« Ils [les arbres] ne sont qu’une volonté d’expression. Ils n’ont rien de caché pour eux-mêmes, ils ne peuvent garder aucune idée secrète, ils se déploient entièrement, honnêtement, sans restriction [...], ils ne s’occupent qu’à accomplir leur expression : ils se préparent, ils s’ornent, ils attendent qu’on vienne les lire. »
Francis Ponge
Action quand vous voulez … pour savoir il faut s’imaginer.
S’il manque d’idées dans l’écologie des idées, il ne manque pas de flèches ou d’affinités, mais bien d’archers. Un archer ? Celui qui se fabrique une configuration du réel qui ne l’épuise pas à l’avance, technicien de ses branchements sur le monde qui y puiser là sa puissance d’agir, la force de tirer sa flèche.
Alors sans doute existe-t-il là aussi autant de techniques de tir que d’intestins. Mais celles-ci ont toujours cela de commun qu’elles ne se réfugient pas derrières de nouveaux murs afin d’éviter les bombardements passifs de ces invasions barbares des images d’un monde commun … qui fait au final bien peu communauté.
Parmi les branchements possibles de l’archer, expérimenter son propre cinéma est peut-être bien l’une de ces techniques de digestion au coeur de l’époque.
Comme proposé précédemment, si la production matérielle crée les moyens nécessaires à la vie sociale, la production immatérielle (images, idées, mode de relations, etc.) celle-ci tend à créer la vie sociale elle-même.
Pour mieux le comprendre, ou tout du moins le voir autrement, faisons une nouvelle fois appel à l’analogie végétale.
Le végétal est de très loin le plus important producteur primaire d’énergie sur la planète. On le dit autotrophe, son travail « matériel » consistant à capturer des photons solaires pour in fine transformer et stocker cette énergie sous la forme de liaisons chimiques exploitables par le reste du vivant. C’est la photosynthèse.
Par suite, la vache mâche de l’herbe, en produit le lait et ou la viande que nous buvons. Sur ce plan « matériel », l’homme est un animal hétérotrophe consommateur et dissipateur d’énergie. Il n’incorpore qu’une petite partie de l’énergie contenue dans la viande comme le lait, le reste étant dissipé sous forme de déchets, consommé dans l’activité même de digestion.
Imaginons un instant que l’émergence du système mental de l’homme puisse être vue comme une activité « photo-synthétique » singulière. Il ne s’agirait plus ici de produire une énergie exploitable concentrée sous la forme de liaisons chimiques, mais cette fois de plier des photons dans des images.
Des images nourricières à mettre en circulation dans l’espace et le temps. Dans le monde des hommes dans un premier temps, dans le monde des choses par la suite du fait des nouvelles pratiques et usages qui découlent de leur manipulation.
Nous retombons alors sur cette production « immatérielle » qui nourrit le commun de la banque d’image sociale, produit en retour la vie sociale elle-même à mesure que les images des uns deviennent la matière première de celles des autres membres du réseau de l’écologie des idées.
Car produire une image c’est capturer, sélectionner, condenser et établir certaines liaisons dans le monde. Et de leur manipulation, recombinaison et déploiement par les autres membres de l’essaim social, ces images libèrent une certaine énergie de production immatérielle.
Ainsi pouvons nous dire que dans l’immatériel, l’homme est un producteur primaire d’énergie, et sans doute lui aussi à partir d’une certaine photosynthèse lumineuse. Sa production synthétise en pliant des potentiels d’énergie immatérielle dans des images.
L’animal avec ses antennes tactiles capturantes fonctionne tel un producteur d’image primaire. Emerge de son système mental comme une certaine capacité à photo-synthétiser. L’animal, et tous particulièrement l’homme, condense à sa manière les photons. Il établit des liaisons dans le monde sous la forme d’images, images dont le déploiement libère une certaine énergie de production immatérielle, c’est-à-dire de production de vie sociale.
Conclusion de cette petite analogie, produire de la vie sociale revient à produire de nouvelles surfaces d’échange, comme à maximiser celles déjà existantes.
