Souplesse et changement

 Souplesse et changement dans -> CAPTURE de CODES : danse1

«  La souplesse sociale est une ressource aussi précieuse que le pétrole ou le titane. Elle doit faire l’objet d’une budgétisation appropriée de manière à être dépensée (comme la graisse)  uniquement pour les changements nécessaires. « 

Notes et fragments d’après l’article de Grégory Bateson, « écologie et souplesse dans la civilisation urbaine », vers une écologie de l’esprit, tome2, Ed. du Seuil, 1980

 » Comment définir la santé écologique ? Il me semble préférable, plutôt que de la considérer comme un but ultime, spécifique, d’avoir une idée abstraite de ce que nous pouvons entendre par là, car une notion aussi générale guidera notre recollection des données et notre évaluation des tendances observées. « 

Dans l’introduction de l’article, Bateson définit brièvement l’idée abstraite qu’il se fait de ce que pourrait-être une écologie saine de la civilisation humaine :  » un système unitaire fait de la combinaison de l’environnement avec un haut degré de civilisation, où la souplesse de la civilisation rejoindrait celle de l’environnement pour créer un système complexe qui fonctionne, ouvert aux changements lents des caractéristiques mêmes les plus fondamentales et les plus « rigides » du système. « 

D’un point de vue historique, et pour toute civilisation, une invention technologique nouvelle consiste toujours à ajouter plus de liberté et de souplesse dans son système. Que ce soit par une meilleure exploitation de la nature, ou de l’homme. Mais à mesure que l’on use de cette souplesse additionnelle, celle-ci finit toujours par s’épuiser et mener à la décadence. Un haut degré de civilisation implique donc nécessairement une certaine manière de distribuer, sans la dilapider, la souplesse dans le couple « vaisseau spatial » terre et civilisation. Dès lors pour un pilote:  » Il ne s’agit pas tant d’évaluer les valeurs et les tendances des variables significatives d’un système donné, que d’évaluer la relation entre ces tendances et la souplesse écologique.  »

danse dans Bateson

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Souplesse dans les systèmes

En bon cybernéticien, Bateson commence par une définition restrictive de la souplesse (les effets de son absence): «  Tout système biologique peut-être décrit en fonction des maxima et des minima autorisés pour chacune de ses variables interdépendantes : au-delà et en deçà de ces seuils de tolérance, apparaissent inévitablement des malaises, des phénomènes pathologiques et, finalement la mort. A l’intérieur de ces limites, la variable peut se mouvoir afin de permettre l’adaptation. Lorsque, sous l’effet de certaines tensions, une variable doit prendre une valeur proche du seuil supérieur ou inférieur, nous dirons, en employant une expression familière, que le système est « coincé » par rapport à cette variable, ou que le système manque de souplesse par rapport à celle-ci.
Etant donné que les variables sont interdépendantes, être « guindé » à l’égard de l’une d’entre elles signifie généralement pour le système, que les autres variables ne pourront pas changer sans modifier la variable « coincées ». Ainsi la perte de souplesse se propage dans le système entier. Dans des cas extrêmes, le système n’acceptera plus que les changements qui changent les limites de tolérance de la variable « coincée ». Ainsi une société surpeuplée recherchera les changements (augmentation de nourriture, nouvelles routes, maisons supplémentaire etc.) susceptibles de rendre les conditions pathologiques et pathogènes de la surpopulation plus acceptables. Mais ces changements ad hoc sont, précisément, ceux qui risquent de provoquer, à la longue, une pathologie écologique plus profonde encore. « 

Positivement, la souplesse globale d’un système dépend donc de la possibilité de maintien d’un grand nombre de ses variables à un niveau moyen à l’intérieur des limites de tolérances. Plus précisément:  » Il faut noter que la souplesse est à la spécialisation ce que l’entropie est à la néguentropie. La souplesse peut donc être définie comme une potentialité non engagée de changement. L’opération qui a cours dans le budget de la souplesse est la division, et non la soustraction, comme dans le cas de l’argent et de l’énergie. « 

