Hybride – body art – hacktivisme

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Cet article est un brouillon/bouillon issu de réflexions/intuitions encore très largement hors-sol

@Stelarc
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     Stelarc, artiste australien du Body Art connu pour s’être fait greffer récemment une troisième oreille sur son avant bras, nous offre à travers ses créations l’occasion d’une rencontre entre démarche artistique et scientifique.

Dans un article de Marie Lechner « Le corps amplifié de Stelarc », le créateur nous éclairait ainsi sur sa démarche : « […] Je ne vois pas le corps comme le site de la psyché ou de l’inscription sociale mais comme un appareil biologique. Je ne crois pas à la prééminence du moi, de l’ego, à l’humain comme une entité singulière et autonome, nous sommes conditionnés par le milieu dans lequel nous vivons. Ce qui est important ce n’est pas ce qui se passe en nous, mais ce qui se passe entre nous […] Tous mes projets et performances se penchent sur l’augmentation prothèsique du corps, que ce soit une augmentation par la machine, une augmentation virtuelle ou des processus biologiques, comme l’oreille supplémentaire, ce sont des manifestations du même concept […] l’idée du corps comme une architecture évolutive, une structure anatomique alternative. Dans le cas de l’oreille, on a répliqué une partie du corps, on l’a relocalisée, on l’a reconnectée. »

A la lecture de l’article, il nous est apparu comme intéressant de relier ses propos avec quelques fragments « biologiques » issus de l’éthologie et de l’écologie.

Extérieur vs intérieur

     Premièrement, que tirer du constat des premiers zoologues mutant vers l’éthologie (les mondes animaux d’Uexküll) sur les rapports de coévolution entre un organisme et son environnement ?

On pourrait résumer leurs observations en disant que pour eux, l’intérieur n’est qu’un extérieur sélectionné, et l’extérieur, un intérieur projeté. Autrement dit, le sujet vivant porte à l’intérieur de lui l’organisation de son milieu. Ce qu’Edgar Morin appelle l’auto-éco-organisation. Du coup, nous sommes amenés à penser la frontière intérieur/extérieur comme poreuse, mais également mobile quand l’écologie nous éclaire sur les interactions des vivants qui tout à la fois composent un milieu et s’y construisent.

Les mutations qui affectent notre « appareil biologique » semblent donc ne pas devoir appartenir ni à un intérieur, ni à un extérieur, mais pour reprendre le terme d’Edgar Morin, à un dialogue constant entre les deux. C’est à dire que du fait d’une intériorité propre construite avec l’extérieur(langage, culture, organisation de la matière, circulation de l’énergie…), « je » suis capable de sélectionner/discriminer/reconnaître un objet spécifique dans l’infinité de la nature. Par suite, « je » vais pouvoir transformer cette perception dans mon environnement en action. C’est-à-dire, en une nouvelle fonction qui en retour viendra modifier mon intériorité en s’y intégrant (nouvel organe, ie nouvelle machine incorporée).

Cercle fonctionnel d’après Uexküll

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L’homme écran

     Stelarc : «  Ce corps biologique avec cette forme particulière et ces fonctions particulières devient inadéquat dans le contexte technologique des machines de haute précision. Ce qui ne signifie pas qu’on peut s’en passer. Mais le corps pourrait par exemple être technologiquement augmenté ou génétiquement amélioré, il pourrait être reprogrammé ou redesigné. En d’autres termes, acceptons-nous le statu quo biologique […] acceptons-nous le corps humain tel qu’il est et devenons nous poétique ou philosophique vis-à-vis de la condition humaine ou questionnons-nous ce que ça signifie d’être humain, ce que signifie avoir un corps et comment ce corps interagit dans le monde. »

De ce que nous avons dit précédemment, le statu quo biologique ne peut exister du fait des interactions permanentes entre un sujet et son environnement. C’est donc cette idée même de statu quo est la représentation poétique au sens où l’entend Stelarc.

Qui plus est, celui-ci semble vouloir donner un primat évolutif au contexte technologique sur un corps qui serait comme périmé, comme à la poursuite d’un contexte extérieur changeant. Mais ce dernier ne peut-être dépassé que par lui-même. Ce que Stelarc appelle contexte technologique n’est rien d’autre que le monde des hommes, soit un monde qui correspond aussi à l’extérnalisation de capacités individuelles internes qui lui coexistent sous forme de virtualités ou de potentiels.

C’est à dire que si je suis capable d’agir comme ça, fabriquer une machine par exemple, c’est aussi que je porte en moi la structure même de cette machine. Et ce dialogue dont nous parlions tout à l’heure agit alors comme un dédoublement intérieur/extérieur duquel nous ne participons peut-être qu’en tant que membrane filtrante, interface dynamique ou écran.

