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Archive mensuelle de février 2008

Sur le web: de la mort de l’environnement et autres rencontres

 Sur le web: de la mort de l'environnement et autres rencontres dans Biodiversité frog

Suite à certaines de nos dernières notes concernant le principe d’attention appliqué à l’écologie: l’appel aux sciences sociales et autres variations sur la mort de l’homme, voici quelques ressources, fragments et pistes de reflexions collectées sur le web autours de la question de l’homme dans l’écologie.

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Extraits du compte rendu de lecture de Gérard Chouquer de l’ouvrage de Frédéric Couston, L’écologisme est-il un humanisme ? 

 » [...] La thèse de l’ouvrage est, en effet, la suivante : pour changer et trouver un nouveau contrat, il faut adopter de nouvelles catégories. Or le concept d’environnement est trop lié à la crise de la modernité pour être retenu. Il faut donc se débarrasser de ce concept pour aller vers une politique écologiste, qui soit un « réformisme radical ».

Frédéric Couston établit tout d’abord le lien que la notion d’environnement entretient avec la crise de la modernité. Pour lui, la crise de la modernité est une des dimensions de la crise environnementale puisque c’est un effet de la séparation moderne entre nature et sociétés. Plus précisément, ce qui émerge avec la modernité c’est l’opposition entre un espace naturel à l’écart de l’histoire, et qui sera de plus en plus paré de qualités, et un espace environnemental voué au progrès et lieu de la déploration. La nature, c’est ce dont on ignore l’histoire et même ce dont on ne veut pas faire l’histoire. Idée qu’il résume en une formule forte : « Le concept d’environnement a donc le mérite, en se chargeant des basses œuvres de la modernité, de permettre à la notion traditionnelle de nature de revivre et d’être de nouveau ressentie comme un réservoir immatériel et imaginaire de valeurs. » (P. 63) La conclusion est que si l’on peut annoncer la mort de la nature - parce que « la nature n’est plus ce qu’elle était » (Cosmopolitiques 1, 2002) et qu’elle n’est plus l’autre de l’homme et de l’artificialisation -, il faut, paradoxalement, annoncer, dans le même temps, la mort de la notion d’environnement.

Les raisons sont multiples. Il y a contradiction à nommer environnement l’écosystème, c’est-à-dire ce qui n’est pas l’homme, surtout si c’est pour réinventer, ensuite, la part de l’homme dans l’écosystème. Mieux vaudrait prendre en compte le fait que l’environnement est une représentation culturelle, en outre récente. Il y aura donc mort du concept par absorption de l’homme en lui : un environnement qui absorbe ce qu’il est censé environner redevient un tout. Par ailleurs, si le mot désigne une extériorité statique, pourquoi le choisir pour qualifier un ensemble de relations dynamiques ? Il y aura donc une autre mort de l’environnement en ce que la suppression des problèmes d’environnement passera par la suppression de la notion elle-même au profit d’autre chose.

La crise de l’environnement n’est pas différente de la crise de la modernité parce que la pensée moderne ne parvient pas « à inscrire dans le réel son projet de séparation de la nature et de l’homme sans cesse contrarié par l’irruption de nouveaux hybrides, mi-naturels mi-artificiels » (pp. 85-86). Il faut donc abandonner ou, au moins, dépasser ce concept [...]

La troisième partie de l’ouvrage part à la recherche du nouveau contrat que l’homme doit envisager. Ce contrat est nécessaire, non pas, comme le suggère Michel Serres, parce qu’un nouveau contractant, la nature, doit être intégré mais parce que notre manière de nous considérer dans l’écosphère doit changer. Ce contrat, l’écologisme, ne peut être ni le contrat libéral, fondé sur l’individu, ni le contrat holiste, soumettant l’homme à un plan général qui le dépasse. Il s’agit par conséquent d’un nouveau type de contrat. Pour en discuter les fondements, Frédéric Couston entreprend de démontrer que l’écologisme n’est ni un totalitarisme ni un libéralisme. Il récuse le communisme écologique de Jonas, qui mène à une forme de totalitarisme. Il ne pense pas que soit concevable la notion d’aménagement écologique du capitalisme. Il explique enfin comment l’écologisme n’est ni une révolution ni une utopie, qui ne saurait être confondu avec la politique écologisée [...]« 

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http://www.dailymotion.com/video/x2xuzm

Michel Serres sur Bergson, illustrations sonores d’après extraits du dossier France Culture : Bergson, le cinéma de la pensée

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Sélection d’articles du dossier écologie de l’encyclopédie de L’Agora, première encyclopédie virtuelle, évolutive et participative en langue française née en 1998.

Qu’est-ce que l’écologie?

Humaniser l’écologie « L’écologie est surtout et avant tout une certaine «vision du monde», une sensibilité particulière, et non pas simplement une science. C’est un art qui nous apprend à vivre-avec, à vivre en symbiose, et non pas à manipuler; qui nous apprend à nous ajuster et à nous adapter, et non pas à contrôler; qui nous apprend à promouvoir la vie et non pas la mort, à voir ce qui nous entoure comme des organismes et non pas comme des machines. »

Les lois de l’écologie « L’écologie n’est pas une science nouvelle, même si le vocabulaire écologique est tout récemment passé dans l’usage commun. La science de l’environnement est née au sein de l’histoire naturelle, est passée de l’observation de la nature à l’expérimentation dès le siècle dernier. Ses origines dans les sciences biologiques ont doté l’écologie d’une méthodologie et d’un cadre conceptuel qui ont beaucoup influencé les formes nouvelles qu’elle se donne en s’appropriant les sciences de l’homme. Cette transition est encore très imparfaite. »

Pour une écologie de l’homme « L’écologie n’est réelle que lorsqu’elle est d’abord une écologie de l’Homme et non de la Terre. « Ce n’est donc pas en se niant lui-même que l’homme peut se rapprocher de la nature, car, en désavouant l’esprit qui le fonde, l’homme ne devient pas nature, mais débris de la nature… »

Pour un écologisme non intégriste « Réponse de Claude Villeneuve à l’article de Nicole Jetté-Soucy (ci-dessus). L’objectif de l’écologie, c’est de comprendre le fonctionnement des écosystèmes. »

Le paradoxe de l’arche de Noé « La perte de biodiversité est actuellement l’une des dimensions les plus à la mode dans l’étude des changements environnementaux à l’échelle du globe. Qu’en est-il en réalité et comment conserver les diverses formes de vie à l’échelle planétaire? La responsabilité de l’humanité passe par un changement de paradigme. »

La ressource en eau ? (visage, language, qualités et quantités)

L’eau et la vie « La vie sort de l’eau, mais l’eau ne sort pas d’elle. «Nous sommes des sacs d’eau de mer», disait Alain. En réalité, chacune de nos cellules évolue toujours dans un milieu aqueux, dont les conditions sont contrôlées par des mécanismes physiologiques souvent complexes qui reflètent notre évolution et notre adaptation à l’environnement. »

Plaidoyer pour les eaux oubliées « L’eau mythisée, voire sacrée, dévoile du même coup, d’une part, l’essence et la nature de l’eau, son être intime et originel, sa dignité et sa grandeur, sa plénitude et son sens, et d’autre part, sa puissance symbolique, son ouverture sur la transcendance, sa concordance avec l’être humain et sa capacité d’évoquer le cosmos et le divin. »

L’eau: problématique-clé « La question de l’eau, de ses usages et des abus que l’humanité fait subir à cette ressource essentielle n’a pas fini de nous inquiéter. Il s’agit probablement de la question qui nous rapprochera de la façon la plus tangible de notre environnement dans les décennies à venir. En effet, on peut penser vivre avec un air pollué, avec des sols contaminés, avec une faune et une flore raréfiées… mais l’eau doit être pure, exempte de bactéries nocives ou de substances délétères, sans odeur, sans saveur, sans couleur, pour rencontrer nos critères de qualité. L’accès à une source d’eau potable est probablement la préoccupation la plus ancienne qui confronte l’humanité à son environnement. »

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http://www.dailymotion.com/video/x2xtfh

Michel Serres sur Bergson, illustrations sonores d’après extraits du dossier France Culture : Bergson, le cinéma de la pensée

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La revue études rurales explore les nombreux aspects de la « ruralité » à travers les territoires, les activités, les genres de vie, les organisations politiques, les représentations, les croyances, les héritages et les perspectives. Grâce à la contribution d’auteurs venus d’horizons divers, la revue parle du monde en s’appuyant, pour toutes les disciplines (humaines, sociales et naturalistes), tant sur l’enquête scientifique que sur la réflexion, historique, philosophique ou anthropologique. Deux articles de la revue: 

Olivia Aubriot, L’eau, miroir d’une société. Irrigation paysanne au Népal central Paris, Éditions du CNRS, 2004, 321 p.

Gilles Tétart, Le sang des fleurs. Une anthropologie de l’abeille et du miel (préface de Françoise Héritier)

Se polluer soi-même?

