Archive mensuelle de août 2010

Rencontres académiques

Rencontres académiques dans Biodiversité transmissionconnaissance 
/ Les plantes ont une « mémoire » !
Avec Michel Thellier, membre de l’Académie des sciences.
(…) La mémoire des animaux inférieurs est testée par des réponses de comportement impliquant le passage d’une information dans le système nerveux. Les plantes quant à elles, n’ont ni de système nerveux ni à proprement parler de comportement. Elles n’ont donc pas de “mémoire” au sens où on l’entend.
En revanche, les végétaux sont sensibles à certains signaux de l’environnement auxquels ils répondent par des modifications de leur métabolisme ou de leur organogénèse (manière dont ils se développent), peu de temps après les stimuli, ou plus longtemps après … Pour savoir comment une information peut être stockée et « mise en mémoire », il faut tout d’abord faire le point sur la sensibilité des végétaux aux signaux de l’environnement.

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/ Hervé Vaucheret, Grand Prix Louis D. 2009
La biologie des plantes avec 
Hervé Vaucheret est directeur de recherche à l’Institut Jean-Pierre Bourgin de Versailles à l’INRA.
Au début des années 1990, Hervé Vaucheret met en évidence deux mécanismes de défense des plantes contre des attaques par des pathogènes ou contre des dérèglements génétiques :
1. il existe un système de blocage direct de l’activité des gènes étrangers qui empêchent ceux-ci d’être copiés en ARN messagers, puis en protéines ;
2. la plante se protège en fabriquant toute une série de petites molécules de ribo-régulateurs qui sont capables de s’attacher aux ARN’s messagers ou aux ARN’s viraux en empêchant leur traduction ou en les détruisant.
Cette défense par les petits ARN’s a ceci de particulier que, parce qu’ils sont tout petits, ces ARN’s peuvent être véhiculés dans toute la plante et assurer ainsi sa défense à distance, y compris dans des greffons et pas seulement dans le tissu attaqué.
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/ La graine, concentré de vie
Avec Michel Caboche, de l’Académie des sciences, et Dominique Job, de l’Académie d’agriculture.
(…) Pour les plantes à graines (appelées spermatophytes), la graine est la structure qui contient et protège l’embryon végétal. Elle est souvent contenue dans un fruit qui permet sa dissémination. La graine permet ainsi à la plante d’échapper aux conditions d’un milieu devenu hostile soit en s’éloignant (vent, animaux), soit en attendant le retour de circonstances favorables. Il existe parallèlement des plantes sans graine (c’est le cas des fougères par exemple). La graine est en effet une invention, « récente » au cour de l’évolution, qui date de 400 millions d’années environ.
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/ Géographie des plantes et évolution des espèces (1/3)
Par Jean-Marc Drouin, historien des sciences, professeur au Muséum national d’Histoire naturelle.
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/ Où stocker le CO2 ? (3/3)
Avec François Guyot, Alain Prinzhofer et Pierre Le Thiez.
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/ Identité biologique : gènes génomes et environnement
Par François Gros, Secrétaire perpétuel (H) de l’Académie des sciences. 

(…) Pour comprendre les effets exercés par un gène chez un individu donné, il ne suffit pas de connaître sa séquence, ses produits d’expression et leur fonction métabolique cellulaire. Il faut pouvoir appréhender le contexte génomique global, de l’individu considéré et l’état fonctionnel de très nombreux autres gènes.
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/ Physique quantique et philosophie
Dialogue entre Bernard d’Espagnat et deux jeunes doctorants.
C’est au CERN, dans les années soixante lorsqu’il rencontre John Bell que Bernard d’Espagnat commence à travailler dans le domaine de la physique quantique. Depuis plusieurs années déjà, une question le taraudait, question dont Platon, avec le mythe de la caverne, proposait déjà la prémisse : la physique décrit-elle une réalité indépendante de nous, ou bien une réalité dépendante de la représentation que l’esprit humain a d’elle ? Nos trois invités, s’entretiennent de l’évolution de cette grande question du réalisme ou du non-réalisme dans la physique quantique.
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/ Jean-François Mattéi : Le sens de la démesure
La raison engendre-t-elle la démesure ? Le philosophe est l’invité de Damien Le Guay.
Le XXe siècle fut, à son corps défendant, le siècle de la démesure : démesure de la politique, de l’homme et du monde. Car, nous disent Adorno et Horkheimer, « la raison est plus totalitaire que n’importe quel système. Pour elle tout est déterminé au départ : c’est en cela qu’elle est mensongère. »
Il faut donc interroger ce sens grec de la démesure et, en retour, interroger notre sens moderne de la Raison ordonnée qui, dans bien des cas, conduit à des désordres sans nom. Tel est l’objet de notre entretien avec Jean-François Mattéi avec cette interrogation vertigineuse de Nietzsche (Le gai savoir, # 124) : « Nous avons rompu les ponts derrière nous – plus encore nous avons rompu la terre derrière nous. Mais il viendra des heures où tu reconnaîtras que l’océan est infini et qu’il n’y a rien de plus effrayant que l’infinité ».
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/ Le mal propre : Polluer pour s’approprier ? 
Avec Michel Serres, de l’Académie française, présentation de l’ouvrage avec Elodie Courtejoie.
La démonstration de Michel Serres s’appuie en grande partie sur l’étymologie. « Lieu » par exemple, se dit « topos » en grec et et « locus » en latin. Tous deux désignent l’ensemble des organes sexuels féminins. Ainsi l’explique le philosophe : « Nous avons tous habité neuf mois dans la matrice. Une bonne moitié d’entre nous quête le retour à la vulve d’origine. L’amant dit à son amante « tu es ma maison ». Voici notre premier « lieu », à la fois néonatale, de naissance et de désir ».
Parmi les lieux du monde extérieurs au corps, nous disons « ci-gît » pour désigner le lieu où reposent nos ancêtres. Ne croyez pas que c’est le lieu qui indique la mort, c’est l’inverse : c’est la mort qui indique le lieu. Et pour dormir, aimer, souffrir, mourir… nous nous couchons ! « Coucher » vient du latin « col-locare », dormir en colocation, partager un lieu. En somme, nous nous approprions trois lieux fondamentaux : l’utérus, le lit et le tombeau… pour trois étapes de la vie. Pour Michel Serres, « l’acte de s’approprier est issu d’une origine animale, éthologique, corporelle, physiologique, organique, vitale… et non d’une convention ou de quelque droit positif ».
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/ Temps des crises
Avec Michel Serres de l’Académie française, entretien avec Jacques Paugam.
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Ce que l’écologie change à la politique ?

