Deux récentes conférences du Woodrow Wilson Center’s website nous rappellent que les deux grands facteurs d’incertitude que sont la bulle démographique d’un côté, le changement climatique de l’autre, sont amenés à peser lourdement sur la continuité et la sécurité de nos modes de vie actuels.
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“Demography and Conflict: How Population Pressure and Youth Bulges Affect the Risk of Civil War”: voir ici
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“Climate-Security Connections: An Empirical Approach to Risk Assessment”: voir ici
Si l’on comprend assez intuitivement qu’à ressource constante, l’accroissement des populations sur un même territoire induit une pression supplémentaire et immédiate sur les services et produits des écosystèmes desquels les individus tirent leurs subsistances, la relation directe entre dégradation environnementale et instabilité politique demeure incertaine. Or devant la montée de l’angoisse climatique, les instances militaires ne sont pas plus épargnées que les autres. Pour elles, il s’agit dès maintenant d’évaluer l’impact des divers scénarii possible de changement climatique, au niveau de leurs stratégies de défense et de sécurité nationale.
A titre d’exemple, voir le rapport commandé par la Défense américaine (PDF) qui examine les conséquences d’un changement climatique brutal sur la sécurité national américaine.
Il est maintenant démontré que toutes les atteintes à l’équilibre des écosystèmes affaiblissent en retour les activités humaines (réduction des inputs et des capacités de recyclage des outputs). Au final les conséquences sont qu’on on aboutit vraisemblablement, d’un point de vue collectif, à plus de difficultés dans le maintien de capacités sociales et organisationnelles équilibrées sur le long-terme. Comme la pression sur les écosystèmes intensifie la compétition pour l’accès à l’eau, aux terres productives et aux produits de la pêche, les risques de conflits d’usages se voient par conséquent accrus.
Seulement si cette séquence logique semble aller de soi, l’analyse des précédents historiques dans le domaine de l’eau, ressource libre multi usages et transfrontalière, nous montre que loin de renforcer les tensions, sa raréfaction est également une occasion d’accord et d’organisation. Sur les 50 dernière années, seulement 37 « disputes aquatiques » se sont traduites par des violences, dont 30 impliquant Israël et ses voisins. En dehors du Moyen Orient, on dénombre uniquement 5 conflits violents alors même que 157 traités ont été négociés et signés dans le même temps. Le cas des accords de partage des eaux de l’Indus entre l’Inde et le Pakistan est à ce titre tout à fait remarquable.
Rappelons pour mémoire que les 263 bassins hydriques des fleuves transfrontaliers représentent 45% de la surfaces des terres du globe, accueillent 40% de la population mondiale et 60% du débit mondial des fleuves et rivières. 145 pays sont concernés par un partage des ressources, et 33 sont presque entièrement dépendant de ressources extérieures. Dans le cas d’un pays comme le Pakistan, 70% de toutes ses eaux prennent sources en dehors du pays. En Europe, un fleuve comme le Danube traverse aujourd’hui 17 nations.
Les liens entre ressources et conflits
Généralement les conflits sur une ressource peuvent avoir deux causes souvent complémentaires :
Cependant, au niveau de chaque pays, on pourrait imaginer un schéma plus complet, lequel pourrait ressembler à celui-ci :
La reproduction des flux, soit de l’ensemble des biens et services environnementaux produits par le territoire, est vulnérable aux pollutions, à la surexploitation, aux destructions occasionnées par les changements d’affectation de l’utilisation des sols (urbanisation, infrastructures de transport…). Une fois fragilisé, on assiste à une diminution des stocks qui induit une raréfaction des ressources impactant en retour (le stock est un input de la production des flux) la bonne reproduction des flux. La raréfaction des ressources en termes de stocks disponibles incluant également une compétions accrue sur leurs usages, demandant une réponse politique et économique adaptée.
Rappelons qu’une ressource est un flux quand elle est disponible de manière périodique et que le taux de prélèvement demeure inférieur au taux de renouvellement. Une ressource est un stock quand un prélèvement de celle-ci mène directement à une baisse identifiable et mesurable de son volume. Plus précisément, six catégories de ressource pourraient être définies:
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Non renouvelable, non recyclable (pétrole, gaz, charbon, uranium)
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Recyclable (les minéraux)
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Reproductible, mais non renouvelable (eau)
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Reproductible pour une appropriation privée (nourriture)
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Stockable et renouvelable (bois et foret)
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Renouvelable pour une appropriation collective (pêche, espèces biologiques)
Le « governance level» du schéma correspond à la question : comment les institutions politiques et économiques locales sont-elles capables de gérer une situation de pénurie, en interne, en coopérant avec leurs voisins ? Autrement dit quelle est la capacité du système économico-politique local à absorber les crises, tout du moins à ne pas en aggraver les effets sur la sphère des équilibres sociaux.
Un second niveau existe, celui de l’« attractiveness level ». Ce dernier correspond à la question : comment investir et se couvrir dans tel ou tel pays ?Soit la sécurité des biens et des investissements du fait de l’existence d’un type de cadre socio-juridique local. Ce niveau vient ainsi s’additionner à celui de la gouvernance locale, en plus d’avoir un impact sur la fuite des ressources rare vers un marché mondial régulé ou non (trafic).
Ces deux niveaux viennent donc renforcer ou réduire, au cas par cas, les effets d’une dégradation des ressources naturelles du pays sur sa sphère sociale. Determinant ainsi des condition plus ou moins favorables à l’irruption de conflit sur les ressources. Le lien entre dégradation environnementale et conflit n’est donc pas une relation directe mais bien intermédiée par des facteurs institutionnels (on englobera le culturel sous ce terme) et renvoie donc à une analyse des situations au cas par cas.
Terminons ce petit tour d’horizon en présentant une liste de liens anglophones traitant de la sécurité environnementale. Thématique qui semble assez largement sous-développée dans des pays tels que la France.
Environmental Literacy Council : Conflict and Natural Resources publications
IISD Publications Centre : Environment and Security
Conserving the Peace: Resources, Livelihoods and Security : Environmental pressures destabilize nations and regions. They can displace waves of environmental refugees from their homes. Increasing competition for water, fisheries and productive land will increase the risks. The Environmental Security Team seeks to identify the environmental factors that could contribute to increased political tension or future conflict, and neutralize them through preventive diplomacy, as well as promoting ways of repairing damage.
Environmental Change and Security Project Report : « From Planting Trees to Making Peace:The Next Steps for Environment, Population, and Security. »
Global Environmental Change and Human Security: Conceptual and Theoretical Issues : « It is certainly the case, as Our Common Future implies, that human security is promoted and threatened by a variety of economic, cultural, political and environmental factors. Research at GECHS pays special attention to the environmental component of human security-and insecurity-but it places this componen in a broader context of social processes and institutions as appropriate. The research guidelines develofor the GECHS Project are an extension of thinking and concern expressed on Our Common Future, and examined from various perspectives, and in different parts of the world, over the past ten years. »
An abrupt climate change scenario and its implications for United States national security. : « The purpose of this report is to imagine the unthinkable-to push the boundaries of current research on climate change so we may better understand the potential implications on United States national security. »
Understanding Environment, Conflict, and Cooperation : « The present document represents UNEP’s response to the growing worldwide interest in further exploring the environment and security nexus and the contribution of timely and credible assessments to conflict prevention. »