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Chercher des lignes de capture, c’est commencer par rencontrer des différences. Si les stratégies de développement des plantes et des animaux s’opposent sur bien des points, peut-on penser que des variations dans l’environnement puissent impliquer des « échanges » de stratégies entre ces deux modes d’organisation du vivant ? Dans quel sens, à travers quelle frontière, à quelle échelle ? Evaluation des différences d’après extraits du dialogue de septembre 2001 entre le botaniste Francis Hallé et le psycho-anthropologue Raphaël Bessis sur ce que pourrait-être un devenir végétal de notre société contemporaine. |
Capter l’énergie
Peut-être peut-on situer la première différenciation stratégique, celle qui conditionne toutes les autres, au niveau de la captation énergétique. « En somme, il y a deux manières de capter de l’énergie, et cela correspond aux plantes et aux animaux ». Pour ce faire l’animal utilise une bouche actionnée par tout un système musculaire et se doit d’être mobile pour capturer sa proie. Si l’on veut être mobile, il faut avoir une petite surface.
« Par contre, la plante a à faire à un mode de captation énergétique qui ne requiert en aucune façon le fait de privilégier un endroit plutôt qu’un autre (le rayonnement solaire étant le même où que l’on soit sur Terre). Vous voyez là que le mouvement perd beaucoup de son intérêt. En revanche, le niveau de flux énergétique étant assez bas, il faut en contre partie déployer des surfaces énormes, ce qui va encore dans le sens de rendre inutile, voire même impossible, le mouvement. »
La compétition entre les plantes pour capter la lumière implique alors le développement vertical. Au final les plantes sont d’immenses surfaces de panneaux solaires et de pompe à eau, alors que les animaux seraient plutôt des volumes. « Je propose qu’un arbre – non pas un grand arbre comme il y en a dans les forêts tropicales, mais disons comme il y a dans les rues de Paris – cela correspond aisément à 100 voir 200 hectares. Mais il s’agit de bien comprendre que l’essentiel de ces surfaces sont souterraines. »
Stocker l’information
Si les conditions lui déplaisent, l’animal a comme solution de se déplacer (pulsion de fuite, nouvelle occupation de l’espace) jusqu’à ce qu’il retrouve des conditions écologique satisfaisantes (nourriture, température,…). En ce sens, l’animal n’a pas besoin de se changer beaucoup lui-même. « La plasticité animale dans sa forme extérieure est faible, et il en va de même concernant son génome : il n’a aucune raison de se changer lui-même intérieurement, un seul génome lui convient. »
A contrario, la plante étant fixe, si elle n’est pas capable de plasticité, elle meurt. On peut comprendre, alors, que des systèmes extraordinairement plastiques voire labiles ou fluides, se mettent en place, et cela est vrai aussi bien pour la forme externe (architecture de la plante, surface foliaire et racinaire…) que pour les comportements ou le génome (stockage des cellules mutantes). « La plante doit être capable, dans une certaine mesure, de se changer elle-même, faute de quoi, elle disparaît, elle n’est plus adaptée à un nouvel environnement. C’est la solution du végétal : puisque je ne peux pas fuir, je vais devenir quelqu’un d’autre… je suis alors condamné à la transformation, à la mutation. »
Coloniser l’espace et domestiquer le temps
Un individu signifie avant tout indivisible, un être vivant que je ne peux pas couper en deux moitiés égales sans qu’il ne meure. Plus, l’individu est une structure qui ne possède à priori qu’un seul génome.
Chez la plante, chaque cellule est capable de refaire la plante dans son intégralité (totipotence). Il s’agit donc d’une structure dividuelle car divisible où il y a ici une sorte d’équivalence entre la partie et le tout (structure réitérative). Les plantes n’ont pas d’organes vitaux et connaissent une croissance indéfinie. Par ailleurs, plusieurs génomes coexistent au sein d’une même plante. Les animaux sont quant à eux incapables de répéter leur séquence de morphogenèse, pas plus que de conserver une cellule mutante (cancer). Par ailleurs le règne végétal permet des coexistences possibles d’unités vivantes et mortes.