Ce que l’écologie change à la politique ? dans Entendu-lu-web vac51

Revue Vacarme n°51 – printemps 2010
Chantier / ce que l’écologie change à la politique 

Sommaire : 
- Joseph Confavreux, Pierre Lauret, Mathieu Potte-Bonneville, Pierre Zaoui / ce que l’écologie change à la politique - avant-propos;
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un combat partagé – entretien avec José Bové et Daniel Cohn-Bendit;
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Laurence Duchêne / it’s ecology, stupid !si Malthus m’était compté;
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Franck Burbage / liberté, égalité, frugalité ? – ou comment arracher la sobriété aux images déprimantes de l’ascèse;
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Mathieu Potte-Bonneville / une politique des modes de vie ? – le pouvoir est-il au bout de la brosse à dents ? 
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querelle d’experts – entretien avec Hélène Guillemot;
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Pierre Lauret / l’atmosphère, bien commun très politique – face à l’enlisement bureaucratique des négociations, la mobilisation passe par le conflit;
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Joseph Confavreux / droit de créances - la dette écologique, mesure comptable et nouvel outil géopolitique;
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Aliènor Bertrand / quels lieux pour la planète ? – entre local et global, l’écologie requiert des lieux et des usages;
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d’un gai savoir écologique – dans une catastrophe annoncée, quel horizon, quelle joie et quelles promesses ? 
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Antoine Perrot / intervention graphique : Agnès Perroux – dessins.

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Horizons de l’écologie politique 
Collège international de philosophie. Cycle de conférence avec Pierre Lauret, Mathieu Potte-Bonneville, Pierre Zaoui, printemps 2010.
Prendre au sérieux l’idée d’« écologie politique », c’est reconnaître que le sens de cette expression ne peut se réduire ni à une collection de problèmes environnementaux, qu’il reviendrait au pouvoir politique de prendre en charge, ni à une doctrine susceptible d’être rangée aux côtés d’autres conceptions du monde et de la société, dans l’espace homogène et neutralisé d’une « histoire …

Ressources en-jeux

 Ressources en-jeux dans Energie 625px-Podcast-Schema-fr.svg

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Le développement durable, nouvel enjeu géopolitique ?

IRIS – Institut de Relations Internationales et Stratégiques – 15e Conférences Stratégiques Annuelles – mardi 4 et mercredi 5 mai 2010 Paris.
Rubrique web associée :
Problématiques énergétiques et environnementales

Le changement climatique : nouveau paradigme des relations internationales ?
Avec François Gemenne, chargé d’études Climat et migrations, Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI) ;
Laurence Graff, chef d’unité Relations internationales et inter institutionnelles, DG Environnement, Commission européenne ;
Hervé Kempf, journaliste au Monde, auteur de Pour sauver la planète, sortez du capitalisme;
Emmanuel Le Roy Ladurie, historien, professeur titulaire de la chaire d’histoire de la civilisation moderne au Collège de France.

Ressources naturelles et vulnérabilités climatiques: enjeux sécuritaires et réponses politiques
Avec Hervé Le Treut, climatogue, directeur de l’Institut Pierre-Simon Laplace ;
Francis Perrin, directeur de la revue Gaz et pétrole arabes ;
Josselin de Rohan, Sénateur, Président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Sénat ;
Catherine de Wenden, directrice de recherche au CERI ;
Charles Randolph, conseiller Environnement et Education pour les Etats-Unis auprès de l’OCDE.

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Énergies du futur : les choix et les pièges
Canal Académie – éclairage – émission du 27 avril 2008.
Avec Bernard Tissot membre de l’Académie des sciences, président de la Commission nationale d’évaluation des recherches sur la gestion des déchets nucléaires, a dirigé le rapport Energie 2007-2050, les choix et les pièges de l’Académie des sciences.

