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Archive mensuelle de novembre 2008

Les nouvelles frontières de l’eau

Ou commence et où s’arrêt les frontière de notre « humanité ».
Aux limites du corps ? Ou bien à ce que l’on boit, mange et respire ?
Tous ces matériaux qui font notre devenir humain.

Quels sont ces endroits où les humains viennent pour devenir plus humain ? Quels sont les matériaux avec lesquels ils se combinent pour ?

Qui empêche quoi, qui occupe quoi et comment ?
Si beaucoup d’individus vivent aujourd’hui avec ce peu de tout, jamais aucun n’a fait sans eau.
L’eau, où cette colle mouvante qui enrobe le vivant, relie les intérieurs aux extérieurs. Alchimie de la terre à la glaise à sculpter.

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http://www.dailymotion.com/video/k6zX5drhpRTzCbR8g3 Sources audios d’après le documentaire « Pour l’amour de leau » diffusé mardi 18 novembre sur ARTE.

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Est-il imaginable de penser que près de 2 000 000 d’individus meurent chaque année faute de bénéficier d’un accès minimale à leur « matériel » eau ? Pour la plupart des enfants de moins de cinq ans.

Diarrhée pour les uns, fortes suspicions pour les autres. Poissons et grenouilles changent de sexe, les enfants passent encore 9 mois dans l’eau. Du côté de Boston, certains forent dans les parkings des sites pollués pour revendre cette eau dans des bouteilles plastiques étiquetées bonne santé.

Aujourd’hui troisième industrie mondiale derrière le pétrole et l’électricité, l’eau, son traitement et sa distribution. Un potentiel de croissance inégalé dont on estime qui sera très vraisemblablement multiplié par deux ou trois au cours des deux prochaines décennies quoi qu’il arrive par ailleurs.

Parmi le top three mondial, Suez et Veolia sont à la mode.fr. Leur propos, ouverture des marchés pour canalisation et grand barrage clés en main vendus sur fond de financements publics. 

En retour ? Une aggravation de l’état des écosystèmes locaux et du niveau de pauvreté des populations autochtones. Le pourquoi d’un tel constat ? Ces infrastructures, faciles à planifier et financer selon notre expérience, celles-ci se substituent à toute solution locale dans l’accès à la ressource. Des solutions dont on ne peut nier qu’elles soient bien plus adaptées à la nature des écosystèmes existants, comme aux besoins populations qui les habitent.

Des populations, qui quant elles ne sont pas simplement expulsées par tel ou tel projet de barrage, se voient tout simplement privées d’une participation minimale à la gestion de leur propre ressource hydrique.

Nouvelle forme d’occupation des territoires pour de nouvelles impuissances. Les exemples sont ici bien trop nombreux : guerres de l’eau en Bolivie, dérivation du Gange sous la houlette de l’opérateur Suez, sans parler de la destruction progressive de l’écoulement naturel des eaux  qui alimentent la forêt alluviale de l’Amazonie.

water

* Hier, l’eau était déjà la source de toutes les attentions des légistes de la cité.

 » Voilà la loi que je propose: quiconque aura corrompu l’eau d’autrui, eau de source ou eau de pluie ramassée, en y jetant certaines drogues, ou l’aura détournée en creusant, ou enfin dérobée, le propriétaire portera sa plainte devant les astronomes et fera lui-même l’estimation du dommage. Et celui qui sera convaincu d’avoir corrompu l’eau, outre la réparation du dommage, sera tenu de nettoyer la source ou le réservoir conformément aux règles prescrites par les interprètes, suivant l’exigence des cas ou des personnes  » Platon, Les lois, livre VII 400 a. JC.

En 960 après JC à Valence Espagne, sur la volonté du calife de Cordoue est créé le Tribunal de l’Eau. Une institution qui perdure encore aujourd’hui.

* Aujourd’hui voilà l’eau source d’attention des médecins légistes de tous les continents (cf. l’aide-mémoire sur les maladies liées à l’eau de l’OMS).

7 millions d’américains souffriraient ainsi annuellement d’infections liées à la consommation d’eau potable, comme 40% de nos « gastros » seraient d’origines hydriques. Mais à vrai dire peut importe les chiffres, tout cela demeure encore trop peu vérifiable. Un plus peut-être, ceux de l’OMS que l’on trouvera dans le tableau suivant.

Les nouvelles frontières de l'eau dans Entendu-lu-web image0026

Mais du légiste au médecin légiste, soyons bien sûr qu’une chose n’a pas changée, elle nous apparaît juste comme diluée derrière le paravent des « choses« .

Le fleuve Jaune, le Yangzé Kiang, l’Indus et le Brahmapoutre prennent leur source au Tibet, véritable château d’eau de l’Asie.
Hu Jintao, secrétaire général du Comité central du Parti communiste chinois a fait ses études à la faculté de conservation de l’eau de l’Université Tsinghua où il a obtenu un diplôme de spécialité en stations hydroélectriques. Il y a poursuivi ses études de 1964 à 1965 avant de devenir moniteur politique du département des sciences de conservation de l’eau. 
Selon la presse chinoise, le Tibet recèlerait environ 30 % des ressources hydrauliques de la Chine …

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-> Site de veille en français sur les diverses questions liées à l’eau.

