Nature et formes du conflit
Bien que de moins en moins ignorant, nous restons largement inconscient des enjeux à l’œuvre, de l’inégalité des forces en présence, dans la mesure où nous nous sentons terriblement bien armés pour y répondre. Pour bâtir, exploiter, façonner les cycles naturels à notre convenance, nous disposons aujourd’hui d’une batterie de machines et de savoir-faire qui associés les uns aux autres, qui socialement organisés, constituent une véritable machine de guerre capable d’absorber des puissances très supérieures aux nôtres, comme l’eau.
Globalement il existe cinq types de conflits possibles avec l’eau sur un territoire :
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Pénurie conjoncturelles : sécheresse, conflit d’usage (tourisme estivale et agriculture intensive en eau).
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Pénuries structurelles : une consommation sans rapport avec la disponibilité de la ressource.
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Pénurie par la pollution de la qualité.
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Les inondations.
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Les maladies hydriques : érosion des sols, sédimentation, intrusion d’eau de mer dans les nappes.
Tous ces conflits sont travaillés par le grand réducteur de certitude, perturbateur global que sont les variations climatiques et les déplacements attendus des zones de précipitation (modification du cycle et des réservoirs – glacier)
Petite photographie des « forces » en présence…
Il existe une différence entre la consommation en eau et le prélèvement selon les activités. Ainsi si l’industrie rejette dans les milieux, après traitement, une grande partie de l’eau prélevée pour les besoins de ses processus de production, il n’en n’est pas de même pour l’agriculture où l’eau prélevée s’évapore ou est intégrée au tissu végétal des plantes. Encore une fois rien ne se perd, rien ne se créé. Seulement de grandes masses d’eau sont quotidiennement déplacées d’un territoire à l’autre avec le commerce des denrées agricole, participant ainsi à déséquilibrer les écosystèmes et le cycle de l’eau.
Ainsi en France, les « consommations nettes » sont de l’ordre de (prélèvement-rejet):
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Eau potable : 26%
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Industrie : 11%
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EDF (production d’énergie nucléaire) : 3%
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Agriculture : 60%
Consciemment ou non, à partir des meilleures ou des pires intentions, le recul historique nous informe que bien des solutions à la question de l’eau se sont avérées contre productives quelques années plus tard (irrigation, barrages, endiguement…) ou ont simplement consisté à déshabiller Paul pour habiller Pierre, favorisant des « dommages collatéraux ».
De l’amont vers l’aval, suivant la pente de l’eau, l’intervention humaine participe à modifier le fonctionnement des réservoirs :
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Les barrages nécessaires à la production énergie, à la régulation du débit des cours d’eau, au captage des débits de crue…brisent les interconnections entre les flux des différents réseaux hydrographique.
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Les plus grands réservoirs de stockages artificiels altèrent le régime des inondations et retiennent les sédiments nécessaires à la fertilisation des terres cultivées en aval. La canalisation des rivières et le dragage des fonds à fin de navigation modifient les également l’écoulement des eaux.
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L’irrigation à grande échelle, le pompage dans la nappe ou la dérivation des cours d’eau modifie également les régimes hydrologiques de sorte à assécher les parties situées en aval, perturber la recharge des nappes souterraines et in fine favoriser l’intrusion d’eau de mer au niveau des parties côtières.
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La déforestation favorise l’érosion des sols et les inondations tout réduisant les fonctions épuratives et de régulation climatique (niveau des précipitations).
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L’ensemble conduit à affaiblir fortement le réseau des zones humide tout en concentrant des flux de pollution (nitrates, pesticides). Les infrastructures de transport et de contrôle des inondations participe également à fragmenter le réseau des zones humides.
Sans doute faut-il ici voir l’effet d’une vision de l’eau en tant que ressource passive, objet extractible relativement déconnecté de son environnement. Vision qui ne posait pas de problème à petite échelle. De ce point de vue, résoudre le conflit avec la ressource impliquait au mieux une gestion des stocks locaux. Or maintenant nous savons que c’est à une gestion intégrée des différents flux (carbone, eau, air…) au niveau mondial que nous avons à faire.
Signes de tension
Les symptômes (signes, zones de tensions, traces) du conflit se multiplient un peu partout dans le monde selon les caractéristiques des usages tant de la ressource en eau que du territoire. Pour faire simple, on peut choisir de classer les symptômes sous deux grandes familles :
Qualité (pollution): soit la concentration des pollutions (urbaine, agricoles, industrielles) ayant pour conséquences la réduction de la qualité biologique des eaux (surface, souterraines, océans) et affectant ainsi tant la biodiversité que la santé humaine.
