« Le réalisme qui nous domine, le réalisme qui croit a priori pouvoir fabriquer la différence entre le possible et l’impossible, et qui nous voue, à mon sens, à ce que j’appelle ‘‘la catastrophe », c’est-à-dire aussi à l’impuissance, c’est un réalisme que j’ai personnellement décidé d’appeler ‘‘bêtise ». »
Propos d’Isabelle Stengers, formulées lors de l’émission radiophonique : « Vivons-nous une époque catastrophique » (avec Y. Citton, F. Neyrat et I. Stengers), in Les vendredis de la philosophie (animé par François Noudelmann), sur France Culture, le 27 Février 2009.
Un environnementaliste parlant de Spinoza touche évidemment à la pointe de ses limites. Capture de code très partielle, expérimentation baroque d’un rapport ou d’un pli. On tâtonne, on voit si un truc tiens dans une mise en rapport qui produirait du sens en elle-même, sans avoir à apporter de réponse ou conclusion finalisée.
Pas concret du tout, chante en cœur la profession.
Petites réaction à cela :
Prenons par exemple la lecture de la formule suivante : « c’est la dose qui fait le poison ». Dose ? C’est-à-dire un certain rapport. Il n’y a donc pas de pollution dans les choses en elles-mêmes mais bien dans les rapports entre les choses. La pollution est un rapport. Un rapport que nous percevons en ce qu’il décompose directement (poison pour notre corps) ou indirectement les rapports du corps humain (poison pour une nourriture de notre corps). La pollution n’est donc pas un mal, mais un excès qui par ses effets produira des manques par décompositions successives de certains des corps. Et comme ceux-ci sont tous liés entre eux dans des chaines de causalité complexes …
Et on voit bien qu’une telle perspective, que nous qualifierons par facilité de spinoziste, que celle-ci change fondamentalement notre manière d’aborder les problèmes. Ici, il y a ignorance des rapports entre les corps. C’est-à-dire que la cause première de nos pollutions trouve son origine dans les idées inadéquates qui impuissantent notre esprit et sont source de passion (excès). Ceci est une perspective possible, mais elle n’épuise surement pas les autres. Elle a vertu pédagogique et méthodologique en tant qu’elle donne à voir que d’autres représentations sont possibles, et que de la nature de celles-ci découlent d’autres fondements à nos actions dites écologiques. D’autres questions, d’autres objectifs, d’autres champs d’étude.
Plus généralement, l’environnementaliste ou l’écologiste ne fait pas exception à la règle : il capture des codes extérieurs faute de quoi il tombe dans la consanguinité. Faute de quoi, pris dans la boucle normative des propres normes qu’il érige comme fin, sa grille de lecture du monde aura tôt fait d’épuiser ce-dernier, de le conduire lui et ses disciples aux mêmes erreurs que les précédentes.
Mais capturant des codes extérieurs, il invite également et peut-être surtout l’extérieur à en faire de même avec les siens. Je te capture un Spinoza, alors viens me capturer le cycle de l’eau. Soit les captures ou métissages nécessaires. Alors ici on doit se demander pourquoi l’extérieur s’intéresse si peu à nos chants écolos en dehors des coups médiatiques et des campagnes électorales. Mais peut-être et surtout, pourquoi les connaissances de base sont encore si peu relayées dans le grand publique.
Une note sur « l’état de l’opinion sur l’effet de serre et le changement climatique » de l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie relevait fin 2005 la méconnaissance générale de l’effet de serre. 50% des interviewés reliaient l’effet de serre à la couche d’ozone ou à une mauvaise gestion des déchets, seulement 14% aux CO2. On peut raisonnablement imaginer que ces chiffres ont évolué favorablement depuis. Mais alors depuis seulement hier, et le chemin reste bien long.
Il reste d’autant plus long qu’on peut encore lire aujourd’hui dans les notes des services de l’Etat la formule suivante : « Le projet de ferme solaire XXX consiste en la construction et l’exploitation d’une centrale photovoltaïque installée en plein champ. Composée de trois groupes d’éléments – modules photovoltaïques, structures porteuses et réseau électrique -, une telle centrale produit de l’électricité propre et renouvelable à partir de l’énergie radiative du Soleil. »
Propre ? Une fois évacuée la question de l’extraction du silicium nécessaire à la construction des modules. Propre ? Une fois évacuée la question de la fabrication de ces-mêmes modules. Propre ? Une fois évacuée la question du recyclage ou de l’élimination des modules en fin de vie.
