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» Dans son ouvrage Par-delà nature et culture, Philippe Descola propose une typologie des économies de la connaissance qui ont régi les relations de l’homme avec la faune et la flore. Cette typologie est basée sur deux listes, celle de quatre types d’ontologies, et celle de six types de relations. Elle élargit une typologie déjà présente dans l’ouvrage Les Mots et les choses de Michel Foucault. La conception d’une économie de la connaissance avait été énoncé par Foucault à cause de la rareté des énoncés, à l’opposé des conceptions technocratiques qui font de la connaissance une source intarissable de prospérité. » Revue développement durable et territoires
Extrait de la lecture de Par-delà nature et culture de Philippe Descola par Raphaël Bessis, d’après article en version longue paru dans le N° 24 de la revue Multitudes.
» Philippe Descola dans Par-delà nature et culture (2005) tâche d’élaborer, au travers d’une classification des formes d’écologie symbolique, les pièces élémentaires d’une sorte de syntaxe de la composition du monde. Quatre schèmes fondamentaux ou matrices ontologiques (l’animisme, le naturalisme, le totémisme et l’analogisme) seront ainsi exhumés de l’immense champ des monographies ethnologiques, permettant à leur auteur d’établir une critique de la raison naturaliste. C’est cette révolution épistémologique que nous nous efforcerons le plus fidèlement de restituer.Les quatre ontologies fondamentales »
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Les quatre ontologies fondamentales
« Tâchons de définir moins succinctement ces quatre matrices ontologiques qui permettent d’établir les différences et les ressemblances entre soi et les existants, et qui sont à la base de l’élaboration ethno-épistémologique de Philippe Descola.
L’animisme
Ce qui caractérise généralement l’animisme c’est « l’imputation par les humains à des non-humains d’une intériorité identique à la leur » (p. 183). Cette définition minimale nous ouvre à l’idée essentielle que « ce n’est pas au moyen de leur âme qu’humains et non-humains se différencient, mais bien par leurs corps » (p. 183). C’est ce dont témoigne Anne Christine Taylor lorsqu’elle affirme que, dans les sociétés animiques, « ce qui distingue les espèces, en définitive, c’est l’habit ». Ainsi, les plantes et les animaux sont « des personnes, revêtues d’un corps animal ou végétal dont elles se dépouillent à l’occasion pour mener une vie collective analogue à celle des humains : les Makuna, par exemple, disent que les tapirs se peignent au roucou pour danser et que les pécaris jouent de la trompe durant leur rituels, tandis que les Wari’ prétendent que le pécari fait de la bière de maïs et que le jaguar ramène sa proie à la maison afin que son épouse la cuisine. » (p. 187) Le corps possède donc le rôle qui est d’ordinaire dévolu à l’âme pour les occidentaux, celui d’un « différenciateur ontologique » (p. 188).
De là il s’ensuit que, dans l’univers animique, tout est affaire de perspective : « Les humains, en conditions normales, voient les humains comme humains, les animaux comme animaux et les esprits (s’ils les voient) comme des esprits ; [certains] animaux (les prédateurs) et les esprits voient les humains comme des animaux (des proies), tandis que [d’autres] animaux (le gibier) voient les humains comme des esprits ou comme des animaux (des prédateurs). En revanche, les animaux et les esprits se voient [eux-mêmes] comme humains ». On comprend alors en quoi le perspectivisme est un « corollaire ethno-épistémologique de l’anismisme » nous dit Viveiros de Castro.
Le naturalisme
Le naturalisme inverse la formule de l’animisme « en articulant une discontinuité des intériorités et une continuité des physicalités » (p. 241). Selon Viveiros de Castro, si « l’animisme est « multinaturaliste » puisque fondé sur l’hétérogénéité corporelle de classes d’existants pourtant dotés d’un esprit et d’une culture identiques, (…) le naturalisme est « multiculturaliste » en ce qu’il adosse au postulat de l’unicité de la nature la reconnaissance de la diversité des manifestations individuelles et collectives de la subjectivité » (p. 242).
