Du récent, et disons le, très inquiétant film de promotion sur les requins à la construction tout à fait débilo-bancale, on finirait bien cependant par tirer un petit grain de sable du désert. Pourtant rien de bien nouveau lorsque l’un des nombreux intervenants exprime avec conviction: « nous détruisons le monde, et nous en avons conscience ».
Grande naïveté et rien de nouveau, oui, sauf l’idée d’un renvoi vers Spinoza. Un Spinoza pour qui la raison humaine n’a aucune force devant la puissance des affects. Des affects-passions nés des effets des corps extérieurs sur le notre. Autrement dit, je peux juger que ceci est bon (préserver la biodiversité), et pourtant continuer à faire le contraire tant que je n’ai pas le désir vrai de ce bon, comme le dirait Misrahi, ou tant que je n’ai pas suffisamment intériorisé cette connaissance pour en faire un affect (actif) nous dirait Atlan.
- »Ce que j’appelle esclavage, c’est l’impuissance de l’homme à gouverner et à contenir ses passions. L’homme en effet, quand il est soumis à ses passions, ne se possède plus; livré à la fortune, il en est dominé à ce point que tout en voyant le mieux il est souvent forcé de faire le pire. » – Appendice Ethique IV.
Dans les parties trois et quatre de l’Ethique, Spinoza nous propose et développe toute une stratégie de vie, ou conquête d’existence, qui vise à transformer la raison, connaissance abstraite et impersonnelle, en affects vécus et activants. Le mode d’emploi d’une intériorisation de la connaissance devenant source de joie dans son passage de la troisième à la première personne, sa transformation en affect. Ce que le poète John Keats traduira autrement : « rien ne devient jamais réel tant qu’on ne l’a pas ressenti ».
Inutile de dire que ce film – dont les producteurs ne doivent pas être les derniers des requins – ne nous fait uniquement ressentir (et avec la plus grossière des redondances) qu’une bien triste vague sentimentaliste.com. Symptôme affiché et assumé d’une analyse écologique tant partielle, qu’isolée, et qui prétend pourtant épuiser toute autre vision du monde (les autres, c’est l’argent). Pour paraphraser Nietzsche, il serait sans doute bon de rappeler qu’il n’y a pas de phénomènes écologiques, mais qu’il n’y a qu’une interprétation écologique des phénomènes. Pas assez vendeur, de toute façon l’auditoir est c**.
Il est vrai que l’anthropologie développée dans ce film est totalement navrante dans sa définition et son propos : non l’homme n’est pas qu’un animal qui marche debout, c’est aussi (et surtout !) un animal qui a peur des requins! A côté de cela, ces derniers nous sont présentés comme très… gentils. Anthropomorphisme qui n’a rien à envier à celui que nous avons pu connaître récemment avec nos amis les pingouins.
On pourrait se dire, au diable le discours, il y a urgence, alors pouvu que celui-ci soit efficace. Malheureusement, au sortir de la salle, on s’aperçoit vite que celui-ci est totalement contreproductif sur son auditoire. Simpliste, circulaire et partiel, celui-ci interdit très vite toute forme d’intériorisation. Et on en revient toujours au même constat, la biodiversité n’est pas seulement un objet qui se mesure à la troisième personne, c’est aussi une expérience personnelle à vivre et intérioriser à la première personne du singulier.
Comment s’expliquer que des sujets pourtant si essentiels soient soumis à ce genre de traitement naïvo-débile ? Cela en faisant l’économie de toute paranoïa, chose dont nous sortons totalement saturés à l’issu de cet objet cinématographique.
Il semble que la multiplication de ce type de récit écologique mineur annonce, soit symptomatique de l’émergence d’un nouveau (et vaste) chapitre dans le récit de l’histoire de nos rapports au monde. Un chapitre peut-être rétrospectif, tout du moins dans ses premières lignes. Fruit d’une évolution aveugle, l’évolution cherche une plume à sa biographie. Du corps le plus simple, jusqu’à l’explosion combinatoire de la diversité du vivant, l’émergence de la conscience nous permet d’effectuer ce retour « amoureux » de l’évolution sur elle-même.
Lorsque nous inventons l’écologie pour désigner certains des nouveaux phénomènes dont nous prenons conscience, nous participons à ce retour retrospectif de l’évolution sur elle-même, nouvelle étape vers un nouveau stade de l’évolution qui, pour ce qui nous concerne, impliquera sans doute de profond changement dans nos rapports au monde, avec et dans le monde. De nouvelles combinaisons avec de nouvelles forces, l’optimisation de la souplesse comme critère de décision, la figure du danseur se substituant à celle du conquérant bête.
- Dans la terminologie de Gregory Bateson, (Vers une écologie de l’esprit, tome 2, p. 256, Seuil, Paris 1980), la « souplesse » est à la « rigidité » ce que la « polyvalence » est à la « spécialisation », la « stratégie » au « programme »". Elle est une « potentialité non engagée de changement ». En tant que telle, la souplesse du comportement du type de la « stratégie » est très proche de la redondance qui est le déploiement d’une multitude de versions différentes d’un même schéma organisateur. – wikipédia.
Le Nietzsche de Deleuze nous éclaire sur le devenir des forces naissantes, la philosophie en l’occurrence, et dont nous pouvons émettre l’hypothèse qu’il en irait ainsi pour l’écologie :
« Nous devons penser la philosophie comme une force. Or la loi des forces est qu’elles ne peuvent apparaître, sans se couvrir du masque des forces préexistantes. La vie doit d’abord mimer la matière. Il a bien fallu que la force philosophique, au moment où elle naissait en Grèce, se déguisât pour survivre. Il a fallu que le philosophe empruntât l’allure des forces précédentes, qu’il prit le masque du prêtre (…) le secret de la philosophie, parce qu’il est perdu dès l’origine, reste à découvrir dans l’avenir. Il était donc fatal que la philosophie ne se développât qu’en dégénérant, et en se retournant contre soi, se laissant prendre à son masque (…) au lieu du créateur de nouvelles valeurs et de nouvelles évaluations, surgit le conservateur des valeurs admises. Le philosophe cesse d’être physiologiste ou médecin, pour devenir métaphysicien ; il cesse d’être poète, pour devenir professeur public. »
Les textes de Nietzsche font cohabiter nuance et coup de marteau, et sans doute que Deleuze insiste ici sur le coup de marteau. Mais pour nous la question de l’écologie n’est pas qu’elle devienne professeur public, mais bien plus que dans le même moment, celle-ci oublie dans ses récits le passage d’un versant à l’autre de la colline, du professorat à la poésie et inversement.
http://www.dailymotion.com/video/x1eef3
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+ Les vendredis de la philosophie, émission du vendredi 18 avril 2008, les politiques de Spinoza.
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