Citations d’après article « problèmes de communication chez les cétacés et autres mammifères » Grégory Bateson, Vers une écologie de l’esprit, tome II, Editions du seuil, Paris, 1980, p.137 et suivantes. Source des fichiers sons et images: http://neptune.atlantis-intl.com/dolphins/
Le langage des dauphins
Suite aux travaux du naturalite Jacob Von Uexküll, nous savons maintenant que les animaux ont un monde. Bulle de réalité et biographie propre dont nous ne rencontrons peu ou presque, trop occupés que nous sommes à reconnaître dans la nature des similitudes, des formes plutôt que des affects.
La note suivante présente une petite histoire de dauphin. Petite histoire dont la morale pourrait-être celle d’une plus juste distance de regard entre les mondes.
En 1962, « l’anthropologue » Gregory Bateson quitte l’école de Palo Alto pour Virginia Islands afin d’étudier la communication chez les dauphins.
« Ce mammifère [i.e. le dauphin] m’intéresse plutôt par son système de communication et par ce que nous appelons son comportement, considéré comme un ensemble de données perceptibles et signifiantes pour les autres membres de son espèce. Ce comportement est signifiant, d’abord, dans la mesure où il affecte le comportement d’un animal récepteur et, ensuite, dans celle où un échec manifeste dans la transmission de cette « signification » affectera le comportement des deux animaux. (…) Si nous voulons comprendre le langage des dauphins, une des première chose que nous devons éclaircir, c’est l’interprétation que donne un cétacé de l’utilisation du sonar par un autre membre de son espèce.» Grégory Bateson
Pour aborder d’un point de vue méthodologique l’étude du comportement des dauphins, Bateson mobilise sa théorie de l’analyse transactionnelle du comportement, une théorie composite dégagée au fil de ses différents champs d’études (anthropologie, éthologie animale et psychiatrie).
Une théorie dont il résume les prémisses de la sorte :
1. Une relation à deux (ou plusieurs) organismes est, en fait, une séquence des séquences S-R (stimulus-réponse), à savoir un contexte où se réalise l’apprentissage primaire (proto-learning).
2. L’apprentissage du deuxième degré (deutero-learning), ou «apprendre à apprendre», consiste à acquérir des informations sur les modèles possibles de contextes où se réalise l’apprentissage primaire.
3. Le «caractère» de l’organismeest le résulta de l’ensemble de son apprentissage de deuxième degré et reflète par conséquent, les modèles contextuels de l’apprentissage primaire antérieur.
Bateson précise : « Ces prémisses ne sont qu’une structuration hiérarchisée de la théorie de l’apprentissage, selon les critères fournis par la théorie des types logiques de Russel et Whitehead, qui n’avaient prévu de n’appliquer ces prémisses qu’à l’étude de la communication digitale. »
Risso’s Dolphin (whistle and sonar)
Bateson se demande alors jusqu’à quel point de tels prémisses sont applicables à la communication analogique, ou aux systèmes qui combineraient analogique et digitale. C’est dans ce sens que Bateson orientera ses recherches sur la communication des dauphins.
Dès lors ses hypothèses sont les suivantes:
« On peut donc logiquement envisager l’hypothèse que la vocalisation des dauphins est une expression digitale des fonctions µ. »
C’est-à-dire une communication d’un type tout à fait inhabituel et de laquelle il précise immédiatement:
« (…) J’ignore quels peuvent être les aspects d’un système digital primaire, dont l’objet serait la communication sur des modèles de relation ; il y a cependant, de fortes chances qu’il offre des aspects différents de ceux d’un langage sur les choses, et sans doute se rapprocherait-il davantage de la musique. »
Risso’s Dolphin (just the « whistle)
Digital et analogique
Dans une communication digitale, il ne s’agit pas de grandeurs mais seulement de noms (codes) désignant des positions dans une matrice.
Dans une communication analogique, on utilise à contrario des grandeurs réelles qui correspondent à des grandeurs réelles au niveau de l’objet du discours.