Se polluer soi-même? dans -> ACTUS lutte

Il y a quelques jours, plusieurs dizaines de salariés des Ardennes menacés de perdre leur emploi se disaient prêts à déverser dans la Meuse,  « [...] après les 500 litres d’acide chlorhydrique, nous avons préparé 500 l d’eau oxygénée, c’est 50 fois plus violent », s’ils n’étaient pas entendus par les autorités locales.

Cadre de cette affaire, la société ardennaise Lenoir-et-Mernier et ses 130 emplois. Celle-ci fabrique notamment des boulons pour l’industrie, d’où la présence d’importants stocks d’acide sur le site de production à des fin de décapage. Cette société avait été mise en liquidation judiciaire le 7 février. S’en était suivi le dépôt d’une plainte des salariés à l’encontre de l’ancien PDG (abus de biens sociaux, détournement d’actifs, présentation de faux bilan, vol et banqueroute). Or les deux dossiers de reprise partielle ne proposaient que de conserver 10 ou 40 des emplois existants. La menace de déversement intervennait donc après cinq semaines de discussions infructueuses avec les politiques locaux. Il est possible de consulter le blog des salariés qui relate leurs actions au jour le jour à cette adresse.

Signalons également que le cas n’est pas isolé comme le confirme cet article. Ainsi, « En 2000, un autre village des Ardennes, Givet, a été le théâtre d’une action du même genre. Les ouvriers de l’entreprise Cellatex avaient déversé 5000 litres de sulfure de carbone symboliquement coloré en rouge dans un petit affluent de la Meuse. Du côté des défenseurs de l’environnement, on se refuse à condamner formellement. En 2000, les Verts avaient ainsi publié un communiqué de presse pour soutenir les salariés de Cellatex. » Source

Question immédiate, est-il possible de se faire entendre sur de telles bases ? N’est-ce pas là ouvrir une jurisprudence des plus dangereuses ? Mais en se plaçant au-delà de cette interrogation liminaire et sans doute nécessaire, ne serait-ce pas là également l’occasion - ou le symptôme - qui nous permettrait d’évaluer certains des méfaits de l’emballement environnementalo-médiatique? De celle qui faisant la part belle à une image (argument et urgence) de nature, chosifie cette dernière de sorte à en faire l’objet otage possible de tous et par tous. Suicide et désespoir? Est-ce réellement se polluer soi-même ou alors polluer les idéaux des autres ? Une nouvelle version de l’après moi le déluge ?

signalisation dans -> ACTUS

Cette affaire semble bien être un symptôme intéressant, cela à plusieurs niveaux. Tout d’abord de l’environnement comme machinerie abstraite, nature virtualisée rendue pilotable et valorisable du dehors par morceaux et séquences.

Secundo, de la question de la place de l’homme dans la nature en tant que préalable à l’action, question qui n’est pour ainsi dire absolument plus réactualisée. Du fait de l’urgence nous dit-on! Aide humanitaire d’urgence, aide planétaire d’urgence… Visiblement tout s’accélère de nos jour. Plus le temps de penser et donc de développer. Dire que tout cela est certainement de la faute à Descartes…

En conséquence, il ne faut pas s’étonner que dans l’urgence certains en viennent à ce type de solution d’urgence. Par ailleurs, il ne faut pas s’étonner non plus que l’environnement, constituant par bien des points la nature en tant qu’objet découpable, et par la même valorisable, et bien que celle-ci puisse devenir objet otage pour et par tous. Pour toutes ces raisons il  semble que ce type de menace soit amenée à s’amplifier dans le temps. Tout comme la constitution d’un musée appelle le voleur, à la constituons d’une armée de soldat béats répondra des foyers de guérillas.

bisounours

Produire des soldats

Le cas Lenoir-et-Mernier révèle sans doute du fait qu’on ne mobiles pas sans danger des armée entières avec comme seul cri de sauver la terre. Tout du moins sans que certains hommes ou groupes ne finissent par se révolter de la sorte. Révolte contre les effets du capitalisme mondialisé, révolte contre une certaine écologie elle-même enfantée du recyclage des déchets du système, pour que tout continue.

Voir, écouter  »Non non rien n’a changé, tout va continuer« , publicité révolutionnaire du poulet de Loué.

http://www.dailymotion.com/video/x2x5d8

Le cas Lenoir-et-Mernier révèle sans doute du fait qu’on ne mobiles pas sans danger des armée entières avec comme seul cri de sauver la terre. Tout du moins sans que certains hommes ou groupes ne finissent par se révolter de la sorte.  Révolte contre les effets du capitalisme mondialisé, révolte contre une certaine écologie enfantée du recyclage de l’image système: pour que tout continue.

Des modernités émerge une foule d’avatars archaïques, autant de masques temporaires aux nouvelles formes de pensées encore seulement pressenties, cherchant encore leur forme comme leur véritable objet d’étude. En ce sens, la question écologique ne serait-elle pas une tentative d’actualisation de la question du sacré telle qu’abandonnée par nos sociétés ? C’est à dire des rapports que nous sommes capables d’établir avec les forces et puissances supérieures que nous rencontrons dans la nature (climat, eau globale..), et la manière dont nous composons, nous concilions avec au sens d’un Spinoza. Or le risque du sacré c’est qu’il tourne très vite au religieux, au dogme, au dur. Qu’un rapport de force finisse toujours par s’identifier avec ses masques, se retourne contre lui.

Il serait sans doute utile d’interroger plus en avant le rôle des images dans le monde occidental. Hier comme aujourd’hui, notre capacité à composer avec. L’exemple d’une émission comme Ushuaia - son impact en termes de prise de conscience des enjeux écologiques à partir d’une succession ou montage de cartes postales esthétisantes, angle d’accès construit vers une certaine nature - semblerait ici un symptôme particulièrement intéressant à étudier.

A l’heure de l’individu.findel’histoire.tv, former de nouvelles armées requière la mobilisation de puissants ressentiments, médications englobées d’images à l’anis. Puissants mais pas nouveaux. La vieille idée de rachat des fils, l’image du déluge à toutes les sauces, l’illusion de la clarté de l’histoire. Des cases claires et transparentes, galeries théâtrales où s’agiteraient des premiers rôles tous préemptés par les images ex-nihilo des Descartes, des Platon… Un rapport à l’histoire proche de ce que remarquait François Furet à propos de la perception des français de leur révolution: « évènement faussement considéré comme clair par tous nos contemporains ». D’où l’option suivante: « je crois que la vie scientifique commence par l’étrangeté ». Voilà ici dénoncé en quelques mots les dangers de la familiarité, l’impérieuse nécessité que nous avons d’ajouter de l’obscurité, de mettre du complexe dans nos représentations et symboles.

De l’aide au développement sur fond de décolonisation, à l’environnement sur fond de crise téléonomico-sociale, produire de bons soldats béats requière toujours peu ou prou les mêmes étapes de non interrogation et d’oubli du temps de la construction de nos symboles.  Toute archéologie ou tentative de généalogie mises la poubelle, s’il y a bien recyclage aujourd’hui, c’est aussi bien de l’histoire que des idées, comme des sacs poubelles.

Petite histoire de l’écologie (petite)

Ecosophie ici et là ?

Ecosophie ici et là ? dans -> ACTUS ecoso

     On tourne souvent autour des mêmes interrogations bancales sur ce blog. La faute à une conceptualisation difficile, contrecoup de ce qui reste avant tout une observation de terrain produisant ses affects de manière désordonnée. Sujet étudiant, lui-même véritable symptôme de ses objets d’étude. Un temps de recul, formaliser quelque peu. Etre capable de formuler les questions, le premier pas sérieux pour en sortir ? Des réponses ? Elles sont du côté des pratiques, non préconstituées, non connues à l’avance. Alors s’il y a bien un concept qui répondrait à cet objectif de formalisation de questions plutôt que de réponses, filet de capture souple de nos affects débridés, c’est peut-être bien l’écosophie de Guattari.

En sympathie avec l’article introductif qui suit, la question que nous cherchons à poser, celle autour de laquelle nous tournons sans cesse, c’est bien de « construire des conditions concrètes permettant à l’individu de sortir de ses intérêts de court terme [...] pour penser et construire ses rapports au monde« . Une fois dit que les valeurs ne s’imposent que grâce au crédit que chacun leur accorde, de la passivité à la simple croyance, de l’absence de filet éducatif ou de soutien à l’action, comment composer les nouveaux écosystèmes institutionnels, ces incitations collectives à même de libérer et produire de nouveaux comportements doux ?

Ouvrons donc un nouveau chantier dédié à l’écosophie, et plus précisément à la manière dont certains des éclats de celle-ci ont pu venir contaminer quelque peu les pratiques institutionnelles, comme nourrir des expériences collectives et/ou individuelles beaucoup plus informelles.

