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Archive mensuelle de octobre 2007

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Fragments : Alfred North Whitehead

AN Whitehead   [...] Sans entrer dans aucun détail à propos du système de Whitehead, précisons simplement qu’il met à jour la solidarité entre une philosophie de la relation – aucun élément de la nature n’est élément permanent de relations changeantes, chacun tire son identité de ses relations avec les autres – et une philosophie du devenir innovant – chaque existant unifie dans le processus de sa genèse la multiplicité qui constitue le monde, et ajoute à cette multiplicité un ensemble supplémentaire de relations. A la naissance de chaque entité nouvelle, « le multiple devient un et s’accroît d’un » [...]
Ilya Prigogine, Isabelle Stengers,
la nouvelle alliance, 2ème Ed Gallimard


Extrait audio d’après : Une vie, une oeuvre - France Culture  : Alfred North Whitehead, intervention de Didier Debaise.

Dans la cosmologie de Whitehead, de la nouveauté pertinente se produit quand des chose qui semblent devoir s’opposer deviennent contrastes, c’est à dire des choses qui peuvent coexister et s’entre-affirmer, sans se confondre. «  Pour qu’une interaction soit réelle, il faut, à la fois que la « nature » des choses en relation soit un produit de ces relations, et que les relations de leur côté soient des produits de la « nature » des choses [...] « . Autrement dit, percevoir à la fois l’arbre et la forêt, sans que l’un ne masque l’autre. L’arbre est une configuration d’interactions, dynamiques et singulières, appropriée aux conditions de vie de la forêt, elle-même association d’arbres dont les interactions produisent leurs propres niches écologiques (la forêt).

http://www.dailymotion.com/video/5i6jAFZkepElHhkGK

Extrait audio d’après : Une vie, une oeuvre - France Culture  : Alfred North Whitehead (1861 – 1947), intervention de Didier Debaise, auteur de un Empirisme spéculatif: lecture de Procès et Réalité de Whitehead, éd. Vrin.

Compléments :
voir l’article « Whitehead » par Isabelle Stengers, site de la revue Chimères, les séminaires de Félix Guattari;
voir l’article « Qu’est-ce qu’une pensée relationnelle ? » par  Didier Debaise, site de la revue Multitude;
voir l’article, « L’événement selon Whitehead« , Didier Debaise, blog Jean-Clet Martin;

voir l’article  »De Einstein à Whitehead : une philosophie de l’événement« , par Guillaume Durand;
voir l’article, « Voguer avec Whitehead sous les latitudes de Joseph Conrad« , Jean-Clet Martin;
voir l’article, « Retour sur l’énigme des dernières pages de Process and Reality de Whitehead« , Isabelle Stengers.

Fragments : Alfred North Whitehead  dans Didier Debaise 264483

Le sourire du chat ne peut être localisé en aucun point de l’espace. Nous saisissons par là que, n’étant en aucun point de l’espace, il est en même temps en tous les points et que, par-delà l’espace représenté, il y a l’espace qualitatif, qui est l’espace affectif et n’est nullement réductible aux représentations que nous pouvons en avoir.

http://www.dailymotion.com/video/1aO7fyTCzJnpl8CSa

Fragments d’un écosystème monde financier

     Il y a un point commun méthodologique entre la potabilisation de l’eau et la régulation financière internationale : la dilution. Des polluants d’un côté, des risques de l’autre. Pour faire de l’eau potable à partir d’une eau polluée, il suffit d’y injecter de l’eau propre pour diluer les pollutions. Pour maintenir l’équilibre précaire d’un système financier international fondé sur le crédit à tout va, il suffit d’y injecter des liquidités. Occasion pour nous d’écouter quelques bribes et mots-clés du langage de l’économiste.

http://www.dailymotion.com/video/7u4LrLo7sbRXYmkYu

http://www.dailymotion.com/video/7Mib8em7AGrHF7aIC

Fragments d’un langage de l’eau (partie1)

 « Les verres d’eau ont les mêmes passions que les océans » Victor Hugo

Fragments d'un langage de l’eau (partie1) dans -> NOTIONS D'ECOLOGIE image00113

Illustration © Caderic 2007

     L’eau est une chose banale du fait de l’ignorance que nous acceptons à son égard et qui fait que nous n’avons d’elle qu’une très faible conscience de nos consommations réelles. Notre hypothèse de travail est que l’eau est un « personnage » (« l’eau que vous buvez a été pissée six fois par un diplodocus. » Paul-Emile Victor), un acteur social, avec lequel nous sommes ou entrons en conflit. Or comme tout personnage, celui-ci possède son lange propre : « l’eau parle sans cesse et jamais ne se répète » Octavio Paz. Alors au moment de négocier une possible sortie ou évitement de crise, il conviendrait peut-être d’explorer certaines des bases de celui-ci.

Quoi de plus banal que l’eau !

Ma table de travail, banal agencement d’un bloc de papier et d’une tasse de café, représente à elle seule l’équivalent des 140 litres d’eau qui ont été nécessaires à la production d’une tasse à café de 125 ml, ainsi que les 1000 litres d’eau englobés dans le processus de fabrication de mon bloc papier de 100 feuillets A4 (80 g/m2). On pourrait de demander ce que représente les 150 litres quotidiens que nous puisons au robinet quand on sait que 2400 litres sont nécessaires à la production d’un hamburger de 150 gramme. La masse d’eau « domestique » ne représente ainsi qu’environ 0,05% de nos besoins quotidiens.

image0027 dans Ressource en eau

La grande quantité d’eau sur terre est une anomalie si on la compare aux les autres planètes telluriques du système solaire, notamment au regard de sa proximité d’avec le soleil. En imaginant que la surface du globe soit uniformément recouverte d’un océan unique, celui-ci aurait comme épaisseur moyenne environ 3 km (20cm pour Mars).

La question de l’eau est donc globalement un problème de coût d’accès à une ressource inégalement répartie : sécheresses localisés dans les déserts froids ou chauds, inondations dans les zones de crue.

  • Coût d’accès économique (transport, dessalement, traitement)

  • Coût d’accès politique (gouvernance et partage des usages)

L’hypothèse d’un conflit ?

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     « Imaginons un monde où nous serions en conflit avec l’eau », finallement come avec n’importe quel acteur social dont nous ne comprendrions pas bien le langage et donc les revendications. Autrement dit, évaluer les qualités d’une histoire, d’une relation qui serait celle d’une conquête d’un élément qui dégénérerait en conflit à mesure de l’accroissement d’un certain type de pouvoir sur lui. L’histoire d’un dialogue perturbé, alors même que nous somme composé d’environ 65% de ce liquide[3], que nous explorons l’infiniment grand ou petit.