L’eau dans le monde : quelle utilisation et quelle répartition dans les décennies à venir
Canal Académie – éclairage – émission du 4 juillet 2010.
Avec Ghislain de Marsily, académicien des sciences, auteur de L’eau, un trésor en partage. L’eau est-elle devenue un trésor convoité ? Les enjeux politiques de l’eau et les solutions qui peuvent êtres esquissées pour une meilleure gestion de la ressource.

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Les imaginaires urbains en recomposition, connaissances, cultures et vécus : Bordeaux et Québec
Colloque – Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine – 07/2010 .
Les sociétés urbaines occidentales connaissent des changements en profondeur de leur économie générale de structuration et de fonctionnement. Associée à une recomposition des dispositifs productifs, une économie que certains qualifient de « résidentielle », d’autres de « quaternaire » ou encore de « créative », se profile avec une force croissante. Chacun pressent que des modifications importantes affecteront le « vivre urbain ». Que ce soit l’actuelle globalisation (S. Sasken, 2008) et ses effets localisés, au-delà de ce qui affecte la sphère économique proprement dite, pour les structurations et régulations sociopolitiques, ou que ce soit la métropolisation en cours, qui brouille les repères habituels, par exemple de ce qui est de l’urbain et de ce qui du rural, la conjugaison de telles grandes évolutions tend à induire des recompositions des activités, des populations et des représentations que l’on peut s’en faire. L’actuelle recomposition des agglomérations et des régions souligne l’émergence d’un modèle urbain valorisant l’économie de la connaissance et une urbanité plus innovante par ses formes et ses desseins plus participatifs, plus cosmopolites, plus écologiques. Cette économie et cette urbanité deviennent moteur de développement et de compétition des villes. L’exemple des métropoles et des régions de Bordeaux et de Québec.

Configuration singulière

 Configuration singulière dans Education transmission

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Imaginons une configuration singulière qui puisse nous donner l’occasion de gratouiller quelques unes des notions floues qui nous servent pourtant de base de travail. Les hypothèses du jeu seraient à peu près les suivantes.
a) Vous travaillez depuis quelques années dans le secteur de l’environnement, du développement durable ou de l’écologie au sens large.
b) L’une de vos connaissance X vous contacte pour animer une séance d’introduction aux métiers de l’environnement (pour le dire vite) dans le cadre d’un troisième cycle Y étranger à ce domaine.
c) Vous avez deux heures.

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Mmm … brouillon d’intervention possible. Quelques options liminaires.

a) Eviter les chiffres et les diagrammes. Non que le rétro soit systématiquement en panne, mais dans l’idée de se passer de ces outils du prêt-à-convaincre et à-penser dont les modalités de calcul demeurent le plus souvent occultés (question de temps, de compréhension ou d’honnêteté, au choix).
b) Tisser son discours autour de la proposition/représentation suivante : il faut nous imaginer l’écologie comme une montagne aux multiples versants habités de différentes espèces de promeneurs.
c) Débuter par, et s’attarder sur, le sens des mots … pour le dire. De quoi parlez-vous ? De quoi parlons-nous. Qui parle de quoi ?

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Etape n°1, regard sur les principales « espèces » œuvrant sur les versants

-> Qui dans l’environnement mesure des impacts et comptabilise des matières …

Comment définir le terme d’environnement ?
L’environnement … mmm … le grand tout moins nous ? Le grand tout moins celui qui le regarde plus nous ? Tout ce qui n’est pas nous mais dont il reste quoi quand nous ne sommes plus là pour le définir ?
Donc en gros ce qui nous entoure, ce à quoi nous sommes extérieurs mais qui influence néanmoins, d’une manière ou d’une autre, notre état et nos comportements (choix). Dans la langue commune des praticiens, la gestion de l’environnement désigne à peu près le bon traitement à accorder au 4 éléments des anciens, à savoir l’eau, l’air, le feu et la terre.

Dans la pratique, les principales questions qui se posent à l’environnementaliste dans le cadre de ses études de terrain sont (à gros traits) : – de savoir déterminer un périmètre d’étude sur lequel analyser des sensibilités ; – d’évaluer les incidences potentielles de tel ou tel programme et/ou projet d’aménagement sur ce périmètre; – de proposer des mesures de correction, d’atténuation ou de compensation de celles-ci.

Il s’agirait donc de savoir dresser des inventaires et des bilans, pour in fine rechercher à préserver des équilibres. Voilà qui ressemble beaucoup à ce que pourrait être une certaine comptabilité des actifs environnementaux d’un territoire, au sens large (territoire d’action d’une entreprise dans le cas d’un bilan carbone par exemple).

-> Qui dans le développement durable conçoit des programmes concertés dont  l’efficacité se doit d’être mesurée « multicritère » …

Comment définir le terme de développement durable ?
Durer … mmm … ça veut dire quoi quand on y pense ?
- Conserver quelque chose ? Alors quelle économie de la conservation des choses ? Arche de Noé, qui rentre dedans et qui reste dehors ?
Se conserver soi ? Alors quelle économie de sa conservation ? Se conserver sans croître, se conserver sur une île sans en épuiser les nourritures, se conserver sur ses peaux mortes, se conserver dans le monde, en totalité ou partiellement ?
- Pouvoir transmettre ? Du matériel et, ou, et/ou de l’immatériel ? Des mots et des images pour le dire ou se dire ? Des potentiels combinatoires ? Je vous laisse cette herbe là, et donc l’option d’en inventer de nouveaux usages ou de ne rien en faire, pour vous ou pour elle-même, dans ce temps ci ou ce temps là, dans cet espace ci et cet espace là.