Quantité (rupture du cycle): soit les aménagements humains ayants pour conséquences la modification du cycle hydraulique, i.e. les temps de résidence.
Ces deux familles sont liées si l’on raisonne en termes d’accès global à la ressource (physique et économique) dans la mesure où une baisse de quantité entraine des problèmes de qualité du fait d’une concentration accrue des polluants (moins de dilution). La baisse de la qualité renchéri les coûts de traitement selon les usages (ville, industrie, agriculture…) impactant la quantité des eaux disponibles tant pour l’homme que pour l’environnement.
Pollutions |
Ruptures du cycle |
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Pas de conflit sans victime
Mais tout se passe globalement comme si nous acceptions chaque jour de voir s’enliser un conflit où nous n’avons rien à gagner et absolument tout à perdre (agriculture, énergie, santé…). Alors que la prise de conscience augmente, le conflit demeure encore silencieux. Pourtant les victimes sont nombreuses : 10000 enfants meurent par jour du fait de l’insalubrité de l’eau. Chiffres auxquels il faudrait rajouter les victimes des inondations et sécheresse provoquées par l’intervention brutale de l’homme….un conflit de nature mondial et généralisé.
Global burden of disease of the major water-related diseases for the year 2002, expressed in number of deaths based on data from the 2004 edition of the World Health Report (WHO, 2004a).
Vers une intensification inévitable ? Pas de solutions sans coûts…
Selon la moyenne de l’hypothèse basse et medium de l’ONU, les projections démographiques à l’horizon 2050 tournent de 9 milliards d’individu sur la planète. Mécaniquement ceci impliquera 3 milliards * 1100 m3 d’eau supplémentaire pour les nourrir. En effet, la quantité globale d’eau nécessaire à un adulte de taille moyenne, vivant en région tempérée et ne fournissant pas d’effort physique particulier, est d’environ 2,5 litres par jour dont environ 1 litre est apporté par les aliments et 1,5 litre par les boissons. 2/3 des pertes le sont via l’urine, le tiers restant pas la transpiration. Mais en moyenne 1kg céréale = 1000 l eau, 1kg viande = 16 000 l eau. C’est l’addition de ces chiffres calculés selon un régime alimentaire moyen qui nous donne ces 1100m3 annuel.
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Le Dessalement de l’eau de mer : le coût pour produire les 3 milliards * 1100 m3 est équivalent à 3 fois la quantité de pétrole consommée actuellement dans le monde. Arrêtons nous un instant pour dire que le sel de mer provient de l’action des eaux de ruissellement et des eaux souterraines sur la roche terrestre qui arrache à celle-ci des ions (Na, Cl, …) peu réactifs avec les particules et les minéraux marins. La salinité de l’océan ne varie presque plus avec le temps car les apports (ruissellement) et les départs (sédimentation et altération) de sels s’équilibrent. Ainsi concernant le dessalement de l’eau de mer, en plus d’être une solution très couteuse, très consommatrice d’énergie, que feront nous des résidus concentré de sel ?
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L’augmentation des capacités de stockage (Barrage) : pour produire les 3 milliards * 1100 m3, il faudrait multiplier par 10 le rythme de construction actuel des équipements, avec tous les coûts écologiques et sociaux que cela implique.
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La déforestation : pour développer de nouvelles surfaces de culture promet des coûts écologiques de première importance : destruction des habitats, accélération du changement climatique local, modification des précipitations, inondations…
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Augmenter le prix pour favoriser une utilisation plus rationnelle de l’eau: l’eau est une matière première de tout processus de production. Son renchérissement ne sera pas sans impact sur les coûts de production et le pouvoir d’achat, sur l’accès aux ressources des plus pauvres. Cependant, dans certain cas nous n’aurons pas le choix. Même en intervenant maintenant certaines des grandes villes australiennes devront sans doute augmenter par dix le coût de leur eau pour financer le service.
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Productivité/efficacité de l’eau : 60% des consommations nettes se font dans l’agriculture. Cependant les biotechnologies (OGM) restent à ce jour très peu efficaces vis-à-vis de ce problème. Des modes d’irrigation nouveaux (goutte à goutte) ouvrent cependant quelques perspectives.
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Ainsi la modification des régimes alimentaires à grande échelle est peut-être la solution la moins couteuse. Moins de maïs, donc moins de viande, donc moins de…
On le voit, pas même besoin de parler du changement climatique pour voir que la situation est déjà grave, que nous perdons la main et que ce formidable réducteur de certitude qu’est le facteur climat ne risque pas de nous y faire voir plus clair.
Merci pour ces bons moments sur votre blog. Je suis souvent au poste pour regarder (encore et toujours) ces merveilleux articles que vous partagé. Vraiment très intéressant. Bonne continuation à vous !
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