Prenons le temps d’explorer les divers fragments qui ont constitué au cours de l’histoire ce que l’on pourrait appeler un langage de l’eau tel que traduit par l’homme (de la physico-chimie à écologie) au cours du temps. La partie de sa « musicalité » qui nous est intelligible, sous la forme d’une photographie des connaissances sur l’eau 2006. Car les scientifique vous le diront, à chaque fois qu’ils solutionnent une problématique liée à l’eau, de nouvelles contradictions apparaissent dans les observations. Comme si elle ne se laissait pas faire. Entre anomalies et contradictions, nous n’avons pas de « théorie » de l’eau mais des paramètres à ajuster, à orienter au cas par cas. En d’autres termes, nous n’arrivons pas à reproduire les propriétés découvertes dans les observations. Ce que reprenant Octavio Paz on pourrait traduire sous une forme littéraire par : « l’eau parle sans cesse et jamais ne se répète. »

L’eau un élément baroque !

Des origines au maintien de l’eau sur la terre…

     C’est une banalité de dire qu’il n’existe pas d’unanimité au sein de la communauté scientifique au sujet des origines de l’eau sur la terre. La version suivante semble être la plus communément acceptée. D’origine extra-terrestre l’eau aurait été amenée par les nombreux impacts de météorites et de comètes impactant la terre au cours de sa formation. Comète en Sibérie 1908, Syrie en 4000 av JC et théorie micro-comètes (bombardement quotidien  5-10 par jour, diamètre environ 6m, soit 3000 m3/an).

Par suite cette eau aurait été libérée dans l’atmosphère sous forme de vapeur par les dégazages volcaniques. Avec le refroidissement progressif de la terre, cette eau se serait condensée sous forme liquide de manière à former les océans. Nos corps seraient donc, selon cette théorie, extra-terrestre à 70%. Mais finalement le plus curieux ne serait-il pas de savoir pourquoi et comment l’eau a-t-elle pu demeurer (et de manière accessible !) sur notre planète.

Il est tout à fait étrange de constater que si tout le monde accepte l’idée que la pomme tombe vers le sol, personne ne se questionne sur le fait que l’eau ne s’enfonce pas pour disparaître sous terre. Si l’eau des océans ne s’infiltre pas dans les profondeurs, c’est parce que la chaleur interne de la Terre la repousse à la surface du sol et si l’eau ne s’échappe pas dans l’espace car retenue par l’atmosphère. On estime néanmoins que depuis la création de la terre la perte d’eau dans l’espace serait d’environ 3m.

La persistance de chaque élément est donc fragile, comme l’illustre le cas de Venus, ce sont les rencontres qui sont déterminantes. L’eau initiale de Vénus est probablement restée sous forme de vapeur (forte température du fait de la proximité du soleil), contrairement à celle de la Terre qui a très rapidement été condensée en eau liquide. L’hypothèse est la suivante la : vapeur d’eau initiale, en grande quantité dans l’atmosphère, a probablement été intégralement photolysée par les U.V. solaires, ce qui n’a pas pu se produire sur Terre à cause de l’état liquide de l’eau. L’eau est donc devenue H2 et O2. Le dihydrogène, molécule légère, a quitté la planète et  O2 a été complètement absorbée en oxydant le fer présent dans le sol de Venus. C’est donc parce qu’elle a pu prendre la forme liquide l’eau a pu rester sur terre!

De la structure baroque de la molécule d’eau à l’apparition de la vie…

     L‘eau, si on la compare à d’autres corps de composition analogue, l’eau possède des caractéristiques anormales, sans lesquels la vie n’aurait pu se développer sur terre.  

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Une molécule d’eau (H2oO) se compose d’un atome d’oxygène (0) relié à deux atomes d’hydrogène (H) par des liaisons de covalence[4]. Bien qu’électriquement neutre, chaque molécule d’eau est polarisée du fait de son asymétrie. La densité d’électrons étant plus grande près du noyau d’oxygène que près des noyaux d’hydrogène.  Le premier est chargé négativement (δ-) tandis que les deux derniers sont chargés positivement (δ+). Les forces électrostatiques qui en résultent sont responsables des propriétés physico-chimiques de l’eau, voir tableau ci-dessous.

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La forme d’une goutte d’eau

     Une goutte d’eau est formée de milliards de molécules d’eau. Elles sont reliées les unes aux autres par leurs pôles : chaque atome d’hydrogène (δ+) de l’une se place près de l’atome d’oxygène (δ-) d’une autre (attraction électrostatique).

Si les atomes d’un milieu se regroupent c’est pour former la configuration d’énergie la plus basse. Un atome à la surface (frontière) est moitié en contact avec l’air ou un solide, moitié dans l’eau, il a donc une « énergie » plus élevée (excitation) que ses pairs situés au cœur d’un même milieu ; c’est l’énergie d’interface.

Si l’on étire l’interface en la déformant, le nombre d’atomes se trouvant à l’interface augmente, donc l’énergie d’interface augmente. Si l’énergie d’interface entre un solide et un liquide est forte, alors le liquide ne s’étale pas et reste sous forme de gouttelette afin de garder une configuration d’énergie la plus basse possible. Ce qui revient à minimiser la surface de contact, la forme correspondant à la plus petite surface possible étant la sphère ceci explique la forme des gouttes d’eau soit diminuer la surface de contact entre les deux milieux et donc l’énergie.

Si maintenant on « casse » la gouttelette en deux, on va créer de la surface, deux sphères de volume V/2 ont une aire plus grande qu’une seule sphère de volume V. Donc si les deux gouttelettes se rencontrent, elles vont avoir tendance à se fusionner pour minimiser la tension superficielle.

Ainsi une goutte, quand elle n’est soumise qu’à la tension superficielle, dans un nuage par exemple, prendra une forme sphérique – et tout écart à cette forme traduira l’existence d’autres forces.

Suite…


[1] Source d’après UNESCO-HE[2] Un individu consomme globalement 1100m3 d’eau par an, soit environ 3000 litres par jour.[3] La quantité moyenne d’eau contenue dans un organisme adulte est de 65 %, ce qui correspond à environ 45 litres d’eau pour une personne de 70 kilogrammes.[4] Une liaison covalente est une liaison chimique dans laquelle chacun des atomes liés met en commun un ou plusieurs électrons, il n’y a pas de « vol » d’électrons d’un atome vers l’autre. La liaison covalente tend généralement à être plus forte que d’autres types de liaison.

Des visages, des figures : les « écosystèmes » lynchiens

Passer d’un plan, d’une frontière à une autre, intégrer différents niveaux, faire se renconter des contraires, imposer de nouvelles règles, faire circuler…comment tout ça tient-il ensemble ? 

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     Des visages, des figures. Jusqu’à présent nos petites espèces immatérielles vivent et cohabitent sur différents territoires de la pensée. Territoires « qui chante quoi appartient à quoi » dans lesquels elles sont soumises à des rapports de forces. Zoom dans l’herbe, et observons maintenant quelques unes des « espèces emblématiques ».

Pour Deleuze, « constituer un territoire, c’est un peu la naissance de l’art… ». Lorsqu’un animal définit son territoire, il réalise une série de marquages qui sont des postures, des lignes, des couleurs, des chants…Commençons donc par nous interresser à la niche écologique d’un sujet comme David Lynch.