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Image de prévisualisation YouTube Ça se transforme tout en restant dans le même fleuve… mais qui parfois s’agite, ralentit, dévale des cascades, se perd dans un lac puis repasse dans les eaux rapides… 

L’artifice de la photo-synthèse (:)

« Ils [les arbres] ne sont qu’une volonté d’expression. Ils n’ont rien de caché pour eux-mêmes, ils ne peuvent garder aucune idée secrète, ils se déploient entièrement, honnêtement, sans restriction [...], ils ne s’occupent qu’à accomplir leur expression : ils se préparent, ils s’ornent, ils attendent qu’on vienne les lire. » 

Francis Ponge

 Flèche ecologie

Action quand vous voulez … pour savoir il faut s’imaginer.

S’il manque d’idées dans l’écologie des idées, il ne manque pas de flèches ou d’affinités, mais bien d’archers. Un archer ? Celui qui se fabrique une configuration du réel qui ne l’épuise pas à l’avance, technicien de ses branchements sur le monde qui y puiser là sa puissance d’agir, la force de tirer sa flèche.

Alors sans doute existe-t-il là aussi autant de techniques de tir que d’intestins. Mais celles-ci ont toujours cela de commun qu’elles ne se réfugient pas derrières de nouveaux murs afin d’éviter les bombardements passifs de ces invasions barbares des images d’un monde commun … qui fait au final bien peu communauté.

Parmi les branchements possibles de l’archer, expérimenter son propre cinéma est peut-être bien l’une de ces techniques de digestion au coeur de l’époque.

Comme proposé précédemment, si la production matérielle crée les moyens nécessaires à la vie sociale, la production immatérielle (images, idées, mode de relations, etc.) celle-ci tend à créer la vie sociale elle-même.

Pour mieux le comprendre, ou tout du moins le voir autrement, faisons une nouvelle fois appel à l’analogie végétale.

Le végétal est de très loin le plus important producteur primaire d’énergie sur la planète. On le dit autotrophe, son travail « matériel » consistant à capturer des photons solaires pour in fine transformer et stocker cette énergie sous la forme de liaisons chimiques exploitables par le reste du vivant. C’est la photosynthèse.

Par suite, la vache mâche de l’herbe, en produit le lait et ou la viande que nous buvons. Sur ce plan « matériel », l’homme est un animal hétérotrophe consommateur et dissipateur d’énergie. Il n’incorpore qu’une petite partie de l’énergie contenue dans la viande comme le lait, le reste étant dissipé sous forme de déchets, consommé dans l’activité même de digestion.

Imaginons un instant que l’émergence du système mental de l’homme puisse être vue comme une activité « photo-synthétique » singulière. Il ne s’agirait plus ici de produire une énergie exploitable concentrée sous la forme de liaisons chimiques, mais cette fois de  plier des photons dans des images.

Des images nourricières à mettre en circulation dans l’espace et le temps. Dans le monde des hommes dans un premier temps, dans le monde des choses par la suite du fait des nouvelles pratiques et usages qui découlent de leur manipulation.

Nous retombons alors sur cette production « immatérielle » qui nourrit le commun de la banque d’image sociale, produit en retour la vie sociale elle-même à mesure que les images des uns deviennent la matière première de celles des autres membres du réseau de l’écologie des idées.

Car produire une image c’est capturer, sélectionner, condenser et établir certaines liaisons dans le monde. Et de leur manipulation, recombinaison et déploiement par les autres membres de l’essaim social, ces images libèrent une certaine énergie de production immatérielle.
Ainsi pouvons nous dire que dans l’immatériel, l’homme est un producteur primaire d’énergie, et sans doute lui aussi à partir d’une certaine photosynthèse lumineuse. Sa production synthétise en pliant des potentiels d’énergie immatérielle dans des images.

L’animal avec ses antennes tactiles capturantes fonctionne tel un producteur d’image primaire. Emerge de son système mental comme une certaine capacité à photo-synthétiser. L’animal, et tous particulièrement l’homme, condense à sa manière les photons. Il établit des liaisons dans le monde sous la forme d’images, images dont le déploiement libère une certaine énergie de production immatérielle, c’est-à-dire de production de vie sociale.

Conclusion de cette petite analogie, produire de la vie sociale revient à produire de nouvelles surfaces d’échange, comme à maximiser celles déjà existantes.

« [...] nous reconnaissons dans tous les objets dont nous avons appris à nous servir l’action que nous accomplissons à leur aide, avec la même sureté que leur forme et leur couleur [...] toute nouvelle expérience active entraine de nouvelles attitudes vis-à-vis de nouvelles impressions. De nouvelles connotations d’activité servent alors à créer de nouvelles images actives. »

Jacob von Uexküll

Masques ecologie

« Aussi longtemps que nous ne sommes pas dominés par des sentiments qui sont contraires à notre nature, la puissance de l’esprit, par laquelle il s’efforce de comprendre les choses, n’est pas empêchée, et par conséquent il a le pouvoir de former des idées claires et distinctes et de les déduire les unes des autres. »

Spinoza, Ethique 5, démonstration X


Parmi tout ce qui empêche cette croissance des surfaces d’échanges, la difficile question des droits d’auteurs. En n’autorisant pas le réusage des images, tout du moins de certains de leur fragments à des fin de recombinaison digestives, matières premières des nouvelles créations dans ce que l’on pourrait appeler à la suite de Gregory Bateson une écologie des idées, nous privons ainsi l’individu d’une grande partie de ses capacités d’appropriation comme de branchement au monde.

