Nous mangeons 500 fois plus d’eau par jour que nous n’en buvons !
Sur les cinquante dernières années, l’expansion de l’irrigation a largement contribué à multiplier par trois la production mondiale de céréales. L’irrigation représente 70% de tous les usages de l’eau dans le monde alors même qu’elle est l’activité la plus consommatrice (l’eau s’évapore et ne retourne que très partiellement ou indirectement dans le cycle hydraulique local). Dans les pays où celle-ci a été mise en place à partir d’un surpompage des nappes d’eau souterraines, la diminution actuelle de ces dernières se traduira inévitablement à terme par un déclin de la production agricole. Autrement dit, dans un monde actuel de 6 milliards d’individus dont déjà 800 millions ne se nourrissent pas à leur fin (tendance en hausse), comment arriver à nourrir les 9 milliards d’homme attendus selon les projections 2050 ? Cela sans défricher encore plus de forêts et compromettre ainsi encore plus le cycle naturel de l’eau.
Non seulement la ressource en eau accessible diminue dangereusement en certains points du globe, alors même que la concurrence sur son usage s’intensifie à mesure que les demande en eau des villes, des industries, des producteur d’énergie, augmentent. Or l’ensemble de ces demandes ne peuvent être satisfaites qu’en détournant l’eau de l’irrigation, celle-ci étant économiquement moins rentable. Dès lors le moyen le plus simple (pas d’investissement) pour couvrir les pertes engendrées sur la production locale de nourriture est de recourir à l’importation de céréales. Le risque est donc que nombre de pays en pénurie d’eau et aux besoins croissants en céréales ne submerge les capacités des pays ayant des surplus disponibles à l’export : Etats-Unis, France, Canada et Australie.
Entre 1972, l’URSS anticipant de mauvaises récoltes sur son blé intérieur, entre secrètement sur le marché mondial et réussi à s’approprier la quasi-totalité des surplus exportables. Associée à la production mondiale moyenne des deux années suivante, cette manœuvre conduisit à un doublement du prix du blé sur le marché mondial. Durant cette période, des exportateurs tels que les USA (50% des surplus) durent sélectionner leur destination, privilégiant les pays politiquement « amis ».Plus près de nous, de 1995 et 2000, la Chine, jusque-là autosuffisante en soja, est devenue brutalement le plus grand importateur du monde, à hauteur de plus de 40 % de son approvisionnement. Suite aux vagues de chaleur de l’été 2003 que connu l’Europe, toutes les exportations de blés ont été gelées le temps d’évaluer les pertes.Par peur d’une explosion du prix intérieur de son riz face à la demande croissante de la Chine devant la chute de sa production intérieure (pertes estimées à 10 millions de tonnes sur 2004), le Vietnam (2ème exportateur mondial) bloque ses exportations vers la Chine entre fin 2004 et mi 2005. Aujourd’hui, un peu partout dans le monde, la rareté de l’eau fait augmenter les importations de céréales, ou menace de le faire, dans des Etats extrêmement peuplés comme la Chine, l’Inde, le Pakistan, le Mexique et autres pays pauvres dont les balances extérieures sont extrêmement sensibles au coût de leurs importations agricoles. Le cas de la Chine est néanmoins bien à part car avec près de 1,3 milliard d’habitants et un excédent commercial annuel de 80 milliards de dollars avec les Etats-Unis, elle a le potentiel à court terme pour perturber les marchés mondiaux de céréales. La chute des nappes phréatiques en Chine pourrait donc rapidement signifier une hausse des prix de la nourriture dans le monde entier.
Prospectives
Toute chose égale par ailleurs, quelle pourrait-être les projections en extrapolant les tendances actuelles ? En imaginant la poursuite du mouvement de vente des droits en eau des fermiers du Sud des USA aux municipalités voisines afin d’assurer des usages domestiques grandissants, on assisterait à une déstabilisation croissante de la production intérieure américaine. Ce phénomène serait renforcé du fait de la hausse des températures estivales réduisant le rendement des récoltes de la « Corn Belt ». Au final nous pourrions donc assister à une importante réduction des surplus agricoles US disponibles à l’export, dans un contexte où ceux-ci se doivent fournir prioritairement la Chine pour financer leur déficit commercial, l’énorme stock de dollar amassé par les chinois servant de moyen de pression commercial et politique.
De son côté le Brésil, pour des questions de coût de transport favoriserait l’exportation de ses produits agricoles vers les USA et ses marchés naturels d’AmSud. Par ailleurs, pour des questions d’équilibre hydrologique, le Brésil n’est que très peu capable de mettre en culture de nouvelles terres sous peine de condamner les existantes. Quant à l’Europe, celle-ci a réduit ses surplus agricoles du fait des réformes de la PAC, d’une protection environnementale accrue et de la diversification dans les biocarburants.
Les politiques doivent donc à présent arbitrer entre les besoins de leur population et le fait de fournir à minima un monde où le manque de nourriture et les conflits sur les ressources naturelles se multiplient en périphérie.
Par ailleurs la remise en culture des terres aura un coût environnemental important, déforestation, usage massif engrais et pesticides. A court terme l’augmentation de la demande en eau pour l’irrigation serait compensée par moins d’eau à l’usage de l’environnement, car on ne pourra pas prendre sur la demande domestique, industrielle ou énergétique. D’où une dégradation violente des zones humides, une perte en biodiversité des eaux continentales, une perte en termes de biens et services environnementaux. Il faudra donc arbitrer entre concéder des sacrifices écologiques et sociaux sur son territoire ou accepter une aggravation des conditions écologiques et sociales extérieures, dans un monde encore ouvert.
Dans un monde ouvert où l’eau serait une ressource rare, il s’agit ici de bien comprendre la brutale contradiction entre protection de l’environnement et protection des besoins humains fondamentaux.