De la niche au monde…

Des visages, des figures : les ACTUS image001" />

Représentation, cadre et contexte

Un metteur en scène est capable de créer des mondes et les transmettre. Autrement dit, il donne accès à de nouvelles rencontres sous forme d’idées et d’affects en manipulant différents agencements conducteurs, différent dispositifs faits de sons, mouvements, lumières, couleurs…Mais pour ce faire, encore lui faut-il construire le terrain de jeu qui rendra ses nouvelles «règles» acceptables.

Alors construire un terrain de jeu, ou un monde, c’est d’abord isoler des caractères perceptifs parmi une nature « fourmillante ». Séparer et trier entre ce qui est « important » et ce qui ne l’est pas. Déformer pour reformer. Comme le dit von Uexküll, « chaque espèce vit dans un monde unique, qui est ce qui lui apparaît  déterminé par son organisation propre […] rien que quelques signes comme des étoiles dans une nuit noire immense ».

Sur ce terrain de jeu, vont alors pouvoir prendre place des personnages adaptés. Gilles Deleuze : « Un lointain successeur de Spinoza [Uexküll] dira : voyez la tique, admirez cette bête, elle se définit par trois affects, c’est tout ce dont elle est capable en fonction des rapports dont elle est composée, un monde tripolaire et c’est tout! La lumière l’affecte, et elle se hisse jusqu’à la pointe d’une branche. L’odeur d’un mammifère l’affecte, et elle se laisse tomber sur lui. Les poils la gênent, et elle cherche une place dépourvue de poils pour s’enfoncer sous la peau et boire le sang chaud. Aveugle et sourde, la tique n’a que trois affects dans la forêt immense, et le reste du temps peut dormir des années en attendant la rencontre. […] »

Sécurité de l’action dans un terrain de jeu, il s’agit donc pour tout sujet « réalisateur » de composer un monde optimal - le réseau de relations qui porte une existence - au sein de l’environnement pessimal qu’est l’infinité indiscernable de la nature. Gilles Deleuze: « C’est pourquoi Uexküll s’est principalement intéressé à des animaux simples qui ne sont pas dans notre monde, ni dans un autre, mais avec un monde associé qu’ils ont su tailler, découper, recoudre : l’araignée et sa toile, le pou et le crâne, la tique et un coin de peau de mammifère. »

…du monde à l’écosystème

http://www.dailymotion.com/video/3lgPmrH3feaWUm90y

     Un réalisateur produit donc un monde, délimite l’espace de jeu dans lequel il va pouvoir transmettre idées et affects propres. Un monde qui chez Lynch est fait d’extractions lumineuses (telle couleur et pas une autre parmi les milliers de gammes possibles), de déformations des proportions des corps et d’attractions étranges (modification et pivotage des angles, multiplication des points de vue sur le même…)

Mais un monde n’est pas un écosystème. Dans ce dernier, à partir d’un élément du monde, le spectateur est capable de reconstruire une vision de l’ensemble. Or il semble que le monde de Lynch puisse répondre à cette définition de l’écosystème à travers certaines des répétitions qui (co)existent d’une œuvre à l’autre : redondances, modèles et structures caractéristiques de systèmes complexes.

Alors ici on ne va pas se demander comment tout ça se produit dans la tête du réalisateur (point de vue psychanalytique[1]), mais on va plutôt tenter d’évoquer rapidement quelques pistes ou sensations très fragmentaires autour d’un comment tout ça fonctionne ensemble (point de vue écologique).

image002 dans Art et ecologie

Diffusion, contamination et dissipation

     Premièrement, l’écosystème lynchien est marqué par l’instabilité. Le réseau des relations est non linéaire (espaces, temps). Chaotique dans la mesure où ce qui se passe en un point du système a toujours des répercutions imprévisibles sur l’ensemble.

Il a toujours contamination (la tristesse dans la scène du bar de Twin Peaks faisant suite au meurtre de Maddy), il y a toujours cohabitation (le « je suis chez vous en ce moment même » de Lost Highway), et donc coévolution entre les différents niveaux ou profondeurs d’un réel multiple fait de couches rêves/réalités sans véritables contours. Ni dedans, ni dehors dans le temps ou l’espace. Des mondes oui, mais associés et imbriqués.

Ce qui se répète d’un plan à l’autre, ce sont des formes non identitaires, des objets/personnages. Ce qui diffère, ce sont des flux et des décalages. Des décalages de vitesse et de lenteur, des décalages par rapport à un manque (bras, œil, sourcil, taille) autour d’un axe (attraction étrange) normalité/banalité.

http://www.dailymotion.com/video/4zhaAA3JXYUhLm68Q

Tout cela est possible du fait que nous sommes dans un univers de flux où toute image/forme n’est donc qu’un instantané, un enregistrement (« all is recorded ») à déplier/répliquer.

image003 dans David Lynch

« All is recorded »

Qu’ils soient sonores (irriguant des routes, des couloirs ou des câbles électriques) ou lumineux (éclair, stroboscope, sol en Z reflètant), ces flux traversent, bombardent, chargent et déchargent les diverses formes réceptacles que sont les objets/personnages récurrents.

image004 dans Des figures, des visages.

Flux et support conducteur

Ces objets/personnages fonctionnent donc à l’image de conduites de stockages temporaires, récurrentes, et non caractérisées par une frontière humain/non humains.  C’est la traversée d’un ou plusieurs flux qui en définit la forme, donc le sens, en modifiant les couleurs, la texture (déclinaison des rideaux rouges), en génèrant des échos (écrans, réfractions) sonores…

image005 dans Ecosystemique

L’objet/personnage du rideau rouge se reterritorialise ici en peinture rouge. Changement de texture mais signifié (contexte) stable

Absence d’intériorité et discrimination par des flux extérieurs entrant et sortant, ces éléments sont donc interchangeables dans différentes chaînes de signification ou séquences redondantes.

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Absence d’intériorité du personnage et identité donnée par le contexte (le rapport des flux extérieurs qui l’irriguent)

Leur sens varie en fonction des bombardements du dehors, du contexte et des contours musicaux qui permettent de multiplier les points de vue sur le même. En conséquence, les objets/personnages sont indépendants les uns des autres que ce soit dans la succession des plans ou dans leurs associations, déconstructions et reconstructions (de la cabane en flammes aux personnages qui parlent…à l’envers puis à l’endroit).

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Systèmes d’alerte, instabilité, connexion et diffusion.