Cependant aujourd’hui, relève Philippe Descola, les savants sont « moins prompts à affirmer une discontinuité entre les humains et les non-humains » (p. 251). L’éthologie avec William McGrew qui évoque l’idée d’une « culture matérielle » pour les chimpanzés, les sciences cognitives avec Francisco Varela qui pose l’esprit comme un « systèmes de propriétés émergentes résultant de la rétroaction continue entre un organisme et un milieu ambiant » (p. 260) et qui évacue ainsi l’idée d’une intériorité intrinsèque, et la philosophie morale et juridique avec Peter Singer qui tente d’étendre les droits humains à certains grands primates, forment autant de développements qui signent les craquelures de l’ontologie moderne naturaliste. Nous verrons d’ailleurs, un peu plus loin, que le mode d’identification naturaliste vit, sans doute sous l’effet des processus liés à la mondialisation, une série de mutations qui l’achemine plutôt en direction d’un fonctionnement de type analogique.
L’analogisme
L’analogisme est « un mode d’identification qui fractionne l’ensemble des existants en une multiplicité d’essences, de formes et de substances séparées par de faibles écarts, parfois ordonnées dans une échelle graduée, de sorte qu’il devient possible de recomposer le système des contrastes initiaux en un dense réseau d’analogies » (p. 280). Cette forme d’ontologie est « très commune » (p. 280) sur la face du monde. « Elle s’exprime, par exemple, dans les corrélations entre microcosme et macrocosme qu’établissent la géomancie et la divination chinoise, ou dans l’idée, courante en Afrique, que des désordres sociaux sont capables d’entraîner des catastrophes climatiques » (p. 280).
Parce que « l’intériorité et la physicalité sont ici fragmentées en chaque être entre des composantes multiples, mobiles et en partie extra-corporelles [doctrine antique des quatre éléments, théorie chinoise ou ayurvédique des cinq éléments, jeu des oppositions entre humeurs masculines et féminines que l’on retrouve, par exemple, en Afrique], dont l’assemblage instable et conjoncturel engendre un flux permanent de singularités » (p. 314), l’analogisme se protège en usant de l’analogie avec une « systématicité admirable » (p. 315), et ce, « afin de cimenter un monde rendu friable par la multiplicité de ses parties » (p. 315). Au centre de cette ontologie, « c’est bien la différence infiniment démultipliée qui fait l’état ordinaire du monde, et la ressemblance le moyen espéré de le rendre intelligible et supportable » (p. 281).
Le totémisme
A l’inverse, dans le totémisme, ce n’est pas l’éclatement, ou l’émiettement en singularités qui menace, mais c’est la fusion sans ambiguïté au sein d’un collectif hybride d’individus (humains et non humains). Au cœur de cette ontologie se situe les êtres du Rêve, les êtres originaires, qui sont le plus souvent présentés « comme des hybrides d’humains et de non-humains déjà répartis en groupe totémiques au moment de leur venue. Ils sont humains par leur comportement, leur maîtrise du langage, l’intentionnalité dont il font preuve dans leurs actions, les codes sociaux qu’ils respectent et instituent, mais ils ont l’apparence ou portent le nom de plantes ou d’animaux et sont à l’origine des stocks d’esprits, déposés dans les sites où ils disparurent, et qui s’incorporent depuis dans les individus de l’espèce ou de l’objet qu’ils représentent et dans les humains qui ont cette espèce ou cet objet pour totem » (p. 207).