Commençons par un commencement pour une fois, sous la forme d’un article de synthèse de Valerie Marange. Il n’est pas dans la nature de ce blog fragmentaire de capturer les articles extérieurs dans leur intégralité, mais il semble bien difficile de couper celui-ci sans en amputer sérieusement la portée. L’article dans sa version originale et totalement intégrale est disponible à cette adresse: http://ecorev.org/spip.php?article501

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D’une économie élargie à une écologie mentale

L’écologie politique est aujourd’hui arrivée à un point de développement important, qui ne lui confère pourtant qu’une efficacité très réduite. On l’observe par exemple dans le domaine des émissions de CO2, qui n’ont reculé depuis Kyoto que dans les pays de l’ex-URSS, pour cause de désastre économique. Cette impuissance de l’action politique conduit certains observateurs à la conclusion que le levier réside aujourd’hui, non pas dans une fallacieuse « démocratie économique », mais dans les modes de vie et les aspirations culturelles [1].

Le niveau d’émission de CO2, de production de déchets en général dépendent bien sûr des stratégies du marché (flux tendus par exemple) et des politiques de transports mais aussi des habitudes de consommation, des comportements face au travail, des modes d’habitats, des satisfactions trouvées dans la vitesse… Si la pensée écologiste nous a appris l’importance des « externalités », négatives ou positives, ressources minières ou ressources humaines pour l’économie « restreinte » [2], il n’est pas impossible que la détermination la plus forte, aujourd’hui, soit du côté des externalités subjectives, c’est-à-dire des mentalités.

Les valeurs économiques sont comme toutes les valeurs, elles dépendent du crédit qu’on leur accorde, comme on le voit avec les phénomènes d’ »euphorie » ou de « panique » boursière. D’autre part, le mouvement capitalistique lui-même dépend de plus en plus des productions immatérielles, autrement dit des savoirs, désirs et croyances qu’il s’efforce de capter à son profit. La « nouvelle économie » est en partie une récupération des énergies bénévoles investies dans le développement de l’Internet, transformant des « valeurs » en prix, en plus-value [3].

Il y a donc des enchaînements permanents entre environnements physique, économique mais aussi affectif et mental, et qui font que nous ne pouvons plus séparer, comme le faisaient les marxistes, les infrastructures matérielles des superstructures idéologiques. Et la question pratique la plus urgente pour la politique écologiste pourrait donc être de travailler, plus que les leviers du pouvoir au sens restreint, ceux de la micro-politique des valeurs, des affects et des façons de vivre. À une économie élargie, il faudrait donc faire correspondre une politique et une écologie élargies.

L’écosophie : un plan de consistance à multiples entrées

L’utopie ou la mort… Ce cri de Dumont sonne un peu étrangement, dans nos temps apathiques. C’est cette apathie, cette impuissance subjective qui inquiète le plus Félix Guattari au moment où, il y a une quinzaine d’années, il propose d’élargir le paradigme écologique aux champs des sociétés et des mentalités [4]. Cette proposition découle de son travail avec Gilles Deleuze sur les processus subjectifs à l’œuvre dans le capitalisme, qui libère l’inventivité mais la retourne aussi en « anti-production » [5].

http://www.dailymotion.com/video/x4flvl

Capitalisme et schizophrénie

Elle provient aussi de son travail clinique, mené à La Borde dans la foulée de la psychiatrie « institutionnelle », pour laquelle c’est l’environnement dans ses différentes composantes qui est déterminant dans les formations subjectives et leurs pathologies [6].

Son « écosophie » fait aussi écho à une tendance dans l’écologie scientifique, à tranversaliser de plus en plus l’analyse des « milieux » associant des éléments naturels et artificiels, des espèces animales ou végétales et des modes de vie humains.

L’ethnobiologie, la discipline dite de la biodiversité, la sociologie de l’environnement mais aussi des sciences et des techniques, n’ont cessé depuis de confirmer de telles hypothèses, de faire de l’environnement l’opérateur d’une interdisciplinarité entre sciences dites dures et sciences humaines [7]. Bien loin des modèles organicistes ou déterministes, elles ont contribué à affirmer des visions « compréhensives » des relations sociales en même temps que de l’environnement, faisant fonctionner non pas seulement des « systèmes » mais des relations entre différents points de vue actifs, des pôles de valeur.

Si « biologisation » du social il y a ici, c’est au sens où la vie elle-même est relation, c’est sur la base d’une philosophie du vivant qui lui confère une capacité politique immanente. Même pour une amibe, vivre est d’abord « préférer et exclure« , composer ses rencontres et son milieu, affirmait Georges Canguilhem, philosophe-médecin qui forma Deleuze comme Foucault. Chez Deleuze-Guattari, d’une autre façon chez Latour et Stengers, cette leçon d’écologie devient une véritable ontologie des relations : ce qui est important, ce n’est pas tant ce qui se passe dans tel ou tel pôle de transcendance (l’État, le Sujet ou l’Individu, la Nature…), c’est ce qui se passe « entre » ces pôles ou plutôt entre des éléments plus fragmentaires (affects, signes, blocs d’intensité, techniques…) ce qui rend l’agencement plus ou moins productif, ouvert, vivant. Ici la division entre nature et culture ou artifice n’a plus lieu, l’essentiel étant que les « machines » socio-techniques soient désirantes. La création est le sens du vivant, et l’écosophie plus constructiviste que conservatrice. Il ne s’agit pas de garder l’être, mais de produire des milieux vivables et vivants.

Il ne s’agit pas de s’en prendre au productivisme, mais de sortir de l’anti-production capitaliste, qui ne libère les flux vivants que pour les rabattre sur la valeur marchande, et de tous les dispositifs de contrôles nécessaires pour la protéger… jusqu’au fascisme. La productivité est ici arrachée au seul rapport capital-travail, rendue aux forces de l’invention et de la coopération, de l’auto-valorisation et de l’éco-valorisation [8].

L’écosophie, on le voit, est à l’instar des dispositifs qu’elle décrit et promeut un « rhizome », un ensemble de « plateaux » plus qu’une arborescence ordonnée, une synthèse de nombreuses rencontres entre des foyers de subjectivation disparates, hétérogènes. S’il s’agit de faire passer quelque chose entre les disciplines diverses, l’écosophie s’efforce aussi de répondre à un problème concret auquel est confrontée une écologie politique émergente, celui d’opérer des alliances entre des pôles de singularisation éclatés, mutants, en prise sur des questions de modes de vie : cultures minoritaires, féministes, usagers de la santé, homosexuels, chômeurs… À tous, ainsi qu’à certains pans de la subjectivité ouvrière classique (du syndicalisme par exemple) Guattari propose de travailler ensemble les conditions concrètes de l’habiter, tout en construisant une transterritorialité entre leurs différentes langues vernaculaires. La parution des Trois écologies suit de peu l’ »Appel pour un arc en ciel » et sa tentative de trouver entre différentes tribus minoritaires des modes de coexistence propres à renouveler les coordonnées classiques du politique. Quel que soit le bilan de cette tentative, elle s’inscrit pour le moins dans une tension toujours vivante, même si elle a pris quelques coups, de « faire de la politique autrement ».

La vie anormale des gens normaux

Le projet écosophique s’affirme donc simultanément sur un plan scientifique et philosophique, clinique et politique, éthico-esthétique. Ce qui inquiète ici Guattari, c’est la vie anormale des gens normaux, c’est-à-dire la passivité devant le désastre matériel et moral, l’infantilisation par les médias, l’arrêt de la production subjective de virtualités collectives, voire la régression vers les micro-fascismes des « sociétés de contrôle » [9].

C’est bien là-dessus qu’il faudrait agir, mais « il est difficile d’amener les individus à sortir d’eux-mêmes, à se dégager de leurs préoccupations immédiates et à réfléchir sur le présent et le futur du monde. Ils manquent, pour y parvenir, d’incitations collectives«  [10].

Comment sortir l’individu contemporain de sa narcose fataliste, de son intégration hyper-adaptative ? Praticien en même temps que théoricien, Félix propose de nouveaux « agencements collectifs d’énonciation », de « nouveaux enlacements polyphoniques entre l’individu et le social ». Une nouvelle productivité des subjectivités doit être soutenue par des dispositifs concrets, nouveaux territoires d’existence producteurs d’univers de valeurs, dont des esquisses sont repérables dans nos sociétés dans des « groupes-sujets ».

La pratique se déroule toujours au sein de groupes, et dans ce sens est toujours partielle. Loin de résulter d’un abstrait quelconque même « écologiste », elle exprime ce qui se passe concrètement dans le dispositif qui la produit. Ainsi, l’isolement du téléspectateur, même « bien informé » de la dégradation du monde, ne produit par lui-même aucune pratique positive. Les agencements post-médiatiques, ceux des réseaux d’échanges sur l’Internet ont commencé d’ouvrir une brèche concrète dans la normalisation massive des subjectivités. De la même façon, des avancées importantes ont été possibles, dans des localités instaurant des formes de démocratie participative où tous les aspects de la vie quotidienne (urbanisme, santé, chômage, problèmes d’ambiance) sont travaillés collectivement. Ici ou là, de petites machines écosophiques efficaces indiquent une certaine vitalité des territoires et de la socialité, tout en s’employant à la restaurer.