Autrement dit, la souplesse est à la rigidité ce que la polyvalence est à la spécialisation, la stratégie au programme. Elle est une potentialité non engagée de changement. En tant que telle, la souplesse du comportement du type de la stratégie est très proche de la redondance qui est le déploiement d’une multitude de versions différentes d’un même schéma organisateur. C’est donc une variable déterminante de la capacité de résilience d’un système, à savoir: la capacité de celui-ci à retrouver un fonctionnement et un développement normal après avoir subi une perturbation importante (choc extérieur).

Il en ressort le paradigme suivant de l’extinction d’un système pour cause de manque de souplesse : la maximisation à court terme (besoin immédiat) d’une variable unique, dans la mesure où:  » [...] il est assez rare que n’importe quel aspect d’un système biologique soit directement déterminé par le besoin qu’il satisfait. Nous mangeons par appétit, habitude et convention, plutôt que par faim ; la respiration est commandée par un excès de CO2, plutôt que par un manque d’oxygène. Et ainsi de suite… Il y a là un contraste évident avec les produits des ingénieurs et les planificateurs de la vie humaine, qui sont conçus pour rencontrer beaucoup plus directement des besoins tout à fait spécifiques.
Les raisons multiples qui déterminent le « besoin » de manger assurent l’accomplissement de cet acte essentiel à travers une grande variété de circonstances et de tensions, tandis que, s’il n’était que par l’hypoglycémie, toute perturbation de cette voie unique de contrôle provoquerait la mort. Les fonctions biologiques essentielles ne sont pas contrôlées par des variables létales, et les planificateurs de la vie humaine feraient bien d’en tenir compte [...]

On peut dire que, en gros, les phénomènes pathologiques de notre temps ne sont que les effets cumulatifs de ce processus qui combine l’épuisement de la souplesse des réponses aux tensions diverses (pressions démographiques en particulier), avec le refus d’assumer les conséquences de ces tensions (épidémie, famine, etc.) qui corrigeaient autrefois l’excès de population. « 

http://www.dailymotion.com/video/x4vkhe

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L’objectif de l’écologiste est d’accroître la souplesse des systèmes

A suivre Bateson, l’analyste de l’écologie commence donc par recommander, aux hommes des institutions en charge, tout ce qui peut donner au système étudié un budget de souplesse positif. Cependant:  » comme ces interlocuteurs ont une propension quasi naturelle à épuiser rapidement toute souplesse disponible, il devra donc à la fois créer de la souplesse et prévenir la civilisation contre une usure immédiate de celle-ci. «  C’est à dire que l’analyste de l’écologie exerce également une autorité afin de préserver la souplesse qui existe déjà, ou celle qui peut être crée.

Ce qui est important, c’est la distribution de la souplesse entre les multiples variables existantes au sein d’un système donné. Et à bien des égard, une telle opération relève d’un certain type de chorégraphie:  » Le système d’une une écologie saine de la civilisation humaine pourrait-être comparé à un acrobate sur une corde raide : afin de maintenir la vérité agissante de sa prémisse de base, (« je suis sur une corde raide »), l’acrobate doit être libre de passer d’une position d’instabilité à une autre : c’est-à-dire que certaines variables, comme la position de ses bras ou le rythme de ses mouvements, doivent être caractérisés par une très grande souplesse. Celle-ci servira à maintenir stables les autres caractéristiques, plus fondamentales et plus générales, qui concourent à l’équilibre. Si les bras de l’acrobate étaient rigides ou paralysés (coupés de toute communication), il tomberait.  »