« Nous savons pourquoi les gestes et les intonations nous sont partiellement compréhensibles, et pas les langues étrangères : c’est parce que le langage est digital, tandis que la kinésie ou les signaux paralinguistiques [i.e. l'expression faciale, le remuement de la queue, le serrement du poing, la supination de la main, le gonflement des narines...] sont analogiques »
Exemple. Imaginons un texte scientifique pubié en japonais. Les idéogrammes, aujourd’hui devenus digitaux, nous seront donc par là même intuitivement incompréhenssibles sans la maîtrise de la langue japonaise (code).
A l’inverse, nous pourront comprendre partiellement les courbes cartésiennes qui illustrent ce texte, dans la mesure où celles-ci sont analogiques.
« Le langage verbal, lui, est purement digital dans presque tous ses éléments. Le mot grand n’est pas plus grand que le mot petit, en général, on ne trouve rien, dans le schéma du mot table, (c’est-à-dire dans le système de grandeurs qui lui sont corrélatives), qui pourrait correspondre au système de grandeurs corrélatives qu’il désigne. Au contraire, dans la communication kinésique et paralinguistique, l’ampleur du geste, la profondeur de la voix, la longueur de pause où ou la tension du muscle correspondent (directement ou inversement) aux grandeurs de relation qui font l’objet du discours. »
http://www.dailymotion.com/video/x2l935 « Le langage digital baigne dans une véritable glu analogique »
Dans sa traduction du digital et de l’analogique de Bateson, Deleuze présentera le langage digital comme un langage articulé codé (conventions) portant sur les états de chose, le langage analogique, par un langage non articulé portant sur les relations – essentiellement de dépendances – entre un émetteur et un récepteur. Ainsi, d’un langage analogique je déduis les états de chose, d’un langage digital, j’induis des relations.
Common Dolphin (lots of sonar)
Fonction µ
Le langage analogique, où le comment s’expriment les relations de dépendances. Chez les mammifères à communication préverbale, l’hypothèse de Bateson est la suivante: le discours porte d’abord sur les règles et les aléas des relations. Le discours a pour tout premier objet la relation.
Les mammifères à communication préverbale s’exprimant en termes de modèle et de possibilités de relations, l’homme ne peut avoir qu’un rapport à ce type de communication nécessairement déductif.
Ainsi le chat ne miaule pas du « lait », il miaule, ou plutôt exprime, sa relation de « dépendance » alimentaire vis-à-vis de son maître.
Ce dernier en déduit alors que le chat « demande » son lait.
Ce miaou-miaou du chat, Bateson le « code » avec humour en formulant la fonction miaou, mu, … qui en finit par devenir µ.
« C’est la nécessité d’une étape déductive qui distingue tout à la fois la communication préverbale des mammifères, de celle, tout à la fois des abeilles comme de l’homme. Le fait exceptionnel, la grande nouveauté qui a caractérisée et la formation et l’évolution du langage humain, n’a pas été l’abstraction ou la généralisation, mais la découverte du moyen de parler de manière spécifique d’autre chose que des relations. »
« Ce que je crois (…) c’est qu’ils [i.e. les dauphins] se préoccupent des modèles de leurs relations réciproques. Appelons cette communication sur les modèles des relations, fonction µ du message. Lorsqu’ils en ont besoin, les animaux à communication non verbale communiquent sur les choses, en utilisant les signaux qui relèvent d’abord de la fonction µ. Au contraire, les humains se servent du langage, lequel porte d’abord sur les choses, pour parler de relations. »
Conclusion de Bateson, n’attendez surtout rien d’une possible compréhension du langage des dauphins !
« Mon impression, (…) est qu’il n’y a pas vraiment eu de passage [i.e. chez les dauphins] de la kinésie à des formes de paralinguistiques, comme on le suppose d’habitude. Nous autres mammifères terrestres, nous sommes familiarisés avec la communication paralinguistique ; nous l’utilisons nous-mêmes par des gémissements, grognements, rires, pleurs, modulations de la respiration (…) Pour cette raison, les signaux paralinguistiques des autres mammifères ne nous paraissent pas complètement obscurs. (…) Mais des sons émis par les dauphins, nous ne pouvons rien deviner.»