Agissant de la sorte, nous lui signifions juste qu’il se doit de digérer, comme ça et pas autrement, ce que quelqu’un d’autre a déjà recombiné du réel, dans un collectif, dans la toile d’agencement des diverses gratuités du monde. First in – last out.

De la multitude co-existante à toute création individuelle, comme du développment des techniques qui le soulignent, il semble évident que la question de l’auteur se doit d’être aujourd’hui très largement repensée. Nous sommes ici dans l’univers du difficile calcul de l’équivalent des travaux, ou comment rémunérer ce que chacun apporte à la société. Une question dont les termes sont déjà solidement fixés par Aristote dans le livre cinq de l’éthique à Nicomaque.

Pour ce qui est de notre époque, et là où les discours autour de la figure de l’auteur ne peuvent que tourner en boucle, c’est précisément que ceux que nous avons appelé les individus-adultes-voitures de masse, ceux-là sont produits privés en eux-mêmes de l’accès à la production comme à la recombinaison des images. Cette qualité ou capacité demeure à conquérir de force.

http://www.dailymotion.com/video/k5vIt2pYxYpvgKCe7vMontage archives cinématographiques, perspective individus-adultes-voitures de masse

Mais ce qu’il faut bien entendre, c’est que nous ne parlons surtout pas ici de compétences techniques mais de technique de soi.
Il ne s’agit pas de devenir cinéaste pour de vrai, il s’agit d’apprendre à apprendre à digérer, rendre compatible avec notre nature, ces images qui nous bombardent du dehors.
Soit savoir pratiquer une certaine technique d’incorporation à travers la mise en place d’artifices, reconnus comme tel, mais qui vont produire leurs effets dans le réel en participant à cette photo-synthèse, petite danse de soi nourrissant cet accroissement des surfaces d’échange qui coproduit de la vie sociale.

L’artifice du faire son cinéma, c’est réaliser son propre montage du réel, désirer y découvrir quelque chose de soi et du monde. Visualiser sa maison d’époque en simulant la sélection, la découpe permanente que nous faisons du monde des choses.
C’est aussi se dédoubler sous la forme d’un récit-montage de ses propres archives cinématographiques, précisement afin de rendre perceptibles à l’écran ces affinités qui nous animent.

Proust visionnaire d’un temps retrouvé : « La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c’est la littérature. Cette vie qui en un sens, habite à chaque instant chez tous les hommes aussi bien que chez l’artiste. Mais ils ne la voient pas parce qu’ils ne cherchent pas à l’éclaircir. Et ainsi leur passé est encombré d’innombrables clichés qui restent inutiles parce que l’intelligence ne les a pas développés. Notre vie ; et aussi la vie des autres car le style pour l’écrivain aussi bien que la couleur pour le peintre est une question non de technique, mais de vision. »

L’archer fait son cinéma, une certaine technique de digestion de ses archives cinématographiques. De ces innombrables clichés qui restent inutiles parce que l’intelligence ne les a pas développés, il tente de les déplier en tant que préalable à une certaine vision de ses actions dans le monde.
Il participe ainsi de ce recyclage nécessaire de l’écologie des idées, aération et accroissement des surfaces d’échanges et de contacts, participant ainsi à son échelle à cette production immatérielle de la vie sociale.

Un montage ? Un environnement ? Une configuration dynamique, un organe sensoriel non localisé: un modèle de danse qui capture d’autres modèles de danse.

http://www.dailymotion.com/video/k6U7OswF6ts3CcSz63Montage archives cinématographiques, perspective sur les arrières goûts de l’affect « digestif » mélancolie

La mortification du présent

paysage

Le discours écologiste nous offre aujourd’hui une foule de concepts  »rateaux » finalement très peu questionnés à mesure qu’ils contaminent nos pensées. Développement durable, sauver la planète, générations futures, etc …
Voilà sans doute l’effet d’un discours qui précède encore à bien des égards ses usages, les mots manquant de cette manipulation épuratoire qui consiste aussi à les déshabiller de leurs masques anciens (moraline, religiosités, transcendance et finalisme de tout poil).

Une note de Thierry Pech parue sur le blog de 24 heures Philo questionne ainsi de manière nécessaire l’argument des générations futures.

 » Un argument a priori imparable revient depuis quelques années dans les débats sur l’environnement, la dette publique ou plus largement l’éthique ou l’avenir de la démocratie : l’argument des générations futures. Il faudrait prendre soin d’elles, anticiper leurs besoins, les inviter dans les débats d’aujourd’hui, les représenter, leur donner la parole… Depuis le Principe Responsabilité de Hans Jonas, leur prise en compte s’impose comme une nouvelle dimension de la vie politique et éthique. Ceux qui l’oublient passent rapidement pour des irresponsables, des fous ou d’incurables égoïstes. Du coup, cet argument en vient à prendre la forme d’un absolu indiscutable et d’ailleurs indiscuté. C’est précisément là que les choses pourraient commencer à déraper (…)  » Lire la suite et les commentaires associés.