Propre ? Mais avec quelles énergies non propres tout cela est-il extrait, assemblé, mis en service et éliminé ?
Au lieu de présenter l’énergie solaire comme plus propre que, c’est-à-dire de parler de rapport, nous préférons parler dans l’absolu et l’abstrait. C’est propre, point. Mais propre ça veut dire quoi au juste ? Nous continuons à utiliser un langage abstrait qui ne correspond en rien à ce dont nous voulons parler. C’est-à-dire d’écologie, c’est-à-dire de rapport entre les choses. Mais non, cette chose est propre, autrement dit cette chose est bien pour et par elle-même. Amen. Nous restons donc dans l’atomisme et les jugements qui en découlent, les auditeurs avec. Or contrairement à ce que nous croyons communément, ceux-ci sont lucides en ce qu’ils cherchent de nouvelles configurations dans lesquelles déployer leurs désirs. Quand ils n’entendent ou ne percoivent rien de nouveau, leurs oreilles se bouchent.
Rien ne change beaucoup. Sur son versant politique, l’écologie n’est encore qu’un nouvel avatar du vendeur de sens, mais qui n’en produit pas de nouveau. Elle consiste pour beaucoup en un simple commerce de fuite où se réactualisent des arrières mondes toujours habités de figurines anthropomorphes chantant le bien, le mal sur fond de valse à deux temps. Pour d’autre, à la marge, c’est l’initialisation d’une ligne de fuite à construire sur les frontières du système. L’occasion d’une construction de soi, plus anarchique que politique tant les matériaux institutionnels et les pratiques sociales à même de les soutenir sont rares. Au final, on dira donc de l’écologie vécue que celle-ci remplace avantageusement, désir de modernité de ses discours, la question de Dieu dans les apéritifs dinatoires bio-urbains.
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http://www.dailymotion.com/video/x2gjky Whitehead, le concept de société.
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Au milieu de tous ces propres qu’on n’a jamais besoin de laver, on ne touche pas s’il vous plait, nous avons l’appel au concret des professionnels de l’environnement.
Petite bande creusant tous un même sillon, souhaitant avant tout convertir les codes extérieurs plutôt que d’en capturer certains afin d’aérer leurs grilles de lecture. Pas de besoin, celles-ci sont propres par nature. Une corporation à laquelle appartient donc l’auteur de ces quelques lignes. Celui qui tente non de penser contre les siens, mais avant tout contre lui-même, considérant cela comme une simple preuve de santé ordinaire.
Alors ce concret ? Celui-ci repose sur des abstraits non questionnés, à commencer par lui-même. C’est-à-dire qu’il est avant tout une certaine idée de l’efficacité. De celle qui permet de justifier la fiche de paie d’un travail urgent, imaginé au nom d’un collectif pourvu que celui-ci reste à sa place. Au nom de quoi l’ecological singer loupe complètement toute diversité. Dans le fond comme dans la forme de discours portant sur la diversité, but not in my backyard comme dit la chanson qu’on prête aux autres. De la question centrale du désir, désirer agir comme ceci plutôt que comme cela, produire du désir d’écologie et du rôle des singularités, n’en parlons pas.
Faute d’avoir un chant propre, l’ecological singer s’adapte. En entreprise il parle de coût économique, en collectivité il parle de coût sociaux, et en dehors des frontières institutionnelles, il traite globalement autrui de cochon pour son bien. L’adaptation est certes une qualité indispensable à celui qui pense arriver avec un langage et des idées nouvelles. Et après tout, nous avons sans doute quelques raisons de croire qu’autrui vit et pense comme un porc selon la proposition d’un Gilles Châtelet par exemple. Mais voilà, celui-ci propose une démonstration structurée quand d’autres ne nous proposent qu’une même image répétée de sacs plastics qui s’accumulent à l’infinie. Image sous-titrée par un language qui aurait fait fureur dans les années 50′. Cette basse consommation du cortex ne nécessite en réalité aucune adapation particulière. L’adaptation et son principe de concrétude n’est ici qu’un masque qui cache bien difficilement l’absence de discours réel. Nos ramassons donc nos sacs de la même manière que nous les avions jeté. Action hautement substituable, seulement c’est très concret.
Au nom de ce concret, l’ecological band ne questionne déjà plus les fondements, pire, le champ de ses actions et de ses études. Car ceci n’a pas sa place ici. La nature d’un côte, la technique de l’autre, si les individus désirent la technique, c’est sans doute qu’ils sont conditionnés. Alors nous les reconditionnerons. Angoisse d’abord, culpabilité ensuite. Vers le désert de l’affectivité, on parle de planter des puits à carbone. Bientôt nous aurons détruit le mot arbre, et seule résistera la poésie d’un Francis Cabrel, son échelle sur la bande FM.