Pour développer durable, concept label ou label concept, on s’appuiera donc sur le respect d’un ensemble de principes et de normes dérivées plus ou moins homogènes et construits. Mais au final, l’idée la plus importante de ce sac à idées est sans doute la suivante : il convient de préserver les lieux de vie biologiques comme sociaux, matériels comme immatériels.

Dans la pratique, les principales questions se posant à un « développementaliste » durable dans le cadre de son montage de projet sont (à gros traits) : – de pouvoir définir des objectifs à atteindre sur au moins trois critères : économique, social et environnemental; – d’identifier les parties prenantes de tel ou tel projet, à savoir l’ensemble des groupe concernées ou impactées par celui-ci; – de savoir comment répartir équitablement entre celles-ci les divers bénéfices du projet.

A partir des ingrédients de l’environnementaliste, du sociologue et de l’économiste, il s’agirait donc de savoir cuisiner de manière responsable nos besoins, pour mieux assurer ceux de demain. On peut souligner ici le terme assurer, comme on le pouvait plus haut avec celui de bilan. Les pratiques de l’environnement et du DD répondent respectivement à des logiques comptable et assurantielle plus ou moins réactualisées.  

-> Qui dans l’écologie sur son versant scientifique …

Comment définir le terme écologie (en tant que science).
A la recherche d’une définition précise de la chose, nous fouinerons un peu de l’article Wikipédia dédié.
- Définition 1 : l’écologie est la science qui se donne pour objet les relations des êtres vivants avec leur habitat et l’environnement, ainsi qu’avec les autres êtres vivants.
Les relations dedans / dehors … Avec l’habitat et l’environnement. Quelles relations entre l’habitat, terme qui reste encore à définir, et l’environnement ? Les relations aux autres êtres vivants ? Un bien vaste sujet à la grande porosité des contours. Pour un objet d’étude, voilà qui nous apparaît bien flou.
- Définition 2 : l’étude scientifique des interactions qui déterminent la distribution et l’abondance des organismes vivants.
Donc des interactions, pour préciser la nature des relations qui nous intéressent, mais entre quoi et quoi exactement ? Quoi qu’il en soit, nous voilà donc avec une sélection de certaines interactions qui mises ensemble nous aideraient donc à mieux comprendre pourquoi il y a ça ici et en quel nombre maintenant … soit une approche géographique et quantitative.
- Définition 3 : la science qui étudie les flux d’énergie et de matières circulant dans un écosystème.
Après les relations, les interactions, place aux flux. Leur circulation et (re)distribution, leur coupure (captation), hybridation (biodiversité) et relâchement (recyclage). Reste néanmoins à savoir ce qu’est un écosystème et que faire des flux d’informations.

D’une définition qui renvoie à une autre, poursuivons en mode hypertexte. Écosystème, terme forgé par Arthur George Tansley en 1935 pour désigner l’unité de base de la nature, un ensemble formé par une association ou communauté d’êtres vivants et son environnement.
Voilà donc qui nous ramène tout droit aux notions floues d’environnement, pire, de nature.
La nature en deux questions …
- On est dedans ? Oui/Non
- On peut jouer avec ? Oui/Non
C’est déjà 4 prises de position …
- Oui – Oui / Non –Oui / Non – Non / Oui – Non

Finalement on préférera peut-être se référer à la définition de l’écosystème telle que proposée par l’évaluation des écosystèmes pour le millénaire :
« un complexe dynamique composé de plantes, d’animaux, de micro-organismes et de la nature morte environnante agissant en interaction en tant qu’unité fonctionnelle. »
Se faisant on passe de l’unité de base comptable, additive, au complexe dynamique de flux agissant en tant qu’unité fonctionnelle. Autrement dit un écosystème remplit des fonctions. Il produit des biens et des services qui nous sont perceptibles. Où sont les frontières de cet écosystème ? A vous l’analyste d’en décider.

Conclusion. Au jeu de ses affinités et méthodes, on en viendra bien vite à composer sa propre définition sur le dos des précédentes : l’écologie, la science qui étudie les flux d’énergie, de matières et d’informations qui circulent (in/transformations/out) dans un complexe dynamique vivant non vivant agissant en interaction en tant qu’unité fonctionnelle, c’est à dire productrice de certaines fonctions (aujourd’hui) perceptibles.
Un complexe de mots et de propositions qui pourrait se traduire plus facilement par une image :
- l’arbre est une configuration d’interactions, dynamiques et singulières, appropriée aux conditions de vie de la forêt;
- la forêt est une association d’arbres dont les interactions produisent leurs propres niches écologiques, à savoir la forêt.

Dans la pratique, les principales questions qui se posent à l’écologue lors de l’étude d’un écosystème sont (à gros traits) de savoir : – comment s’est opérée la colonisation par le système x de l’espace y; – comment s’est poursuivie l’évolution de cette colonisation; – quelles sont aujourd’hui les relations existantes entre les différents éléments du système ? - l’état actuel est-il stable ?