Paysage éthique

http://www.dailymotion.com/video/k2TvJUhAfjFRYYPApC
Vid: d’après le film documentaire la planète bleue. Audio: d’après Gilles deleuze, cours sur Spinoza. Fond sonore : Arno, la vie est une partouze.

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Faire son écologie dans un paysage éthique ? Un paysage dans lequel on ne peut définir un animal, un homme ou une chose par sa forme, ses organes ou ses fonctions, mais par les affects dont il est capable. A quoi tel ou tel corps est-il indifférent dans le monde infini, à quoi réagit-il positivement ou négativement, quels sont ses aliments, quels sont ses poisons, qu’est-ce qu’il prend dans son monde ?
Capacité à affecter et à être affecter des corps, chimie des modes d’existence sur un plan naturel d’immanence qui ne cesse d’être composé et recomposé par les puissances en acte des individus et collectivités existantes.

Petite visite fragmentaire de cette singulière cartographie des corps d’après les cours de Deleuze sur Spinoza – la voix de Gilles Deleuze en ligne.

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Cours 2 du 09/12/1980 – 1 (transcription de Lucie Fossiez)

« (…) Lorsqu’on parle d’une éthologie à propos des animaux, ou même d’une éthologie à propos de l’homme, il s’agit de quoi ? L’éthologie au sens le plus rudimentaire c’est une science pratique, de quoi ? Une science pratique des manières d’être.

(…)

Mon hypothèse, c’est que le discours de l’éthique a deux caractères : elle nous dit que les étants ont une distinction quantitative de plus et de moins, et d’autre part, elle nous dit aussi que les modes d’existence ont une polarité qualitative, en gros, il y a deux grands modes d’existence. Qu’est-ce que c’est ?

Quand on nous suggère que, entre vous et moi, entre deux personnes, entre une personne et un animal, entre un animal et une chose, il n’y a éthiquement, c’est à dire ontologiquement, qu’une distinction quantitative, de quelle quantité s’agit-il ? – Quand on nous suggère que ce qui fait le plus profond de nos singularités, c’est quelque chose de quantitatif, qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire ? Fichte et Schelling ont développé une théorie de l’individuation très intéressante qu’on résume sous le nom de l’individuation quantitative. Si les choses s’individuent quantitativement, on comprend vaguement. Quelle quantité ? Il s’agit de définir les gens, les choses, les animaux, n’importe quoi par ce que chacun peut.

Les gens, les choses, les animaux se distinguent par ce qu’ils peuvent, c’est à dire qu’ils ne peuvent pas la même chose. Qu’est-ce que c’est ce que je peux ? Jamais un moraliste ne définirait l’homme par ce qu’il peut, un moraliste définit l’homme par ce qu’il est, par ce qu’il est en droit. Donc, un moraliste définit l’homme par animal raisonnable. C’est l’essence. Spinoza ne définit jamais l’homme comme un animal raisonnable, il définit l’homme par ce qu’il peut, corps et âme. Si je dis que « raisonnable » ce n’est pas l’essence de l’homme, mais c’est quelque chose que l’homme peut, ça change tellement que déraisonnable aussi c’est quelque chose que l’homme peut.

On définit les choses par ce qu’elles peuvent, ça ouvre des expérimentations. C’est toute une exploration des choses, ça n’a rien à voir avec l’essence. Il faut voir les gens comme des petits paquets de pouvoir. Je fais comme une espèce de description de ce que peuvent les gens.

Du point de vue d’une éthique, tous les existants, tous les étants sont rapportés à une échelle quantitative qui est celle de la puissance. Ils ont plus ou moins de puissance.

Cette quantité différenciable, c’est la puissance. Le discours éthique ne cessera pas de nous parler, non pas des essences, il ne croit pas aux essences, il ne nous parle que de la puissance, à savoir les actions et passions dont quelque chose est capable. Non pas ce que la chose est, mais ce qu’elle est capable de supporter et capable de faire. Et s’il n’y a pas d’essence générale, c’est que, à ce niveau de la puissance tout est singulier. On ne sait pas d’avance alors que l’essence nous dit ce qu’est un ensemble de choses. L’éthique ne nous dit rien, ne peut pas savoir. Un poisson ne peut pas ce que le poisson voisin peut. Il y aura donc une différenciation infinie de la quantité de puissance d’après les existants. Les choses reçoivent une distinction quantitative parce qu’elles sont rapportées à l’échelle de la puissance.

(…)

J’ai telle ou telle puissance et c’est cela qui me situe dans l’échelle quantitative des êtres. Faire de puissance l’objet de la volonté c’est un contresens, c’est juste le contraire. C’est d’après la puissance que j’ai que je veux ceci ou cela. Volonté de puissance ça veut dire que vous définirez les choses, les hommes, les animaux d’après la puissance effective qu’ils ont. Encore une fois, c’est la question : qu’est-ce que peut un corps ?

C’est très différent de la question morale : qu’est-ce que tu dois en vertu de ton essence, c’est qu’est-ce que tu peux, toi, en vertu de ta puissance. Voilà donc que la puissance constitue l’échelle quantitative des êtres. C’est la quantité de puissance qui distingue un existant d’un autre existant. Spinoza dit très souvent que l’essence c’est la puissance.