Alors un exemple concret de tout cela parmi beaucoup d’autres ? Surtout ne jamais questionner l’émergence des réseaux sociaux numériques, leurs pratiques et leurs impacts sur l’écologie urbaine : productions de liens sociaux, modifications des territoires de vie, des flux de personnes comme des matières et énergies qui vont avec. Non, tout cela n’est pas concret, n’a pas sa place dans l’ordre. Ca produit des liens et des rapports, des accélérations, mais cette machinerie là nous fait du mal à l’avance.
L’ecological band procède à trop de désertions morales sur trop de territoires pour pouvoir prétendre à une juste analyse des phénomènes de son monde. Sans parler d’une quelconque prospective … et l’humanité disparaîtra, bon débarras.
Alors vous souhaiteriez apprendre à lire des territoires ? Percevoir un peu de ces machines avec lesquelles nous nous combinons ? Un conseil, passez votre chemin, ne comptez pas sur nous. Aller directement au rayon poésie, l’écologie dans ses pratiques et ses discours n’a malheureusement que trop peu à vous apprendre de nouveau sous sa forme actuelle. Trop rare en sont les littérateurs. Alors comme le disait Mao, l’eau coule, comme nous l’ajoutons, le soleil brille. Vous savez tout. Le reste n’est affaire que des intégrations comptables nécessaires, mais sans doute pas suffisantes à intéresser autre chose qu’une administration verte, frontières dures, ampoules basses tension.
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http://www.dailymotion.com/video/k3fUMQwsJLziytkEqq Bergson, propos sur la technique.
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Peu rares ont été ceux qui déclaraient vouloir sauver le monde au cours de ses histoires. Au nom de Dieu, au nom de l’homme, … au nom de la terre. Plus rare aura été le manque de réflexion quasi volontaire qui accompagne pour l’heure le dernier de ces slogans. Mais notre manière de penser l’ecologie n’est pas non plus un empire dans un empire. Elle n’est aussi que le symptôme d’un terreau de pensée où poussent des libres décrets invasifs sécrètant de la nouveauté dans l’urgence.
Entendu sur CNN : face à la crise financière, les experts s’accordent tous à dire qu’une nouvelle approche est nécessaire. Mais que peut bien être cette nouvelle approche ? Peu importe, il s’agit dès maintenant d’agir concrètement. Côté environnement, vous pouvez ainsi passer directement aux conclusions du rapport du GIEC. Et si vous ne savez pas lire, on vous les lira. Car savoir pourquoi et comment des puissances scientifiques individuelles se sont agencées au fil du temps de sorte à produire des savoirs, mettre en lumière des relations nouvelles dans la nature, ce qu’est la notion de climat et les variations de cette notion dans l’histoire, de tout cela nous n’avons plus le temps. Dommage pour nous que la nouveauté soit sans doute plus dans les processus eux-mêmes que dans leurs conclusions. Des conclusions que nous ne regardons encore qu’à l’aide de nos anciens modèles.
La crise financière est une crise du crédit privé dans sa réponse à la contraction des salaires, elle-même conséquence d’une exigence de rentabilité financière des entreprises portée à un 15% annuel. Nous avons la solution ! Remplaçons dans le réservoir de la machine le manque du privé par du crédit public ! Le tour est joué jusqu’à la prochaine panne, le temps d’imaginer une nouvelle approche, une nouvelle substitution.
Lire des conclusions ou étudier les seuls effets ne suffit pas à compendre les processus à l’oeuvre. Et nos capacités d’analyse et de prospective s’en trouvent largement limitées. Or si nous sommes environnementaliste, c’est bien pour comprendre ou essayer de mettre en lumière du commun dans les multiples processus affectant nos différentes sphères d’action. Mettre en rapport en déplacant les frontières et les standards.
La chanson de l’urgence, bien que faisant l’économie de toute analyse des processus, celle-ci a néanmoins valeur de symptôme partiel de ceux-ci, mais sûrement pas de réponse. Entendez urgence, traduisez accélération.
