sont fondées sur un mode de participation active brique par brique qui replace cet individu au coeur même de la technique. Non pas ce qui resterait de l’homme dehors, la technique à son service. Tirer profit de la mort de l’homme en tant que sujet préconstitué revient ici à se resituer dedans pour se subjectiver à chaque étape des différents processus de production.

http://www.dailymotion.com/video/x49ieh

La mort de l’homme pour l’écologie, c’est la mort de l’homme en tant qu’unité préconstituée, isolée et autonome. Le bourdon fait parti du système reproducteur du trèfle rouge, comme la guêpe mâle de celui l’orchidée. C’est à dire qu’une partie de machine capte dans son propre code un fragment de code d’une autre machine, et se reproduit ainsi grâce à une partie d’une autre machine. On comprend ainsi qu’il est inutile de protéger l’unité orchidée si par ailleurs on élimine les guêpes mâles, et ainsi de suite dans les enchevêtrement et captures.

L’écologie consiste ainsi à découvrir et identifier ces phénomènes de plus-value de code (double capture), à découvrir le périmètre réel des machines qui composent ces systèmes reproducteurs décentralisés; au-delà de l’unité spécifique ou personnelle de l’organisme, au-delà de l’unité structurale d’une machine.

« Chacun de nous est sorti d’animalcules indéfiniment petits dont l’identité était entièrement distincte de la notre ; et qui font partis de notre système reproducteur ; pourquoi ne ferions-nous pas partie de celui des machines ? Ce qui nous trompe c’est que nous considérons toute machine compliquée comme un objet unique. En réalité, c’est une cité ou une société dont chaque membre est procrée directement selon son espèce. Nous voyons une machine comme un tout, nous lui donnons un nom et l’individualisons ; nous regardons nos propres membres et nous pensons que leur combinaison forme un individu qui est sorti d’un unique centre d’action reproductrice. Mais cette conclusion est anti-scientifique, et le simple fait qu’une machine à vapeur n’a été faite par une autre ou par deux autres machines de sa propre espèce ne nous autorise nullement à dire que les machines à vapeur n’ont pas de système reproducteur. En réalité, chaque partie de quelque machine à vapeur que ce soit est procrée par ses procréateurs particuliers et spéciaux, dont la fonction est de procréer cette partie là, et celle-là seule, tandis que la combinaison des partie en un tout forme un autre département du système reproducteur mécanique… » Samuel Butler « le livre des machines » citation extraite de l’Anti-Œdipe par Deleuze (:) Guattari.

Machine / agencement : on ne sait jamais à l’avance ce que peut un corps dans tel ou tel agencement (Spinoza), il n’existe pas de forme préconstituée (Nietzsche), l’homme est une invention (Foucault), on expérimente des branchements où les dualités homme/machine, naturel/artificiel ne font plus sens (Guattari).

Compléments divers

 « [...] Il n’y a pas d’opposition dans mon esprit entre les écologies : politique, environnementale et mentale. Toute appréhension d’un problème environnemental postule le développement d’univers de valeurs et donc d’un engagement éthico-politique. Elle appelle aussi l’incarnation d’un système de modélisation, pour soutenir ces univers de valeurs, c’est-à-dire les pratiques sociales, de terrain, des pratiques analytiques quand il s’agit de production de subjectivité. » D’après entretien avec Félix Guattari « Qu’est-ce que l’écosophie ? » Revue chimère, terminal n°56 http://www.revue-chimeres.org/pdf/termin56.pdf

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L’homme, sous-système de systèmes, ne compose qu’un arc dans un circuit plus grand qui toujours le comprend lui et son environnement (l’homme et l’ordinateur, l’homme et la canne…). Gregory Bateson, l’un des fondateurs de la cybernétique de seconde génération, nous donne à voir un exemple de circuit, celui de l’aveugle avec sa canne. Il se demande alors « où commence le soi de l’aveugle ? Au bout de la canne ? Ou bien à la poignée ? Ou encore, en quelque point intermédiaire ? » Mais à vrai dire toutes ces questions sont absurdes puisque la canne est tout simplement une voie au long de laquelle sont transmises des informations, de sorte que couper cette voie c’est supprimer une partie du circuit systémique qui détermine la possibilité de locomotion de l’aveugle. Plus généralement : « l’unité autocorrective qui transmet l’information ou qui, comme on dit, pense,  agit et  décide, est un système dont les limites ne coïncident ni avec celles du corps, ni avec celles de ce qu’on appelle communément soi ou conscience ».

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A la frontière tout est question d’échelle tant les subjectivités racinent dans de multiples expansions, d’agencements en collectivités, de collectivités jusqu’à la biosphère. Raphaël Bessis dans son dialogue avec le botaniste Francis Hallé : « […] il me paraît bien plus adéquat de parler de configuration singulière, plutôt que d’individu, configuration singulière qui ne prend forme qu’en rapport à d’autres configurations singulières, lesquelles ne se comprennent que dans un contexte très fortement dynamique. Ainsi, l’homme n’est plus pensé dans une position isolationniste, archipélique où les êtres seraient complètement distincts les uns des autres : atomisés […]

C’est à ce niveau d’analyse que l’on commence à percevoir les turbulences dans lesquelles séjourne l’âme humaine : l’individu au sens strict n’existe nullement, tant la subjectivité humaine s’ancre dans de multiples expansions, établissant la pluralité de ces racines dans un champ beaucoup plus large : celui de la collectivité, laquelle n’ayant pas davantage de forme parfaitement close, pleine et isolée, s’ouvrirait et s’ancrerait sur un collectif encore plus vaste. Si bien que d’une expansion à l’autre, nous nous retrouverions assez vite au niveau presque le plus général, celui de la société elle-même. C’est en ce sens que le schisme entre la société d’un côté et l’individu de l’autre est souvent une opinion sociologique non interrogée, qui en fait une problématique tout à fait passionnante. Peut-être pouvons-nous l’exprimer en un chiasme : l’individu est un être social et la société est faite d’individus…»

Un dernier point qui nous renvoie sur la nature naturante (causalité immanante) de Spinoza, ou autrement exprimée par la boucle récursive d’Edgar Morin: les effets et les produits sont nécessaires à leur causation et à leur production, nous sommes produits (de la société, de l’espèce) et producteurs (de la société, de l’espèce) à la fois.

troisvisages148 dans Nietzsche

Pour une histoire naturelle de l’homme: Selon J.-M. Schaeffer, l’affirmation selon laquelle l’homme est une exception parmi les vivants parce qu’il pense a conduit à une survalorisation des savoirs spéculatifs au détriment des savoirs empiriques. C’est à critiquer cette vision du monde, véritable obstacle au progrès scientifique, et à redonner toute sa légitimité au naturalisme que son ouvrage est consacré. Article en ligne: dessiner l’idéal type de la « Thèse » antinaturaliste, abandonner le cogito pour inscrire la lignée humaine dans une histoire naturelle, La société et la culture, expressions naturelles de l’espèce humaine, la « Thèse » comme vision du monde.

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