Nous sommes ici dans une approche de type à la fois. A la fois géographique et historique, à la fois qualitative (stratégies de différenciation des éléments du système) et quantitative (accumulation d’information et de matières dans le système). L’horizon immédiat de l’étude ne consiste donc pas dans la préservation à priori d’un lieu de vie, mais bien à faire émerger une connaissance du tissu des relations qui fait ce lieu de vie, pour in fine savoir comment et où le préserver.

-> Qui dans l’écologie sur son versant politique

Ici pas de définition à attendre (enfin on l’espère), mais un joyeux (souligner ce mot) mélange de pratiques à expérimenter et inventer, ainsi qu’une grande vigilance à entretenir.
Vers de nouvelles modalités d’organisation collective associées aux nouveaux savoirs et/ou méthodes d’analyse ? Les rapports, les interférences entre l’écologie scientifique et politique, les rapports entre la science et la politique, la connaissance et la pratique, un vaste sujet à l’intermédiation aujourd’hui suspecte (c.f. rapport aux relais medias).

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L’environnement, le DD, l’écologie offrent un complexe de métiers aujourd’hui très largement professionnalisés : compétences techniques exigées pour des résultats concrets et quantifiés, qualités personnelles requises et précisées.
Seulement tout cela contraste grandement vis-à-vis du flou qui entoure les notions, les objets et objectifs d’étude de ces métiers. Peut-être faut-il alors simplement constater qu’il n’ait pas besoin d’avoir un objet de travail clairement défini pour faire, et que faire n’est pas suffisant pour comprendre ce que l’on fait.
En conséquence, et à un certain niveau, travailler dans ces domaines ne requière aucune spécificité particulière autre que celle que l’on veut bien mettre (avec ou sans émotions) derrière les notions faiblement questionnées de nature, d’environnement, etc. En cela, l’écologie au sens large est symptôme. Le symptôme d’une interprétation du monde changeante qui manque encore des mots pour le dire, le symptôme à découvrir derrière  nombre de ces vieux masques (religieux, désir de souffrance, etc.) et outils anciens (comptabilité analytique).

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« Le désir de souffrance.
Quand je songe au désir de faire quelque chose, tel qu’il chatouille et stimule sans cesse des milliers de jeunes Européens dont aucun ne supporte l’ennui, pas plus qu’il ne se supporte soi-même, – je me rends compte qu’il doit y avoir en eux un désir de souffrir d’une façon quelconque afin de tirer de leur souffrance une raison probante pour agir. La détresse est nécessaire! De là les criailleries des politiciens, de là les prétendues « crises sociales » de toutes les classes imaginables, aussi nombreuses que fausses, imaginaires, exagérées, et l’aveugle empressement à y croire. Ce que réclame cette jeune génération, c’est que ce soit du dehors que lui vienne et se manifeste – non pas le bonheur – mais le malheur; et leur imagination s’occupe déjà d’avance à en faire un monstre, afin d’avoir ensuite un monstre à combattre. Si ces êtres avides de détresse sentaient en eux la force de faire du bien, en eux-mêmes, pour eux-mêmes, ils s’entendraient aussi à se créer, en eux-mêmes, une détresse propre et personnelle. Leurs sensations pourraient alors être plus subtiles, et leur satisfactions résonner comme une musique de qualité; tandis que maintenant ils remplissent le monde de leurs cris de détresse et, par conséquent, trop souvent, en premier lieu, de leur sentiment de détresse! Ils ne savent rien l’aire d’eux-mêmes – c’est pourquoi ils crayonnent au mur le malheur des autres : ils ont toujours besoin des autres! Et toujours d’autres autres! – Pardonnez-moi, mes amis, j’ai osé crayonner au mur mon bonheur.
»

Friedrich Nietzsche - livre premier, la “Gaya scienza“, traduction de l’édition de 1887 par Henri Albert.

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Etape n°2, regard sur la montagne écologie

« A distance.
Cette montagne rend la contrée qu’elle domine charmante et digne d’admiration à tout point de vue : après nous être dit cela pour la centième fois, nous nous trouvons, à son égard, dans un état d’esprit si déraisonnable et si plein de reconnaissance que nous nous imaginons qu’elle, la donatrice de tous ces charmes, doit être, elle-même, ce qu’il y a de plus charmant dans la contrée – et c’est pourquoi nous montons sur la montagne et nous voilà désillusionnés! Soudain la montagne elle-même, et tout le paysage qui l’entoure, se trouvent comme désensorcelés; nous avons oublié qu’il y a certaines grandeurs tout comme certaines bontés qui ne veulent être vues qu’à une certaine distance, et surtout d’en bas, à aucun prix d’en haut, – ce n’est qu’ainsi qu’elles font de l’effet (…) »

Friedrich Nietzsche – livre premier, la “Gaya scienza“, traduction de l’édition de 1887 par Henri Albert.