Il existe une écologie sociale et mentale spontanée, bien repérée dans les pays du Sud, où le soutien mutuel est vital. Ce n’est pas par hasard que de nombreuses ONG, ces dernières années, ont mis l’accent sur le soutien à de telles trames de socialisation, souvent portées par des femmes. Des groupes comme Aides et Act up prouvent aujourd’hui que la bataille contre le Sida sera gagnée ou perdue non seulement au niveau des institutions, mais dans la connexion de celles-ci avec les collectifs de malades, souvent en Afrique des femmes pauvres et veuves, chez nous des homosexuels, des prostitué(e)s ou héroïnomanes. Là encore, c’est aux externalités de la « politique restreinte » que nous sommes confrontés, à leur efficacité propre.

C’est cette efficacité qu’une politique écosophique s’efforcera de démultiplier, en extension et en intensité.

D’un matérialisme utopique…

Ainsi la consistance éthique du projet n’est elle jamais séparée de la question, non pas du pouvoir, mais de la puissance.

La question, si l’on se rappelle bien, est de construire des conditions concrètes permettant à l’individu de sortir de ses intérêts de court terme, de sa course au pouvoir et au profit, pour penser et construire ses rapports au monde, à l’altérité, au temps. À sortir de son indifférence au désastre écologique et social, le sujet « normopathe » a en effet quelque chose à perdre, puisqu’il y prend conscience de sa finitude, de son altération, de son « impouvoir » (Blanchot). La fiction du sujet politico-moral transcendant ou du nice guy « communicant » n’empêche pas que chacun soit soumis à des interdépendances, des politiques de santé ou d’urbanisme, à ses propres fragilités comme vivant. L’écosophie recourt au « principe de cruauté«  [11], elle est d’une certaine façon un matérialisme absolu, l’humour du corps s’adressant à un esprit dominateur, maître et possesseur de la nature.

« Vivants dans la politique desquels leur condition d’être vivant est en question » selon les mots de Foucault, nous aurions tort de laisser à des pouvoirs pastoraux ou à des sociétés anonymes le soin de gérer nos corps et notre environnement, de déterminer nos façons de vivre. L’écologie sociale est d’abord une politique des gens concernés sur les questions qui les concernent, des vivants sur la vie qu’ils vivent, des habitants sur le territoire qu’ils habitent, des vieux ou des jeunes sur la façon de vivre leur âge.

C’est une biopolitique en rupture avec le schéma technocratique ou assistanciel. En même temps, elle ouvre tout un champ de possibles à des initiatives nouvelles, pour décloisonner les questions de la maladie, de la vieillesse, des relations amoureuses et familiales, de la solitude ou de la difficulté existentielle. Pas plus que les questions globales du climat ou des échanges internationaux, les questions micro-politiques ne doivent être laissées à des experts de l’intime.

…à une écologie du virtuel…

En effet, il ne s’agit pas ici de chanter la finitude sur l’air du renoncement, mais d’ouvrir de nouvelles virtualités. Il y a bien, dans la crise actuelle de l’écologie sociale, un problème de perte de réalité. Celui-ci ne concerne pas seulement les « sauvageons du virtuel », mais aussi bien ceux qui, dans le salon télé de leur résidence sécurisée, croient le monde pacifié et leur subjectivité close, vouée à la seule altérité intérieure et à la « communication » normée. D’autre part, la puissance de virtualisation ne pose pas en elle-même problème, mais seulement dans la mesure où elle s’inféode à la logique du probable ou tourne à vide sur le seul mode du fantasme, se déconnectant de toute production de réalité. Les nouvelles techniques ne sont pas univoques, elles offrent des possibles et pas seulement de l’inéluctable. Et le chaos lui-même n’est pas doté de valeurs seulement négatives, en nous déterritorialisant des soumissions traditionnelles, en nous indiquant aussi les limites de la rationalisation.

C’est pourquoi l’écosophie ne saurait être appel au renoncement, au raisonnable, ni, comme l’a cru Hans Jonas, à la peur. L’opposition entre matérialisme et utopie, qui remonte à une certaine normalisation du mouvement ouvrier, doit au contraire être battue en brèche. C’est une question de santé mentale de base, comme l’a admirablement montré Ernst Bloch, que de pouvoir espérer activement, développer des utopies concrètes [12].

C’est faute de pouvoir accomplir une telle pragmatique désirante, que le sujet contemporain devient normopathe, absorbé par la « fatigue d’être soi » voire renvoyé à la seule expression violente. Nulle responsabilité authentique ne peut être exercée si elle considère l’avenir comme écrit, proposant la résignation et le cocooning comme sagesse de vie.

…et des pratiques

Il ne s’agit donc pas de proscrire, d’écraser dans des affects tristes les virtualités singulières, mais d’en promouvoir une écologie, une coexistence, au travers de ce que Stengers nommera plus tard dans le domaine des sciences une « écologie des pratiques », qui cesseraient de se disqualifier mutuellement, d’opposer la liberté de l’un à celle de l’autre, la pensée normale à la déraison.

Il ne s’agit pas ici de se soumettre à un impératif de tolérance, à un catéchisme sur le « goût des autres ». Il s’agit de comprendre -comme on le voit très bien dans les coopérations interdisciplinaires- que ma singularité, comme ma puissance d’agir commence là où, non pas s’arrête mais commence celle de l’autre. La pluralité ou même l’adversité du dissensus, qui me sort du narcissisme consensuel, m’ouvre aussi l’espace des points de vue, de la coopération dans la compréhension et la production d’un monde fait de multiplicité. Pour ces deux raisons, « j’ai non seulement à l’accepter, mais à l’aimer pour elle-même ; j’ai à la rechercher, à dialoguer avec elle, à la creuser, à l’approfondir… » [13].

Les groupes-sujets et leurs agencements peuvent ainsi s’étendre aussi largement que possible, à condition de ne pas céder aux jeux de l’hégémonie et de la normalisation. Il peuvent aussi s’approfondir en intensité, en radicalité pourrait-on traduire, à condition de rester ouverts [14]. On retrouve ici le schème deleuzien de la différence et de la répétition, ou celui de Tarde sur l’invention et la coopération.

L’écosophie est une philosophe de l’entre, mais aussi du « et« , de la disjonction non exclusive. C’est cette idée qui motiva, dans l’expérience de l’ »Arc en ciel », la règle dite du « consensus-dissensus », permettant à chaque composante de travailler librement avec les autres sans jeux de majorité ou d’hégémonie, en continuant d’approfondir sa propre singularité. L’application en est évidemment complexe dans le jeu « politique » au sens restreint, celui de la représentation élective.

Reste qu’une telle virtualité est opérante dans les mouvements sociaux actuels, qui reposent presque toujours sur des fronts de minorités.

Reste aussi que comme aspiration, elle ouvre des perspectives pour sortir d’un jeu politique démocratique aujourd’hui dominé par la corruption, et d’une certaine atmosphère de guerre sociale, de disqualification des uns et de cynisme des autres. Cette nécessaire écologie de la politique elle-même, des relations politiques entre les humains, dont les interactions meurtrières de la circulation routière sont un contre-modèle, rejoint ici les évocations philosophiques qui font de la terre le tiers espace, le grand dehors ramenant les humains à une éthique de coexistence et d’hospitalité [15].

En même temps, le plus large point de vue est celui des multiplicités, qui ne signifie ni débat pluraliste au sens politico-médiatique, ni globalisation du regard à la manière holiste.

Cela signifie qu’il n’est plus possible de se désintéresser des conditions pratiques de l’énonciation collective d’un point de vue, de la qualité de l’être-ensemble dans les groupes politiques comme dans les relations de voisinage, d’institutions, d’entreprises.

Il n’est plus possible de continuer à cliver l’idéologie et la matérialité, ni le paradigme écologique de la politique écologiste. Ce qui doit nous intéresser, plus encore que les stratégies ourdies à l’OMC ou dans les multinationales, ce sont les relais subjectifs concrets qui font gagner ces stratégies, construisent des consensus.

Ce qui doit retenir notre attention, autant que les effets massifs de la globalisation, ce sont les raisons intimes que nous avons d’agir, du désir que nous avons de nous rencontrer, de notre capacité à esquisser d’autres possibles.

Partir de nos besoins et de nos désirs, de nos terrains et virtualités spécifiques, plutôt que nous projeter dans l’espace d’une représentation universalisante, mais pour aller à la rencontre d’autres besoins et d’autres désirs, les composer ensemble, en construire une écologie.

Voilà qui implique beaucoup d’art, beaucoup de souci de soi et du dehors, que ne sauraient susciter ni la doxa démocratique actuelle, ni l’idéologie de la communication, mais seulement des pratiques actives de restauration de la cité subjective.

Il s’agit de favoriser partout l’émergence de nouveaux territoires d’existence, d’ »espaces de douceur » ouverts, de nouvelles trames de socialité qui seules peuvent produire des univers de valeurs alternatifs au nihilisme de masse, à ses horizons barbares.

Valérie Marange, Philosophe, co-rédactrice en chef de la revue Chimères

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[1] Cf Bernard Kalaora, « Pensée écologique et enjeux de société », Etudes sociales, 1997, n°125. et « Quand l’environnement devient affaire d’État », Anthropologie du politique, Ed. Abélès M. et Jeudy H.P., Paris, Armand Collin, 1997.