C’est parce que les humains, les totems et tous les autres existants « furent placés dans l’ordre social-et-naturel par les êtres du Rêve qu’il existe entre eux tous une relation pérenne d’origine et de substance communes » (nous dit Francesca Merlan), d’où se déploie l’idée que « l’homme et la nature forme un tout organique, un tout à la fois vivant et social ». C’est cette « continuité interspécifique des physicalités et des intériorités » (p. 225) qui fait la spécificité de cette ontologie (ou de ce mode d’identification), où chaque individu est « l’actualisation d’un des états successifs par lesquels est passée la genèse de l’identité collective propre à l’ensemble dont il fait partie » (p. 407) » [...]
Les schèmes de relation (second ensemble de schèmes intégrateurs de l’expérience)
Le schème matriciel (ou intégrateur) qui pose l’identification du moi et de l’autre n’est pas le seul schème fondamental à la structuration de son expérience au monde. Comme nous l’avons précédemment évoqué, Philippe Descola repère, au côté de l’identification, la relation, comme « modalités fondamentales de structuration de l’expérience individuelle et collective » (p. 163).
Les schèmes de relation, qui sont des dispositions donnant une forme et un contenu à la liaison pratique entre moi et un autrui quelconque, sont classés « selon que cet autrui est équivalent ou non à moi sur le plan ontologique, et selon que les rapports que je noue avec lui sont réciproques ou non » (p. 425). De là, l’auteur retient six principales relations ou schèmes de relations, qui viennent moduler chaque schème d’identification ou matrice ontologique. Deux groupes se forment : « le premier caractérisant des relations potentiellement réversibles entre des termes qui se ressemblent » (p. 425), que représente : l’échange, la prédation et le don, le second groupe désigne « les relations univoques fondées sur la connexité entre des termes non équivalents » (p. 425), qui inclut : la production, la protection et la transmission. Aucun de ces schèmes de la pratique n’est hégémonique, « aucun ne régit à lui seul l’ethos d’un collectif » (p. 458), précise l’auteur, « on peut seulement dire que l’un ou l’autre d’entre eux acquiert une fonction structurante en certain lieux » (p. 432), et constitue « un horizon éthique informulé, un style de mœurs que l’on a appris à chérir » (p. 458).
Si l’échange se caractérise comme « une relation symétrique dans laquelle tout transfert consenti d’une entité à une autre exige une contrepartie en retour » (p. 426), en revanche, le don comme la prédation sont asymétriques. La prédation (contraire du don) consiste à « s’emparer d’une chose sans offrir de contrepartie » (p. 435), mais elle est surtout « une disposition à incorporer l’altérité humaine et non humaine au motif qu’elle est réputée indispensable à la définition du soi » (p. 437). Concernant la relation asymétrique positive qu’induit le don, l’auteur propose une définition contraire à l’usage établi par Mauss où le don se voit désigné comme « un transfert consenti sans obligation d’un contre-transfert » (p. 431). Il est étrange, ici, que Philippe Descola ne s’attache pas au non-dit de la relation de don, il est même surprenant, pour un « héritier de l’analyse structurale » (p. 419) que le don soit définit depuis son intentionnalité consciente plutôt qu’à partir de ses motivations inconscientes structurales. Mais peut-être joue t-il là, dans la typologie descolienne, de simple symétrique nécessaire à ce schème de la prédation (si essentiel à l’ensemble Jivaros) ?
Si les relations du premier groupe autorisent « la réversibilité du mouvement entre les termes (celle-ci est indispensable pour qu’un échange ait lieu et elle demeure possible, sinon toujours désirée, dans la prédation et le don), en revanche les relations du second groupe sont toujours univoques et se déploient entre des termes hiérarchisés » (p. 439). Ainsi, « l’antécédence génétique du producteur sur son produit ne permet pas à celui-ci de produire en retour son producteur, le plaçant dans une situation de dépendance vis-à-vis de l’entité à qui il doit son existence » (p. 439). De même, « la protection implique une domination non réversible de celui qui l’exerce sur celui qui en bénéficie » (p. 445). Enfin, selon l’auteur, « la transmission est avant tout ce qui permet l’emprise des morts sur les vivants par l’entremise de la filiation » (p. 450). » [...]
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