« Chez tous les mammifères les organes sensoriels (les yeux, les oreilles, le nez) deviennent aussi des organes de transmission de messages à propos des relations. L’adaptation à la vie dans les océans a dépouillé les cétacés de toute expression faciale. Il est donc vraisemblable que chez ces animaux [i.e. les dauphins], la vocalisation ait remplacé la fonction de communication [i.e. analogique], qui est assumée, chez les autres animaux, par l’expression faciale, le remuement de la queue, le serrement du poing, la supination de la main, le gonflement des narines (…) Ce qui a du se passer avec eux [i.e. les dauphins], c’est que les informations que nous nous-mêmes, humains, ainsi que les autres mammifères terrestres, pouvons recueillir visuellement, ont été déplacées dans la voix. »
Il est donc possible pour Bateson que les dauphins aient réussi à intégrer dans leur « langage » toutes les nuances de nos gémissements, grognements, rires, pleurs, modulations de la respiration.
« Personnellement, je ne crois pas que les dauphins possèdent ce qu’en linguistique humaine on pourrait appeler un langage. Je ne pense pas qu’aucun animal dépourvu de main serait assez stupide pour en arriver à un mode de communication aussi inadapté : pourquoi utiliserait-on une syntaxe et un système de catégorie ne visant que les choses qu’on peut manipuler, au lieu de communiquer sur des modèles et des possibilités de relations ? »
« L’homme dispose lui aussi de quelques mots pour exprimer ces fonctions µ, par exemple : amour, respect, dépendance … Mais ces mots n’ont qu’une fonction très pauvre dans la communication sur les relations entre personnes. Si vous dites à une fille : je vous aime, elle attachera certainement beaucoup plus d’importance aux signes kinesthésiques et paralinguistiques qui accompagnent votre déclaration, qu’aux mots eux-mêmes (…) nous préférons nettement que nos signes affectifs restent analogiques, inconscient et involontaires. Nous avons tendance à nous méfier de ceux qui sont capables de simuler les messages concernant les relations. Pour toutes ces raisons, nous n’avons aucune idée de ce que pourrait être une espèce pourvue d’un système de communication digital, fut-il si simple et rudimentaire, et dont l’objet principal serait les fonctions µ. »
http://www.dailymotion.com/video/x2frh6 « Coder des fonction µ, mettre de l’analogique dans le code. »
Coder l’analogique, la possibilité d’une rencontre
Les dauphins n’ayant plus les moyens de pratiquer le langage analogique sous l’eau, ceux-ci inventent donc le codage (la digitalisation) des fonctions µ analogiques des mammifères terrestres. Et le résultat n’a rien à voir avec un langage conventionnel tel que le notre.
Il ne s’agit pas d’un langage digital de codes, mais bien d’un codage de l’analogique en tant que tel. Dès lors le contenu analogique de ce language n’exprime rien des états de chose, mais seulement des relations de dépendance.
C’est cette possibilité de greffer un code binaire sur du pur langage analogique qui fera dire à Deleuze qu’un peintre abstrait compose à la manière du dauphin. C’est à dire qu’il invente un code, pictural en l’occurrence, afin d’exprimer toute une matière ou un contenu analogique.
C’est peut-être donc sur cette ligne de l’homme pris dans les codes de la peinture, du dauphin pris dans ceux de l’océans, que ceux-ci partagent un affect ou devenir commun. Croisement hasardeux et/ou nécessaire pour la résonnance d’un discours qui tente de s’épurer des forces de l’anthropocentrisme et anthropomorphisme associées.
« J’espère que le dauphin nous enseignera une nouvelle méthode d’analyse de tous les modes d’information dont nous avons besoin pour défendre notre santé mentale. » Grégory Bateson
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Sans aller dans le détail, les dauphins génèrent ces anneaux sous l’eau, pour s’amuser. En faisant un mouvement brusque de leur tête ils font apparaître cet anneau argenté devant leur bec. Cet anneau ne remonte pas à la surface ! Il reste dans une position verticale dans l’eau. Le dauphin peut créer un nouvel et plus petit anneau à partir du grand. En mordant dans l’anneau il le désintègre en milliers de petites bulles qui remontent à la surface. Cet anneau est en fait un vortex généré par l’extrémité de l’aileron dorsal et dans lequel est soufflé de l’air à travers l’évent. L’énergie générée par le vortex est suffisante pour empêcher les bulles d’air de remonter à la surface pendant un certain temps… le temps pour le dauphin de jouer avec l’anneau…
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