(…)

Cours du 09/12/80 – 2 (transcription de Christina Roski)

S’il est vrai que toute puissance est en acte, ça veut dire à chaque instant elle est effectuée. Jamais vous en aurez un instant où ma puissance aura quelque chose d’ineffectuée. En d’autres termes vous n’aurez jamais le droit de dire : » il y avait en moi quelque chose de mieux de ce que j’ai fait ou de ce que j’ai subit « . A chaque instant tout est en acte. A chaque instant ma puissance est effectuée. Elle est effectuée par quoi ? Si toute puissance est en acte – vous voyez je fais une série de notions d’identité, de concepts. Je dis puissance = acte pour Spinoza. Dès lors, toute puissance, à chaque instant, est effectuée. D’où la question, qu’est-ce que ce qui est effectue à chaque instant

La puissance ? Là il y a une question de terminologie de Spinoza très importante. Spinoza appellera     » affect « , ce qui effectue la puissance. Le concept de puissance chez Spinoza sera en corrélation avec le concept d’affect. L’affect, ça se définit exactement comme ceci :  » ce qui à un moment donné remplit ma puissance, effectue ma puissance « . Donc vous voyez, dire que ma puissance est effectuée c’est dire qu’elle est effectuée par des affects. Ca veut dire, à chaque instant des affects remplissent ma puissance. Ma puissance est une capacité qui n’existe jamais indépendamment des affects qu’il effectue

(…)

Donc tant que je restais au concept de puissance je pouvais vous dire qu’une chose : à la rigueur, je ne comprends pas comment, mais les existences se distinguent quantitativement parce que la puissance est une quantité d’un certain type. Donc, ils ont plus ou moins de puissance. Mais, deuxièmement, je vois que la puissance est une notion qui n’a de sens qu’en corrélation avec celle d’affect. Puisque la puissance est ce qui est effectuée et c’est l’affect qui effectue la puissance. Cette fois-ci, sans doute, ce sera du point de vue des affects qui effectuent ma puissance que je pourrais distinguer les modes d’existence. Si bien que deux idées deviendraient très cohérentes : dire à la fois, il n’y a qu’une distinction quantitative selon la puissance entre les existants et dire il y a une polarité qualitative entre deux modes d’existence, la première proposition renverrait à la puissance acte, la seconde proposition renverrait à ce qui fait de la puissance un acte c’est-à-dire ce qui effectue la puissance, c’est-à-dire l’affect.

Il y aurait comme deux pôles de l’affect, d’après lesquels on distingue les deux modes d’existence. Mais l’affect, à chaque moment, remplit ma puissance et l’effectue. Qu’est-ce que ça veut dire ça, l’affect, à chaque moment, remplit ma puissance et l’effectue ? Là Spinoza insiste beaucoup sur les choses, il tient énormément à la vérité littérale de ça. Un aveugle alors, ce n’est pas quelqu’un qui a une vue potentielle. Là aussi il n’y a rien qui soit en puissance et non effectué. Tout est toujours complètement effectué. Ou bien il n’a pas de vue du tout, c’est-à-dire il n’a pas la puissance de voir. Ou bien il a gardé des sensations lumineuses très vagues et très floues. Et c’est les affects qui effectuent sa puissance telle qu’elle est. Il y a toujours effectuation de la puissance. Simplement voilà, ça n’empêche pas. Donc vous comprenez bien cette idée de l’affect. L’affect c’est qu’il va remplir ma puissance. Je peux, je me définis par un pouvoir, une puissance. Les affects, c’est à chaque moment ce qui remplit ma puissance.

Alors, l’affect ce sera quoi ? Ca peut être des perceptions. Par exemple des perceptions lumineuses, des perceptions visuelles. Des perceptions auditives. C’est des affects. Ca peut être des sentiments, ce sont des affects aussi. L’espoir, le chagrin, l’amour, la haine, la tristesse, la joie, c’est des affects. Les pensées sont des affects. Ca effectue ma puissance aussi. Donc je m’effectue sous tous les modes, perceptions, sentiments, concepts, etc. Ca, ce sont des remplissements, des effectuations de puissance. Alors peut-on dire est-ce que cela veut dire que les affects ont deux pôles ? Là Spinoza essaie d’expliquer quelque chose que je veux esquisser là puisqu’on le reprendra la prochaine fois, ça serait trop difficile d’en parler maintenant. Il dit : en gros, il y a deux pôles de l’existence. Les deux pôles c’est la tristesse et la joie. Ce sont les deux affects de base. Il fait toute une théorie des passions, où la tristesse et la joie sont les deux affects de base. C’est-à-dire tous les autres affects dérivent de la tristesse et de la joie.