L’écosystème lynchien est également hiérarchisé. Une hiérarchie qui n’est pas de type humain/non humain. Les objets/personnages sont différemment capables de circuler entre les divers mondes apparents ou contextes. Les devenir dans le passage des différentes « espèces » ne sont pas les mêmes. Celui du personnage à la tête encastrée dans la table en verre dans Lost Highway, ceux des corps réceptacles poreux (Leland Palmer, Fred Madison) à remplir. Si les objets sont interchangeables et superposables, la composante personnage est néanmoins marquée par le passage : la couleur des cheveux, le visage ou le physique entier est modifié.

http://www.dailymotion.com/video/5WAK6JWxXSXFXm6SL

Dans le cadre lynchien, toute superposition (image/son) est possible du fait des différences de profondeur et de fréquence qui coexistent dans un même champ (hologrammes visuels, échos sonores). Le mouvement est donc un mouvement de diffusion, d’aborption, de dissipation, de capillarité des fluides : lumière, échos sonores, fumée.

Le passage entre les différents niveaux de profondeur est toujours marqué par un son, un flux de lumière, une ampoule qui cherche à s’éteindre ou à s’allumer, un chant ou une danse. A l’image des bioindicateurs, il existe une grille de lecture, des systèmes d’alerte qui marquent le temps des processus de connexion et de passage.

« Il flotte toujours une musique dans l’air » Red dwarf, Twin Peaks

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La grille de lecture classique du monde associé de Twin Peaks. L’effet stroboscopique de la lumière est également inscrit sur la surface du sol (éclairs)

 « Tout organisme est une mélodie qui se chante elle-même » von Uexküll

Territoire sonores et lumineux aux portes d’entrée multiples, comment tout cela tient ensemble ? L’écosystème lynchien est capable de résilience, c’est-à-dire d’absorber beaucoup de variations, de bruits, d’éléments contraires. Les limites des espaces ne sont pas spatiales mais musicales. Le liant sonore admet la cohabitation des contraires, rend flou toute frontière du dedans et du dehors. En jouant sur les fréquences (profondeurs superposables), il permet également de déformer l’espace (gros plan, contre plongée) pour l’occuper différemment.

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Différence dans la répétition : ici peu de code « rouge », seulement localisé au niveau des lèvres et souligné par l’absence des sourcils, mais inversion du marqueur musical. Cette fois l’arrivée de l’objet/personnage (le passage) est marquée par la coupure (l’absorption) du son.

Le cadre spatial est quant à lui fragmenté, le plan des décors coupé. Si les mouvements de caméras définissant des coutours sont souvent flous et partiels, c’est une cohérence d’ensemble qui permet au spectateur/visiteur de reconstruire les manques à partir de la reconnaissance sensible d’un marqueur temporel. Temps non linéaire, mais temps d’un processus. Ici n’est donc plus ici, et bien que les formes soient les mêmes, jai été affecté par le dispositif marquant le processus du changement. Je comprends que le contexte du jeu n’est plus le même, et j’admet que les règles changent.

http://www.dailymotion.com/video/65xaXMFdynph4m7M3


[1] Lynch et Lacan :

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Max Dorra : « Quelle petite phrase bouleversante au coeur d’un être ? : Proust, Freud, Spinoza »

Max Dorra : ACTUS 3163dnqxf0laa240" />Présentation de l’éditeur

 » Rien n’est plus étonnant qu’un changement d’humeur. Rien de plus important. !Même si cela peu sembler excessif, je le maintiens. Je roulais un jour de tristes pensées, avant perdu toute confiance en moi, en mes capacités intellectuelles, éperdument vit quête d’un remède à mon anxiété. J’avais frappé à toutes les portes et la seule par où je pouvais entrer, que j’aurais cherchée en vain pendant cent ans, je m’y heurtais sans le savoir et comme par miracle elle s’ouvrit. Hors. d’un coup, revint mon appétit de vivre, s’évanouirent mes doutes sur moi-même, mon inquiétude quant à l’avenir. Tout était de nouveau possible. Ces mots ont été utilisés par Proust, Freud. Spinoza pour décrire ce qui avait été la plus grande surprise de leur vie, la plus exaltante. Sans doute l’événement fondateur de leur œuvre. La sortie d’un montage qui les incarcérait. Dans A la recherche du temps perdu, L’Interprétation des rêves, l’Ethique, ils ont inscrit la trace de cet instant décisif. Cet instant de joie, de liberté qu’ils ont tenté d’analyser pour être capables de le revivre. D’en retrouver la musique. Une fugue. Des résistants évadés, c’est ce qu’il leur avait fallu être. Pour retrouver leur parole, pouvoir inventer leur vie. Marcel, Sigmund, Baruch ont dû détonner, refuser de chanter dans le chœurs des mondains du Faubourg Saint-Germain, des médecins de Vienne, des rabbins d’Amsterdam. Comme certains aphasiques qui ne reconquièrent la capacité de manier les mots qu’en les liant à une mélodie nouvelle. Et la musique, ici, n’est pas qu’une métaphore. Proust, Freud, Spinoza, la musique, le cerveau. Cette énumération apparemment hétéroclite a pourtant un sens. C’est le sens du livre. »

http://www.dailymotion.com/video/7cUgkU9jBnXwimiHh

Des figures, des visages : l’air de l’étonnement

       Où en sommes-nous dans nos mises en scène ? Nos petites espèces immatérielles vivent et cohabitent sur différents “territoires” de la pensée, territoires « qui chante quoi appartient à quoi » dans lesquels elles sont soumises à des rapports de forces. Après le vent de la bêtise, le feu de la technique, voici l’air frais de l’étonnement. Cette force qui nous pousse à l’attention, le rappel qu’on ne sait jamais à l’avance ce que peut… Petite visite guidée par le trio Gorz/Deleuze/Spinoza

http://www.dailymotion.com/video/67qIRJhTfrLZGlXks

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 « Nul ne sait ce que peut un environnement »

Extrait de l’article d’EMMANUEL VIDECOQ – D’une pensée des limites à une pensée de la relation - Revue Multitudes n°24

     Contrairement à ce que laisse penser le « principe responsabilité » d’Hans Jonas, les humains n’ont pas l’exclusivité de l’action ; physiquement, biologiquement, socialement et politiquement, les non-humains sont également actifs, « actants » dit Bruno Latour ; l’environnement est un réceptacle, il a sa virulence propre qui n’est pas que déterministe. Ce qui compte ce sont les agencements, l’intrication des processus. Il faut tout considérer sur le même plan. « Comment tous ces morceaux jouent et vivent ensemble »19 ; la nature a une réalité processuelle, celle d’un multiple enchevêtré qui produit des possibles mais aussi des inquiétudes renchérit Isabelle Stengers.

Il y a deux dimensions principales dans les relations écologiques celles prises en compte par les écologistes qui vont des humains aux non-humains et qui ont pour médiation productive la science, celles qui vont du non-humain à l’humain et qui expliquent comme le dit Isabelle Stengers que nous sommes le produit de notre environnement qu’il soit naturel ou artificiel, (mais là n’est pas l’important), des bactéries qui nous ont précédées, mais qui dans d’autres circonstances auraient pu produire tout autre chose. « Nul ne sait quelles associations définissent l’humanité » déclare Bruno Latour de son coté [...]