« [...] nous reconnaissons dans tous les objets dont nous avons appris à nous servir l’action que nous accomplissons à leur aide, avec la même sureté que leur forme et leur couleur [...] toute nouvelle expérience active entraine de nouvelles attitudes vis-à-vis de nouvelles impressions. De nouvelles connotations d’activité servent alors à créer de nouvelles images actives. »
Jacob von Uexküll
« Aussi longtemps que nous ne sommes pas dominés par des sentiments qui sont contraires à notre nature, la puissance de l’esprit, par laquelle il s’efforce de comprendre les choses, n’est pas empêchée, et par conséquent il a le pouvoir de former des idées claires et distinctes et de les déduire les unes des autres. »
Spinoza, Ethique 5, démonstration X
Parmi tout ce qui empêche cette croissance des surfaces d’échanges, la difficile question des droits d’auteurs. En n’autorisant pas le réusage des images, tout du moins de certains de leur fragments à des fin de recombinaison digestives, matières premières des nouvelles créations dans ce que l’on pourrait appeler à la suite de Gregory Bateson une écologie des idées, nous privons ainsi l’individu d’une grande partie de ses capacités d’appropriation comme de branchement au monde.
Agissant de la sorte, nous lui signifions juste qu’il se doit de digérer, comme ça et pas autrement, ce que quelqu’un d’autre a déjà recombiné du réel, dans un collectif, dans la toile d’agencement des diverses gratuités du monde. First in – last out.
De la multitude co-existante à toute création individuelle, comme du développment des techniques qui le soulignent, il semble évident que la question de l’auteur se doit d’être aujourd’hui très largement repensée. Nous sommes ici dans l’univers du difficile calcul de l’équivalent des travaux, ou comment rémunérer ce que chacun apporte à la société. Une question dont les termes sont déjà solidement fixés par Aristote dans le livre cinq de l’éthique à Nicomaque.
Pour ce qui est de notre époque, et là où les discours autour de la figure de l’auteur ne peuvent que tourner en boucle, c’est précisément que ceux que nous avons appelé les individus-adultes-voitures de masse, ceux-là sont produits privés en eux-mêmes de l’accès à la production comme à la recombinaison des images. Cette qualité ou capacité demeure à conquérir de force.
http://www.dailymotion.com/video/k5vIt2pYxYpvgKCe7vMontage archives cinématographiques, perspective individus-adultes-voitures de masse
Mais ce qu’il faut bien entendre, c’est que nous ne parlons surtout pas ici de compétences techniques mais de technique de soi.
Il ne s’agit pas de devenir cinéaste pour de vrai, il s’agit d’apprendre à apprendre à digérer, rendre compatible avec notre nature, ces images qui nous bombardent du dehors.
Soit savoir pratiquer une certaine technique d’incorporation à travers la mise en place d’artifices, reconnus comme tel, mais qui vont produire leurs effets dans le réel en participant à cette photo-synthèse, petite danse de soi nourrissant cet accroissement des surfaces d’échange qui coproduit de la vie sociale.
L’artifice du faire son cinéma, c’est réaliser son propre montage du réel, désirer y découvrir quelque chose de soi et du monde. Visualiser sa maison d’époque en simulant la sélection, la découpe permanente que nous faisons du monde des choses.
C’est aussi se dédoubler sous la forme d’un récit-montage de ses propres archives cinématographiques, précisement afin de rendre perceptibles à l’écran ces affinités qui nous animent.
Proust visionnaire d’un temps retrouvé : « La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c’est la littérature. Cette vie qui en un sens, habite à chaque instant chez tous les hommes aussi bien que chez l’artiste. Mais ils ne la voient pas parce qu’ils ne cherchent pas à l’éclaircir. Et ainsi leur passé est encombré d’innombrables clichés qui restent inutiles parce que l’intelligence ne les a pas développés. Notre vie ; et aussi la vie des autres car le style pour l’écrivain aussi bien que la couleur pour le peintre est une question non de technique, mais de vision. »
L’archer fait son cinéma, une certaine technique de digestion de ses archives cinématographiques. De ces innombrables clichés qui restent inutiles parce que l’intelligence ne les a pas développés, il tente de les déplier en tant que préalable à une certaine vision de ses actions dans le monde.
Il participe ainsi de ce recyclage nécessaire de l’écologie des idées, aération et accroissement des surfaces d’échanges et de contacts, participant ainsi à son échelle à cette production immatérielle de la vie sociale.
Un montage ? Un environnement ? Une configuration dynamique, un organe sensoriel non localisé: un modèle de danse qui capture d’autres modèles de danse.
http://www.dailymotion.com/video/k6U7OswF6ts3CcSz63Montage archives cinématographiques, perspective sur les arrières goûts de l’affect « digestif » mélancolie
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