Une distribution spécifique de la souplesse dans une société peut déjà être observée à un niveau général, notamment via son système légal. Pour Bateson:  » plus les lois prolifères, et plus l’acrobate sera limité dans ses mouvements, mais plus, en même temps, il se verra  conférer la liberté totale de tomber [...]
Durant la période où l’acrobate apprend à bouger ses bras de manière adéquate, il lui faut travailler avec un filet, précisément pour qu’il ait la liberté de tomber. De même, la liberté et la souplesse, eu égard aux variables les plus fondamentales, peuvent être nécessaires durant le processus d’apprentissage et de création qu’entraine tout changement social. «  

http://www.dailymotion.com/video/x59ilt

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Souplesse dans l’écologie des idées

 » Si le budget de souplesse devient l’un des éléments clés dont nous disposons pour comprendre le fonctionnement du système environnement-civilisation, et certaines formes pathologiques sont liées à des dépenses inconsidérées compte tenu du budget disponible, la souplesse des idées doit alors forcément jouer un rôle important dans notre théorie et notre pratique. « 

Pour Bateson, les idées, comme toutes les autres variables, sont interdépendantes:  » en partie à cause de la logique du psychisme, en partie à cause d’un consensus sur les effets quasi concrets de l’action. Ce qui caractérise ce réseau complexe qui détermine les idées et les actions, c’est le fait que, si, de manière générale, chacun des liens qui le structurent, pris isolément, est lâche, en même temps chaque idée ou action donnée est sujette à une détermination multiple venant d’une quantité de fils entrelacés : nous éteignons la lumière lorsque nous allons au lit, parce que nous répondons en partie à l’économie de l’épargne, en partie aux prémisse du transfert, en partie à nos idées sur l’intimité, en partie à la nécessité de réduire l’entrée sensorielle, etc. [...]

Cette surdétermination caractérise tous les domaines de la biologie : chaque trait de l’anatomie d’un animal ou d’une plante, chaque détail de son comportement est déterminé par une multitude de facteurs interdépendants, qui agissent à la fois au niveau génétique et au niveau physiologique. De même les processus de tout écosystème agissant sont les effets de déterminations multiples. « 

Certaines des idées acquises au cours d’une première expérience survivront à la seconde, et:  » la « sélection naturelle » insistera tautologiquement, pour que les idées qui survivent survivent plus longtemps que celles qui ne survivent pas. Mais l’économie de la souplesse intervient également dans l’évolution mentale : l’esprit ne manie pas de la même façon les idées nouvelles et celles qui ont survécu à usage répété. Le phénomène de la formation d’habitudes opère un tri, mettant en avant les idées qui ont survécu à l’usage, et les classant dans une catégorie plus ou moins séparée. Ces idées, qui ont fait leur preuve, sont donc disponibles pour un usage immédiat et sont dispensées d’un réexamen conscient ; tandis que les parties restées plus souples de l’esprit peuvent être réservées à l’appréhension de données nouvelles.

En d’autre terme la fréquence d’utilisation d’une idée devient un facteur déterminant pour sa survie au sein de cette écologie des idées que nous appelons l’esprit ; en outre, la survie d’une idée fréquemment utilisée est encore accentuée, du fait que le processus de formation d’habitudes tend à la soustraire du champ de l’examen critique. En même temps, la survie d’une idée dépend certainement aussi de ses relations avec d’autres idées : les idées peuvent se contredire ou se valider mutuellement ; elles peuvent se combiner plus ou moins aisément ; elles peuvent aussi, à l’intérieur de systèmes polarisés, s’influencer de façon complexe et mystérieuse.
En général, ce sont les idées les plus rependues et les plus abstraites qui survivent à un usage répété ; elles tendent ainsi à devenir les prémisses sur lesquelles l’ensemble des autres idées reposent, et donc, en tant que prémisses, deviennent relativement rigides.