De cette hypothèse matérialiste sur l’humain, on peut rapprocher celle qu’entend explorer Félix Guattari pour lequel « un renouveau de l’âme, des valeurs humaines [pourrait] être attendu d’une nouvelle alliance avec les machines. »20 « Le mouvement du processus, précise t-il dans Chaosmose, s’efforcera de réconcilier les valeurs et les machines. Les valeurs sont immanentes aux machines. »21

Inspiré par Gregory Bateson pour lequel « Le monde des idées ne se limite pas à l’homme, mais bien à tous ces vivants, à toutes ces machines, composées d’éléments pouvant traiter de l’information, que ce soit une forêt, un être humain ou une pieuvre », Félix Guattari ne pose pas de frontières stables entre les sujets et les objets, entre l’humain et le non-humain. Au contraire il se propose « d’opérer un décentrement de la question du sujet sur celle de la subjectivité. Le sujet traditionnellement a été conçu comme essence ultime de l’individuation (…), comme foyer de la sensibilité (…) unificateur des états de conscience ; Avec la subjectivité on mettra plutôt l’accent sur l’instance fondatrice de l’intentionnalité. Il s’agit de prendre le rapport entre le sujet et l’objet par le milieu. »22 Il qualifie donc de machiniques les processus de subjectivation non-humains.

Une machine fonctionne tout simplement, elle est une processualité, pas des moyens pour une fin, « Elle est travaillée en permanence par toutes les forces créatrices des sciences, des arts, des innovations sociales qui s’enchevêtrent et constituent une mécanosphère enveloppant notre biosphère. »23

« L’individu, le social, le machinique, écrit-il dans son dernier article, se chevauchent ; le juridique, l’éthique, l’esthétique et le politique également. Une grande dérive des finalités est en train de s’opérer : les valeurs de resingularisation de l’existence, de responsabilité écologique, de créativité machinique, sont appelées à s’instaurer comme foyer d’une nouvelle polarité progressiste au lieu et place de l’ancienne dichotomie droite/gauche.»24

19 Isabelle Stengers, « Entretien avec Bernard Mantelli », in Chimères n°41.
20 Félix Guattari, « Pour une refondation des pratiques sociales », in Le Monde Diplomatique, octobre 1992.
21 Félix Guattari, Chaosmose, p. 82.
22 Félix Guattari, ibid., p. 40.
23 Félix Guattari, « Pour une refondation des pratiques sociales », op. cit.
24 Ibid.

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La question de l’éducation à l’écologie

Des lignes directrices anciennes

     Dans son article « Education, Ecologie et Approche Systémique » Joël de Rosnay  s’interrogeait en 1994 sur les nouveaux modes de transmission des savoirs que la question écologique impliquait : « […] l’écologie est un concept intégrateur […] plus qu’une discipline scientifique […] elle représente une nouvelle vision du monde et de l’homme dans la nature. Le nouvel écocitoyen doit mieux comprendre comment situer et insérer son action locale dans un ensemble global […] Il s’agit aujourd’hui de l’aider à passer de l’émotion à la responsabilité grâce à une culture scientifique et technique permettant de relier les éléments épars reçus par l’éducation ou les médias. D’où l’importance d’une approche […] multidimensionnelle de l’écologie et de la gestion de l’environnement. »

En ce sens, la question écologique est avant tout le symptôme de l’émergence de nouvelles capacités cognitives nées des travaux récents de la biologie, de la cybernétique et de la systémique etc…. Nouvelles capacités encore dans l’enfance et qu’il convient de faire grandir patiemment à travers une véritable réactualisation de l’apprendre à apprendre dans nos sociétés. Or dans le cadre d’un ensemble terre qui nous apparaît à présent comme clos, apprendre à apprendre c’est savoir organiser et composer ses inévitables et multiples rencontres avec des corps tant matériels (eau, climat) qu’immatériels (information).

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Alors en tant que praticien de « l’environnement », tous ces mots peuvent paraître assez théoriques. Cependant, chaque jour de travail confirme que notre connaissance actuelle de l’environnement ne nous conduit pas à prendre des décisions « de tête » tellement meilleures. Quelque soit le choix, l’intention, nous interférons dans des circuits complexes de manière à toujours préparer de nouveaux risques pour demain. Mais parallèlement, le seul fait de prendre en compte l’environnement nous force à repenser l’altérité, à évaluer les besoins d’autrui qu’ils soient humains ou non. Plus largement encore, à déplacer les frontières traditionnelles, à reconnaître l’inscription de ses actions dans un tout : à un type d’agriculture, un type de paysage, un type de biodiversité…

En ce sens la question écologique et la gestion de l’environnement qui en découle, participent à former aujourd’hui un nouveau type de bien collectif. Un bien construit par une multitude d’acteurs qui tous relient et compilent des connaissances, expérimentent sur le mode essaie/erreur. Au final, les externalités positives qui en résultent permettent dès aujourd’hui de multiplier les chemins décisionnels pour chacun. Faut-il acheter ceci, construire comme cela etc…Mais pour que ce « chacun » prenne réellement corps, il est inévitable de concevoir les modes de transmission des savoirs adaptés. Adaptés tant à la nature des informations à transmettre qu’à ses multiples récepteurs.

Externalité

Le point de vue développé par la suite est qu’il s’agit de mettre en avant un mode de transmission des savoirs principalement orienté vers le développement individuel de capacités combinatoires. Cela afin de créer les nœuds de savoirs, les hyperliens de lecture permettant de se glisser entre les différentes sources de connaissance d’un « environnement », qu’il soit artificiel ou naturel, de plus en plus fourmillant et prenant place dans un monde vécu comme de plus en plus étroit.

Constat d’insuffisance

     Avec maintenant plus d’une dizaine d’année de recul vis-à-vis des orientations pédagogiques de Joël de Rosnay, évaluons quelque peu notre situation actuelle. L’écologie politique représente 1, 5% des votes exprimés au premier tour de l’élection présidentielle en France, au moment même ou d’après une enquête récente IFOP – Acteurs Publics (26 octobre 2006), plus de neuf personnes interrogées sur dix (91%) se disaient préoccupées par la protection de l’environnement. Parmi elles, 46% se déclaraient même très préoccupées.

A vrai dire, la véritable surprise de cette étude est surtout l’émergence en seconde position des mesures perçues comme les plus efficaces pour lutter contre les dégradations, d’une attente exprimée en termes de pédagogie, souhait regroupant 22% des interviewés. Ceux-ci appellent de leurs vœux l’introduction de cours d’éducation à l’environnement dans les programmes scolaires.

