Peut-on parler ou soutenir la biodiversité avec des discours qui ne soient pas eux-mêmes diversifiés ?
Sensibiliser à l’écologie ? A quoi et dans quel monde ? Deux questions comme autant d’hypothèses de travail devraient se poser immédiatement.
Dans quelles représentations dominantes du monde vivons-nous aujourd’hui le plus généralement ?
Pour le dire très/trop simplement. Un désenchantement global qu’accompagne peut-être la perte des illusions collectives au regard du XXème, et une ambiance de fin de l’histoire qui fait que chacun développe vis-à-vis de la nature humaine une image le plus souvent négative. A partir de là, certains vont trouver refuge dans une certaine nature, qui elle est très gentille, tout du moins trop gentille pour être totalement vécue, quand d’autres vont se fixer sur un critère bien particulier, récolter du billet vert, consommer et après moi le déluge. Peu ou prou, ces deux attitudes qu’on pourrait résumer par les slogans suivants « moi je préfère les chiens aux hommes » en mode Alain Delon et « moi je préfère le dollar au futur » à la mode de mon cousin russe, certes moins connu, ces deux slogans semblent devoir être assez proches les uns des autres. Conséquences ou symptômes d’un désenchantement initial et/ou d’un manquement de présence au monde qui serait tout à fait commun.
Dans un tel contexte, hypothèse de travail, il semble donc important de renvoyer l’auditoire à des images positives de lui-même, c’est-à-dire à de nouvelles actions et combinaisons possibles de l’homme dans la nature.
Au fait, sensibiliser à quoi ?
Si l’écologie est bien une révolution de nos modes de pensées, nouvelle réforme de l’entendement, alors celle-ci se décline directement sur la question des modes d’existence de chacun. Soit une éthique individuelle qui se demanderait : quels rapports nouveaux, la douceur étant ici sans doute plus à chercher dans la réflexion que dans les rapports eux-mêmes, quels nouveaux rapports vais-je donc pouvoir établir avec mon environnement, avec les humains et les non-humains qui le composent ? Soit le présupposé d’une définition de l’écologie qui serait la suivante : l’art de multiplier, comme de faire cohabiter, perspectives et usages sur une même « ressource » (récréatifs, productifs, esthétiques, spirituels, environnementaux …), que celle-ci soit d’ailleurs une plante verte, une langue ancienne, un centre urbain etc.
Par exemple, et pour le dire assez schématiquement, quels sont les rapports que j’entretiens aux arbres ? De quoi suis-je capable – faire, penser, imaginer, vouloir, etc. – , quand je rencontre un arbre ?
Dans la pratique …
Poursuivons notre exemple arboricole. A écouter les argumentaires classiques de type ADEME, nous passons donc d’une époque où l’arbre n’était majoritairement visible qu’en tant que moyen de chauffage et/ou matériel de construction, à une époque où il est proclamé que celui-ci doit également devenir visible en tant que puits à carbone. Autrement dit, on ne sort pas aujourd’hui plus qu’hier d’une vision productiviste qui continue d’épuiser toutes autres perspectives possible sur l’arbre.
Voilà donc un argumentaire qui, malgré son utilité immédiate, ne procure au final rien de bien neuf ou de véritablement durable, une fois présupposé que la problématique principale qui nous concerne est bien celle du désenchantement global de ses rapports au monde, conséquence d’un point de vue « monopolistiquement » productiviste sur celui-ci.
Avec ces argumentaires de type « plantons des puits à carbone », ne reste donc plus qu’à produire des puits à la chaîne, pour sans doute les mêmes effets au final : une administration administrante, des fonctionnaires du bien-être social enfermés dans leurs certitudes, une curiosité individuelle au monde réduite à peu de chose.
Cependant, et voilà qui est heureux, il semble que la population et les individus qui la composent ne soient pas dupes de ce risque là. Lucidité du connu, trop connu. D’où la crispation de certains qui s’exprime aussi, si l’on veut bien écouter, dans une condamnation des attitudes moralistes des verts, la crispation des autres exprimée dans un discours en apparence simpliste sur le retour à l’âge des cavernes.
Et ainsi de suite dans le brouhaha public pour in fine aboutir au paradoxe suivant : l’écologie est une préoccupation grandissante, mais surtout ne pas voter pour plus d’écologie. Or l’écologiste analyse ce paradoxe en se disant, si l’écologie a du mal à passer dans les esprits, c’est avant tout pour des raisons monétaires et budgétaires, ça coûte plus cher and so on. Mais voilà qui est faire beaucoup de place à l’économie dans les discours, et bien peu au désir des gens. Or ce que l’écologiste ne comprend pas, ou plutôt ne sait pas faire, c’est bien de capter le désir. Historiquement, il sait comment capter l’attention dans les médias sur fond de catastrophe annoncée, mais il ne sait pas rendre ses propos suffisamment désirables. Produire du désir, non pas pour le rabattre sur un produit comme le font très bien les publicitaires, qui eux ont bien compris que c’est le désir qui fait le produit et pas son prix, mais bien pour ouvrir les désirs individuels à d’autres mondes possibles.