[2] René Passet, L’économique et le vivant, Payot, 1982.

[3] Yann Moulier Boutang, « La revanche des externalités », Futur antérieur.

[4] Félix Guattari, Les trois écologies, Galilée, Paris, 1988.

[5] G. Deleuze et F. Guattari, Capitalisme et Schizophrénie, L’Anti-Oedipe, Minuit 1972 ; Mille Plateaux, Minuit, 1980.

[6] Félix Guattari « La grille », Chimères n°34.

[7] Marcel Jollivet, Sciences de la nature, sciences de la société : les passeurs de frontières. CNRS Editions.

[8] Maurizzio Lazzarato « Gabriel Tarde ou l’économie politique des affects », Chimères n°39.

[9] Félix Guattari, Les années d’hiver, Barrault, 1986 et Gilles Deleuze, « Post-scriptum sur les sociétés de contrôle », Pourparlers, Minuit, 1990.

[10] Félix Guattari, « Pour une refondation des pratiques sociales », Le Monde Diplomatique, septembre 1992.

[11] Selon les termes de Clément Rosset.

[12] Ernst Bloch, Le principe espérance, Francfort 1959, Gallimard 1976.

[13] « Refonder des pratiques sociales », art. cité.

[14] Anne Querrien, « Broderies sur les Trois écologies », Chimères n°26.

[15] Au début du Contrat naturel, Michel Serres évoque un tableau de Goya dans lequel deux hommes engagés dans une lutte à mort sont débordés par la catastrophe « naturelle » que leur conflit provoque. L’image évoque celle de la « paix des cimetières » que Kant place au départ de son projet de paix perpétuelle. Parce que la terre est ronde, dit-il, il faudra fonder la cosmopolitique sur la valeur d’hospitalité.

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De l’abeille à la ressource en eau

Deux émissions de France Culture s’accordant aux différents thèmes traités ici: l’état de la ressource en eau, l’état des peuplements d’abeilles.

Les limites des ressources en eau

L’eau est synonyme de vie. Sans eau, pas ou peu de vie. Les ressources en eau douce sont finies et elles sont très inégalement réparties à la surface du globe. Dès lors préservons-nous suffisamment cette ressource rare et précieuse, et les écosystèmes naturels qui y sont associés ? Ne sommes-nous pas en train de la gaspiller? De détruire la biodiversité des milieux aquatiques ? Combien de temps faut-il pour qu’une nappe phréatique polluée soit purifiée? Y a-t-il assez d’eau pour satisfaire les besoins d’une population mondiale en croissance et ceux de la nature? Une conférence donnée par Ghislain de Marsily, professeur émérite d’hydrologie à l’Université Paris VI, membre de l’Académie des sciences, évoque les limites de la gestion des ressources en eau.

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Fin de lune de miel ?

Les abeilles seraient-elles en train de disparaître ? Les témoignages d’apiculteurs du monde entier s’accumulent, qui voient leurs colonies disparaître en quelques jours, sans qu’aucune abeille ne soit retrouvée morte au pied de la ruche pour autant. Elles ne seraient donc pas victimes de pesticides, alors d’où provient ce mystère ? Le phénomène, connu sous le nom de « colony collapse disorder », maladie de la disparition, inquiète les scientifiques notamment par le manque de pollinisateurs et sa répercussion sur l’agriculture. En effet 80% des espèces végétales ont besoin des abeilles pour être fécondées. Mais les chercheurs peinent à trouver les causes de ce qui semble correspondre à une perte de mémoire, qui les empêcherait de retrouver leur ruche. Effets inconnus des OGM ? Emissions d’ondes électromagnétiques émises par les téléphones portables, les GPS, la WiFi? Il faut savoir que cette intelligence qui nous semble collective est armée d’un psychisme extraordinaire, proche des animaux dits supérieurs, s’orientant par rapport au soleil, utilisant des modes de communication visuels, chimiques et tactiles qui laissent encore la part belle à l’inconnu. Les entomologistes mènent leur enquête, et parfois, par cet étrange phénomène de mimétisme qui finit par nous rapprocher de nos ennemis, certains deviennent spécialistes des insectes après les avoir longtemps combattu pour les grandes firmes de pesticides.Entre fantastique cité de petits forçats et entité collective, le petit bourdonnement rayé et sa cohorte de cousines a convoqué dans toutes les mythologies le souvenir mêlé du goût de miel et celui, cuisant, du dard, témoignant de notre longue histoire commune. Mais si aujourd’hui les abeilles sont malades de l’homme, certains tentent de renouer le lien comme le créateur du Parti poétique devenu producteur du miel Béton en collaboration avec elles : elles nous livrent le goût de notre territoire pris dans la gangue des alvéoles. Emerge alors à chaque fois un dialogue, une communication non verbale établie entre le monde humain et la nature.

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Le principe d’attention appliqué à l’écologie: l’appel aux sciences sociales

       Dans un article du Monde intitulé « Sous l’effet du réchauffement, les sols rejettent du carbone« , Stéphane Foucart en date du 08.09.05, un petit encadré avait retenu mon attention: « Le péril du reboisement de la toundra« .

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« Sous l’effet du réchauffement, la couverture végétale des régions arctiques du Canada, de l’Alaska et de la Russie augmente continûment. Comme l’ont montré plusieurs études, ce processus implique, via la synthèse de nouvelle biomasse, un important stockage de carbone. Des travaux publiés, jeudi 7 septembre, dans le Journal of Geophysical Research explorent un autre aspect de ces bouleversements. Selon cette étude, la croissance accélérée des arbustes de la toundra modifie l’enneigement hivernal de ces vastes zones. En retour, l’indice de réflexivité (ou albédo) de ces régions change : elles réfléchissent moins la lumière du Soleil et absorbent plus d’énergie. De quoi bouleverser un fragile équilibre énergétique, expliquent les auteurs de l’étude, et favoriser, plus encore, la pousse des végétaux.

L’excès d’énergie absorbée par la toundra au cours de l’hiver est également susceptible de libérer une part du carbone stocké dans les sols. Enfin, l’enneigement réduit de ces régions pourrait contribuer à modifier l’albédo moyen de la Terre et contribuer directement à son réchauffement.« 

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Le monde n’est pas transparent…

Cas d’école démontrant assez bien le peu de conscience que nous avons des multiples interractions et rétroactions à l’oeuvre entre et dans les différents systèmes et machineries naturels qui composent la biosphère. Il n’existe ainsi aucune « bonne » solution à l’avance. Planter des arbre pour séquestrer le carbone est ici une réponse, là-bas une intérrogation. Or voilà sans doute l’un des volets du principe de précaution bien souvent négligé dans les discours: le principe de contingence de toute nos solutions de tête, l’extrême prudence qu’il convient d’avoir en la matière avec toute position morale préconstituée, et par la même globalisante. Et finalement, on en revient toujours à la même question: quel segment du droit aura notre préférence dans la pratique, le texte de loi ou la jurisprudence?  

Le principe d'attention appliqué à l'écologie: l'appel aux sciences sociales dans -> CAPTURE de CODES : p1011principedeprecaution

S’il n’y rien de bien nouveau dans tout ça, n’en demeure pas moins l’occasion d’illustrer quelque peu la pensée d’un chercheur tel que Gregory Bateson. Pour ce dernier, l’ensemble de l’esprit est un « réseau cybernétique intégré » de propositions, d’images, de processus etc. etc…., la conscience, seulement un échantillon des différentes parties et régions de ce réseau. Ainsi, « si l’on coupe la conscience, ce qui apparaît ce sont des arcs de circuits, non des pas des circuits complet, ni des circuits de circuits encore plus vaste. »

De ce point de vue, on aura compris que notre conscience n’est qu’une petite partie du réel systématiquement sélectionnée et aboutissant à une image toujours déformée de l’ensemble plus vaste qu’est l’esprit. Esprit lui-même connecté à l’ensemble plus vaste qu’est l’environnement, de sorte que: « l’unité autocorrective qui transmet l’information ou qui, comme on dit, pense,  agit et  décide, est un système dont les limites ne coïncident ni avec celles du corps, ni avec celles de ce qu’on appelle communément soi ou conscience ». 

Pour mieux saisir la chose, Bateson nous donne à voir l’exemple de l’iceberg. Si à partir de la surface visible de celui-ci nous pouvons deviner ou extrapoler le type de matière qui se trouve immergée, il n’en est pas du tout de même à partir du matériel livré par la conscience : « le système de la pensée consciente véhicule des informations sur la nature de l’homme et de son environnement. Ces informations sont déformées ou sélectionnées et nous ignorons la façon dont se produisent ces transformations. Comme ce système est couplé avec le système mental coévolutif plus vaste, il peut se produire un fâcheux déséquilibre entre les deux».