Cette attente est à éclairer par la note sur « l’état de l’opinion sur l’effet de serre et le changement climatique » de l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie. Fin 2005, celle-ci remarquait que conformément aux années précédentes, les études sur la perception de l’effet de serre révélaient deux grandes tendances paradoxales. D’une part une sensibilisation accrue au sujet, d’autre part une méconnaissance générale de sa définition dans la mesure où 50% des interviewés reliaient encore l’effet de serre à la couche d’ozone ou à une mauvaise gestion des déchets, seulement 14% aux CO2.

image003 dans -> PERSPECTIVES TRANSVERSES

A s’en tenir à ces différents indicateurs, constatons très simplement que la question écologique souffre encore d’un grave déficit en termes d’informations assimilées et assimilables, cela malgré un relais médiatique dorénavant non négligeable.

On serait donc tenter de dire qu’assez loin des objectifs et méthodes proposés par Joël de Rosnay, les diverses tentatives de transmission des savoirs restent encore aujourd’hui bien souvent éclatées et parcellaires, ne regroupant que de petits auditoires autour d’experts ou de thèmes militants ponctuels ; ne regroupant de grands auditoires qu’autour de séance d’imprécations collectives intrinsèquement plus émotionnelles qu’informatives.

Dès lors, comment regretter l’absence de capacité de synthèse, de combinaison des savoirs, quand même les concepts de base ne sont pas connus ? Voilà que le serpent se mord la queue, et la rondeur de la terre ne suffit plus à rendre cette image sympathique. Car à partir du moment où des informations disséminées ne rencontrent pas chez l’auditoire le filet de connaissance nécessaire à assurer une prise de conscience pérenne des phénomènes, par suite il est bien difficile d’enclencher des cycles vertueux du type : information – intégration – action – nouvelle information – synthèse (recombinaison – extraction et constitution du « filet »).

Une conclusion s’impose à ce stade : continuer à se référer aujourd’hui à une indifférence de l’auditoire ne suffit plus à masquer les carences dans la transmission. Etre animé des meilleures intentions, stigmatiser des abus, relever des symptômes parcellaires, tout cela n’autorise pas l’abandon de toute vision prospective et ne fait pas politique.

La question de la question

      Car il s’agit bien malgré « l’urgence » de la situation de continuer à avancer l’écologie en tant que culture nouvelle favorisant l’intégration des connaissances ; la gestion de l’environnement en tant que plus grande visibilité donnée à la diversité des pratiques humaines.

Autrement dit, ne pas abandonner la complexité et continuer à parier sur la lucidité de son auditoire, alors mêmes qu’il va falloir frapper fort et rapidement nous prévient le président du GIEC. Mais on pourrait tenter ici un parallèle entre l’écologisme urgentiste et l’action humanitaire. Si l’intervention est en mesure de régler ponctuellement une crise, elle n’affecte en rien ses conditions de reproduction. Et peut-être même bien au contraire, les crises se manifestant sous bien des formes, de l’eau polluée à l’idée qui le permet. Qui plus est, nous sentons bien qu’il n’est fondamentalement plus possible d’administrer des suppositoires prédigérés à une population très largement en quête de sens, au sens large. Nous vivons à 99% dans un environnement, ou plutôt un milieu, construit par et pour nous-mêmes. Et ce nous-mêmes ne s’arrête pas à la simple description d’individus enfants qui seraient pris dans une folle pulsion de mort.

Mais c’est peut-être précisément à partir de cette pauvre écologie de pensée, paresse ou faillite, qu’il est cependant possible d’avancer en contrepoint quelques lignes d’actions afin de définir quelques lignes de ce que pourrait être un accès équilibré aux connaissances nouvelles qu’ouvre la porte écologique.

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© Raphael Richard – http://www.24pm.fr

Notre environnement change et nous continuons de nous considérer come un « empire dans un empire », comme hors-circuit. Nous continuons à penser que nos organisations sociétales collectives, mentales individuelles, ne se trouveraient pas elle-même modifiées par ces puissants changements. Changements dont nous ne percevons par ailleurs, en tant que partie prenante aux systèmes, que des fragments sélectionnés et déformés.

Il en est ainsi de notre vieux mode de pensée qui considère l’homme et des objets aux alentour dans une relation sujet – objet et où l’ensemble de ces dernier est communément appelé nature. Par suite confondant largement la question de cette nature préconstituée (dit grossièrement ce que nous appelons gestion de l’environnement) et la question écologique, nous ne pouvons que fatalement rester aveugles à notre propre écologie humaine, sous-système de sous-systèmes de la biosphère. Nous parlons alors en termes d’individus à la frontière figée, d’une forme homme sans devenir, prisonnière du mythe de la fin de son histoire. Conséquence de cette démarche négative, les individus sont toujours analysés sous l’angle de l’adaptation à un dehors transcendant, bien trop rarement en tant que système en interaction et coévolution avec. Alors à partir d’une telle vision statique, ne nous étonnons plus de ne pouvoir concevoir que des représentations floues. Exemple : une fois défini l’environnement comme tout ce qui n’est pas l’homme, que devient cette notion une fois dit qu’il s’agit d’y réintégrer ce-dernier ?

Tout l’enjeu de l’approche systémique que permet l’écologie consiste précisément à nous aider à ajuster notre focale sur ces points, à anticiper plus durablement, à repenser des frontières traditionnelles devenues aujourd’hui obsolètes. Ce dernier point étant peut-être même le principal apport possible de l’écologie à notre temps.

Système et frontière

      Grossièrement, tout système peut se représenter comme une différenciation interne entretenue par un flux énergétique (matière, information) externe. Ce flux qui traverse le système détermine alors un intérieur différencié (un extérieur sélectionné) et un extérieur (l’environnement), système ouvert à la circulation des flux qui assure la régulation de l’ensemble. Un système est donc toujours relié à un environnement (à un autre système plus ouvert), à une écologie (à des relations entre systèmes). Ainsi le système minéral de la lithosphère oriente et délimite les possibilités de vie du système organique de la biosphère, qui lui même, oriente et délimite les possibilités d’association des animaux et végétaux du système social de la sociosphère.

L’approche systémique est donc une façon de percevoir à la fois l’arbre et la forêt, sans que l’un ne masque l’autre. L’arbre est perçu comme une configuration d’interactions appropriée aux conditions de vie de la forêt, elle-même association d’arbres dont les interactions produisent la propre niche écologique des individus.

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De même pour l’homme, sous-système de systèmes, il ne compose qu’un arc dans un circuit plus grand qui toujours le comprend lui et son environnement (l’homme et l’ordinateur, l’homme et la canne…). Gregory Bateson, l’un des fondateurs de la cybernétique de seconde génération, nous donne à voir un exemple de circuit, celui de l’aveugle avec sa canne. Il se demande alors « où commence le soi de l’aveugle ? Au bout de la canne ? Ou bien à la poignée ? Ou encore, en quelque point intermédiaire ? » Mais à vrai dire toutes ces questions sont absurdes puisque la canne est tout simplement une voie au long de laquelle sont transmises des informations, de sorte que couper cette voie c’est supprimer une partie du circuit systémique qui détermine la possibilité de locomotion de l’aveugle. Plus généralement : « l’unité autocorrective qui transmet l’information ou qui, comme on dit, pense,  agit et  décide, est un système dont les limites ne coïncident ni avec celles du corps, ni avec celles de ce qu’on appelle communément soi ou conscience ».