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Prenons l’exemple suivant afin d’établir quelque peu ce propos. Admettons par exemple que je sois écrivain. Dans un processus d’attention, je filtre des éléments de mon environnement, je les incorpore, je les mélange. Se forme alors une bouillie presque inaudible, mais dont certains des fragments que je perçois me poussent à agir dans le sens d’une externalisation de ceux-ci. Je prends alors un papier et j’écris. Toujours dans un environnement qui ne cesse d’influencer ce processus. Je me relis, c’est à dire que je poursuis un dédoublement intérieur/extérieur dans lequel je me situe comme à l’interface. Je gratte la matière extérieure, je la sonde pour qu’elle me révèle en écho une intériorité encore « innommable ». Enfin, après tout un jeu d’essais/erreurs, je libère cette matière dans un environnement pour que les échos de son mouvement viennent en retour modifier la perception que j’en ai, la perception de moi-même. Et mon environnement change alors de couleur…et ainsi de suite…ping virgule pong…

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Stimuler et actualiser des fonctions

Sans présager des modes de représentation/décontextualisation qu’il en a, le pied biologique de l’homme est donc comme pris dans ce dialogue permanent entre ses milieux intérieurs et extérieurs. A ce niveau, on pourrait donc avancer l’idée que la technique permet à l’homme de sortir partiellement des limites inhérentes à ce dialogue.  Comment ? En actualisant des potentiels mentaux encore virtuels et non directement « intégrables » du fait de l’environnement dans lequel il « choisit » de se construire à une époque donnée, et qui ne lui permet pas telle ou telle stimulation, telle ou telle rencontre, telle ou telle formation d’organe.

Uexküll

C’est-à-dire que face à notre activité de domestification et de réduction des variations du dehors, assurance socio-économique, nous perdons en diversités et potentiels d’actions du fait de la diminution des rencontres possibles dans un environnement extérieur « apaisé », « sur-sélectionné » et « standardisé ». J’évite la vague, j’évite l’araignée, et tout un tas de choses que je juge comme hasardeuses.

Pour contrer ce phénomène d’appauvrissement du dialogue d’avec les diversités du dehors, et donc en actions possibles, nous externalisons alors les potentialités virtuelles internes dont nous percevons tel un sonar des échos dans diverses expériences interactives à la limite de nous-mêmes (exploration du non humain, de la maladie…). A partir de là, nous en projetons les bases sous forme de machines. C’est-à-dire à travers des fonctions dont l’intégration au corps biologique n’est encore que partielle. En ce sens, ce que nous appelons machines ne sont que des potentialités virtuelles existantes en germe, dans la matière du corps biologique, et que nous externalisons. Avant peut-être de les incorporer sous forme d’organes (biologiques ou symboliques).

Ainsi, quand Stelarc nous dit : « […] si nous considérons que c’est ce corps biologique qui perçoit, qui agit dans le monde, que se passe-t-il quand nous augmentons le corps avec des technologies, quand nous construisons un corps qui peut agir au-delà des frontières de sa peau et de l’espace local qu’il habite ? Cette idée d’un système nerveux prolongé est déjà réalisée : des corps séparés spatialement mais connectés électroniquement, c’est la définition de l’Internet, un système nerveux externe pour une multiplicité de corps », nous pouvons le renvoyer à Bateson pour soutenir qu’Internet n’est que l’avatar extérieur projeté d’un fonctionnement interne qui lui coexiste. Il n’y a donc pas augmentation directe des capacités du corps, mais actualisation dans le monde extérieur d’un potentiel mental.

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Bateson : « Si nous voulons expliquer ou comprendre l’aspect « mental » de tout événement biologique, il nous faut, en principe, tenir compte du système, à savoir du réseau des circuits fermés, dans lequel cet événement biologique est déterminé. Cependant, si nous cherchons à expliquer le comportement d’un homme ou d’un tout autre organisme, ce « système » n’aura généralement pas les mêmes limites que le « soi » – dans les différentes acceptions habituelles de ce terme. Prenons l’exemple d’un homme qui abat un arbre avec une cognée. Chaque coup de cognée sera modifié (ou corrigé) en fonction de la forme de l’entaille laissée sur le tronc par le coup précédent. Ce processus auto-correcteur (autrement dit, mental) est déterminé par un système global : arbre-yeux-cerveau-muscles-cognée-coup-arbre ; et c’est bien ce système global qui possède les caractéristiques de l’esprit immanent. Plus exactement, nous devrions parler de (différences dans l’arbre) – (différences dans la rétine) – (différences dans le cerveau) – (différences dans les muscles) – (différences dans le mouvement de la cognée) – (différences dans l’arbre), etc. Ce qui est transmis tout au long du circuit, ce sont des conversions de différences ; et, comme nous l’avons dit plus haut, une différence qui produit une autre différence est une idée, ou une unité d’information. »