Comment se distinguent ces deux affects de tristesse et de joie ? Vous comprenez, c’est juste là ça devient un petit peu difficile. Alors il faut la vivre. Quand c’est difficile à penser il faut essayer de le vivre. Il nous dit, tous les deux, les tristesses comme les joies effectuent ma puissance, c’est-à-dire remplissent mon pouvoir. Ca l’effectue et ça l’effectue nécessairement. Au moment où j’ai compris l’affect il n’est pas question que ma puissance puisse être effectuée d’une autre façon. L’affect qui vient, lui, c’est lui qui remplit ma puissance. C’est un fait, c’est comme ça. Vous ne pourrez pas dire, quelque chose d’autre aurait pu arriver. Non, c’est ça qui remplit votre puissance. Votre puissance, elle, est toujours remplie mais par des affects variables. Je suppose que ce soit une tristesse qui vous remplisse, qui remplisse votre puissance. Qu’est-ce qui se passe ? Voilà l’idée très curieuse de Spinoza. La tristesse, elle remplit ma puissance mais la remplit de telle manière que cette puissance diminue. Ca, il faut comprendre. Ne cherchez pas une contradiction. Il y a des manières. Je vais procéder par ordre.

Ma puissance est supposée être une certaine quantité, quantité de puissance. Deuxième proposition, elle est toujours remplie. Troisième proposition, elle peut être remplie par des tristesses ou des joies. Ce sont les deux affects de base. Quatrième proposition, quand elle est remplie par la tristesse, elle est complètement effectuée mais elle est effectuée de manière à diminuer. Quand elle est remplie par des joies, elle est effectuée de manière à augmenter.

Pourquoi ça ? On le verra la prochaine fois, pourquoi il dit tout ça. J’essaie de dire ce qu’il dit pour le moment ou ce qu’il me semble bien qu’il le dit. On sent qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Mais si on comprenait ce qui ne va pas, on comprendrait en même temps quelque chose d’étonnant. Il nous dit à chaque instant ma puissance est tout ce qu’elle peut être, elle est toujours effectuée, mais elle était effectuée par des affects dont les uns la diminuent et les autres l’augmentent. Cherchez bien, il n’y a pas de contradiction. Il y a plutôt un étonnant mouvement de pensée parce que là aussi c’est bien. Quand je disais tout concept philosophique a plusieurs épaisseurs, a plusieurs niveaux, jugez-le à un niveau, vous ne l’aurez pas épuisé il y a un autre niveau. Au premier niveau, je dirais Spinoza nous dit : « il faut bien procéder du plus simple au plus compliqué. Dans tous les arts, on fait comme ça, et dans toutes les sciences, on fait comme ça ». Spinoza, à un premier niveau, nous dit : « Je définis les choses, les êtres etc. par une quantité de puissance. Il ne veut pas en dire trop, il ne veut pas s’expliquer complètement. Et le lecteur comprend tout seul que cette quantité de puissance c’est comme une quantité absolue pour chacun.

Deuxièmement, il dit que ce qui remplit la puissance à chaque instant ce sont des affects, ou de tristesse ou de joie. Troisièmement, or les affects de tristesse effectuent ma puissance de telle manière que ma puissance est diminuée, les affects de joie effectuent la puissance de telle manière que la puissance est augmentée. Qu’est-ce qu’il est en train de nous dire ? C’est comme s’il parlait, écoutez bien, il parle par ma bouche. Il vous dit : « J’avais bien être forcé de faire dans la première proposition comme si la puissance était une quantité fixe mais en fait et c’est déjà par là que la puissance est une quantité très bizarre, la puissance n’existe que comme rapport entre des quantités. La puissance en elle-même n’est pas une quantité, c’est le passage d’une quantité à l’autre. Je dirais à la lettre, là j’invente un mot parce que j’en ai besoin, c’est une quantité transitive. C’est une quantité de passage.

Dès lors, si la puissance est une quantité de passage, c’est-à-dire c’est moins une quantité qu’un rapport entre quantités, Il est bien forcé que ma puissance soit nécessairement effectuée mais que quand elle est nécessairement effectuée, elle ne peut être effectuée que dans un sens ou dans l’autre, c’est-à-dire de telle manière qu’en tant que passage elle soit passage à une plus grande puissance ou passage à une puissance diminuée. C’est beau ça. C’est bien. Là il vit quelque chose de très profond concernant ce qu’il faut appeler puissance. Donc, être une manière d’être c’est précisément être un passage. Être un mode, une manière d’être c’est ça. La puissance n’est jamais une quantité absolue, c’est un rapport différentiel. C’est un rapport entre quantité de telle manière que l’effectuation va toujours dans un sens ou dans l’autre. Dès lors, vous aurez deux pôles de l’existence, deux modes d’existence. Exister sur le mode ou je remplis ma puissance ; j’effectue ma puissance dans de telles conditions que cette puissance diminue et l’autre mode d’existence, exister sur un mode ou j’effectue ma puissance de telle manière que cette puissance augmente (…) »

Animal aux aguets

G. Bateson: le problème du contrôle est davantage lié à l’art qu’à la science.

Image de prévisualisation YouTube 
Note de Gregory Bateson extraite de vers une écologie de l’esprit, tome 2éditions du Seuil, 1980.  Troisième section: forme et pathologie des relations, exigences minimales pour une théorie de la schizophrénie.

Qu’est-ce que l’homme ?

Si l’on m’avait demandé, il y a quinze ans, ce que j’entendais par le mot «matérialisme», je crois que j’aurais répondu que le matérialisme est une certaine théorie de l’univers, et j’aurais considéré comme allant de soi l’idée que cette théorie ne pouvait en rien être liée à une morale.