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Autrement dit, des éléments se combinent et s’agencent entre eux en permanence, de telle manière que les systèmes qui en résultent remettent en question les classiques notions de frontière entre l’artificiel et le naturel, l’individuel et le collectif. Les travaux de Raphaël Bessis  complètent utilement cette perspective.

Pour lui, à la frontière tout est question d’échelle tant les subjectivités racinent dans de multiples expansions, d’agencements en collectivités, de collectivités jusqu’à la biosphère : « […] il me paraît bien plus adéquat de parler de configuration singulière, plutôt que d’individu, configuration singulière qui ne prend forme qu’en rapport à d’autres configurations singulières, lesquelles ne se comprennent que dans un contexte très fortement dynamique. Ainsi, l’homme n’est plus pensé dans une position isolationniste, archipélique où les êtres seraient complètement distincts les uns des autres : atomisés […] C’est à ce niveau d’analyse que l’on commence à percevoir les turbulences dans lesquelles séjourne l’âme humaine : l’individu au sens strict n’existe nullement, tant la subjectivité humaine s’ancre dans de multiples expansions, établissant la pluralité de ces racines dans un champ beaucoup plus large : celui de la collectivité, laquelle n’ayant pas davantage de forme parfaitement close, pleine et isolée, s’ouvrirait et s’ancrerait sur un collectif encore plus vaste. Si bien que d’une expansion à l’autre, nous nous retrouverions assez vite au niveau presque le plus général, celui de la société elle-même. C’est en ce sens que le schisme entre la société d’un côté et l’individu de l’autre est souvent une opinion sociologique non interrogée, qui en fait une problématique tout à fait passionnante. Peut-être pouvons-nous l’exprimer en un chiasme : l’individu est un être social et la société est faite d’individus…»

     Alors d’un point de vue opérationnel, quelles ressources nouvelles extraire de ce type de perspective sur le monde ? Concrètement, en termes d’évaluation des besoins futurs, de politique publique, et surtout de transmission des savoirs.

Si comme le décrit Bessis notre monde moderne devient toujours plus clos, toute altérité se voyant petit à petit dissoute du fait de l’uniformisation des pratiques produite par le processus de la mondialisation, alors les rétroactions de chacune de nos actions nous apparaissent de plus en plus visibles, comme sous la forme d’échos. En conséquence, il n’y a plus de lieu ou je ne trouve une « trace » de moi-même. J’ai même un écho de moi-même quand je retrouve des pesticides dans les glaces polaires. Dès lors la nécessité et la possibilité même du mouvement (pulsion de fuite) devient beaucoup moins essentielle et la stratégie de développement des humains beaucoup plus « végétale ».

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Ainsi, à l’image de la plante pour la lumière et l’eau, le nouvel individu étend en surface ses capteurs d’information dans le réseau de réseaux sociétal, à la recherche de sens composites. Autrement dit, il cherche à combiner et expérimenter les approches de toute nature (scientifiques, industrielles, médiatiques, artistiques…), approches dont il a les échos permanents dans la société informationnelle au sein de laquelle il « pousse ». Alors si de par l’arrachement à la nécessité du milieu qu’avait permis la technique l’homme était en capacité de construire son propre terreau, à la carte, il en est peut-être à présent en devoir. En contrepoint, il ne peut évidement plus se satisfaire d’un substrat de connaissance traditionnel : analytique, linéaire et séquentielle. La connaissance « encyclopédique » doit donc faire place à une connaissance plus systémique favorisant relations et interdépendances, et le rôle que peut y jouer l’écologie nous apparaît ici comme majeur.

Car l’écologie est précisément cette science des agencements qui doit nous permettre de devenir des interprètes du monde. A travers la reconnaissance et l’organisation des circuits dans lesquels on s’insère, l’écologue est peut-être finalement assez proche du médecin nietzschéen : il donne du sens à partir d’une compréhension des rapports et non d’une quelconque morale, pour en finir avec : « la monstrueuse pathologie atomiste que l’on rencontre aux niveaux individuel, familial, national et international – la pathologie du mode de pensée erroné dans lequel nous vivons tous – ne pourra être corrigée, en fin de compte, que par l’extraordinaire découverte des relations qui font la beauté de la nature. » G. Bateson.

Cette découverte dont parle Bateson nous ramène à toujours à la question de l’apprendre à apprendre. Car si aujourd’hui 22% des interviewés sont demandeurs d’éducation à l’environnement dans les programmes scolaires, reste à savoir comment. Quoi ? A la place de ? En articulation avec ? Comment combiner ? Si les voies d’accès et réponses possibles sont multiples, il convient de regarder particulièrement la place de l’art, sa puissance propre dans une approche plus systémique.

Art et correction

     Pour G. Bateson, l’ensemble de l’esprit est un « réseau cybernétique intégré » de propositions, d’images, de processus etc. etc.…, la conscience, un échantillon des différentes parties et régions de ce réseau : « si l’on coupe la conscience, ce qui apparaît ce sont des arcs de circuits, non des pas des circuits complet, ni des circuits de circuits encore plus vaste. »

Notre conscience n’est donc qu’une petite partie du réel systématiquement sélectionnée et aboutissant à une image déformée d’un ensemble plus vaste. Bateson donne ici à voir l’exemple de l’iceberg. Si à partir de la surface visible de celui-ci nous pouvons deviner ou extrapoler le type de matière qui se trouve immergée, il n’en est pas du tout de même à partir du matériel livré par la conscience : « le système de la pensée consciente véhicule des informations sur la nature de l’homme et de son environnement. Ces informations sont déformées ou sélectionnées et nous ignorons la façon dont se produisent ces transformations. Comme ce système est couplé avec le système mental coévolutif plus vaste, il peut se produire un fâcheux déséquilibre entre les deux». Ainsi une pure rationalité projective « non assistée » est nécessairement pathogénique et destructrice de la vie, car : « la vie dépend de circuits de contingences entrelacés, alors que la conscience ne peut mettre en évidence que tels petits arcs de tels circuits que l’engrenage des buts humains peut manœuvrer. »

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Pour nos actions quotidiennes, les conséquences néfastes sont nombreuses. Elles ont toutes ceci de commun que : « les erreurs se reproduisent à chaque fois que la chaîne causales altérée (par la réalisation d’un but conscient) est une partie de la structure de circuit, vaste ou petit, d’un système. »

Dès lors pour l’homme, la surprise ne peut alors qu’être continue vis-à-vis des effets de  ses « stratégies de tête », cela quelque soit la nature de ses intentions. Prenons l’exemple suivant lequel nous souhaiterions assainir un territoire infesté de moustiques afin d’y développer le tourisme ou l’agriculture, générer des revenus pour le monde rural, maintenir les populations sur le territoire et protéger l’environnement de toute forme de surexploitation.