Ainsi une pure rationalité projective « non assistée » est nécessairement pathogénique et destructrice de la vie, pour la raison que : « la vie dépend de circuits de contingences entrelacés, alors que la conscience ne peut mettre en évidence que tels petits arcs de tels circuits que l’engrenage des buts humains peut manœuvrer. » Pour nos actions quotidiennes, les conséquences sont nombreuses. Elles ont toutes ceci de commun que : « les erreurs se reproduisent à chaque fois que la chaîne causales altérée (par la réalisation d’un but conscient) est une partie de la structure de circuit, vaste ou petit, d’un système. »

http://www.dailymotion.com/video/x2c131

Extrait audio d’après Gregory Bateson

Dès lors pour l’homme, la surprise ne peut alors être que continue vis-à-vis des effets de  ses « stratégies de tête », et cela quelque soit la nature de ses intentions. Bateson prend l’exemple d’un territoire infesté de moustiques que nous souhaiterions asssainir afin d’y développer le tourisme ou l’agriculture, soit générer des revenus pour le monde rural, maintenir les populations sur le territoire tout en protégeant l’environnement des diverses formes de surexploitation possibles.

Nous utilisons alors un produit insecticide pour réduire la population de moustique. Se faisant, nous privons ainsi certains insectivores (les oiseaux par exemple) de leur nourriture, ce qui en retour à pour effet de multiplier d’autres populations d’insectes. Nous en sommes donc conduit à utiliser une plus grande quantité d’insecticide afin de neutraliser ces dernières, cela jusqu’à la possibilité d’empoisonner y compris les insectivores : « ainsi, si l’utilisation de DDT en venait à tuer les chiens par exemple, il y aurait dès lors lieu d’augmenter le nombre de policier pour faire faire face à la recrudescence des cambriolages. En réponse ces même cambrioleurs s’armeraient mieux et deviendraient plus malin…etc. etc…. ». 

Si l’on souhaitait réactualiser cet exemple, imaginons juste que pour répondre aux mêmes objectifs de développement, nous produisions maintenant des moustiques équipés d’un gène qui les protège contre le paludisme, maladie transmissible dont ils sont l’un des vecteurs. Quid des effets d’une éventuelle propagation du gène aux autres insectes et à leurs prédateurs ? Quid des conséquences éventuelles de la prolifération de moustiques mutants sur les différentes niches écologiques des écosystèmes locaux? Et ainsi de suite… du DDT à l’OGM, cinquante ans, mais peu ou prou, subsiste toujours les même interrogations. Quelle question nous manque-t-il pour se sortir de là?

scarabesurbrindherbe2 dans Bateson

 Besoins institutionnels…

Sans doute que nos connaissances des sciences dures, de la chimie et de toute mesure, sans doute que celles-ci doivent être complétées et accompagnées par de nouvelles formes d’organisations et pratiques sociales.

C’est à dire par tout un ensemble de nouveaux briquetages ou processus de gouvernance à même de renforcer la capacité d’expérimentation de chacun sur ses différents branchements possibles (aménager, protéger, construire, réguler…)  avec l’environnement. Que ce dernier soit naturel ou pas, là n’est d’ailleurs pas la question. Individuellement et collectivement, comment devenir capable d’extraire et formaliser des expériences qui fassent sens?  Un sens concurrent et complémentaire aux valeurs strictement quantitatives de la mesure.

Il est certain que cela nous engage à un principe d’attention vieux comme le monde, l’homme incertain, animal aux aguets soudain réactualisé de force par la crise écologique rampante. Des différentes techniques ou parcours individuels qui en découlent, du souci de soi au souci de la Terre, tous se devraient d’être accompagnés des processus de gouvernance à même de les soutenir.

http://www.dailymotion.com/video/x3f9b5

Extrait audio d’après Isabelle Stengers

Centraliser pour dispatcher, irriguer le corps social des différentes exépériences singulières, individuelles et collectives. Les gares de triage, les filets du panier percé de nos expériences multiples. La résistance contre la pollution née de la surinformation et de la désinformation, la passivité des récepteurs.

Pour que l’écologie tienne ensemble, de la chimie à la pratique, il devient nécessaire de combiner les approches et savoirs de manière dynamique : « [...] toute appréhension d’un problème environnemental postule le développement d’univers de valeurs et donc d’un engagement éthico-politique. Elle appelle aussi l’incarnation d’un système de modélisation, pour soutenir ces univers de valeurs, c’est-à-dire les pratiques sociales, de terrain, des pratiques analytiques quand il s’agit de production de subjectivité. » Félix Guattari « Qu’est-ce que l’écosophie ? »

http://www.dailymotion.com/video/x48fxs

Extrait audio d’après Felix Guattari

Produire de l’autonomie…

L’un des principaux dangers de la discipline hétérogène qu’on appelle écologie, de son versant scientifique au politique, c’est bien de vouloir se constituer en tant que discipline autonome à vocation transcendante. Là réside peut-être son principe d’attention tel qu’appliqué à elle-même: résister à la tentation isolationniste. Car à mesure que celle-ci se constitue et englobe des savoirs et compétences de plus en plus précis et multiples, l’écologie tend à oublier de faire appel aux autres disciplines. Sous le pretexte d’urgence, et principalement vis à vis des sciences sociales. Alors philosophe, anthropologue, sociologue, psychanalyste, linguiste, sémiologue, géographe, historien and so on… au secours, ne nous laisser pas dériver tout seul!

La question de l’homme dans l’écologie, telle que négligée aujourd’hui, appelle à de nouveaux branchements, de nouvelles passerelles transverses entre l’écologie et les différents points de vue et objets d’étude des autres disciplines. Faute de quoi, nous prendrons inévitablement ce nouvel édifice sur la tête…

http://www.dailymotion.com/video/x3kcoi

Extrait audio d’après Edgar Morin

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Extrait de la production de soi, article de Jean Zin 31/07/01 sur Michel Foucault: [...] L’erreur ne vient pas de l’autre, le savoir n’est pas donné, le monde n’est pas transparent. Il faut reconnaître ses erreurs, notre ignorance, la fragilité de notre identité, notre inhabileté fatale. Le principe de précaution est le principe d’une liberté sans certitude, principe d’insuffisance de l’individu et du savoir comme produit de son temps et sans que cela empêche le sujet de se rebeller contre le monde qui l’a créé. Cette liberté n’est possible qu’avec le support des institutions (des discours), une sécurité sociale et la puissance du pouvoir politique sans lequel nous courrons à la catastrophe. Il nous faut un pouvoir collectif qui ne soit pas autonome mais réfléchi et produise de l’autonomie. Telle est la question qu’il nous faut résoudre, devant la précarité du mode de subjectivation moderne : produire les conditions de la liberté. « La liberté est la condition ontologique de l’éthique mais l’éthique est la forme réfléchie que prend la liberté« . 

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spino dans Edgar Morin

Points de vue sur l’état de la ressource pétrolière

Dans un contexte de crise financière, deux émissions, deux angles d’attaque sur l’état de la ressource pétrolière:

http://www.dailymotion.com/video/x4cvw0 

http://www.dailymotion.com/video/x363wm

Dernière étude de l’Insee sur la consommation d’énergie des ménages. Autant de dépenses en carburants qu’en énergie domestique. Les dépenses d’énergie domestique et de carburants ont représenté 7,3 % du budget des ménages en 2006. Un pic à plus de 10 % avait été atteint en 1985. Consultez l’étude

L’agriculture est-elle redevenue un problème majeur pour l’humanité ?

L'agriculture est-elle redevenue un problème majeur pour l'humanité ? dans -> ACTUS danse1

       Alors que le rapport de l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) concernant l’agriculture biologique et sécurité alimentaire (2007) déclarait que:  » (…) une conversion planétaire à l’agriculture biologique, sans défrichement de zones sauvages à des fins agricoles et sans utilisation d’engrais azotés, déboucherait sur une offre de produits agricoles de l’ordre de 2640 à 4380 kilocalories par personne et par jour (…) »

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Fourchette à rapporter aux dépenses de base de l’organisme (respiration, régulation thermique, digestion, etc.), qui s’évaluent à environ 1 600 calories par jour. Et sachant que, d’après l’article de synthèse  »alimentation et santé » du site vivre-au-quotidien.com, les besoins alimentaires de l’individu se divisent en deux groupes : les besoins d’énergie d’une part, les besoins en protection de l’autre. Les premiers sont couverts par les glucides et par les lipides, les seconds par les protides, les vitamines et les sels minéraux. Rappelons que pour les glucides (sucres) et les protéines (matières azotées) , 1 g de matière restitue 4 calories, tandis que chez les lipides (graisses), 1 g donne 9 calories.

Nous consommons de l’énergie en permanence comme le simple fait de respirer use des calories. Ainsi si notre ration énergétique, ou calorique, est insuffisante, nous brûlons nos propres tissus pour nous procurer les calories nécessaires. Les besoins énergétiques varient donc selon notre sexe, notre âge, notre taille, notre ossature, notre activité. On peut donc envisager qu’il existe pour chacun un poids idéal, auquel correspond un apport calorique précis (ou presque). Une femme de taille moyenne, 165,1 cm, d’ossature fine, devrait avoir un poids moyen de 55 kg.