J’aurais, à l’époque, convenu du fait que le savant est un expert qui peut fournir, à lui-même et aux autres, des intuitions et des techniques, mais aussi de ce que ce n’était pas à la science qu’il revenait de se prononcer en faveur ou non de l’utilisation de ces techniques.

J’aurais en cela suivi un courant de pensée continu en philosophie des sciences, qu’illustrent les positions de savants aussi connus que Démocrite, Galilée, Newton , Lavoisier et Darwin.

J’aurais ainsi fait abstraction, en les tenant pour moins respectables, des idées d’Héraclite, des alchimistes, de William Blake, de Lamarck et de Samuel Butler. Pour ces derniers, la motivation véritable de leurs recherches scientifiques était leur désir d’élaborer une conception globale du monde, qui montrerait ce qu’est l’homme et quels sont ses liens avec le reste de l’univers. La vision du monde que de tels hommes essayaient de construire était donc à la fois éthique et esthétique. Il existe, me semble-t-il, de nombreux rapports entre, d’une part, la vérité scientifique et, d’autre part, la beauté et la moralité : la preuve en est, pour moi, que, si un homme entretien des idées fausses en ce qui concerne sa propre nature, il sera nécessairement amené à commettre des actions qui seront profondément immorales et laides. (i.e. dernière proposition et formulation « idée fausse », « propre nature », « necessairement », à rapprocher d’une ligne – éthique - spinoziste.)

Confronté aujourd’hui à la même question sur le matérialisme, je répondrais plutôt que celui-ci représente, pour moi, un ensemble de règles concernant les questions qu’il convient de se poser sur la nature de l’univers. Mais je ne prétendrai aucunement que cet ensemble de règles ait aucun droit à la vérité absolue.

Le mystique «voit le monde dans un grain de sable», et le monde qu’il voit est soit moral, soit esthétique, soit les deux en même temps. Les newtoniens, eux, observent une régularité dans la chute libre des corps physiques et prétendent ne tirer, de cette régularité, aucune conclusion normative. Mais cette prétention devient illégitime à partir du moment où ils prêchent que la régularité qu’ils postulent est la seule vision juste de l’univers ; car prêcher n’est possible qu’en termes, précisément, de conclusions normatives.

Au cours de cette conférence, j’ai plusieurs fois abordé des thèmes qui ont déjà prêté à controverses, au cours des longues querelles qui ont opposé un matérialisme amoral et une vision plus romantique de l’univers. La controverse, par exemple, qui a opposé Darwin et Butler a pu sembler devoir une partie de son aigreur à des attaques personnelles, mais il n’empêche que tous ces affrontements dissimulaient un problème dont le fond était religieux. Le vrai combat portait, en fait, autour du «vitalisme», le problème étant de savoir quelle quantité et quel ordre de vie pouvaient être attribué aux organismes. La victoire de Darwin tient au fait que, bien qu’il n’ait pas réussi à porter définitivement atteinte à l’idée d’une vitalité mystérieuse de l’organisme individuel, il a, au moins, démontré que le tableau de l’évolution peut se ramener à une loi naturelle.

Il était donc extrêmement important, à l’époque, de démontrer que ce territoire encore vierge qu’était celui de la vie de l’organisme individuel ne pouvait plus être arraché au champ de l’évolution. Il semblait encore mystérieux que les organismes vivants puissent réaliser des changements adaptatifs durant leur vie individuelle, et il ne fallait à aucun prix que ces changements – les fameux «caractères acquis» – vinssent influencer l’arbre de l’évolution. L’«hérédité des caractères acquis» menaçait continuellement de reprendre, au profit des vitalistes, le terrain gagné par les évolutionnistes. La biologie devait être scindée en deux : les hommes de science «objectifs» clamèrent évidemment leur foi dans l’unité d’une nature qui, dans toutes ses manifestations, serait un jour accessible à leur analyse, cela n’empêchant en rien que, pendant ceint ans, on convînt qu’il fallait dresser un écran opaque entre la biologie de l’individu et la théorie de l’évolution. La mémoire «héritée» de Butler n’était qu’une attaque contre cet écran.

La question que je poserai, pour conclure cet exposé peut être formulée de plusieurs façons : la querelle entre un matérialisme amoral et une conception plus mystique de l’univers peut-elle être affectée par un changement dans la fonction attribuée aux «caractères acquis» ? La vieille thèse du matérialisme repose-t-elle vraiment sur le principe que les contextes sont isolables ? Ou bien notre conception du monde change-t-elle si l’on admet un enchaînement infini de contextes, reliés entre eux dans un réseau complexe de métarelations ? Notre position, dans la controverse, peut-elle être modifiée par l’éventualité que les différents niveaux de changements stochastiques (soit dans le phénotype, soit dans le génotype) soient liés au contexte plus vaste du système écolo ?

En renonçant au postulat que les contextes sont toujours conceptuellement isolables, j’ai par là même introduit l’idée d’un univers plus unifié – et, en ce sens, plus mystique – que l’univers conventionnel du matérialisme amoral. Pouvons-nous donc, à partir de cette position nouvelle, espérer que la science répondra un jour aux questions morales et esthétique.