Des images positives de l’environnement …
Pour le professionnel de l’environnement, participer dans ses argumentaires à construire des images positives des actions de l’homme dans son environnement devrait le conduire prioritairement à fournir à son auditoire les clés nécessaires afin de passer de l’émotion à la responsabilité. Retour au singulier, ouvrir à de l’action possible, individuelle et non administrée, transmissible sans police et sans diner mondain. Le monde va mal en apéritif, croyez vous à Dieu en digestif, et l’écologie comme nouvelle théologie des discours dinatoires.
Pour aller dans un autre sens, il semble tout aussi indispensable d’inscrire le discours écologique dans l’ensemble plus vaste des activités humaines, en faisant appel à la poésie, la littérature, le cinéma, la musique, le théâtre, l’histoire, et plus généralement à toute les sciences sociales. Car toutes ces perspectives sont autant de relais potentiels, les digues propres à éviter l’exclusion par des discours normés et bornés qui ne travaillent plus que leurs propres sillons. Si la pensée écologique s’est construite, démarche participative, en partie contre l’expertise d’experts autoproclamés cloisonnés dans leurs segments, alors sans doute faudrait-il éviter à minima de reproduire les mêmes structures, les mêmes barricades des discours auto-bouclés, auto-entretenus, auto-entendus.
Sensibiliser à l’écologie, voilà qui est peut-être aussi le début d’un apprendre à apprendre à devenir le producteur des images de son environnement.
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Inutile de réécrire ce qui a déjà été beaucoup mieux dit, même le recyclage à ses limites. En 1994, Joël de Rosnay dans son article Education, Ecologie et Approche Systémique fixait déjà quelques uns des principes directeurs fondamentaux de la transmission des savoirs dits écologiques. Principes qu’on pourrait résumer comme suit : « aider à s’élever pour mieux voir, à relier pour mieux comprendre et à situer pour mieux agir. » On en est loin, et ce peut-être pas uniquement la faute à l’autre, au CO2, à la maison de mon voisin, etc.
Quelques extraits de cet article en passant :
« […] l’écologie est un concept intégrateur, un mode de pensée global qui matérialise aujourd’hui l’irruption de la systémique dans l’éducation, l’industrie et la politique […] l’approche systémique, fille de la cybernétique et de la biologie, est aujourd’hui complémentaire de la vision analytique héritée de Descartes. […] Plus qu’une discipline scientifique l’écologie représente une nouvelle vision du monde et de l’homme dans la nature. Le nouvel écocitoyen doit mieux comprendre comment situer et insérer son action locale dans un ensemble global […] Il s’agit aujourd’hui de l’aider à passer de l’émotion à la responsabilité grâce à une culture scientifique et technique permettant de relier les éléments épars reçus par l’éducation ou les médias. D’où l’importance d’une approche […] multidimensionnelle de l’écologie et de la gestion de l’environnement. »
« Il s’agit plus de communiquer une nouvelle culture que d’enseigner des disciplines de base. Il s’agit aujourd’hui de passer de l’émotion à la responsabilité grâce à une culture scientifique et technique permettant de relier les éléments épars reçus par l’éducation ou les médias […] Ainsi se pose la question majeure de la transmission des savoirs qu’elle implique. Comment faire entrer l’écologie dans l’enseignement traditionnel ? Quelle place doit-elle prendre ? […] Le nouvel écocitoyen doit mieux comprendre comment situer et insérer son action locale dans un ensemble global : celui des grandes fonctions du métabolisme planétaire […] Il faut donc aujourd’hui de nouvelles méthodes et de nouveaux outils pour former à l’écologie..»
« L’éducation systémique appliquée à l’écologie utilise plusieurs moyens de communication complémentaires pour toucher ses publics et fait appel à différents niveaux de “lecture” de ses messages. Un de ses principaux objectifs est d’aider à s’élever pour mieux voir, à relier pour mieux comprendre et à situer pour mieux agir […] L’effort d’éducation en écologie doit être mobilisateur et interrogateur. Plutôt que de fournir des connaissances prédigérées, cette pédagogie moderne est un tremplin pour l’exercice créateur de la réflexion individuelle et collective. Elle est aussi et surtout un ferment pour une nouvelle culture multidimensionnelle adaptée à la compréhension des grands problèmes écologiques. »
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très intéressant !