On ne se bat pas pour la planète, pour l’environnement. On ne se bat peut-être même pas avec mais dans la planète, dans un environnement. Non à l’intention de la planète, mais à la place des non humains habitant la planète. Comme le disait Deleuze pour l’écrivain, on n’écrit pas pour les bêtes au sens de « à l’intention de », on écrit pour au sens de « à la place » des bêtes, des analphabètes…
http://www.dailymotion.com/video/2yfvENX3XLTZxoMIU « L’homme qui souffre est une bête, la bête qui souffre est un homme. C’est la réalité du devenir. Quel homme révolutionnaire en art, en politique, en religion ou en n’importe quoi, n’a pas senti ce moment extrême où il n’était rien qu’une bête, et devenait responsable non pas des veaux qui meurent, mais devant les veaux qui meurent. » Gilles Deleuze.
Interrogeons nous donc un instant sur ce que peut bien signifier des slogans tels que « 5mns pour la planète » , et toutes autres formes du « faisons ceci cela pour l’environnement »… Car de quoi on parle-t-on quand on dit ça ? Quelle information sur nous-mêmes dissimule le simple fait de pouvoir dire ça ? Faire pour… pourquoi, comment, ou plutôt pour qui ?
Au sens d’Uexküll, ce que nous appelons environnement ou planète n’est pas autre chose que la partie du monde accessible, visible, traductible par nos organes sensoriels. C’est à dire notre monde vécu, monde construit qui n’a rien à voir avec celui du singe, de la plante et du mollusque avec lesquels nous ne partageons pas les mêmes capacités sensorielles d’être affecté par.
http://www.dailymotion.com/video/BOjuohakUQJDPoMG8 « Un lointain successeur de Spinoza dira : voyez la tique, admirez cette bête, elle se définit par trois affects, c’est tout ce dont elle est capable en fonction des rapports dont elle est composée, un monde tripolaire et c’est tout! La lumière l’affecte, et elle se hisse jusqu’à la pointe d’une branche. L’odeur d’un mammifère l’affecte, et elle se laisse tomber sur lui. Les poils la gênent, et elle cherche une place dépourvue de poils pour s’enfoncer sous la peau et boire le sang chaud. Aveugle et sourde, la tique n’a que trois affects dans la forêt immense, et le reste du temps peut dormir des années en attendant la rencontre [...] » Gilles Deleuze.
Ajoutons que contrairement à la conscience animale, la conscience humaine est le siège de l’irruption de l’inconscient dans ses perceptions/représentations de la réalité. C’est à dire que toutes sortes de rêveries peuvent se brancher sur n’importe quelles de nos perceptions. Intentionnalité inconsciente et refoulement ne cessent donc de venir en contaminer le sens. Comme l’animal, l’action de l’homme a un but manifeste, mais dans le même temps, elle est aussi éclaireur de l’inconscient.
Sur ces points, consulter l’ouvrage de Gérard Pommier (Comment les neurosciences démontrent la psychanalyse), et plus précisément le chapitre consacré à la différence entre la conscience animale et humaine. L’homme habite le langage, et par là l’ordre symbolique. Ainsi, lorsque je lui parle, le chat ne perçoit qu’une musique. Un signifiant (part du signe qui peut devenir sensible) sans signifié (tout ce qui est lié à la signification).
Mais nous poussons, hommes et animaux, dans un environnement que nous participons à modifier et dont les modifications nous modifient en retour. L’arbre participe ainsi à créer la forêt dans laquelle il se développe. Ce sont donc les interactions entre les vivants qui tout à la fois composent un milieu et s’y construisent. Si bien que même si nous ne sommes pas capables des mêmes affects, représentations et actions, il existe des passerelles entre les différents mondes des vivants. Ce que démontrent les travaux de Boris Cyrulnik (neuropsychiatre et éthologue) sur l’attachement, l’empreinte, la matérialisation de pensée…etc, etc…
Les éclairages suivants de Boris Cyrulnik sont tirés de l’ouvrage de Karine Lou Matignon « Sans les animaux, le monde ne serait pas humain » (éd. Clés / Albin Michel.)
« Le fait d’étudier la phylogenèse, qui est la comparaison entre les espèces, permet de mieux comprendre l’ontogenèse et la place de l’homme. On comprend mieux aussi la fonction et l’importance de la parole dans le monde humain. Il existe une première gestualité universelle, fondée sur le biologique, proche de l’animalité. Dès que le langage apparaît, une deuxième gestualité imprégnée de modèles culturels prend place. Là, la première gestuelle s’enfouit, les sécrétions d’hormones dans le cerveau changent. Donc, on comprend mieux comment le langage se prépare, comment le choix des mots pour raconter un fait révèle l’interprétation qu’on peut en faire, comment la parole peut changer la biologie en changeant les émotions. »
« Lorsqu’un bébé humain pleure, cela nous trouble profondément. Si l’on enregistre ces cris et qu’on les fait écouter à des animaux domestiques, on assiste à des réactions intéressantes : les chiennes gémissent aussitôt, couchent leurs oreilles. Elles manifestent des comportements d’inquiétude, orientés vers le magnétophone. Les chattes, elles, se dressent, explorent la pièce et poussent des miaulements d’appel en se dirigeant alternativement vers la source sonore et les humains. Il semble exister un langage universel entre toutes les espèces, une sorte de bande passante sensorielle qui nous associe aux bêtes [...] Le chien qui vit dans un monde de sympathie est hypersensible au moindre indice émis par le corps du propriétaire adoré. C’est donc bien une matérialisation de la pensée humaine transmise au chien qui façonne ce dernier. »
« Première certitude à abandonner : les animaux ne sont pas des machines. J’insiste beaucoup là-dessus : le jour où l’on comprendra qu’une pensée sans langage existe chez les animaux, nous mourrons de honte de les avoir enfermés dans des zoos et de les avoir humiliés par nos rires. Nous avons peut-être une âme, mais le fait d’habiter le monde du sens et des mots ne nous empêchent pas d’habiter le monde des sens. Il faut habiter les deux si l’on veut être un être humain à part entière. Il n’y a pas l’âme d’un côté et de l’autre la machine. C’est là tout le problème de la coupure. »
« Les animaux ne sont pas des machines, ils vivent dans un monde d’émotions, de représentations sensorielles, sont capables d’affection et de souffrances, mais ce ne sont pas pour autant des hommes. Le paradoxe, c’est qu’ils nous enseignent l’origine de nos propres comportements, l’animalité qui reste en nous… En observant les animaux, j’ai compris à quel point le langage, la symbolique, le social nous permettent de fonctionner ensemble. »
Le choix des mots n’est jamais neutre. Ainsi, dire se se battre pour l’environnement ou la planète telle que nous la percevons ne veut pas dire autre chose que de rabattre le reste des habitants de la biosphère sur notre propre vision, soit revient à dire la-même chose que ce que nous disons déjà depuis très longtemps dans un cadre humain. A contrario, dire qu’on se bat dedans revient à reconnaître son appartenance à un tout, son insertion dans un ensemble plus vaste où une partie de soi est hors de soi, précisément dans son environnement. Dire qu’on se bat à la place de revient à reconnaître (situer) la place de l’homme, responsable devant la biosphère.
+ voir le dossier du CERPHI consacré à l’animal : http://www.cerphi.net/lec/animal.htm