Le U.S. Board of Nutrition a ainsi établi une échelle individuelle par tranches d’age fixant le nombre de calories souhaitable en fonction du poids idéal à 25 ans. Calories nécessaires : pour un homme de 25 ans : 725 + 31 fois le poids idéal; 45 ans : 650 + 28 fois le pi; 85 ans : 550 + 23,5 fois le pi - pour une femme de 25 ans : 525 + 27 fois le pi; 45 ans : 475 + 24,5 fois; 65 ans : 400 + 20,5 fois le pi. Ceci étant dit afin de fixer les ordres de grandeur à minima.

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Le rapport de la FAO de continuer comme suit:

 » (…) dans les pays en développement, l’intensification durable de la production agricole par le biais de pratiques biologiques permettrait d’accroître la production de 56 pour cent. En moyenne, le rendement des cultures biologiques est comparable à celui des cultures conventionnelles. On observe cependant une diminution effective des rendements lors du passage de modes de production à fort coefficient d’intrants à des systèmes de production biologique. À l’inverse, les rendements agricoles sont pratiquement multipliés par deux dès lors que l’on passe de systèmes de production à faible apport d’intrants à des modes de production biologique (…)«  

Dans ce contexte, comment apprécier l’article de Frédéric Lemaître « Une crise alimentaire majeure se profile » publié dans Le Monde du 08.02.08 ?  

Extraits [annotés] :  

« Une crise alimentaire majeure se profile »

(…) Ces mouvements [hausse du prix de la galette de maïs au Mexique et des pâtes en Italie, janvier et septembre 2007] sont en fait le reflet d’une crise majeure : les difficultés accrues que rencontrent de par le monde des centaines de millions de personnes pour se nourrir.

La raison est simple : viande et céréales sont devenus inabordables pour les plus modestes, dans les campagnes mais aussi dans les villes, un phénomène nouveau. Le Mexique et l’Italie ne sont pas des cas isolés. Les émeutes de la faim se multiplient. Le Maroc, l’Ouzbékistan, le Yémen, la Guinée, la Mauritanie et le Sénégal ont également été le théâtre de manifestations directement liées à l’augmentation du prix de produits alimentaires de première nécessité. « Ce phénomène inquiète bien davantage les gouvernements que l’augmentation du prix de l’essence », confiait, au Forum de Davos en janvier, le responsable d’un grand organisme international.

Signe de l’inquiétude grandissante : alors que l’Organisation mondiale du commerce (OMC) tente de boucler dans les semaines à venir un accord libéralisant les échanges de produits agricoles, les pays sont, au contraire, de plus en plus nombreux à limiter les exportations de céréales, en instaurant des quotas ou en relevant les taxes de manière parfois prohibitive. Après l’Argentine et l’Ukraine, la Russie et la Chine (exportatrice de maïs) viennent d’adopter de telles politiques restrictives. Leur objectif est clair : privilégier le marché intérieur pour éviter les tensions sociales.

[Un phénomène cyclique, jusqu’ici le plus souvent lié aux alés climatique si l’on se rappelle, entre autre, que :

  • entre 1972, l’URSS anticipant de mauvaises récoltes de son blé intérieur, entre secrètement sur le marché mondial et réussi à s’approprier la quasi-totalité des surplus exportables. Associé à une production mondiale moyenne sur les deux années suivante, cette manœuvre a conduit à un doublement du prix du blé sur le marché mondial. Durant cette période, des exportateurs tels que les USA (50%) durent sélectionner la destination de leur surplus, privilégiant les pays «amis».

  • Plus près de nous, de 1995 et 2000, la Chine, jusque-là autosuffisante en soja, est devenue brutalement le plus grand importateur du monde, à hauteur de plus de 40 % de son approvisionnement.

  • Suite à la vague de chaleur de l’été 2003 en Europe, toutes les exportations de blés ont été gelées le temps d’évaluer les pertes.

  • Par peur d’une explosion du prix intérieur de son riz face à la demande croissante de la Chine (chute de la production de 10 millions de tonnes sur 2004), le Vietnam (2ème exportateur mondial) bloque ses exportations vers la Chine entre fin 2004 et mi 2005.]

L’envolée des prix en 2007 est, il est vrai, impressionnante. Sur un an, l’indice de la FAO, l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, a bondi de près de 36 %. « En valeur absolue, nous ne sommes pas à des records historiques, mais on a rarement vu de telles variations« , constate Abdulreza Abbassian, économiste à la FAO.

Plusieurs facteurs se conjuguent. L’augmentation de la demande, la stagnation de l’offre et les coûts croissants du transport maritime.  

L’augmentation de la demande est une bonne nouvelle. En s’embourgeoisant, Brésiliens, Chinois et Indiens adoptent de nouveaux goûts alimentaires. En moins d’une génération, la consommation de viande par Chinois est passée de 20 à 50 kilos, ce qui a une incidence directe sur la demande de céréales fourragères [nécessaire pour l'alimentation du bétail]. Vue la croissance économique des pays émergents, tout indique que ce phénomène va se poursuivre. Comme on dénombre par ailleurs 28,5 millions de bouches supplémentaires à nourrir par an – la population doit passer de 6,5 milliards aujourd’hui à environ 9 milliards dans la deuxième moitié du siècle -, la demande n’est pas près de diminuer.

De son côté, l’offre est à la peine. En raison d’aléas climatiques, les récoltes ont souvent été médiocres voire mauvaises dans plusieurs greniers de la planète comme l’Ukraine et l’Australie [déforestation et sécheresse en Autralie]. Les stocks n’ont jamais été aussi bas depuis trente ans. L’Europe, qui croulait jadis sous ses réserves, devrait cette année importer 15 millions de tonnes de céréales. Un record.

La flambée des cours du pétrole provoque, de son côté, un double effet négatif : elle renchérit le coût du transport maritime, qui représente désormais le tiers du prix des céréales. [30 millions d'agriculteurs utilisent du pétrole, 300 Millions des attelages, 1 milliard travaillent à pied, donc le prix du pétrole ?]Surtout, elle rend les biocarburants de plus en plus attractifs. Sucre, maïs, manioc, oléagineux sont donc détournés de leur finalité nourricière.

(…) Pression démographique, croissance économique, réchauffement climatique… A ces trois raisons souvent mises en avant s’en ajoute une quatrième, tout aussi fondamentale : l’erreur des politiques menées jusqu’à présent. Dans son rapport sur le développement publié en octobre 2007, la Banque mondiale le reconnaît sans fard : pendant vingt ans, les responsables ont tout bonnement oublié l’agriculture. Alors que 75 % de la population pauvre mondiale vit dans les espaces ruraux, seulement 4 % de l’aide publique va à l’agriculture dans les pays en développement. Prenant le contre-pied de la politique privilégiée jusqu’ici par le Fonds monétaire international (FMI) et par elle-même, la Banque mondiale reconnaît que la croissance de l’agriculture et donc la réduction de la pauvreté dépendent d’investissements publics dans les infrastructures rurales (irrigation, routes, transports, énergie…).

Ces efforts seront d’autant plus nécessaires que le réchauffement climatique constitue, d’après les experts, un danger majeur pour l’agriculture mondiale. « Les zones touchées par la sécheresse en Afrique subsaharienne pourraient augmenter de 60 à 90 millions d’hectares (…) d’ici à 2060. (…) Le nombre de personnes souffrant de malnutrition pourrait augmenter de 600 millions d’ici à 2080″, prévoyait l’ONU en 2007. (…) Le 1er février, la revue Science a publié les prévisions de l’université Stanford de Californie selon lesquelles le sud de l’Afrique pourrait perdre plus de 30 % de sa production de maïs, sa principale récolte, d’ici à 2030. De leur côté, l’Indonésie et l’Asie du Sud-Est verraient leurs principales cultures diminuer d’au moins 10 %. « C’est inquiétant. On ne pensait pas que cela irait si vite », reconnaît la FAO.

Il va donc falloir produire davantage. Certains préconisent d’augmenter les surfaces agricoles, mais le réchauffement climatique et l’urbanisation croissante vont plutôt réduire l’espace disponible. Accroître le rendement est également possible. Mais l’agriculture intensive consomme davantage d’eau, un bien qui devient rare et précieux. Reste le développement des organismes génétiquement modifiés, mais leur utilisation est, on le sait, contestée.

[ En relation avec ce dernier paragraphe, la vidéo suivante reprend certains extrait de l’émission “Comment nourrir la planète“, du grain à moudre, France Culture]

http://www.dailymotion.com/video/x3nwef

[Ajoutons que d’après l’UNCCD, un tiers de la superficie des terres émergées du globe - 4 milliards d’hectares, soit l’équivalent de la surface forestière – est menacé par la désertification, que plus de 250 millions de personnes sont directement affectées par ce problème, et que 24 milliards de tonnes de sols fertiles disparaissent chaque année. Principales causes: l’agriculture et l’élevage qui quand intensifs conduisent à la déforestation, au surpaturage et à l’accélération de l’érosion des sols]

http://www.dailymotion.com/video/x3qpxk

@ Earth Policy Institute

Source : http://www.earth-policy.org/Indicators/

[Et l'article de conclure] A l’aube du XXIe siècle, l’agriculture est donc redevenue un problème majeur pour l’humanité.