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Une fois le potentiel actualisé et extériorisé, la conscience humaine peut intervenir par réflexivité (l’écran). Le dédoublement de la fonction entre l’intérieur et l’extérieur va ouvrir un nouveau champ d’étude à celle-ci. Champ d’étude qui conduira ou pas à accélérer son intégration : création d’un organe ou multiplication de machines extérieures (greffes partielles).

@Stelarc

Evolution forcée ?

     « […] quand on pense au cyborg, ça nous rend anxieux parce qu’un cyborg est en partie un homme, en partie une machine, il y a cette crainte d’être automatisé. Mais nous avons toujours construit des artefacts, des instruments et des machines. Nous craignons ce que nous avons toujours été et sommes déjà devenus, des zombies et des cyborgs. » Stelarc

De ce que nous tentons de dire depuis le début, ressort qu’une part de notre évolution ne se fait pas par une accélération de la sélection naturelle à travers la greffe de machine, mais bien par le développement d’une capacité à multiplier des fonctions intégrables au corps hors du champ expérimental d’un environnement naturel vécu. En ce sens, la machine c’est l’homme et l’homme c’est la machine. Le langage est une machine intégrée (organe symbolique) qui amène l’homme à une nouvelle naissance, la conquête d’un nouveau monde par l’émergence du symbolique dans le biologique.

« […] L’oreille que les chirurgiens ont implantée dans mon bras est une sorte de structure poreuse qui permet aux cellules de la peau de pousser à l’intérieur, l’oreille finissant ainsi par faire biologiquement partie de mon bras. » Stelarc.

Reste qu’il est difficile de suivre Stelarc sur cette voie sans penser l’homme comme isolable de son environnement. L’intégration partielle, la machine extérieure, ne peut finir par faire biologiquement partie de mon corps. Qu’elle soit composée de matière biologique ou non, cette troisième oreille reste une machine extérieure, une greffe et non une émergence issue d’un processus intéractif d’accouplement extérieur/intérieur tel que décrit par l’éthologie et l’écologie. Dès lors notre recherche visant à multiplier des fonctions intégrables au corps hors du champ expérimental d’un environnement naturel vécu, celle-ci ne peut déboucher de fait que sur une multiplication des mondes virtuels où l’expérience nous est possible.

@Stelarc

Ainsi, à mesure que notre environnement biologique s’appauvrit – crise écologique, surhabitation du monde et réduction des possibilités d’expériences vécus – nous sommes déjà poussés à accélérer sans cesse la création de nouveaux mondes virtuels ou l’expérience est possible. Cela afin d’y vivre et sonder de nouvelles formes d’interactions, avec de nouveaux objets, pour intégrer de nouvelles fonctions et ainsi maintenir une accélération de notre évolution au moins constante.

Nous sommes donc comme condamnés à multiplier nos extérieurs, à nous dissoudre dans de nouvelles dimensions dont nous ne percevons encore à l’heure actuelle que de très faibles échos (Internet, réseaux urbains…). Les nouvelles naissances ou naissances successives de l’homme, du biologique à l’émergence du symbolique, à l’émergence du xxx … vers xxx …

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     Les travaux de Stelarc « l’idée du corps comme une architecture évolutive » nous révèlent une tentative d’intégration forcée. La greffe sur un corps pensé dans un contexte, mais finalement décontextualisé par l’élimination de la boucle « animale » du dialogue intérieur/extérieur. Le court-circuit d’une part biologique malgré tout pensée comme un statut quo. En découle une multiplication de la greffe plus qu’une multiplication des environnements.

Mais tout cela nous ouvre à beaucoup de questions : qu’émerge-t-il le jour où nous sommes capables d’intégrer les potentialités du corps au corps sans passer par le stade extérieur de la machine (outil) ? L’alliance « animale » de l’intérieur projeté à l’extérieur sélectionné peut-elle être rompue ? Le temps de l’intégration par l’expérience d’un monde vécu peut-il être dépassé ? Peut-on assister à la mort de notre « pied » biologique, à une nouvelle émergence dans l’auto-organisation pure où existence et action appartiendraient à un même mouvement ? Peut-on devenir un empire dans un empire autrement qu’en devenant cet empire…and so on…le fantasme de l’auto-création.

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