J’estime que notre position a changé de façon significative. Je peux peut-être vous en persuader en examinant ici un problème sur lequel – en tant que psychiatres – vous vous êtes certainement maintes fois penchés : je veux dire le «contrôle» et tout ce que nous suggèrent des mots comme «manipulation», «spontanéité», «libre arbitre» et «technique». Vous conviendrez facilement avec moi que, plus que toutes autres, nos idées sur le «contrôle», quand elles reposent sur des prémisses fausses en ce qui concerne la nature du «soi» et ses relations avec les autres, peuvent engendrer la destruction et la laideur. Un être-humain en rapport avec une autre personne n’exerce qu’un contrôle très limité sur ce qui peut arriver dans cette relation. Il n’est qu’une partie d’une unité à deux personnes, et le contrôle que chacune des deux parties peut exercer sur l’ensemble est strictement limité.

Le rail à l’infini des contextes, dont je parlais plus haut, n’est qu’un autre exemple de ce même phénomène. Ma contribution en cette matière peut se résumer ainsi : la contradiction entre le tout et la partie, chaque fois qu’elle apparaît dans le domaine de la communication, est tout simplement une contradiction dans les types logiques. Le tout est toujours en métarelation avec ses parties. De même qu’en logique la proposition ne peut jamais déterminer la métaproposition, de même, dans le domaine du contrôle, le contexte ne peut déterminer le méta-contexte. J’ai remarqué, à propos notamment des phénomènes de compensation phénotypiques, que, dans les hiérarchies des types logique, il y a souvent changement de sens à chaque niveau, lorsque les niveaux sont liés entre eux de manière a créer un système auto correcteur. Ce phénomène apparaît sous forme de diagramme simple dans la hiérarchie d’initiation que j’ai pu étudier en Nouvelle-Guinée : les initiateurs sont les ennemis naturels des novices parce que leur tâche est de les former en les malmenant. Mais, en même temps, ceux qui ont autrefois initié les initiateurs actuels ont pour rôle de critiquer la façon dont se déroule l’initiation, ce qui en fait les alliés naturels des novices. Et., ainsi de suite. Un phénomène semblable peut être observé dans les collèges américains, où des alliances tendent à se nouer entre les première et troisième années, d’une part, et entre les deuxièmes et quatrième, de l’autre.

Cela nous conduit à une conception du monde qui reste encore quasi inexplorée. La complexité de cette vision peut être, en partie, suggérée par une analogie grossière et bien imparfaite. Nous pouvons comparer le fonctionnement de ces hiérarchies aux tentatives de conduire, en marche arrière, un camion auquel sont attachées une ou plusieurs remorques : chacune des segmentations d’un tel système manifestera une inversion de sens, alors que chaque segment ajouté entraînera une chute brutale de la capacité de contrôle du conducteur. Si le système est parallèle, par exemple, au côté droit de la route, et que le conducteur veuille que la première remorque s’approche de ce côté droit, il doit tourner ses rouer avant vers sa gauche ; ainsi, l’arrière du camion sera éloigné du côté droit de la route, de façon que l’avant de la remorque soit dirigé vers le côté gauche. Ce mouvement, à sot tour, portera vers la droite l’arrière de la remorque. Et ainsi de suite.

Toute personne ayant tenté une fois cette manœuvre sait que la possibilité de contrôle diminue rapidement. Même la marche arrière avec une seule remorque est difficile car le nombre d’angles sur lesquels peut s’exercer le contrôle est très limité. Si la remorque est dans l’alignement – ou à peu près dans l’alignement – du véhicule, alors le contrite est, assez aisé ; mais, à force de s’éloigner de l’axe longitudinal, il arrive un moment où l’on perd le contrôle et où toute tentative de le reprendre ne pourra que provoquer un déséquilibre du système. Avec deux remorques, le seuil de déséquilibre est atteint encore plus vite, et la possibilité de contrôle devient, par conséquent, presque négligeable.

A mes yeux, le monde est constitué d’un réseau (plutôt que d’une chaîne) très complexe d’entités qui entretiennent ce genre de relations, à ceci près que beaucoup d’entre elles possèdent leur propre source d’énergie et, parfois même, leurs propres «idées» de l’endroit où elles veulent aller.

Dans un tel monde, le problème du contrôle est davantage lié à l’art qu’à la science, d’abord parce que nous sommes enclins à considérer que la difficulté et l’imprévisible sont des contextes nécessaires à l’art, mais surtout parce que le résultat de l’erreur est, la plupart du temps, la laideur.

Laissez-moi, pour conclure, mettre en garde les spécialistes des sciences sociales que nous sommes. Nous devons réfréner notre désir de contrôler ce monde que nous comprenons si mal. Ne laissons pas le sentiment de l’imperfection de notre savoir alimenter notre angoisse et, par conséquent, notre besoin de contrôle. Que nos recherches soient plutôt inspirées par un motif ancien et, hélas, aujourd’hui délaissé : la simple curiosité envers ce monde dont nous faisons partie. La récompense d’une telle attitude n’est pas le pouvoir, mais la beauté.

Car c’est un fait bien singulier, que tous les grands progrès scientifiques – et ceux accomplis par Newton ne sont pas les moindres – ont été élégants.

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+ Une théorie du jeu et du fantasme / Gregory Bateson (blog Le silence qui parle)




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