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A la suite de cet article, il n’est sans doute pas ininterressant de s’attarder quelque peu sur l’article « 12 mythes sur la faim dans le monde » dont la traduction française est disponible à cette adresse: http://taraquebec.org/a-mythes.html

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Mythe n° 1, il n’y a pas assez de nourriture pour tous: En réalité il y a abondance et non pénurie. La production mondiale de blé, riz et autres céréales est suffisante pour fournir à chacun 3 500 calories par jour, sans compter les féculents, légumes, noix, racines, fruits, viande et poisson. Nous pouvons apporter l’équivalent de 2 kg de denrées, par jour et par personne, à toute la planète: 1,2 kg de céréales, graines et noix, environ 450 g de fruits et légumes, et presque autant de viande, lait et oeufs. C’est suffisant pour rendre tout le monde obèse! La difficulté est que beaucoup sont trop pauvres pour acheter ces denrées. Même les pays qui souffrent de famine endémique auraient aujourd’hui la capacité de nourrir leur population, beaucoup d’entre eux étant des exportateurs agricoles!

Mythe n° 3, la surpopulation: En réalité, les taux de natalité sont en train de décroître rapidement au niveau mondial, alors que les dernières régions du tiers monde à parvenir à ce stade amorcent leur transition démographique – lorsque le taux de natalité chute en réponse au déclin de la mortalité. Bien que la croissance démographique reste une préoccupation sérieuse dans nombre de pays, on ne peut, en aucun cas, justifier la faim qui y sévit par la densité de la population. Face à des pays comme le Bangladesh, surpeuplé et pauvre en ressources, nous trouvons le Nigeria, le Brésil ou la Bolivie, où la faim coexiste avec d’abondantes ressources alimentaires. Le Costa Rica, avec une surface cultivée par habitant de moitié inférieure à celle du Honduras, a une espérance de vie moyenne de onze ans supérieure à celle de son voisin. Elle approche des normes occidentales et c’est assurément un indicateur du degré de nutrition de la population. La démographie galopante n’est pas la cause première de la faim (…)

Mythe n° 4, augmenter la production alimentaire peut nuire à l’environnement: Nous devrions certes nous inquiéter d’une crise écologique qui menacerait notre production alimentaire; mais les besoins mondiaux ne sont pas tels qu’il nous faille sacrifier l’équilibre de la planète. Ce ne sont pas nos efforts visant à nourrir les affamés qui peuvent être la cause d’une catastrophe écologique. Les principaux responsables sont les multinationales qui pratiquent la déforestation dans les pays pauvres et soutiennent la demande artificielle qu’elles ont créée dans les pays riches pour les bois tropicaux, les fruits exotiques et les légumes hors-saison. La plupart des pesticides utilisés dans le tiers monde concernent les productions agricoles d’exportation, ce qui ne contribue guère à lutter contre la faim. Aux Etats-Unis, les pesticides permettent d’offrir au consommateur des denrées plus appétissantes que nature, mais n’améliorent en rien leur valeur nutritionnelle. Pourtant, il existe déjà de nombreuses alternatives en matière de culture saine, et bien d’autres encore sont à l’étude. Le succès de l’agriculture biologique, aux Etats-Unis, laisse augurer des changements positifs. Les résultats spectaculaires de Cuba, sorti de la crise alimentaire de ces dernières années par l’application d’une politique agricole autosuffisante sans utilisation de pesticides, constitue également un exemple. Les alternatives agricoles respectueuses de l’environnement sont plus productives que les techniques destructrices.

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A cette dernière phrase sans doute faudrait-il ajouter à long terme, et cela selon le type de culture. Mais finalement quels enseignements tirer de ces différentes sources d’information, pas toujours convergentes. L’activité agricole s’appuie sur un socle physique, un climat et une surface de terre cultivable, un socle biologique, le renouvellement et l’aération des sols productifs. Le commerce agricole s’appuie quand à lui sur la rencontre d’une offre - dont les capacités sont principalement déterminées par les deux socles précédents auxquels on ajoutera l’aléa climatique, les aides à la production et plus généralement l’organisation et administration de cette dernière – et d’une demande tirée quand à elle par une démographie et un revenu moyen à rapporter aux prix à la consommation. Prix eux-mêmes déterminés par les capacités de l’offre (prix de production), la solvabilité de la demande exprimée en fonction de facteurs aussi divers que les coûts de transport et de main d’œuvre, de la marge des distributeurs, et ainsi de suite. Alors si le système semble bien fuir de quelque part, où peuvent se situer là ou les pièces défectueuses ? Quelques éléments de réponse. A court terme, la crise actuelle semble plus économique qu’écologique, la victime, le petit producteur agricole plus que l’environnement. Jusqu’à la suite…

En moyenne, seulement 15% de la production agricole s’échangent à l’international – Café 45 %, Thé 40 %, Sucre 20 %, Blé 19 %, Lait 10 %, Viande 9 % – à un prix mondial fortement volatil – par exemple si la quantité de lait baisse de 10%, son prix monte de 20 à 30%, c’est  »l’effet de King » - et souvent déprimé, c’est à dire ne couvrant pas les coûts de production de la plupart des producteurs.

Le marché mondial n’est pas un marché concurrentiel, l’espace économique international étant tout sauf homogène. L’agriculture manuelle représente encore aujourd’hui 1 200 millions de producteurs, l’agriculture attelée 300 millions, l’agriculture mécanisée, 50 millions. Globalement, les rendements de l’agriculture manuelle « traditionnelle » représentent environ 10 quintaux/actif /an, contre 10 000 quintaux /actif/an pour l’agriculture mécanisée   »moderne ».

Or ces échanges sur les marchés internationaux concernent au premier chef les pays pauvres les plus dépendants de leurs exportations agricoles, et dont les marchés intérieurs non protégés demeurent  très peu solvables. Blandine Cheyroux de l’Institut national agronomique de Paris : « Un petit producteur Malien de coton se retrouve alors sur le même marché que l’industriel américain. Le Malien va cultiver 1 hectare avec un rendement d’1, 5 tonnes à l’hectare par an, l’Américain suréquipé : 1250 tonnes par an. Il y a 850 fois plus de travail dans une balle de coton malien qu’américain, on rémunère 1000 fois moins cher le paysan malien que l’Américain, sans compter les subventions à l’importation.«  Cet exemple se généralise sur l’ensemble des productions, de sorte que 75 % des personnes qui souffrent de la faim dans le monde sont des agriculteurs.

« Très curieusement, ceux qui ont faim ne sont pas des consommateurs acheteurs qui n’auraient pas assez d’argent pour acheter leur nourriture, ce sont des consommateurs producteurs de produits agricoles et de nourriture. 75% sont des ruraux. Parmi eux, 9/10e sont des paysans pauvres, des ouvriers agricoles mal payés et leur famille. Les 25% restants sont des paysans pauvres et affamés, récemment condamnés à l’exode par la pauvreté et la faim, qui vivent dans les camps de réfugiés ou les bidonvilles. » Marcel Mazoyer

S’il existe bien une offre et une demande agricole internationale, s’y tenir pour fixer un prix mondial universel implique nécessairement une politique de moins disant avec des prix bas compensés par des aides dont ne profitent que les paysans des pays les plus développés (PAC en Europe, Fair Act aux USA). 

Sans doute faut-il donc retenir au final que nous vivons dans une économie de marché où l’agriculture est pilotée par l’aval dans le monde entier. Or à l’aval de l’aval, on trouve toujours le consommateur, et sa subjectivité.

 ***

Plus loin:

 » (…) Il faut d’abord comprendre ce que sont les prix internationaux : c’est le prix des excédents vendables par les pays qui ont soit la meilleure productivité, soit les plus bas salaires, soit les plus fortes subventions. Le prix international permet à un capitaliste argentin de tourner avec des ouvriers à mille dollars par an. Il permet aussi à un agriculteur américain de tourner avec cent mille francs de subventions par actif et par an, et à peu près la même chose en Europe. Bref, ces prix internationaux sont inférieurs aux prix de revient pratiqués à l’intérieur du pays, car ils prennent notamment en compte les délocalisations. J’ai lu dans Le Monde récemment qu’une fameuse société française de poulets, dont la moitié des volailles est produite à dix francs le kilo en France, produit une autre moitié à sept francs le kilo au Brésil, avec des salaires quatre ou cinq fois moindres. Et tenez-vous bien, c’est la production brésilienne qu’ils vendent en Europe. Du coup, ils sont obligés d’exporter la production française avec une subvention. Bref, plus ils importent du Brésil, plus ils touchent de subventions à l’exportation. Peut-on imposer de tels prix à trois milliards de paysans? Peut-on prendre le risque en Europe de voir les prix s’imposer et des subventions menacées pour cause de rigueur budgétaire ? « 

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