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Du pied, comme peut-être au sommet de la montagne écologie, on ne sait finalement qu’assez rarement qui parle de quoi et à qui.
Environnementaliste, développementaliste durable, écologue, etc., quels temps et quelles échelles dans les discours ? Qu’on glisse vite dans la pente ou qu’on y grimpe doucement, le flou et l’incertain dominent. Tant est si bien qu’on en revient toujours à la question centrale de sa gestion, un objet qui ne constitue pas le monopole de l’écologie et de ses activités dérivées, mais bien de toute activité humaine : le rapport au grand tout, les relations dehors/dedans et leurs finalité.
En ce sens, l’écologie montagne, ou l’écologie (re)montage, peut s’imager comme un empilement de strates successives. Strates de questions, d’images et de représentations du dehors qui, selon l’angle de notre regard du jour, s’actualisent et se réactualisent à tour de rôle, par effets domino, par effets de fissure ou d’érosion, etc.
Notre regard du jour ? Celui que l’on porte sur un nouveau contexte, un terreau ou cadre de vie de plus en plus serré. De plus en plus urbain, c’est-à-dire marqué de nos traces, de plus en plus uniformisé dans les modes ou styles de vie qu’il propose. Conséquence, un déficit vécu. Celui de l’espace vital, des lieux de vie physiques et mentaux, et in fine, un manque d’air. Alors manque-t-on d’air parce qu’il est pollué ou polluons nous l’air parce que nous en manquons ?
Si nous définissons l’écologie de sorte à cette montagne là, alors la principale qualité de l’actant écologique devient la possibilité d’un regard attentif au monde et à ses changements. Ceux qu’ils rendent possibles, les devenirs en germe et ceux à ne pas étouffer.
Ce principe premier de l’attention, celui-ci nécessite certainement une approche à la fois géographique et historique des choses, mais peut-être plus encore, de trouver chemin faisant sa bonne distance dans l’escalade de la montagne. Autrement dit, de savoir construire ses propres nourritures, de savoir monter ses propres questions. Etre curieux.

« (…) L’homme animé par l’esprit scientifique désire sans doute savoir, mais c’est aussitôt pour mieux interroger. » Gaston Bachelard, in La formation de l’esprit scientifique.

Ses nourritures, ses questions, elles sont à rechercher hors cadre. Elle ne sont pas données à l’avance par le nous des manuels. Aller chercher ses briques de savoir dans un petit jeu de frontières mobiles, c’est avant tout ne pas permettre à la morale commune de se glisser dans le trou des définitions, c’est laisser au flou et ses interstices leur pouvoir d’aération des idées.
Alors celui-ci convoquera Spinoza, Nietzsche et autres fragments dans une posologie qui lui convient de sorte à constituer son blog armoire à pharmacie, qui, x ou y, et ainsi de suite dans une écologie singulière des idées, son style d’escalade, son versant, sa distance vis à vis du rocher.
A partir de là, il est possible de s’entendre.

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« Le mal.
Examinez la vie des hommes et des peuples, les meilleurs et les plus féconds, et demandez-vous si un arbre qui doit s’élever fièrement dans les airs peut se passer du mauvais temps et des tempêtes : si la défaveur et la résistance du dehors, si toutes espèces de haine, d’envie, d’entêtement, de méfiance, de dureté, d’avidité, de violence ne font pas partie des circonstances favorisantes, sans lesquelles une grande croissance, même dans lit vertu, serait à peine possible? Le poison qui fait périr la nature plus faible est un fortifiant pour le fort – aussi ne l’appelle-t-il pas poison. »

Friedrich Nietzsche - livre premier, la “Gaya scienza“, traduction de l’édition de 1887 par Henri Albert.

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http://www.dailymotion.com/video/x5d8wl

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« Gardons-nous.
Gardons-nous de penser que le monde est un être vivant. Comment devrait-il se développer ? De quoi devrait-il se nourrir ? Comment ferait-il pour croître et s’augmenter ? Nous savons à peu près ce qu’est la matière organisée : et ce que nous percevons d’indiciblement dérivé, de tardif, de rare, de hasardé, sur la croûte de la terre, nous irions jusqu’à en faire quelque chose d’essentiel, de général et d’éternel, comme font ceux qui appellent l’univers un organisme ? Voilà qui m’inspire le dégoût. Gardons-nous déjà de croire que l’univers est une machine ; il n’a certainement pas été construit en vue d’un but, en employant le mot « machine » nous lui faisons un bien trop grand honneur. Gardons-nous d’admettre pour certain, partout et d’une façon générale, quelque chose de défini comme le mouvement cyclique de nos constellations voisines  : un regard jeté sur la voie lactée évoque déjà des doutes, fait croire qu’il y a peut-être là des mouvements beaucoup plus grossiers et plus contradictoires, et aussi des étoiles précipitées comme dans une chute en ligne droite, etc. L’ordre astral où nous vivons est une exception ; cet ordre, de même que la durée passable qui en est la condition, a de son côté rendu possible l’exception des exceptions : la formation de ce qui est organique. La condition générale du monde est, par contre, de toute éternité, le chaos, non par l’absence d’une nécessité, mais au sens d’un manque d’ordre, de structure, de forme, de beauté, de sagesse et quelles que soient nos humaines catégories esthétiques. Au jugement de notre raison les coups malheureux sont la règle générale, les exceptions ne sont pas le but secret et tout le mécanisme répète éternellement sa ritournelle qui jamais ne saurait mériter le nom de mélodie, — et finalement le mot « coup malheureux » lui-même comporte déjà une humanisation qui contient un blâme. Mais comment oserions-nous nous permettre de blâmer ou de louer l’univers ! Gardons-nous de lui reprocher de la dureté et de la déraison, ou bien le contraire. il n’est ni parfait, ni beau, ni noble et ne veut devenir rien de tout cela, il ne tend absolument pas à imiter l’homme ! Il n’est touché par aucun de nos jugements esthétiques et moraux ! Il ne possède pas non plus d’instinct de conservation, et, d’une façon générale, pas d’instinct du tout ; il ignore aussi toutes les lois. Gardons-nous de dire qu’il y a des lois dans la nature. Il n’y a que des nécessités : il n’y a là personne qui commande, personne qui obéit, personne qui enfreint. Lorsque vous saurez qu’il n’y a point de fins, vous saurez aussi qu’il n’y a point de hasard : car ce n’est qu’à côté d’un monde de fins que le mot « hasard » a un sens. Gardons-nous de dire que la mort est opposée à la vie. La vie n’est qu’une variété de la mort et une variété très rare. — Gardons-nous de penser que le monde crée éternellement du nouveau. Il n’y a pas de substances éternellement durables ; la matière est une erreur pareille à celle du dieu des Eléates. Mais quand serons-nous au bout de nos soins et de nos précautions ? Quand toutes ces ombres de Dieu ne nous troubleront-elles plus ? Quand aurons-nous entièrement dépouillé la nature de ses attributs divins ? Quand aurons-nous le droit, nous autres hommes, de nous rendre naturels, avec la nature pure, nouvellement trouvée, nouvellement délivrée ? »