[...] il existe, dans une écologie des idées, un processus d’évolution lié à une économie de la souplesse, et c’est ce processus qui décide laquelle des idées deviendra une prémisse rigidement programmé. Le même processus détermine la position nucléaire ou nodale, de ces idées rigides au sein de la constellation des autres idées : en effet, la survie de ces dernières dépend de la manière dont elles s’adaptent aux premières. Il s’en suit que tout changement dans les idées rigides entraine des changements dans l’ensemble de la constellation correspondante.

Comme pour Bateson l’esprit – en tant qu’écologie des idées – n’est pas un attribut spécifique du sujet humain, alors : «  Il existe certainement des relations analogues dans l’écologie d’une forêt de séquoia ou d’un récif de coraux : les espèces les plus fréquentes ou « dominantes » se trouvent dans une position nodale par rapport aux constellations d’une autre espèce, parce que la survie d’un nouveau venu dans le système dépend de la façon dont son mode de vie s’adapte à celui d’une, ou de plusieurs espèces dominantes. Dans ces contextes, à la fois écologique et mentaux, le mot « adaptation » est un équivalent faible de l’expression « souplesse d’ajustement ». « 

http://www.dailymotion.com/video/x3ohuc

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Modèles de danse

 » La souplesse globale d’un système dépend de la possibilité de maintien d’un grand nombre de ses variables à un niveau moyen à l’intérieur des limites de tolérances. Mais si une variable donnée garde trop longtemps une valeur moyenne, d’autres variables empièteront sur sa liberté (« la nature a horreur du vide ») et réduiront son espace de tolérance, jusqu’à ce que sa liberté de mouvement devienne nulle ; ou plus précisément, jusqu’à ce que tout mouvement ultérieur ne puisse se faire qu’au prix d’une perturbation exercée sur les variables « conquérantes ». Ce qui revient à dire que la variable qui ne change pas de valeur devient ipso facto rigide.
En fait, cette manière d’envisager la genèse des variables rigides n’est qu’une autre façon de décrire la formation des habitudes. Pour maintenir la souplesse d’une variable donnée, il faut, ou bien que cette souplesse ait l’occasion de s’exercer (exigence positive d’agir), ou bien que les variables conquérantes soient contrôlées directement (interdiction morale ou législative). « 

Pour toute société, il existe donc différentes modalité de gestion de la souplesse. Différentes danses, sur un fil commun, pour tout système social. Un mix d’incitations positives à agir (recommandations), et de contrôle législatif (autorité) à disribuer sur des variables dont les dégrés de liberté diffèrent en fonction de leur position relative dans le système (exposition, structure fondamentale ou ajustement). Bateson précise :

  •  » Même employé à bon escient, la loi n’est sûrement pas le bon moyen de stabiliser les variables fondamentales. Cet effet pourrait-être obtenu, plutôt, par l’éducation de la formation du caractère – ces parties du système social qui subissent régulièrement, comme on doit s’y attendre, les plus grandes perturbations. « 

  •  » Les fonctions biologiques essentielles ne sont pas contrôlées par des variables létales, et les planificateurs de la vie humaine feraient bien d’en tenir compte. « 

  • «  La fréquence de validation d’une idée, pour une période de temps donnée, n’est pas une preuve que cette idée est vraie, ni qu’elle est utile à long terme dans la pratique. «  [ex : idée de l'existence d'un esprit transcendant]

Au delà de la danse qu’accomplit tout système, danse qui aurait justement pour objet de capter d’autres modèles de danse, il n’est peut-être pas inintéressant de rapprocher la notion de souplesse de Bateson d’avec la notion de confiance telle qu’aujourd’hui propagée dans les discours de nos politiques et autres analystes des taux d’intérêt. En un certain sens, et à un certain niveau, ce capital de confiance sociale serait l’expression - à peu de variables - d’une partie émergée de ce capital souplesse complexe, ce potentiel de changement non engagé. On devine ici comment certaines des idées de Bateson ont pu partiellement lui survivre, diffuser, se transformer et se mélanger dans le temps des consultations.

http://www.dailymotion.com/video/x2c131

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