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Première option, nous utilisons du DDT pour tuer les insectes, exemple donné par Bateson. Se faisant nous privons l’ensemble des insectivore de leur nourriture, ce qui en retour à pour effet de multiplier certaines des populations d’insectes. Nous sommes donc conduit à utiliser une plus grande quantité de DDT, jusqu’à la possibilité d’empoisonner y compris les insectivores : « ainsi, si l’utilisation de DDT en venait à tuer les chiens par exemple, il y aurait dès lors lieu d’augmenter le nombre de policier pour faire faire face à la recrudescence des cambriolages. En réponse ces même cambrioleurs s’armeraient mieux et deviendraient plus malin…etc. etc.… ». Deuxième option, plus actuelle, nous produisons des moustiques OGM équipé d’un gène qui les protège contre le paludisme dont ils sont l’un des vecteurs. Quid des effets d’une éventuelle propagation du gène aux autres insectes, aux prédateurs ? Quid des conséquences éventuelles de la prolifération de moustiques mutants sur les niches écologiques ? Et ainsi de suite…Entre ces deux options, cinquante ans, mais peu ou prou, subsiste toujours les même interrogations.

Ainsi, dans un monde fait de structure et de circuits plus ou moins inaccessibles à l’homme, la « sagesse » de ce denier consiste précisément dans la reconnaissance ou la perception de ceux-ci, comme des relations qui nous relient. Comment ? L’art est l’une de ces voies privilégiée d’accès vers, dans la mesure où « […] l’art, à une fonction positive, consistant à maintenir ce que j’ai [Bateson] appelé « sagesse », modifier, par exemple, une conception trop projective de la vie, pour la rendre plus systémique […] ce que la conscience non assistée (par l’art, les rêves, la religion…) ne peut jamais apprécier, c’est la nature systémique de l’esprit. »

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Ce qui est souligné dans la profondeur d’une œuvre d’art, dans une composition, ce sont des catégories de relations et non quelques éléments relatés aux contours facilement identifiables. Le projet de l’œuvre d’art est un projet intégrateur qui rencontre ici l’objectif de l’écologie. Ce que disait Nietzsche à propose de ce qu’accomplit le danseur, c’est précisément le dépassement des antinomies. Le corps dansant a le pouvoir d’unir les contraires et « nous avons l’art, afin de ne pas mourir de la vérité ».

Le jeu de la combinaison des sources et des savoirs consiste précisément à accroître cet échantillon qu’est la conscience. Mais pas seulement quantitativement, bien plus qualitativement en reliant les « vides », les coupes de circuit, en éclairant ces zones grises d’un chemin de pensée. Sous cet angle, l’écologie apparaît, en plus de la science, comme l’art des agencements, de la composition de modes d’existence. En résonnance avec le devenir artiste nietzschéen, elle permet la création de perspectives nouvelles au sens où il existerait une boucle (écologie mentale) du type : « les modes de vie inspirent des façons de penser, les modes de pensée créent des façons de vivre », en combinant et expérimentant les approches scientifiques, industrielles, médiatiques et artistiques.

Pistes de réflexions et lignes directrices

     La question écologique telle qu’elle se pose à nous aujourd’hui, c’est la question de la frontière. Mais elle n’est pas sans frontière, c’est peut-être même le jeu de la frontière mobile et de la composition de mode d’existence. Alors bien évidemment tout cela n’est pas sans poser de grave problème à nos systèmes traditionnels de transmission des connaissances, ceux-ci ayant toujours besoin d’étiquettes, de classeurs et de casiers.

Mais peut-être qu’avant cela, il conviendrait déjà de réinterroger le mode opératoire médiatique qui consiste classiquement au niveau de la question écologique à produire de manière séquentielle et linéaire, du connu avec de l’inconnu, du complet avec de l’incomplet, du simple avec du complexe. Car si notre objectif est bien de proposer les étapes clés d’un parcours équilibré d’accès aux connaissances auprès d’un grand public, il convient d’en finir au plus vite avec le prémâché et de viser à toujours plus combiner curiosité, exploration, recherche personnelle, pédagogie, expérimentation, création artistique etc…de sorte à offrir aux différents publics un niveau de lecture adapté à chacun. Soit exploiter véritablement les nouvelles possibilités nées de l’approche systémique, pour « aider à s’élever pour mieux voir, à relier pour mieux comprendre et à situer pour mieux agir. » (Joël de Rosnay)

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Toute transmission d’information relative à l’écologie se devrait donc de combiner les trois temps suivants :

·         Transmettre les informations et concepts de bases : par delà les polémiques et les jugements de valeur, pour former les nœuds d’une grille de lecture. Il existe une place pour des informations de base (concepts clés). L’environnement est à bien des égards une machinerie dont les différentes pièces du moteur peuvent être décrites par déconstruction, à la condition qu’une synthèse articulée soit en mesure de resituer ces éléments dans un contexte plus vaste.

·         Employer une tonalité mobilisatrice et interrogatrice : pour initier cette synthèse, il convient de présenter l’ensemble du domaine à communiquer de manière attractive en donnant à penser, en initiant l’exercice créateur de la réflexion individuelle et collective. Car l’objectif est d’apprendre à apprendre à retrouver les informations pertinentes par soi-même et complexifier ainsi sa base de connaissance, conduire à un enrichissement mutuel des concepts (synergie des idées). 

·         Utiliser différents canaux de transmission : opter pour la complexité en pariant sur la lucidité de son auditoire nécessite d’offrir différents niveaux d’accès et de lecture à ses messages (ludique, logique, affectif, interactif…). Car on ne sait pas à l’avance par quel canal on apprend ceci ou cela, on déplie ceci ou cela. Une courbe, un tableau, une musique, un paysage…Le rôle de l’art apparaît ici comme un facteur positif de premier plan, créateur de synergies, catalyseur d’une certaines écologie des idées.

     Pour finir, rappelons une conclusion importante de la théorie des systèmes : plus les voies de circulation de l’énergie (i.e. de l’information) sont nombreuses, plus un système est capable de s’autoréguler. Mais multiplier les voies de circulation de l’information sans adapter les transmetteurs et préparer les récepteurs n’est source que de nouvelles saturations et pollutions. Et voilà à précisément pourquoi nous ne sommes toujours pas prêts aujourd’hui à poser correctement la question de l’écologie, pourquoi en ressort autant de bruit et comment nous risquons de rater une grande partie de ce défi de notre temps. Autrement dit, en rester à la norme.

Bateson disait en son temps: « j’affirme que si vous voulez parler de choses vivantes, non seulement en tant que biologiste académique mais à titre personnel, pour vous-même, créature vivante parmi les créatures vivantes, il est indiqué d’utiliser un langage isomorphe au langage grâce auquel les créatures vivantes elles-mêmes sont organisées – un langage qui est en phase avec le langage du monde biologique». Peut-être pourrait-on ajouter très simplement que si nous voulons parler de quelque chose de nouveau en matière écologique, il nous faut également un langage nouveau.

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