Friedrich Nietzsche - livre troisième, la “Gaya scienza“, traduction de l’édition de 1887 par Henri Albert.

Du climat à la politique, l’exemple russe

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Conjugaisons sensibles

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Gaston Bachelard - La formation de l’esprit scientifique, chapitre 1er, extrait.
Librairie philosophique Vrin, 1999 (*)

« Quand on cherche les conditions psychologiques des progrès de la science, on arrive bientôt à cette conviction que c’est en termes d’obstacles qu’il faut poser le problème de la connaissance scientifique. Et il ne s’agit pas de considérer des obstacles externes, comme la complexité et la fugacité des phénomènes, ni d’incriminer la faiblesse des sens et de l’esprit humain : c’est dans l’acte même de connaître, intimement, qu’apparaissent, par une sorte de nécessité fonctionnelle, des lenteurs et des troubles. C’est là que nous montrerons des causes de stagnation et même de régression, c’est là que nous décèlerons des causes d’inertie que nous appellerons des obstacles épistémo­logiques. La connaissance du réel est une lumière qui projette toujours quelque part des ombres. Elle n’est jamais immédiate et pleine. Les révélations du réel sont toujours récurrentes. Le réel n’est jamais «ce qu’on pourrait croire» mais il est toujours ce qu’on aurait dû penser. La pensée empirique est claire, après coup, quand l’appareil des raisons a été mis au point. En revenant sur un passé d’erreurs, on trouve la vérité en un véritable repentir intellectuel. En fait, on connaît contre une connaissance antérieure, en détruisant des connaissances mal faites, en surmontant ce qui dans l’esprit même fait obstacle à la spiritualisation

L’idée de partir de zéro pour fonder et accroître son bien ne peut venir que dans des cultures de simple juxtaposition où un fait connu est immédiatement une richesse. Mais devant le mystère du réel, l’âme ne peut se faire, par décret, ingénue. Il est alors impossible de faire d’un seul coup table rase des connais­sances usuelles. Face au réel, ce qu’on croit savoir clairement offusque ce qu’on devrait savoir. Quand il se présente à la culture scientifique, l’esprit n’est jamais jeune. Il est même très vieux, car il a l’âge de ses préjugés. Accéder à la science, c’est, spirituellement rajeunir, c’est accepter une mutation brusque qui doit contredire un passé.

La science, dans son besoin d’achèvement comme dans son principe, s’oppose absolument à l’opinion. S’il lui arrive, sur un point particulier, de légitimer l’opinion, c’est pour d’autres raisons que celles qui fondent l’opinion; de sorte que l’opinion a, en droit, toujours tort. L’opinion pense mal; elle ne pense pas: elle traduit des besoins en connaissances. En désignant les objets par leur utilité, elle s’interdit de les connaître. On ne peut rien fonder sur l’opinion: il faut d’abord la détruire. Elle est le premier obstacle à surmonter. Il ne suffirait pas, par exemple, de la rectifier sur des points particuliers, en maintenant, comme une sorte de morale provisoire, une connaissance vulgaire provisoire. L’esprit scientifique nous interdit d’avoir une opinion sur des questions que nous ne comprenons pas, sur des questions que nous ne savons pas formuler clairement. Avant tout, il faut savoir poser des problèmes. Et quoi qu’on dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d’eux-mêmes. C’est précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique. Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. S’il n’y a pas eu de question, il ne peut y avoir connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit.