De l’environnement physique où nous accélérons les flux des matières et des énergies, l’écoulement des eaux, à l’environnement biologique où nous accéléront les processus de sélection naturelle (OGM), à l’environnement social où nous accélérons la mise en réseau des informations, à l’environnement financier où nous accélérons la vitesse d’échange des créances, à l’environnement économique où nous accélérons la vitesse de circulation des marchandises, se posent aujourd’hui de mêmes questions du fait d’un même modèle : nous ne créons de la valeur qu’en jouant sur le levier de vitesse des machines qui nous englobent. Et comme nous confondons le plus souvent notre trajectoire avec celle de la création de richesses, la progression possible avec le carburant, comme notre désir est privé en nous-même comme en dehors de supports autres que celui de la seule consommation d’objet, et bien nous gardons tous la main bien ferme sur le levier de vitesse. Une action réflexe de notre main plus qu’une action de contrôle, celui-ci ne pouvant-être que partiel.
Alors certains nous disent que le volant doit bien être l’outil du changement. Qu’il conviendrait de s’arrêter pour faire marche arrière. Quand bien même cela serait possible, et nous douton beaucoup d’un tel degré de liberté, il semble de toute façon que nos traces se soient déjà effacées derrière nous. Par ailleurs, la mise en réseau est plus que l’accélération qu’elle permet, elle permet aussi d’en sortir en conservant la puissance nécéssaire à l’humanité. Alors sans doute qu’il existe un autre instrument du changement : les amortisseurs. C’est à dire la souplesse.
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« La souplesse sociale est une ressource aussi précieuse que le pétrole ou le titane. Elle doit faire l’objet d’une budgétisation appropriée de manière à être dépensée (comme la graisse) uniquement pour les changements nécessaires (…)
Tout système biologique peut-être décrit en fonction des maxima et des minima autorisés pour chacune de ses variables interdépendantes : au-delà et en deçà de ces seuils de tolérance, apparaissent inévitablement des malaises, des phénomènes pathologiques et, finalement la mort. A l’intérieur de ces limites, la variable peut se mouvoir afin de permettre l’adaptation. Lorsque, sous l’effet de certaines tensions, une variable doit prendre une valeur proche du seuil supérieur ou inférieur, nous dirons, en employant une expression familière, que le système est « coincé » par rapport à cette variable, ou que le système manque de souplesse par rapport à celle-ci.
Etant donné que les variables sont interdépendantes, être « guindé » à l’égard de l’une d’entre elles signifie généralement pour le système, que les autres variables ne pourront pas changer sans modifier la variable « coincées ». Ainsi la perte de souplesse se propage dans le système entier. Dans des cas extrêmes, le système n’acceptera plus que les changements qui changent les limites de tolérance de la variable « coincée ». Ainsi une société surpeuplée recherchera les changements (augmentation de nourriture, nouvelles routes, maisons supplémentaire etc.) susceptibles de rendre les conditions pathologiques et pathogènes de la surpopulation plus acceptables. Mais ces changements ad hoc sont, précisément, ceux qui risquent de provoquer, à la longue, une pathologie écologique plus profonde encore (…)
Il faut noter que la souplesse est à la spécialisation ce que l’entropie est à la néguentropie. La souplesse peut donc être définie comme une potentialité non engagée de changement. L’opération qui a cours dans le budget de la souplesse est la division, et non la soustraction, comme dans le cas de l’argent et de l’énergie. «
Grégory Bateson, « écologie et souplesse dans la civilisation urbaine », vers une écologie de l’esprit, tome2, Ed. du Seuil, 1980.
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A suivre Bateson, et pour finir sur une note constructive à destination de l’ecological singer – dont les faiblesses (analyse et prospective) sont aussi à l’image de l’ensemble qu’il habite -, on pourrait donc dire que l’analyste de l’écologie commence par recommander aux hommes des institutions en charge tout ce qui peut donner au système étudié un budget de souplesse positif. Cependant: » comme ces interlocuteurs ont une propension quasi naturelle à épuiser rapidement toute souplesse disponible, il devra donc à la fois créer de la souplesse et prévenir la civilisation contre une usure immédiate de celle-ci. « L’analyste de l’écologie exercera donc également une autorité afin de préserver la souplesse qui existe déjà, ou celle qui peut être crée. Mais également lui même, en tant que sous-système en coévolution, devra veiller à sa propre souplesse, à celle de ses idées.
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http://www.dailymotion.com/video/k2Lv01Yaw7ZgpPkAeo Deleuze, sur la bêtise.
Superbe article qui m’a donné de vrais pistes pour mes articles à moi. Je testerai dès le prochain article. Pour dire j’ai même mis la page dans mes favoris.
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