Les végétaux sont d’immenses colonies « potentiellement immortelles », ce qui signifie qu’il n’y a pas de sénescence. Elle n’existe qu’au niveau de l’individu constitutif, mais elle n’apparaît plus au niveau de la colonie elle-même. Si aucun événement extérieur massivement pathogène (toute mort vient du dehors) ne vient détruire la colonie, elle continuera à vivre indéfiniment : aucune « raison biologique » interne ne la fait acheminer vers la mort. S’il se met à faire trop froid, l’arbre meurt, mais cela ne correspond pas à une sénescence interne. Tant que les conditions resteront bonnes, la vie va durer ; c’est en ce sens que j’emploie l’expression d’une potentielle ou virtuelle immortalité.
F.Hallé : « Je pense que ces deux règnes se déploient dans des domaines différents. L’animal gère très bien l’utilisation de l’espace. Il est constamment en train de bouger. Le réflexe de fuite ou la pulsion de fuite dont vous parliez en témoigne. Les pulsions qui l’amènent à se nourrir ou à se reproduire correspondent toujours à des questions de gestion de l’espace. Leur adversaire, en l’occurrence la plante, n’a aucune gestion de l’espace, puisqu’elle est fixe. Mais par contre, elle a une croissance indéfinie, une longévité indéfinie, et est virtuellement immortelle ; ce qu’elle gère donc c’est le temps. L’animal va très vite se voir manipulé devant la puissance stratégique de la plante, et ce, parce qu’il n’a pas la patience : il faut qu’il bouge. Dans ce combat, la plante peut attendre le siècle d’après, ça ne la gêne pas, et finalement, elle aura le dessus. Ce qui est paradoxal à admettre et peut être un peu blessant, c’est que l’animal qui a un cerveau se fait, au final, ‘‘complètement rouler dans la farine’’, par la plante qui n’a pas de cerveau, mais qui gère le temps. C’est ainsi que je la vois. Prenons l’exemple de la pollinisation, de la dispersion des graines, l’animal le réalise sans même le savoir : ce n’est pas pour cela qu’il vient, il n’est même pas mis au courant et joue un rôle essentiel pour la plante à son insu. En somme, il est une sorte de larbin. »
R. Bessis : « Je finirai ce dialogue entre nous par la phrase la plus philosophique qui termine votre travail et votre éloge de la plante. Vous dites, en citant René Thom : « Une contrainte fondamentale de la dynamique animale, qui distingue l’animal du végétal est la prédation (…). La plante n’a pas de proie individuée, elle cherche donc toujours à s’identifier à un milieu tridimensionnel ». Chez le végétal, « on trouve une sorte de dilution fractale dans le milieu nourricier ambiant ». Vous rajoutez alors ceci : « Peut-être à la transcendance de l’animal et de l’être humain faut-il opposer l’immanence de la plante. » Comment entendez-vous, au juste, cette dernière phrase ? »
F.Hallé : « Si l’on se place sur le plan de l’évolution biologique, celle de Darwin, alors l’évolution de la plante et celle de l’animal, sont très différentes. Evoluer pour les animaux, c’est se dégager de mieux en mieux des contraintes du milieu, et en ce sens, l’homme est bien placé au sommet de la pyramide, parce que pour nous à la limite, on ne sait même plus ce qu’est le milieu. Evoluer pour une plante, c’est se conformer de mieux en mieux aux contraintes du milieu, cela consiste donc, non pas à échapper mais au contraire à se dissoudre dedans, à disparaître d’une certaine manière. C’est en quoi la plante m’est apparue immanente, alors que l’animal serait transcendant. »
Un régal cet article je n’en imaginais pas autant à ce sujet merci
Hey grand poste. Je dois apprendre beaucoup de choses de ce poste. Merci d’avoir partagé.
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