Une connaissance acquise par un effort scientifique peut elle-même décliner. La question abstraite et franche s’use : la réponse concrète reste. Dès lors, l’activité spirituelle s’invertit et se bloque. Un obstacle épistémologique s’incruste sur la connaissance non questionnée. Des habitudes intellectuelles qui furent utiles et saines peuvent, à la longue, entraver la recherche. « Notre esprit, dit justement M. Bergson, a une irrésistible tendance à considérer comme plus claire l’idée qui lui sert le plus souvent ». L’idée gagne ainsi une clarté intrinsèque abusive. À l’usage, les idées se valorisent indûment. Une valeur en soi s’oppose à la circulation des valeurs. C’est un facteur d’inertie pour l’esprit. Parfois une idée dominante polarise un esprit dans sa totalité. Un épistémologue irrévérencieux disait, il y a quelque vingt ans, que les grands hommes sont utiles à la science dans la première moitié de leur vie, nuisibles dans la seconde moitié. L’instinct formatif est si persistant chez certains hommes de pensée qu’on ne doit pas s’alarmer de cette boutade. Mais enfin l’instinct formatif finit par céder devant l’instinct conservatif. Il vient un temps où l’esprit aime mieux ce qui confirme son savoir que ce qui le contredit, où il aime mieux les réponses que les questions. Alors l’instinct conservatif domine, la croissance spirituelle s’arrête.

Comme on le voit, nous n’hésitons pas à invoquer les instincts pour marquer la juste résistance de certains obstacles épistémologiques. C’est une vue que nos développements essaieront de justifier. Mais, dès maintenant, il faut se rendre compte que la connaissance empirique, qui est celle que nous étudions presque uniquement dans cet ouvrage, engage l’homme sensible par tous les caractères de sa sensibilité. Quand la connaissance empirique se rationalise, on n’est jamais sûr que des valeurs sensibles primitives ne coefficientent pas les raisons. D’une manière bien visible, on peut reconnaître que l’idée scientifique trop familière se charge d’un concret psychologique trop lourd, qu’elle amasse trop d’analogies, d’images, de métaphores, et qu’elle perd peu à peu son vecteur d’abstraction, sa fine pointe abstraite. En parti­culier, c’est verser dans un vain optimisme que de penser que savoir sert automatiquement à savoir, que la culture devient d’autant plus facile qu’elle est plus étendue, que l’intelligence enfin, sanctionnée par des succès précoces, par de simples concours universitaires, se capitalise comme une richesse maté­rielle. En admettant même qu’une tête bien faite échappe au narcissisme intellectuel si fréquent dans la culture littéraire, dans l’adhésion passionnée aux jugements du goût, on peut sûrement dire qu’une tête bien faite est malheureusement une tête fermée. C’est un produit d’école.

En fait, les crises de croissance de la pensée impliquent une refonte totale du système du savoir. La tête bien faite doit alors être refaite. Elle change d’espèce. Elle s’oppose à l’espèce précédente par une fonction décisive. Par les révolutions spirituelles que nécessite l’invention scientifique, l’homme devient une espèce mutante, ou pour mieux dire encore, une espèce qui a besoin de muter, qui souffre de ne pas changer. Spirituellement, l’homme a des besoins de besoins. Si l’on voulait bien considérer par exemple la modification psychique qui se trouve réalisée par la compréhension d’une doctrine comme la Relativité ou la Mécanique ondulatoire, on ne trouverait peut-être pas ces expressions exagérées, surtout si l’on réfléchissait à la réelle solidité de la science anté-relativiste. (…)

On répète souvent aussi que la science est avide d’unité, qu’elle tend à identifier des phénomènes d’aspects divers, qu’elle cherche la simplicité ou l’économie dans les principes et dans les méthodes. Cette unité, elle la trouverait bien vite, si elle pouvait s’y complaire. Tout à l’opposé, le progrès scientifique marque ses plus nettes étapes en abandonnant les facteurs philosophiques d’unification facile tels que l’unité d’action du Créateur, l’unité de plan de la Nature, l’unité logique. En effet, ces facteurs d’unité, encore agissants dans la pensée préscientifique du XVIIIe siècle, ne sont plus jamais invoqués. On trouverait bien prétentieux le savant contemporain qui voudrait réunir la cosmologie et la théologie.

Et dans le détail même de la recherche scientifique, devant une expérience bien déterminée qui pourrait être enregistrée comme telle, comme vraiment une et complète, l’esprit scientifique n’est jamais à court pour en varier les conditions, bref pour sortir de la contemplation du même et chercher l’autre, pour dialectiser l’expérience. C’est ainsi que la Chimie multiplie et complète ses séries homologues, jusqu’à sortir de la Nature pour matérialiser les corps plus ou moins hypothétiques suggérés par la pensée inventive. C’est ainsi que dans toutes les sciences rigoureuses, une pensée anxieuse se méfie des identités plus ou moins apparentes, et réclame sans cesse plus de précision, ipso facto plus d’occasions de distinguer. Préciser, rectifier, diversifier, ce sont là des types de pensées dynamiques qui s’évadent de la certitude et de l’unité et qui trouvent dans les systèmes homogènes plus d’obstacles que d’impulsions. En résumé, l’homme animé par l’esprit scientifique désire sans doute savoir, mais c’est aussitôt pour mieux interroger. »

(*) Document produit en version numérique par Bernard Dantier, bénévole, docteur en sociologie de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, membre de l’équipe EURIDÈS de l’Université de Montpellier 3.

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Penser avec LucrèceRépliques, émission du 07.08.2010 avec Elisabeth de Fontenay et Paul Veyne. [De natura rerum au format html]

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